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Chapitre 29 - L'ergonomie

PRÉSENTATION GÉNÉRALE

Wolfgang Laurig et Joachim Vedder

La troisième édition de l’Encyclopédie du BIT, publiée en 1983 en anglais seulement, ne consacre à l’ergonomie qu’un article de quatre pages. Depuis cette date, de profondes mutations sont intervenues dans la prise en compte et la compréhension des liens étroits qui unissent la sécurité et la santé: le monde actuel ne se prête plus aussi facilement au découpage en «médecine», «hygiène», «sécurité» et «prévention». Au cours des dix dernières années, d’importants efforts ont été déployés dans presque toutes les branches d’activité économique pour améliorer la productivité et la qualité; ce processus a eu des implications pratiques considérables et a clairement montré que productivité et qualité sont directement liées aux conditions de travail. Ainsi, le coût de l’absentéisme pour maladie, indicateur économique direct de la productivité, dépend étroitement des conditions de travail. En conséquence, le fait d’accorder une plus grande attention à l’aménagement de ces conditions devrait permettre d’accroître la productivité et la qualité et de prévenir l’absentéisme.

L’axiome fondamental de l’ergonomie moderne peut s’énoncer comme suit: la fatigue et l’épuisement engendrent des risques pour la santé, une chute de la productivité et une baisse de la qualité qui sont autant d’indicateurs du rapport coûts/bénéfices du travail humain.

Cet axiome différencie l’ergonomie de la médecine du travail, qui se borne généralement à établir l’étiologie des maladies professionnelles et à déterminer les conditions qui en limitent le plus possible la probabilité de survenue. En faisant appel aux principes de l’ergonomie, il est très facile de formuler les conditions de travail sous la forme d’exigences et de limites de sollicitation. Le but de la médecine du travail est, en somme, d’établir des limites à la lumière d’études médico-scientifiques, alors que l’ergonomie traditionnelle se fixe pour mission de définir les méthodes permettant, par une conception rationnelle des moyens de travail et une bonne organisation du travail, de mettre en pratique les limites établies par la médecine du travail. On peut donc dire que l’ergonomie élabore des corrections sur la base d’études scientifiques, le terme «corrections» recouvrant toutes les recommandations qui visent à la prise en compte des limites de sollicitation en vue de prévenir les risques d’atteinte à la santé. Comme il ne s’agit pas d’une démarche pluridisciplinaire, le praticien se retrouve finalement seul lorsqu’il s’agit d’appliquer ces recommandations.

Le but assigné à l’ergonomie au moment de son invention en 1857 était donc radicalement différent de celui de l’«ergonomie corrective», à savoir:

[...] une approche scientifique permettant de récolter, pour nous-mêmes et pour les autres, les meilleurs fruits du travail de toute une vie au prix d’un minimum d’effort et avec le maximum de satisfaction (Jastrzebowski, 1857).

Le terme «ergonomie» vient du grec «ergon», le travail, et «nomos», la loi. On peut considérer dès lors que l’ergonomie devrait avoir pour mission d’élaborer les «règles» d’une approche orientée davantage vers le futur, donc plus prospective, dans l’aménagement des conditions de travail. Contrairement à l’ergonomie corrective, l’ergonomie prospective repose sur l’application de recommandations ergonomiques qui tiennent compte également de considérations de rentabilité (Laurig, 1992).

Les règles de base d’une telle approche peuvent être définies à partir de l’expérience pratique, puis confortées par les résultats des recherches en hygiène du travail et en ergonomie. L’ergonomie prospective se propose donc d’explorer de nouvelles pistes en matière d’aménagement du travail, afin de prévenir la fatigue et l’épuisement des travailleurs et de promouvoir la productivité humaine. Cette approche globale de l’ergonomie prospective comprend la conception des postes de travail et des équipements, ainsi que celle des conditions de travail caractérisées par l’importance croissante du traitement de l’information et les changements survenus dans l’organisation du travail. Il s’agit, on le voit, d’une approche interdisciplinaire faisant appel à des chercheurs et à des praticiens issus de domaines très divers, mais unis par un même objectif. L’ergonomie prospective constitue l’un des éléments d’une compréhension moderne de la sécurité et de la santé au travail (UNESCO, 1992).

Le présent chapitre embrasse les divers domaines de connaissances et d’expériences relatives aux caractéristiques et aux aptitudes des travailleurs en vue d’en dégager les données susceptibles d’assurer une utilisation optimale du «travail humain» en le rendant plus «ergonomique», c’est-à-dire plus humain.

Le choix des sujets abordés et la structure du chapitre lui-même correspondent au type de questions qui se posent dans la pratique. Après un exposé des objectifs, des principes et des méthodes de l’ergonomie, des articles sont consacrés aux principaux aspects des disciplines de base telles que la physiologie et la psychologie. D’autres articles traiteront de la conception ergonomique du travail, depuis l’organisation du travail jusqu’à la conception des produits. L’article intitulé «La conception pour tous» exposera une démarche ergonomique qui tient compte des caractéristiques et des aptitudes du travailleur, démarche souvent négligée dans la pratique. A la fin du chapitre, deux exemples illustreront l’importance et la diversité de l’ergonomie, attestées également par de nombreux autres chapitres du présent ouvrage directement liés à l’ergonomie: «La chaleur et le froid» (no 42), «Le bruit» (no 47), «Les vibrations» (no 50), «Les terminaux à écran de visualisation» (no 52) et pratiquement tous les chapitres des sections «Accidents et gestion de la sécurité» et «Gestion et politique».

OBJECTIFS, PRINCIPES ET MÉTHODES

LA NATURE ET LES OBJECTIFS DE L’ERGONOMIE

William T. Singleton

Définition et champ d’application

Dans son acception littérale, le terme ergonomie signifie l’étude ou la mesure du travail. Le terme «travail» est pris ici au sens large d’une activité humaine accomplie dans un but déterminé; il dépasse le concept plus restreint de l’effort fourni en contrepartie d’une rémunération pour englober toutes les activités par lesquelles un opérateur humain rationnel poursuit méthodiquement un objectif donné. Il couvre donc aussi bien les activités sportives, les loisirs, les tâches domestiques (s’occuper des enfants, entretenir son intérieur), l’éducation, la formation et les activités à vocation sanitaire et sociale que la conduite de systèmes techniques ou l’adaptation à ces systèmes, par exemple en tant que passager d’un véhicule.

L’opérateur humain — élément central d’étude — peut être un professionnel qualifié conduisant une machine complexe dans un environnement artificiel, un client ayant acheté un objet pour son usage personnel, un enfant assis dans une classe ou une personne handicapée dans un fauteuil roulant. L’être humain a une capacité d’adaptation très importante, mais pas illimitée. Pour chaque activité, il existe des plages de conditions optimales. L’une des tâches de l’ergonomie est précisément de définir ces plages et d’étudier les effets indésirables qu’entraîne un dépassement des limites ainsi définies, par exemple lorsqu’une personne doit travailler sous une contrainte thermique, sonore ou vibratoire excessive, ou lorsque sa charge de travail physique ou mentale est trop élevée ou trop faible.

L’ergonomie ne se limite pas à la seule étude du milieu ambiant; elle s’étend aux atouts uniques de l’opérateur humain et à la contribution qu’il peut apporter si la conception des situations de travail lui permet d’utiliser au mieux ses aptitudes et l’encourage à le faire. Ces aptitudes peuvent être définies par rapport à un opérateur humain «générique», mais aussi à la lumière des compétences particulières exigées dans des situations spécifiques où une performance de haut niveau est essentielle. Ainsi, un constructeur automobile prendra en considération toute la gamme des tailles et des forces physiques de l’ensemble des futurs conducteurs de son modèle pour faire en sorte que les sièges soient confortables, que les commandes soient faciles à localiser et à atteindre, que la visibilité vers l’avant et vers l’arrière du véhicule soit satisfaisante et que les indicateurs du tableau de bord soient d’une lecture aisée. La facilité à s’installer dans le véhicule et à en sortir sera également prise en compte; dans le cas d’une voiture de course, le constructeur supposera que le conducteur est athlétique et que cet aspect n’a pas d’importance. En revanche, il pourra souhaiter aménager le véhicule d’après les mensurations du pilote et ses préférences particulières pour lui permettre de donner le meilleur de lui-même.

Dans toutes les situations, activités et tâches, ce sont toujours la ou les personnes concernées qui doivent être l’élément central. Les moyens structurels et la technologie doivent être au service de l’opérateur, et non pas l’inverse.

Historique et situation actuelle

Il y a un siècle environ, on s’est aperçu que la durée et les conditions de travail dans certaines mines et fabriques n’étaient pas tolérables du point de vue de la sécurité et de la santé et qu’il s’imposait de légiférer pour fixer des limites acceptables. On peut considérer que l’ergonomie date du moment où de telles limites ont été établies. Notons en passant que les premières activités de l’Organisation internationale du Travail (OIT) dans ce domaine remontent à cette époque.

La recherche, le développement et l’application ont progressé lentement jusqu’à la seconde guerre mondiale, qui a donné une puissante impulsion à la mise au point de nouvelles machines et de nouveaux instruments (véhicules, avions, blindés, canons) et a considérablement amélioré les appareils de détection et de navigation. En permettant une plus grande flexibilité, le progrès technique a autorisé une adaptation des moyens à l’opérateur, adaptation rendue d’autant plus nécessaire que la performance humaine limitait celle des systèmes. Dans le cas d’un véhicule à moteur se déplaçant à quelques kilomètres à l’heure, la performance du conducteur ne revêt pas une importance capitale mais, si le véhicule atteint des vitesses dix ou cent fois supérieures, le conducteur doit pouvoir réagir rapidement, car toute erreur peut entraîner un accident. De la même manière, le progrès technique fait qu’il est moins nécessaire de se préoccuper des pannes mécaniques ou électriques, par exemple, pour se concentrer sur les besoins du conducteur.

L’ergonomie, au sens de l’adaptation de la technologie aux besoins de l’opérateur, est donc devenue, avec le progrès technique, plus nécessaire, mais aussi d’une application plus facile.

Le terme «ergonomie» est entré en usage vers 1950, quand l’expansion industrielle a pris le pas sur les activités militaires. Le développement de la recherche et de ses applications pendant les trente années suivantes a été décrit en détail par Singleton (1982). Les agences des Nations Unies, en particulier l’Organisation internationale du Travail (OIT) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ont participé activement à ce développement dans les années soixante.

Immédiatement après la guerre, l’industrie, mais aussi l’ergonomie, avaient pour objectif d’augmenter la productivité. Ce but était à la portée de l’ergonomie, car la productivité industrielle dépend directement de l’effort physique des travailleurs — la vitesse d’assemblage et la cadence des gestes déterminent le rendement. Progressivement, la force mécanique a supplanté la force musculaire, mais l’augmentation de puissance mise en œuvre s’est accompagnée d’une augmentation du nombre d’accidents, en vertu du principe simple qu’un accident est la résultante d’une force appliquée au mauvais endroit et au mauvais moment. Par ailleurs, le risque d’accident est plus grand lorsque la cadence s’accélère. Au cours des années soixante et au début des années soixante-dix, on a donc pu voir le souci de l’industrie et l’objectif de l’ergonomie glisser progressivement de la productivité vers la sécurité. C’est à peu près à cette époque que de nombreuses industries manufacturières sont passées de la production séquentielle ou par lots à la production en continu. Parallèlement, l’opérateur a troqué son rôle d’acteur direct pour celui de surveillant et de contrôleur. De ce fait, la fréquence des accidents a baissé, puisque l’opérateur était plus éloigné du lieu de l’action, mais leur gravité s’est parfois accrue en raison de la vitesse et de la puissance mises en œuvre.

Avec un rendement déterminé par la vitesse de fonctionnement des machines, la productivité est conditionnée par la bonne marche du système et sa fiabilité est dès lors capitale. L’opérateur devient donc un surveillant, un dépanneur et un agent de maintenance et non plus un acteur direct.

On pourrait penser, à la lecture de ce bref historique de l’évolution des industries manufacturières dans l’après-guerre, que l’ergonomie a abandonné un ensemble de problèmes pour s’attaquer à un autre. Tel n’est pas le cas et ce, pour plusieurs raisons. Comme on l’a dit, les préoccupations de l’ergonomie sont beaucoup plus larges que celles des industries de transformation. Outre l’ergonomie de production, il existe une ergonomie du produit, à savoir l’adaptation de l’objet fabriqué à l’utilisateur et une ergonomie des moyens de production, c’est-à-dire des composants du travail. Dans l’industrie automobile, par exemple, l’ergonomie joue un rôle important non seulement au niveau de la fabrication des pièces et des chaînes de production, mais aussi à celui des utilisateurs ultimes (conducteurs, passagers, mécaniciens, etc.). Il est désormais normal, dans le marketing et dans l’évaluation critique des voitures par des tiers, d’examiner la qualité de l’ergonomie, comme le confort de la suspension et des sièges, la facilité de conduite, les niveaux de bruit et de vibrations, la facilité d’utilisation des commandes, la visibilité intérieure et extérieure, etc.

La performance de l’opérateur humain est habituellement optimale dans la plage de tolérance d’une variable donnée. Par le passé, l’ergonomie s’est surtout attachée à réduire tant la force musculaire à déployer que l’amplitude et la diversité des mouvements et à s’assurer que les plages de tolérance ne soient pas dépassées. La mutation la plus importante survenue dans le travail, c’est-à-dire l’avènement de l’ordinateur, a créé le problème opposé. S’il n’est pas conçu ergonomiquement, un poste de travail sur ordinateur peut imposer une posture trop statique, des gestes beaucoup trop limités et une répétition excessive de telle ou telle combinaison de mouvements des articulations.

Ce bref historique a pour seule ambition de montrer que, malgré le développement continu de l’ergonomie, les problèmes sont venus s’ajouter les uns aux autres sans changer de nature. En même temps, toutefois, notre fonds de connaissances s’est enrichi; il est devenu plus fiable et plus valable. Les normes relatives à la dépense énergétique sont demeurées les mêmes, indépendamment du pourquoi et du comment; les exigences posturales n’ont pas changé, que l’on soit assis dans un siège d’avion ou en face d’un écran d’ordinateur. Une grande partie de l’activité humaine exige aujourd’hui l’usage d’écrans et l’on dispose à ce sujet de principes bien établis sur la base d’expériences en laboratoire et d’études sur le terrain.

L’ergonomie et les disciplines connexes

Un champ d’étude scientifique situé entre des domaines bien établis comme l’ingénierie et la médecine empiète inévitablement sur de nombreuses disciplines connexes. Sur le plan scientifique, une grande partie des connaissances de l’ergonomie est empruntée aux sciences humaines: anatomie, physiologie et psychologie. Les sciences physiques interviennent également dans les problèmes d’éclairage, de chauffage, de bruit et de vibrations, par exemple.

Les pionniers européens de l’ergonomie étaient pour la plupart issus des sciences humaines, ce qui explique l’équilibre existant entre la physiologie et la psychologie dans cette discipline. Pour les questions telles que la dépense énergétique, les postures et les efforts, notamment dans le port des charges, il faut avoir des connaissances en physiologie; pour d’autres sujets, comme la présentation des informations ou la satisfaction retirée du travail, des connaissances en psychologie s’imposent. De nombreuses questions exigent une approche mixte: c’est le cas du stress, de la fatigue et du travail posté, pour ne citer qu’eux.

La grande majorité des pionniers américains, de leur côté, œuvraient dans le domaine de la psychologie expérimentale ou de l’ingénierie, et c’est pour cette raison que leurs intitulés de fonction — human engineering, human factors — reflètent une différence d’éclairage (mais pas de substance) par rapport à l’ergonomie européenne. Cela explique également que l’hygiène du travail, du fait de son étroite relation avec la médecine (celle du travail en particulier) soit considérée aux Etats-Unis comme tout à fait distincte des facteurs humains ou de l’ergonomie. L’ergonomie s’intéresse à l’opérateur humain en action, l’hygiène du travail aux risques qu’il encourt dans le milieu ambiant. L’hygiéniste du travail a pour centre d’intérêt les risques toxiques qui sont en dehors du champ de l’ergonome. Il se préoccupe des effets sur la santé, à court comme à long terme; l’ergonome s’intéresse bien sûr à la santé, mais aussi à d’autres aspects tels que la productivité et l’aménagement du travail et des postes de travail. La sécurité et la santé sont des questions génériques qui sont communes à l’ergonomie, à l’hygiène et à la médecine du travail. Il n’est donc pas surprenant de voir ces domaines souvent regroupés dans les grands centres de recherche, d’étude ou de production. Ce regroupement permet l’intervention d’équipes de spécialistes apportant chacun leur contribution à l’étude et à la solution des problèmes généraux de santé qui se posent non seulement pour les travailleurs de l’entreprise, mais aussi pour les usagers sur lesquels ses activités et ses produits peuvent avoir des répercussions. Dans les bureaux d’étude ou dans les entreprises de prestation de services, l’ergonome sera en revanche plus proche des ingénieurs et autres personnels techniques.

Du fait du caractère pluridisciplinaire de l’ergonomie et de sa relative jeunesse, on peut se demander quelle est la meilleure manière de l’intégrer dans l’entreprise. Si elle déborde sur autant d’autres domaines, c’est qu’elle se préoccupe de l’être humain et que celui-ci est la ressource la plus précieuse de toute organisation. L’ergonomie peut trouver sa place de nombreuses façons, selon l’historique et les buts de l’organisation, à condition que ses objectifs soient compris et appréciés et que des mécanismes d’application soient prévus pour les recommandations qui en découlent.

Les objectifs de l’ergonomie

On aura compris que les fruits de l’ergonomie peuvent se traduire de nombreuses manières, qu’il s’agisse de la productivité et de la qualité, de la sécurité et de la santé, de la fiabilité, de la satisfaction professionnelle ou de l’épanouissement personnel.

Si le champ d’action de l’ergonomie est si étendu, c’est que son but fondamental est l’efficience, définie au sens large de réalisation du résultat recherché sans efforts inutiles, sans erreurs et sans préjudice pour le travailleur concerné ou pour autrui. Ainsi, il est contraire à cet objectif de devoir dépenser trop d’énergie ou de temps du fait que l’on n’a pas suffisamment réfléchi à la conception du travail lui-même, du poste de travail, de l’environnement et des conditions dans lesquels il s’effectue. Il serait également contraire à cet objectif que le résultat recherché soit obtenu en dépit de la conception du milieu de travail et non pas grâce à elle.

La finalité de l’ergonomie est de faire en sorte que le milieu de travail soit en harmonie avec l’activité du travailleur. Pour valable qu’il soit, ce but est loin d’être facile à atteindre et ce, pour diverses raisons. L’opérateur humain est certes souple et adaptable et il apprend sans cesse, mais il existe de grandes disparités entre les individus. Certaines sont évidentes, comme la taille et la force physique; d’autres le sont moins, comme les différences culturelles, de type ou de niveau de compétences.

Pour pallier cette complexité, on pourrait envisager de placer l’opérateur humain dans une situation flexible où il optimiserait sa propre démarche. C’est malheureusement parfois irréalisable, car la méthode de travail la plus efficiente n’est bien souvent guère évidente, et un travailleur peut accomplir une tâche de manière insatisfaisante et dans de mauvaises conditions pendant des années.

Il est donc nécessaire d’adopter une approche systématique: partir d’une théorie solide, établir des objectifs mesurables et évaluer les résultats à l’aune des objectifs. Les différents objectifs envisageables sont passés en revue ci-après.

La sécurité et la santé

Nul ne conteste que la sécurité et la santé sont des objectifs souhaitables; ils ne sont malheureusement pas directement mesurables. Ainsi, c’est par leur absence plutôt que par leur présence et par les écarts par rapport aux normes de sécurité et de santé que l’on sait s’ils sont atteints.

Dans le cas de la santé, une grande partie des données sont rassemblées sur de nombreuses années et concernent des populations plutôt que des individus. Il est donc indispensable de tenir des archives avec soin sur de longues périodes et de procéder à des études épidémiologiques pour identifier et mesurer les facteurs de risque. Quel devrait, par exemple, être le maximum d’heures de travail par jour ou par année passées sur un ordinateur? La réponse dépend de la conception du poste de travail, de la nature du travail et du type de personne (âge, vision, aptitudes, etc.). Les effets sur la santé pouvant aller de troubles du poignet à l’apathie mentale, il faut mener des études exhaustives sur de très larges populations tout en mettant en évidence les différences au sein de ces populations.

La sécurité est plus directement mesurable, mais dans un sens négatif, à savoir par la nature, la fréquence et la gravité des accidents et des dommages qu’ils entraînent. Il est malaisé de définir les différents types d’accidents et d’identifier leurs causes, souvent multiples; en outre, la relation entre le type d’accident et l’importance des conséquences (qui peut aller de l’absence de dommages jusqu’à mort d’homme) est souvent ténue.

Néanmoins, un très vaste fonds de connaissances a été constitué au cours des cinquante dernières années en matière de sécurité et de santé. Des constantes ont été découvertes qui permettent d’établir des lois, des normes et des principes opératoires applicables à des situations particulières.

La productivité et l’efficience

La productivité se définit habituellement en termes de production par unité de temps. L’efficience, quant à elle, inclut d’autres variables, en particulier le rapport coûts/bénéfices. Sur le plan humain, cela exige de prendre en compte les facteurs qui peuvent pénaliser l’opérateur humain.

Dans l’industrie, la productivité est relativement facile à déterminer: la quantité produite peut être mesurée et le temps mis pour la produire peut être enregistré sans difficulté. Les données relatives à la productivité sont souvent employées pour comparer les méthodes, les situations et les conditions de travail avant et après une intervention ergonomique, ce qui conduit à utiliser l’hypothèse de l’équivalence des efforts et autres coûts, car l’approche est basée sur le principe que la performance de l’opérateur sera aussi bonne que possible dans des circonstances données. Pour accroître la productivité, l’organisation du travail doit être améliorée. Cette approche simple est vivement conseillée, à condition que soient dûment pris en compte les nombreux facteurs de complexité qui peuvent masquer la réalité des choses. La meilleure sauvegarde est de s’assurer que rien n’a changé entre les situations «avant» et «après», à l’exception des aspects étudiés.

L’efficience est une mesure plus exhaustive, mais plus délicate dans tous les cas. Elle nécessite habituellement une définition spécifique pour une situation donnée et, dans l’évaluation des résultats d’une étude, la pertinence et la validité de cette définition doivent être vérifiées vis-à-vis des conclusions tirées. Par exemple, est-il plus efficient de faire de la bicyclette ou de marcher? La bicyclette sera beaucoup plus productive en distance parcourue sur route dans un temps donné; par ailleurs, elle sera plus efficiente en dépense énergétique par unité de distance ou dans le cas de l’exercice à domicile parce que la machine utilisée sera moins chère et plus simple. Par contre, si le but de l’exercice est de dépenser de l’énergie pour des raisons de santé ou de grimper au sommet d’une montagne en terrain difficile, la marche sera plus appropriée. Aussi, une mesure d’efficience n’a-t-elle de signification que dans un contexte bien défini.

La fiabilité et la qualité

C’est aujourd’hui la fiabilité et non plus la productivité qui est la valeur de référence dans les systèmes de haute technologie (transports aériens, raffineries de pétrole, centrales de production d’énergie). Les agents affectés à la surveillance de ces systèmes apportent leur contribution à la productivité et à la sécurité en procédant aux réglages nécessaires pour que les installations automatiques fonctionnent de manière ininterrompue et dans les limites prescrites. Ces systèmes sont les plus sûrs soit au repos, soit en régime nominal de croisière. Ils deviennent plus dangereux dans les phases de transition, c’est-à-dire lorsqu’ils passent d’un état d’équilibre à un autre; c’est le cas par exemple lors du décollage d’un avion ou durant la mise à l’arrêt d’une installation fonctionnant en continu. Une fiabilité élevée est un élément capital, pour des raisons non seulement de sécurité, mais aussi de coût. La fiabilité est simple à mesurer d’après la performance, mais extrêmement difficile à prédire, sauf en s’appuyant sur la performance passée de systèmes similaires. Les dysfonctionnements ont toujours une cause humaine; ils ne sont cependant pas toujours imputables à une erreur de l’opérateur, mais peuvent trouver leur origine dans un défaut de conception, d’installation ou de maintenance du système de production. On reconnaît aujourd’hui que les systèmes complexes faisant appel à des techniques de pointe nécessitent un apport important et continu de l’ergonomie et, cela, depuis le stade de leur conception jusqu’à l’étude de leurs défaillances.

La qualité est liée à la fiabilité, mais elle est très difficile, sinon impossible, à mesurer. Dans les systèmes de production séquentielle ou continue, on avait pour habitude de vérifier la qualité par le contrôle du produit fini; actuellement, on associe le contrôle de la production et celui de la qualité. Chaque opérateur assume donc une responsabilité parallèle de contrôleur de la qualité. Cette méthode se révèle habituellement plus efficace, mais elle peut conduire à renoncer aux primes et autres mesures d’incitation basées uniquement sur des indicateurs de production. Du point de vue de l’ergonomie, l’opérateur doit être traité comme une personne responsable et non comme un robot programmé pour effectuer des tâches répétitives.

La satisfaction professionnelle et l’épanouissement personnel

Si le travailleur, c’est-à-dire l’opérateur humain, doit être considéré comme une personne et non comme un robot, il faut aussi admettre qu’il assume des responsabilités et possède ou observe certaines attitudes, convictions et valeurs. Ce n’est pas toujours facile car il existe de nombreuses variables, pour la plupart décelables, mais non quantifiables, et d’importantes différences individuelles et culturelles. Néanmoins, l’ergonomie s’efforce aujour- d’hui de concevoir et de gérer le travail de manière qu’il soit aussi satisfaisant que possible, dans les limites du raisonnable, pour l’opérateur. On peut, à cette fin, recourir aux techniques d’enquête ou appliquer certains principes basés sur des caractéristiques du travail telles que l’autonomie et la responsabilisation. Même si cela prend du temps et coûte cher, il peut être très bénéfique de tenir compte des suggestions des personnes qui font le travail et de recueillir leur point de vue. Elles peuvent avoir une approche différente de celle du concepteur et ne pas partager les manières de voir de la personne qui a organisé le travail ou du chef d’entreprise. Ces différences d’éclairage sont un facteur important et peuvent inciter chacun des acteurs concernés à jeter un regard neuf sur leur stratégie.

C’est un fait établi que l’être humain ne cesse d’apprendre, du moins si on lui en donne les moyens. Il faut, pour cela, qu’il puisse tirer les enseignements du passé et du présent. Par ailleurs, ce retour d’information joue en soi un rôle de stimulant sur la performance. Ainsi chacun y trouve-t-il son compte: l’exécutant et les responsables (au sens large) de l’exécution. Les améliorations de la performance peuvent être fort bénéfiques, y compris sur le plan de l’épanouissement personnel. L’intégration de la dimension «épanouissement personnel» dans le champ de l’ergonomie nécessite davantage de compétences de la part du concepteur et du dirigeant mais, si elle est réussie, elle peut améliorer tous les aspects de la performance humaine évoqués ci-dessus.

Bien souvent, l’ergonomie aura rempli sa mission si elle a su faire naître, chez l’intéressé, une attitude ou un comportement appropriés à la situation. L’individu est la pierre angulaire de toute entreprise humaine, et la prise en compte systématique de ses qualités, de ses limites, de ses besoins et de ses aspirations est en soi d’une importance capitale.

Conclusion

L’ergonomie a pour objet l’étude systématique de l’individu au travail dans le but d’améliorer son milieu de travail, ses conditions de travail et les tâches qu’il exécute. Elle vise, d’une part, à rassembler des données pertinentes et fiables permettant de formuler des recommandations pour améliorer des situations données et, d’autre part, à élaborer des théories, des concepts, des règles et des procédures d’un caractère plus général qui enrichiront la discipline.

ANALYSES D’ACTIVITÉS, DE TÂCHES ET DE SYSTÈMES DE TRAVAIL

Véronique De Keyser

On ne peut parler d’analyse du travail sans la replacer dans la perspective des transformations récentes du monde industriel, car la nature des activités, les conditions dans lesquelles elles s’exercent ont considérablement évolué au cours de ces dernières années. Les facteurs de changement ont été nombreux, mais deux d’entre eux ont eu un impact qui s’est révélé crucial. D’une part, l’évolution technologique, avec son rythme de plus en plus rapide et les bouleversements introduits par les technologies de l’information, a fait éclater le visage des métiers (De Keyser, 1986). D’autre part, l’incertitude du marché économique a requis plus de flexibilité dans la gestion du personnel et l’organisation du travail. Si les travailleurs y ont gagné une vue plus large, moins routinière et sans doute plus systémique du processus de production, ils ont perdu des liens exclusifs avec un milieu, une équipe, un outil. Il est difficile de porter un regard serein sur ces changements, mais force est de constater qu’ils ont composé un nouveau paysage industriel, parfois plus riche pour les travailleurs qui y trouvent leur place, mais cependant plein d’embûches et inquiétant pour ceux qui y sont marginalisés ou en sont écartés. Une idée fait cependant son chemin dans les entreprises, confirmée par des expériences pilotes dans de nombreux pays: il serait possible de guider le changement et d’en atténuer les effets pervers grâce à des analyses pertinentes et en utilisant toutes les ressources de la négociation entre les différents acteurs du travail. C’est dans ce contexte que doivent être placées les analyses du travail — comme des outils permettant de mieux décrire tâches et activités, afin de mener des interventions de différente nature comme les formations, la mise en place de nouveaux modes organisationnels, ou la conception d’outils et de systèmes de travail. Des analyses, et non pas une, car il en existe en quantité, suivant les contextes théoriques et culturels dans lesquels elles se développent, les objectifs particuliers qu’elles poursuivent, les traces qu’elles collectent, le souci de spécificité ou, au contraire, de généralisation de leurs auteurs. Pour notre part, nous nous bornerons à en présenter quelques caractéristiques et à souligner l’importance du travail collectif. Les conclusions mettront l’accent sur d’autres pistes qui auraient mérité d’être ouvertes, mais que les limites de ce texte nous ont forcés à délaisser.

Quelques caractéristiques des analyses du travail

Le contexte

Si l’objectif premier de toute analyse du travail est de décrire ce que l’opérateur fait, ou devrait faire, le situer plus précisément dans son contexte a très souvent paru indispensable aux chercheurs. Ils évoquent, suivant leur sensibilité, mais de manière presque équivalente, les concepts de contexte, de situation, d’environnement, de domaine, de monde ou de milieu de travail. Le problème est moins dans la nuance qui distinguerait ces termes que dans la sélection des variables qu’il convient de décrire. En effet, le monde est vaste, l’industrie complexe et les caractéristiques à relever innombrables. On peut noter deux tendances parmi les auteurs. La première voit dans l’évocation du contexte un moyen de capter l’intérêt du lecteur et de lui fournir un cadre sémantique suffisant. La seconde relève d’une perspective théorique différente; elle tente d’englober contexte et activité, ne décrivant du contexte que des facteurs susceptibles d’influencer le comportement des opérateurs.

Le cadre sémantique

Le contexte a un pouvoir évocateur. Il suffit, pour un lecteur averti, que l’on parle d’opérateur en salle de contrôle dans un processus continu pour faire surgir l’image d’un travail de commande et de surveillance à distance, où les tâches de détection, de diagnostic, de régulation seront prépondérantes. Quelles sont les variables à décrire pour dresser un contexte suffisamment éloquent? Tout dépend du lecteur. Néanmoins un consensus s’est fait dans la littérature autour de quelques variables clés. La nature du secteur économique, le type de production ou de service, la taille et la localisation géographique du site sont utiles. Le processus de production, les outils ou machines et leur niveau d’automatisation laissent deviner certaines contraintes et certaines qualifications nécessaires à le faire tourner. La structure du personnel, avec l’âge, le niveau de qualification et l’expérience acquise sont des données cruciales dès que l’analyse porte sur des aspects de formation ou de flexibilité organisationnelle. L’organisation du travail mise en place dépend davantage de la philosophie de l’entreprise que de la technologie. Sa description comprend notamment les horaires, le degré de centralisation des décisions et les formes du contrôle exercé sur les travailleurs. A ces quatre familles s’ajoutent, suivant les cas, d’autres éléments. Ils sont liés à l’histoire, à la culture de l’entreprise, à sa situation économique, aux conditions de travail et à d’éventuels investissements, restructurations ou fusions. Il existe au moins autant de systèmes de classification que d’auteurs et de nombreuses listes de description circulent. En France, un effort tout particulier a été fait pour la généralisation de méthodes descriptives simples, permettant notamment de coter certains facteurs suivant qu’ils sont satisfaisants ou non pour l’opérateur (RNUR, 1976; Guelaud et coll., 1977).

La description des facteurs pertinents au regard de l’activité

La taxonomie des systèmes complexes décrite par Rasmussen, Pejtersen et Schmidts (1990) représente une des tentatives les plus ambitieuses de saisir à la fois le contexte et son influence sur l’opérateur. Son idée maîtresse, en effet, est d’intégrer de manière systématique les différents éléments qui la composent et de dégager les degrés de liberté et les contraintes à l’intérieur desquelles pourront se développer des stratégies individuelles. Sa visée d’exhaustivité la rend difficile à manier, mais l’emploi de multiples modes de représentation, y compris graphique, pour illustrer les contraintes a une valeur heuristique qui séduira plus d’un lecteur. D’autres approches sont plus ciblées. Ce qui est alors recherché par les auteurs, c’est la sélection de facteurs qui peuvent influencer une activité bien précise. Ainsi, s’intéressant au contrôle de processus dans un environnement changeant, Brehmer (1990) propose une série de caractéristiques temporelles du contexte ayant une incidence sur le contrôle et l’anticipation de l’opérateur (voir figure 29.1). La typologie de cet auteur a été développée à partir de «micromondes», simulations informatiques de situations dynamiques, mais l’auteur lui-même et bien d’autres depuis l’ont utilisée dans l’industrie des processus continus (van Daele, 1992). Pour certaines activités, on connaît bien l’influence du milieu et la sélection des facteurs n’est pas trop difficile. Ainsi, si on s’intéresse à la fréquence cardiaque en milieu de travail, on se bornera souvent à décrire les ambiances thermiques, les contraintes physiques de la tâche, l’âge et l’entraînement du sujet, même si on sait que, ce faisant, on laisse peut-être échapper des éléments pertinents. Pour d’autres, le choix est plus difficile. Les études sur les erreurs humaines, par exemple, montrent que les facteurs susceptibles de les entraîner sont nombreux (Reason, 1989). Parfois, ces connaissances théoriques étant insuffisantes, seuls des traitements statistiques, couplant contexte et analyse de l’activité, permettent de dégager les facteurs contextuels pertinents (Fadier, 1990).

Figure 29.1 Les critères et sous-critères de la taxonomie des micromondes proposée par Brehmer

Figure 29.1

La tâche ou l’activité?

La tâche

La tâche se définit par ses objectifs, ses contraintes et les moyens qu’elle requiert. Une fonction dans l’entreprise est généralement caractérisée par un ensemble de tâches. La tâche réalisée diffère de la tâche prescrite, planifiée par l’entreprise, pour quantité de raisons: les stratégies des opérateurs varient de manière inter- et intra-individuelle, l’environnement fluctue et les aléas exigent des ripostes qui sortent souvent du cadre prescrit. Enfin, la tâche n’est pas toujours planifiée avec une bonne connaissance des conditions de son exécution, d’où des adaptations en temps réel. Toutefois, si elle s’actualise dans l’activité jusqu’à parfois se métamorphoser, elle n’en reste pas moins la référence centrale.

Les questionnaires, inventaires et taxinomies de tâches sont nombreux, en particulier dans la littérature anglo-saxonne. Le lecteur en trouvera un excellent recensement dans Fleishman et Quaintance (l984) et dans Greuter et Algera (l989). Certains de ces instruments ne sont que des listes d’éléments — par exemple, des verbes d’action pour illustrer des tâches — que l’on coche suivant la fonction étudiée. D’autres ont adopté un principe hiérarchique, caractérisant une tâche par un emboîtement d’éléments, allant du global au particulier. Ces méthodes sont standardisées et s’appliquent à un grand nombre de fonctions; elles sont simples d’emploi et l’étape analytique y est fortement réduite; toutefois, s’il s’agit de cerner un travail spécifique, elles sont trop statiques et trop générales pour être utiles.

A côté d’elles, il y a des tentatives plus artisanales où les éléments de l’analyse ne sont pas prédéfinis; c’est au chercheur qu’il appartient de les caractériser. La méthode déjà ancienne des incidents critiques de Flanagan (1954), où l’observateur décrit une fonction par les difficultés et les incidents auxquels l’individu devra faire face, appartient à cette lignée.

C’est également la voie adoptée par l’analyse cognitive de la tâche (Roth et Woods, 1988). Cette technique vise à mettre en lumière les exigences cognitives d’un travail. Une des façons d’y arriver est de pratiquer une décomposition en objectifs, contraintes et moyens. On voit dans la figure 29.2 comment la tâche d’un anesthésiste, caractérisée d’abord par un objectif très global de survie du malade, se décompose en une série de sous-objectifs, eux-mêmes assortis d’actions et de moyens à mettre en œuvre. Plus d’une centaine d’heures d’observation en salle d’opération, d’entretiens avec des anesthésistes, ont été nécessaires pour obtenir cette «photographie» synthétique des exigences de la fonction. Cette technique lourde est cependant utile en ergonomie lorsqu’il s’agit de déterminer si tous les objectifs d’une tâche sont bien pourvus des moyens qui permettent de les atteindre. Elle permet aussi de comprendre la complexité d’une tâche (ses difficultés et conflits d’objectifs, par exemple) et d’interpréter certaines erreurs humaines. Toutefois, comme d’autres méthodes, elle souffre de l’absence d’un langage de description (Grant et Mayes, 1991). Par ailleurs, elle ne fait pas d’hypothèse sur la nature des processus cognitifs mis en jeu pour atteindre ces objectifs.

Figure 29.2 Analyse cognitive de la tâche: anesthésie générale

Figure 29.2

D’autres approches ont analysé les processus cognitifs en faisant des hypothèses sur le traitement de l’information nécessaire pour accomplir certaines tâches. Ainsi, le modèle cognitif de Rasmussen (1986) qui prévoit, suivant la nature de la tâche et sa familiarité pour le sujet, trois niveaux d’activation possible basés soit sur les habitudes et réflexes sensori-moteurs, soit sur les règles et procédures acquises, soit encore sur les connaissances, se retrouve-t-il dans de nombreuses descriptions. D’autres modèles ou théories qui avaient connu leur heure de gloire dans les années soixante-dix restent applicables. Ainsi, la théorie du contrôle optimal, qui considère l’homme comme un contrôleur d’écarts entre les objectifs assignés et observés se retrouve parfois appliquée à des processus cognitifs. Et les modélisations par réseaux de tâches interconnectées, les graphes de fluence continuent à inspirer les auteurs d’analyse cognitive de la tâche; la figure 29.3 représente une description simplifiée des séquences du comportement dans une tâche de contrôle d’énergie, avançant l’hypothèse de certaines opérations mentales. Toutes ces tentatives reflètent le souci des chercheurs d’allier, dans la même description, des éléments du contexte, la tâche elle-même, les processus cognitifs qui la sous-tendent — et de refléter le caractère dynamique du travail.

Figure 29.3 Description simplifiée des déterminants d'une séquence de comportement dans une
tâche de gestion de l'énergie: cas d'une consommation anormale d'énergie

Figure 29.3

Depuis l’organisation scientifique du travail, la tâche prescrite a mauvaise presse, parce qu’elle est imposée aux travailleurs sans avoir été conçue par eux, et qu’elle est souvent assortie d’un temps d’exécution. Si l’aspect d’imposition s’est quelque peu assoupli aujourd’hui, si les travailleurs contribuent plus souvent à la conception des tâches, la mesure du temps reste nécessaire à la planification et demeure une composante essentielle de l’organisation du travail. La quantification du temps ne doit pas toujours être perçue de manière négative. Elle constitue un indice précieux de charge de travail. Une manière simple, mais courante, de mesurer la pression temporelle exercée sur un travailleur, consiste à dresser le quotient du temps nécessaire à l’exécution d’une tâche sur le temps disponible. Plus ce quotient est proche de l’unité, plus la pression est grande (Wickens, 1992). Par ailleurs, la quantification peut servir à une gestion flexible, mais adéquate, du personnel. Prenons le cas des infirmières où la technique d’analyse prévisionnelle des tâches s’est généralisée, par exemple avec l’adoption du «Planning of Required Nursing (PRN 80)» canadien (Kepenne, 1984) ou d’une de ses variantes européennes. Grâce à des listes de tâches, assorties de leur temps moyen d’exécution, on peut, chaque matin, compte tenu du nombre de malades et de leurs pathologies, établir les plans de soins et la dotation en personnel. Loin d’être une contrainte, le PRN 80 a, dans de nombreux hôpitaux, fourni la démonstration de la carence en personnel infirmier, puisque la technique (voir figure 29.4) permet de faire la différence entre le souhaitable et l’observé, entre l’effectif nécessaire et l’effectif présent et même entre les tâches prévues et les tâches réalisées. Les temps calculés ne sont que des moyennes et les fluctuations de la situation ne les rendent pas toujours applicables, mais cet effet négatif est minimisé par une organisation flexible qui accueille les ajustements et qui fait participer le personnel à la mise au point de ces derniers.

Figure 29.4 Ecarts entre les effectifs présents et requis sur la base du PRN 80

Figure 29.4

L’activité, les traces et la performance

L’activité se définit comme l’ensemble des conduites et des ressources mises en œuvre par l’opérateur pour qu’il y ait travail — c’est-à-dire transformation ou production d’un bien ou d’un service. Cette activité peut être saisie, par observation, de différentes manières. Faverge (1972) a décrit quatre formes d’analyses. La première est une analyse en termes de gestes et de postures, où l’observateur repère dans l’activité visible du travailleur des classes de comportement reconnaissables et qui se répètent dans le travail. Ces activités sont souvent couplées à une réponse précise de l’organisme: par exemple, la fréquence cardiaque qui permet alors d’apprécier la charge physique associée à chacune d’elles. La seconde forme d’analyse est en termes de prise d’information. Ce qui est relevé par observation directe — ou à l’aide de caméras, d’enregistreurs des mouvements du regard —, c’est l’ensemble des signaux prélevés par l’opérateur dans le champ informationnel qui l’entoure. Cette analyse est particulièrement utile en ergonomie cognitive lorsqu’il s’agit de mieux comprendre le traitement de l’information réalisé par l’opérateur. Le troisième type d’analyse est en termes de régulation. Il est suggéré de saisir les ajustements de l’activité opérés par l’opérateur pour faire face soit aux fluctuations de l’environnement, soit à des changements de son propre état. On y retrouve l’intervention directe du contexte au sein même de l’analyse. Une des recherches les plus souvent citées dans ce domaine est celle de Sperandio (1972). Cet auteur a étudié l’activité des contrôleurs de la navigation aérienne et relevé des changements de stratégie importants lors de l’accroissement du trafic aérien. Il les a interprétés comme une tentative de simplification de l’activité visant à maintenir un niveau de charge acceptable, tout en continuant à satisfaire aux exigences de la tâche. La quatrième est une analyse en termes de processus de pensée. Ce type d’analyse s’est largement répandu dans l’ergonomie des postes très automatisés. En effet, la conception d’aides informatiques et, notamment, d’aides intelligentes à l’opérateur, passe par une bonne compréhension des raisonnements mis en œuvre par l’opérateur pour résoudre certains problèmes. Les raisonnements intervenant dans le planning, l’anticipation et le diagnostic ont fait l’objet d’analyses dont on trouvera un exemple dans la figure 29.5. Cependant, les traces de l’activité mentale ne peuvent jamais qu’être inférées. A côté de certains aspects observables du comportement (comme les mouvements du regard, les temps de résolution de problèmes), la plupart de ces analyses recourent à l’élicitation verbale. Un accent particulier a été porté, au cours de ces dernières années, sur les connaissances nécessaires à l’accomplissement de certaines activités, tentant par là de ne pas les postuler au départ de la description, mais de les faire apparaître par l’analyse.

Figure 29.5 Analyse de l'activité mentale. Stratégies dans la maîtrise des processus à long temps
de réponse: nécessité d'un soutien informatisé pour le diagnostic

Figure 29.5

De tels efforts ont mis en lumière que des performances quasi identiques pouvaient être obtenues avec des niveaux de connaissance très différents, pour autant que les opérateurs, conscients de leurs limites, appliquent des stratégies de conduite adaptées à leurs possibilités. Ainsi, dans l’étude du démarrage d’une centrale thermoélectrique (De Keyser et Housiaux, 1989) que nous avons réalisée, les démarrages étaient conduits tantôt par des ingénieurs, tantôt par des opérateurs. Les connaissances théoriques et procédurales que ces deux groupes possédaient, et qui avaient été élicitées par entretiens et questionnaires, étaient très différentes. Les opérateurs, en particulier, avaient une représentation parfois erronée des liaisons fonctionnelles des variables du processus. En dépit de cela, les performances des deux groupes étaient très proches. Les opérateurs prenaient en compte davantage de variables pour vérifier le contrôle du démarrage et ils pratiquaient des vérifications plus fréquentes. De tels résultats ont été également trouvés par Amalberti (1991), qui invoque l’existence de métaconnaissances permettant aux experts de gérer leurs propres ressources.

Quelles traces de l’activité convient-il de relever? Leur nature dépend étroitement de la forme d’analyse projetée. Quant à la forme, elle varie en fonction des possibilités et de la prudence méthodologique de l’observateur. On distingue les traces provoquées des traces spontanées, et les traces concomitantes des traces subséquentes. De manière générale, on préférera, lorsque la nature du travail le permet, les traces concomitantes et spontanées. Elles échappent à de multiples critiques telles que l’infiabilité de la mémoire, l’interférence de l’observateur, l’effet de reconstruction rationalisante du sujet, etc. Prenons, pour illustrer ces distinctions, l’exemple des verbalisations. Les verbalisations spontanées sont des échanges verbaux, ou des monologues exprimés spontanément sans injonction de l’observateur; les verbalisations provoquées sont celles qui se font à la demande expresse de l’observateur, comme la requête faite au sujet de «penser tout haut», bien connue dans la littérature cognitive. Les unes comme les autres peuvent se faire en temps réel, durant le travail; elles sont alors concomitantes. Elles peuvent également être subséquentes, comme dans les entretiens, ou les verbalisations des sujets, lorsqu’ils revoient des enregistrements vidéos de leur travail. Pour ce qui est de la validité des verbalisations, le lecteur retiendra la controverse entre Nisbett et De Camp Wilson (1977) et White (1988) et les précautions suggérées par de nombreux auteurs, conscients de leur importance dans l’étude de l’activité mentale, en dépit des difficultés méthodologiques rencontrées (Ericson et Simon, 1984; Savoyant et Leplat, 1983; Caverni, 1988; Bainbridge, 1986).

L’organisation de ces traces, leur traitement et leur formalisation nécessitent des langages de description et parfois des analyses qui vont au-delà de l’observation de terrain. Les activités mentales inférées à partir de ces traces, par exemple, demeurent hypothétiques. On les décrit souvent en employant des langages issus de l’intelligence artificielle, faisant appel à des représentations en termes de schémas, de règles de production, de réseaux connexionnistes. Par ailleurs, l’emploi de simulations informatiques — de micromondes — pour cerner certaines activités mentales s’est généralisé, même si la validité des résultats obtenus sur de telles simulations informatiques au regard de la complexité du monde industriel prête à discussion. Enfin, il faut citer les modélisations cognitives de certaines activités mentales extraites du terrain. Parmi les plus connues, on trouve le diagnostic d’opérateur de centrale nucléaire, réalisé à l’ISPRA (Decortis et Cacciabue, 1990), et la planification du pilotage de combat mise au point au Centre d’études et de recherches de médecine aérospatiale (CERMA) (Amalberti et coll., 1989).

La mesure des écarts de performance entre ces modèles et des opérateurs bien réels est une piste fertile dans l’analyse des activités. La performance est l’issue de l’activité, la réponse ultime donnée par le sujet aux exigences de la tâche. Elle s’exprime au niveau du système de production: productivité, qualité, erreur, incident, accident et même, à un niveau plus global, absentéisme, ou rotation du personnel. Elle doit aussi être relevée au niveau de l’individu: l’expression subjective de la satisfaction, du stress, de la fatigue ou de la charge de travail, et les multiples réponses physiologiques sont également des indices de performance. L’ensemble de ces données permet seul d’interpréter l’activité — c’est-à-dire de juger si oui ou non elle poursuit les objectifs désirés, tout en se maintenant dans les limites humaines. Il existe un ensemble de normes qui, jusqu’à un certain point, guident l’observateur, mais ces normes ne sont pas situées — c’est-à-dire qu’elles ne tiennent pas compte du contexte, de ses fluctuations et de l’état du travailleur. C’est pourquoi en ergonomie de conception, même lorsqu’il existe des règles, des normes et des modèles, il est conseillé aux concepteurs de tester aussi précocement que possible le produit à partir de prototypes et d’évaluer activité et performance des utilisateurs.

Travail individuel ou travail collectif?

Alors que, dans l’écrasante majorité des cas, le travail est un acte collectif, la plupart des analyses du travail portent sur des tâches ou des activités individuelles. Or, l’évolution technologique, tout comme l’organisation du travail, mettent aujourd’hui l’accent sur le travail distribué, que ce soit entre hommes et machines ou tout simplement au sein d’un collectif. Quelles sont les pistes lancées par les auteurs pour rendre compte de cette distribution (Rasmussen, Pejtersen et Schmidts, 1990)? Elles portent sur trois aspects: la structure, la nature des échanges et la labilité structurelle.

La structure

Que l’on prenne comme entités de l’analyse des hommes ou des services, ou même différents sièges d’entreprise travaillant en réseau, la description des liens qui les unissent reste un problème. On connaît bien dans les entreprises les organigrammes qui cernent une distribution d’autorité et dont les formes diverses reflètent la philosophie organisationnelle de l’entreprise — très hiérarchisée par une organisation taylorienne, ou aplatie en râteau, voire matricielle pour une organisation plus flexible. D’autres descriptions d’activité distribuées sont possibles: on trouvera un exemple à la figure 29.6. Plus récemment, la nécessité pour les entreprises de représenter leurs échanges informationnels à un niveau global a suscité une réflexion sur les systèmes d’information. Grâce à certains langages de description — par exemple, des schémas conceptuels, ou des matrices entités-relations-attributs — la structure des relations à un niveau collectif peut aujourd’hui être décrite de façon très abstraite et servir de tremplin à la création de systèmes de gestion informatique.

Figure 29.6 Conception intégrée d'un cycle de vie

Figure 29.6

La nature des échanges

Le fait de posséder une description des liens unissant des entités ne dit que peu de choses du contenu même des échanges; certes, la nature de la relation peut être précisée — déplacements, transferts d’information, dépendance hiérarchique, etc. — mais c’est souvent très insuffisant. L’analyse des communications au sein des équipes se révèle comme un moyen privilégié pour capter la nature même du travail collectif, thèmes évoqués, création d’un langage commun dans l’équipe, modification des communications lorsque les circonstances sont critiques, etc. (Tardieu, Nanci et Pascot, 1985; Rolland, 1986; Navarro, 1990; van Daele, 1992, Lacoste, 1983; Moray, Sanderson et Vincente, 1989). La connaissance de ces interactions est particulièrement utile pour la création d’outils informatiques, notamment d’aides à la prise de décisions et pour la compréhension des erreurs. Les différentes étapes et les difficultés méthodologiques liées à l’utilisation de ces traces ont été bien décrites par Falzon (1991).

La labilité structurelle

Ce sont les travaux sur les activités bien plus que sur les tâches qui ont ouvert la piste de la labilité structurelle — c’est-à-dire des reconfigurations constantes du travail collectif sous l’influence de facteurs contextuels. Des études comme celles de Rogalski (1991), qui a longuement analysé les activités collectives dans les incendies de forêts en France, et de Bourdon et Weill Fassina (1994), qui ont étudié les formes organisationnelles qui se mettent en place lors d’accidents de chemins de fer, sont éloquentes. Elles montrent avec force comment le contexte façonne la structure des échanges, le nombre et le type d’acteurs impliqués, la nature des communications et quantité de paramètres essentiels du travail. Plus ce contexte est fluctuant, plus les descriptions figées des tâches s’écartent de la réalité. La connaissance de cette labilité et une meilleure compréhension des phénomènes qui s’y déroulent sont essentielles pour planifier l’imprévisible et pour mieux former les acteurs au travail collectif en situation de crise.

Conclusion

Les différentes phases du travail d’analyse qui ont été décrites constituent une part interactive du cycle de conception des facteurs humains (voir figure 29.6). Dans la conception de tout objet technique, que ce soit un outil, un poste de travail ou une usine, où les facteurs humains sont pris en considération, une certaine information est nécessaire à un moment donné. En général, le début du cycle de conception se caractérise par un besoin de données impliquant des contraintes environnementales, le type de travaux à effectuer et les différentes caractéristiques des utilisateurs. L’information initiale permet de dresser des spécifications sur les objets de façon à prendre en compte les exigences du travail, mais, cela est, dans un certain sens, uniquement un modèle commun comparé à la situation de travail réelle. Cela explique la raison pour laquelle des prototypes et des modèles sont nécessaires qui, dès le début, permettent non pas aux travaux en eux-mêmes, mais aux activités des futurs utilisateurs d’être évalués. Par conséquent, alors que la conception des images sur un écran dans une salle de contrôle peut être effectuée sur la base de la réalisation d’une analyse cognitive minutieuse, seule une analyse basée sur les données de l’activité procurera une détermination précise permettant de voir si le prototype sera effectivement en état de fonctionner dans une situation réelle de travail (van Daele, 1988). Une fois l’objet technique en état de fonctionner, une plus grande attention sera accordée à la performance des utilisateurs, ainsi qu’aux situations de dysfonctionnement comme les accidents ou les erreurs humaines. La collecte de ce type d’informations permet d’apporter les corrections finales qui augmenteront la qualité et la pleine utilité de l’objet dans son ensemble. L’industrie nucléaire, tout comme l’industrie aéronautique, servent d’exemples: le retour opérationnel implique de rapporter tous les incidents qui surviennent. De cette façon, la boucle de conception se referme.

L’ERGONOMIE ET LA NORMALISATION

Friedhelm Nachreiner

Historique

La  normalisation  dans  le  domaine  de  l’ergonomie  est  assez récente. Elle a pris naissance au début des années soixante-dix avec l’établissement des premiers comités nationaux (en Allemagne, par exemple, au sein de l’Institut de normalisation DIN) et s’est poursuivie au niveau international avec la création, en 1975, du Comité 159 «Ergonomie» de l’Organisation internationale de normalisation (ISO). Entre-temps, des efforts similaires ont vu le jour tant au niveau régional qu’au niveau européen avec le Comité européen de normalisation (CEN) qui a établi son Comité technique 122, «Ergonomie», en 1987. L’existence de ce comité technique souligne le fait que l’une des raisons importantes ayant poussé à la création de comités pour la normalisation des connaissances et des principes de l’ergonomie n’est autre que l’existence de dispositions légales ou officieuses, en particulier dans le domaine de la sécurité et de la santé. Ces dispositions prévoient en effet l’application des principes et des découvertes de l’ergonomie à la conception des produits et des systèmes de production. Ainsi, c’est la législation nationale imposant l’application des acquis de l’ergonomie qui a conduit à la création, en 1970, du comité allemand traitant de l’ergonomie, et ce sont les directives européennes, en particulier la directive consacrée aux normes de sécurité des machines, qui ont été à l’origine de la création du Comité technique «Ergonomie» au niveau européen. Etant donné qu’en règle générale, les dispositions légales ne sont pas, ne peuvent pas être et ne devraient pas être trop détaillées, ce sont les comités de normalisation institués pour traiter de l’ergonomie qui se sont vu confier — ou qui ont assumé de leur propre chef — la tâche de définir les principes et les méthodes à appliquer dans ce domaine. Au niveau européen, notamment, la normalisation en matière d’ergonomie a contribué à définir pour les machines des prescriptions de sécurité assez générales et compatibles pour lever les obstacles susceptibles d’entraver le commerce des machines à l’intérieur du continent.

Perspectives

En ce qui concerne l’ergonomie, la normalisation a été inspirée tout d’abord par un souci de protection, encore que teintée de prévention, dans le but de prémunir les travailleurs contre les effets nocifs du travail sur la santé. Les normes d’ergonomie ont donc été élaborées avec les intentions suivantes:

Etant moins étroitement liée à la législation, la normalisation internationale s’est par ailleurs toujours attachée à élaborer des normes qui, sans se limiter à la prévention et à la protection contre les effets nocifs (fixation de valeurs seuils et plafonds, par exemple), garantiraient proactivement des conditions de travail optimales propres à promouvoir le bien-être et l’épanouissement personnel du travailleur et, dans le même temps, l’efficacité, la fiabilité et la productivité du système de production.

Il apparaît dès lors que l’ergonomie, en particulier par la voie de la normalisation, revêt une dimension sociale et politique évidente. Si toutes les parties intéressées (employeurs, syndicats, pouvoirs publics et ergonomes) sont en général favorables à une approche axée sur la sécurité et la santé à tous les niveaux de normalisation, il n’en va pas de même pour la démarche proactive. Cela tient peut-être au fait que dans les cas, en particulier, où la législation impose l’application de principes ergonomiques (et, donc, explicitement ou implicitement, l’application de normes en la matière), certaines parties ont le sentiment que ces normes pourraient entraver leur liberté d’action ou de négociation. Comme les normes internationales sont moins contraignantes (leur adoption dans chaque pays restant à la discrétion des comités nationaux), l’approche proactive a connu davantage de succès au niveau international.

La crainte que certaines réglementations puissent restreindre la liberté d’action de ceux à qui elles s’appliquent a découragé la normalisation dans certains domaines; c’est le cas, par exemple, pour les directives européennes prises en vertu de l’article 118a de l’Acte unique européen, relatives à la sécurité et la santé dans l’utilisation et le fonctionnement des machines sur les lieux de travail et dans la conception des systèmes de travail et des lieux de travail. En revanche, aux termes des directives émises en vertu de l’article 100a sur la sécurité et l’hygiène dans la conception des machines dans l’optique de leur libre circulation au sein de l’Union européenne (UE), une normalisation de nature ergonomique a été imposée par la Commission européenne au niveau européen.

Du point de vue de l’ergonome, cependant, il est difficile de comprendre pourquoi la prise en compte de l’ergonomie dans la conception des machines devrait être différente au stade de leur utilisation et à celui de leur fonctionnement dans le cadre d’un système de travail. Il faut donc espérer que cette distinction sera abandonnée, étant donné qu’elle paraît plus préjudiciable que bénéfique dans l’élaboration d’un ensemble cohérent de normes en matière d’ergonomie.

Les types de normes dans le domaine de l’ergonomie

La première norme établie au niveau international (sur la base d’une norme nationale allemande DIN) est la norme ISO 6385, «Principes ergonomiques de la conception des systèmes de travail», publiée en 1981. Véritable norme de base, elle a préparé le terrain aux textes qui ont suivi en définissant les concepts fondamentaux et en énonçant les principes de la conception ergonomique des systèmes de travail en ce qui concerne notamment les opérations, l’outillage, les machines, les postes de travail, le milieu de travail et l’organisation du travail. Cette norme internationale, actuellement en révision, est un guide fournissant des lignes directrices; à ce titre, elle définit des principes généraux sans spécifier de critères techniques ou physiques. Ceux-ci sont précisés dans un autre type de normes, à savoir les normes de spécification, telles que celles sur l’anthropométrie ou l’ambiance thermique. Ces deux types de normes remplissent des fonctions différentes. Alors que les premières indiquent à l’utilisateur ce qu’il faut faire et comment le faire et énoncent les principes qui doivent ou devraient être observés (en ce qui concerne, par exemple, la charge de travail mentale), les normes de spécification fournissent des informations détaillées sur les distances de sécurité ou les méthodes de mesurage à appliquer, par exemple, et définissent le cas échéant les modalités de contrôle. Un tel contrôle n’est pas toujours possible dans le cas des principes directeurs, encore que, même si ceux-ci sont relativement vagues, il soit généralement possible de prouver qu’ils ont été enfreints. Il existe une troisième catégorie de normes, dites «bases de données», qui constituent un sous-ensemble des normes de spécification et fournissent des données de nature ergonomique (sur les mensurations corporelles, par exemple).

Les normes européennes CEN sont classées en types A, B et C, selon leur objet et leur champ d’application. Celles de type A sont en général des normes de base couvrant toutes les applications. Celles de type B sont spécifiques à un domaine donné (la plupart des normes d’ergonomie du CEN appartiennent à cette catégorie). Enfin, les normes de type C portent sur des équipements spécifiques, comme les perceuses portatives.

Les comités de normalisation

Les normes d’ergonomie, comme les autres normes, sont préparées au sein de comités techniques (CT), de sous-comités techniques (SC) ou de groupes de travail (GT). A l’ISO, c’est le Comité technique CT 159 qui a compétence en la matière, alors qu’au CEN c’est le CT 122; au niveau national, cette activité relève des différents comités nationaux. En dehors de ces instances, l’ergonomie est également traitée dans les comités techniques qui s’occupent de la sécurité des machines (le CT 114 au sein du CEN et le CT 199 dans le cadre de l’ISO); ceux-ci entretiennent des liaisons et une collaboration étroites. D’autres comités s’intéressent aussi à l’ergonomie, mais la responsabilité en la matière reste cependant réservée aux comités «Ergonomie» proprement dits.

D’autres organismes s’occupent également d’élaborer des normes d’ergonomie: c’est le cas de la CEI (Commission électrotechnique internationale); du CENELEC et de ses divers comités nationaux dans le domaine de l’électrotechnique; du CCITT (Comité consultatif international télégraphique et téléphonique) ou de l’ETSI (Institut européen de normalisation des télécommunications) dans le domaine des télécommunications; de l’ECMA (European Computer Manufacturers Association) dans le domaine des systèmes informatiques; de la CAMAC (Computer Assisted Measurement and Control Association) dans le domaine des nouvelles technologies de fabrication, pour n’en citer que quelques-uns.

Les comités «Ergonomie» sont en rapport avec certains de ces organismes pour éviter les doubles emplois ou des divergences dans les spécifications. Des comités techniques conjoints ont même été établis dans certains cas (avec la CEI, par exemple) dans des domaines d’intérêt mutuel. Avec d’autres comités, en revanche, il n’existe aucune coordination ou collaboration. Ces comités ont pour principale vocation d’élaborer des normes d’ergonomie propres à leur domaine d’activité; comme ils sont assez nombreux, il serait difficile, pour ne pas dire impossible, de procéder à un recensement exhaustif de la normalisation ergonomique. Le présent article se limite donc aux normes qui émanent des comités d’ergonomie internationaux et européens.

La structure des comités de normalisation

Les comités qui s’occupent de normalisation en matière d’ergonomie sont pratiquement tous structurés de la même façon. On trouve généralement, au sein des organismes de normalisation, un comité technique (CT) responsable des questions d’ergonomie. Ce comité (le CT 159 de l’ISO, par exemple) est principalement chargé de définir les objets d’une normalisation et les modalités de cette normalisation. Habituellement, aucune norme n’est préparée à ce niveau. Le comité technique en question dispose de sous-comités (SC) chargés d’un domaine défini: SC 1 pour les principes généraux d’ergonomie, SC 3 pour l’anthropométrie et la biomécanique, SC 4 pour l’interaction homme-système et SC 5 pour le milieu physique ambiant. Le CT 122 du CEN a des groupes de travail (GT) constitués pour traiter des questions bien définies. Les SC du CT 159 de l’ISO fonctionnent comme des comités de pilotage dans leur sphère de responsabilité propre et procèdent aux votes préliminaires; en général, ils ne s’occupent pas de la préparation des normes. Ce rôle incombe aux GT, composés d’experts désignés par les comités nationaux, alors que les réunions au niveau des SC et des CT se déroulent en présence de délégations nationales. Au CEN, les tâches ne sont pas aussi nettement tranchées au niveau des GT, ceux-ci fonctionnant à la fois comme comités de pilotage et comités de préparation, encore qu’une bonne partie du travail soit accomplie par des groupes spéciaux créés pour préparer des projets de normes et constitués de membres du GT (désignés par leurs comités nationaux). A l’ISO, les GT d’un sous-comité sont créés pour effectuer le travail pratique, c’est-à-dire élaborer des projets, étudier les observations reçues, identifier les besoins de normalisation et préparer des propositions pour que le SC et le CT compétents puissent décider de la suite à leur donner.

La préparation des normes d’ergonomie

La tendance actuelle à fortement privilégier les activités déployées aux niveaux européen et international a entraîné une évolution marquée du processus d’élaboration des normes d’ergonomie. Par le passé, les choses se passaient de la manière suivante: les normes nationales — préparées par les experts d’un pays au sein du comité national compétent et approuvées par les parties intéressées dans ledit pays par la procédure de vote en vigueur — étaient communiquées sous forme d’un document de base aux GT et aux SC compétents du CT 159 de l’ISO, après un vote officiel au niveau du CT approuvant la préparation d’une norme internationale. Ce document était alors soumis à un GT composé d’experts en ergonomie désignés par tous les membres participants (c’est-à-dire les organisations de normalisation nationales) du CT 159 désireux de collaborer au projet. Le GT préparait un avant-projet, lequel, après son adoption par le GT, devenait un projet de comité remis aux membres du SC pour examen et commentaires. Si le document était bien accueilli par les membres du SC (à la majorité requise des deux tiers), le document devenait, après incorporation des commentaires des comités nationaux, un projet de norme internationale qui était alors soumis au vote de l’ensemble des membres du CT 159. En cas d’approbation à la majorité des deux tiers, le document était publié par l’ISO (après d’éventuelles corrections de forme) en tant que norme internationale. Les votes aux niveaux CT et SC ont lieu à l’échelon national et les commentaires peuvent être présentés par les experts et les parties intéressées de chaque pays, au travers des organismes membres. La procédure est à peu près la même dans le CT 122 du CEN, à cette différence près que les comités CEN ne disposent pas de sous-comités et que les votes y sont pondérés en fonction de la taille du pays, alors qu’à l’ISO chaque pays dispose d’une voix. Si un projet est rejeté à l’un des stades considérés, le document est revu et doit être soumis à un nouveau vote, à moins que le GT ne considère qu’il est impossible de se mettre d’accord sur une révision.

Les normes internationales de l’ISO sont ensuite traduites en normes nationales après approbation des comités nationaux, alors que les normes du CEN doivent être reprises en tant que normes nationales et que les normes qui sont en contradiction avec elles doivent être retirées. Il s’ensuit que les normes européennes sont en vigueur dans tous les pays du CEN et qu’en raison de leur influence sur les échanges commerciaux, elles doivent être respectées par les industriels d’autres pays qui veulent vendre des produits dans un pays faisant partie du CEN.

La coopération entre l’ISO et le CEN

Afin d’éviter des normes contradictoires et des doublons et afin de permettre aux non-membres de participer aux travaux du CEN, un accord de coopération (dit Accord de Vienne) a été conclu entre l’ISO et le CEN. Il établit une procédure de vote parallèle permettant qu’un vote sur le même projet intervienne à la fois au CEN et à l’ISO, si les comités responsables le demandent. Les comités «Ergonomie» partagent le même souci: éliminer les doubles emplois (les moyens humains et financiers sont trop limités), éviter les spécifications contradictoires et chercher à établir un corpus cohérent de normes d’ergonomie grâce à une division du travail. Alors que le CT 122 du CEN est lié par les décisions de l’administration de l’Union européenne et travaille sur des éléments imposés pour définir les spécifications des directives européennes, le CT 159 de l’ISO décide de normaliser ce qu’il juge nécessaire ou approprié en matière d’ergonomie. Il en découle des décalages dans les priorités des deux comités, le CEN se concentrant sur les machines et les sujets liés à la sécurité et l’ISO, pour sa part, ne se limitant pas aux seuls intérêts du marché européen (travail sur les terminaux à écran de visualisation, conception des salles de contrôle pour les industries de transformation et les industries connexes, conduite et fonctionnement des machines, questions relatives au milieu de travail ou à l’organisation du travail). Le CEN comme l’ISO se communiquent les résultats de leurs travaux, afin de constituer une collection cohérente de normes d’ergonomie applicables dans le monde entier.

La procédure formelle d’élaboration des normes est toujours la même aujourd’hui; toutefois, étant donné le rôle dévolu en la matière aux instances internationales et européennes, de plus en plus d’activités sont confiées à ces comités. Aujourd’hui, les projets sont en général élaborés directement dans ces comités et non plus à partir des normes nationales existantes. Une fois prise la décision d’élaborer une norme, le travail commence directement à l’un de ces niveaux supranationaux, sur la base des informations éventuellement disponibles, parfois en partant de zéro. Le rôle des comités «Ergonomie» nationaux s’en trouve radicalement changé. Jusqu’à présent, ils élaboraient leurs normes nationales propres en suivant leurs règles nationales; ils doivent, maintenant, participer aux travaux de normalisation au niveau supranational et exprimer le point de vue de leur pays — au travers des experts qui travaillent aux normes ou par la voie de commentaires présentés aux différentes étapes de vote (le CEN peut stopper un projet de normalisation national s’il a été saisi d’un projet similaire). Cela rend la tâche encore plus compliquée, étant donné que les interventions ne peuvent être qu’indirectes et que l’élaboration d’une norme d’ergonomie n’est pas une question de science pure, mais exige compromis, consensus et accord (en raison, notamment, des implications politiques éventuelles de la norme envisagée). C’est pourquoi l’élaboration d’une norme d’ergonomie internationale ou européenne peut prendre des années; cela explique qu’une telle norme soit quelquefois en retard par rapport aux données les plus récentes. Les normes internationales en matière d’ergonomie doivent donc être réexaminées, et révisées s’il y a lieu, tous les cinq ans.

Les domaines de la normalisation en matière d’ergonomie

Le premier jalon de la normalisation internationale a été posé avec la publication de la norme ISO 6385, actuellement en cours de révision, qui établit les principes généraux de l’ergonomie en matière de conception des systèmes de travail. Le CEN a publié une norme de base similaire (EN 614, Partie 1, 1994) — qui est davantage orientée vers les machines et la sécurité — et prépare actuellement un guide de la conception des tâches, qui formera la seconde partie de la norme de base. Le CEN privilégie par conséquent les tâches de l’opérateur dans la conception des machines et des systèmes de travail et, partant, la nécessité de concevoir des outils et des machines adaptés à leurs utilisateurs.

Un autre domaine où des concepts et des lignes directrices ont fait l’objet de normes est celui de la charge mentale du travail. La norme ISO 10075, Partie 1, définit les termes et les concepts (fatigue, monotonie, vigilance réduite) et la Partie 2 (au stade de projet de norme internationale dans la seconde moitié des années quatre-vingt-dix) spécifie des règles de conception des systèmes de travail eu égard à la charge mentale pour éviter les atteintes à la santé.

Le SC 3 du CT 159 de l’ISO et le GT 1 du CT 122 du CEN établissent des normes sur l’anthropométrie et la biomécanique couvrant, entre autres, les méthodes de mesures anthropométriques, les mensurations corporelles, les distances de sécurité, les dimensions minimales d’accès, les postures de travail, la conception des postes de travail en relation avec les machines, les limites recommandées des efforts physiques et les problèmes de manutention manuelle.

Le SC 4 du CT 159 de l’ISO s’intéresse aux effets du progrès technologique et social sur les normes d’ergonomie et sur son propre programme de travail. Le SC 4 a été créé sous l’appellation «Signaux et commandes», avec pour mission de normaliser les principes relatifs à l’affichage des informations et à la conception des dispositifs de commande, notamment l’emploi des terminaux à écran de visualisation dans les travaux de bureau. On s’est rapidement aperçu, toutefois, qu’il ne suffisait pas de s’intéresser aux seuls terminaux, mais qu’il fallait proposer une normalisation pour l’ensemble du poste — poste étant pris ici au sens large de système de travail — en tenant compte du matériel (terminal, écran, clavier, dispositifs d’entrée autres que le clavier, poste de travail), des facteurs d’ambiance (éclairage, notamment), de l’organisation du travail (exigences des tâches) et des logiciels (principes de dialogue, menus, dialogues de manipulation directe, etc.). Une norme en plusieurs parties a été élaborée (ISO 924 1), couvrant les exigences ergonomiques pour le travail de bureau sur terminaux à écran de visualisation; celle-ci comprend actuellement 17 parties, dont 3 ont déjà atteint le stade de norme internationale. Cette norme sera communiquée au CEN (EN 2924 1) qui spécifiera les exigences pour la directive «Terminaux à écran» (90/270 CEE) de l’Union européenne, bien qu’il s’agisse là d’une directive prise en application de l’article 118a de l’Acte unique européen. Cette série de normes contient à la fois des lignes directrices et des spécifications et introduit un nouveau concept de normalisation — l’approche «performance de l’utilisateur» — qui peut aider à résoudre certains des problèmes rencontrés en normalisation ergonomique. Pour un exposé plus complet de la question, on se reportera au chapitre no 52, «Les terminaux à écran de visualisation».

L’approche «performance de l’utilisateur» est basée sur l’idée que la normalisation a pour objet de prévenir les atteintes à la santé et d’assurer les conditions de travail les meilleures pour l’opérateur, et non pas de définir des caractéristiques techniques pour elles-mêmes. Une spécification est donc considérée uniquement comme le moyen d’atteindre un objectif, celui-ci étant la recherche d’une performance optimale et sans entrave de l’utilisateur. L’important est de parvenir à ce niveau de performance, indépendamment de telle ou telle spécification physique. Il faut donc commencer par préciser ce que l’on entend par performance sans entrave de l’opérateur (dans le cas, par exemple, de la lecture d’un écran), puis définir les spécifications techniques qui permettront de réaliser cette performance sur la base des données connues. Le fabricant pourra soit décider de suivre ces spécifications techniques (qui assureront dans ce cas la conformité du produit avec les exigences ergonomiques), soit démontrer — indépendamment de ces spécifications — que le nouveau produit satisfait à des exigences de performance au moins équivalente. La norme fixe également les modalités des tests qui permettront d’établir la conformité du produit avec les exigences de performance de l’utilisateur.

Cette approche permet de surmonter deux problèmes. Les normes, du fait de leurs spécifications basées sur l’état des connaissances existantes dans un domaine donné, peuvent faire obstacle au progrès. Des spécifications reposant sur une certaine technologie (les tubes cathodiques, par exemple) peuvent ne pas être appropriées pour d’autres. Toutefois, indépendamment de la technologie considérée, l’utilisateur d’un dispositif d’affichage, pour reprendre cet exemple, devrait pouvoir lire et interpréter correctement les informations qui lui sont présentées, et cela sans que son intégrité physique soit compromise et quelle que soit la technologie utilisée. En d’autres termes, la performance ne saurait être limitée, dans ce cas, à des données quantitatives (vitesse ou précision): elle doit aussi tenir compte de considérations de confort et de dépense énergétique.

Le second problème qui peut être traité par cette approche est celui des interactions entre différentes conditions. Une spécification physique est généralement unidimensionnelle et néglige les autres aspects. Or, dans le cas d’effets interactifs, une telle spécification peut être trompeuse, voire erronée. Par contre, si l’on spécifie des exigences de performance en laissant au constructeur le choix des moyens, toute solution permettant d’y satisfaire sera acceptable. Traiter la spécification comme un moyen de réaliser un objectif représente donc une authentique perspective ergonomique.

Un autre sujet s’appuyant sur l’approche «système de travail» est actuellement étudié par le SC 4: il s’agit de la conception des salles de contrôle des industries de transformation, des centrales de production d’énergie, etc. Une norme en plusieurs parties (ISO 11064) est prévue qui traitera de la conception des postes de travail, de celle des indicateurs et des dispositifs d’entrée utilisés pour la conduite des opérations. Comme ces questions et l’approche adoptée sortent à l’évidence du cadre des «indicateurs et commandes», le SC 4 a été rebaptisé «Interaction homme-système».

Les  problèmes  d’environnement,  en  particulier  ceux  concernant l’ambiance thermique et la communication en ambiance bruyante, sont traités au sein du SC 5 où ont été élaborées (ou sont en cours de préparation) des normes sur les méthodes de mesurage, les méthodes d’estimation des contraintes thermiques, les conditions de confort thermique, la production de chaleur métabolique, ainsi que les signaux de danger auditifs et visuels, le niveau d’interférence de la parole et l’évaluation de la communication orale.

Le CT 122 du CEN couvre à peu près les mêmes domaines de la normalisation ergonomique, bien que sous une optique différente et avec un autre mode d’organisation de ses groupes de travail. Une division rationnelle du travail entre les divers comités «Ergonomie» et une reconnaissance mutuelle des résultats devraient cependant permettre la mise au point d’un ensemble utile de normes d’ergonomie.

LES GRILLES DE RECUEIL DE DONNÉES

Pranab Kumar Nag

Les systèmes de production ou de travail comprennent des variables organisationnelles macroscopiques telles que les sous-systèmes personnel et technologique et l’environnement externe. L’analyse de ces systèmes requiert donc essentiellement une bonne compréhension de la répartition des fonctions entre l’opérateur et les moyens techniques mis à sa disposition, ainsi que de la division du travail entre plusieurs personnes dans un contexte sociotechnique. Une telle analyse peut contribuer à la prise de décisions en vue d’améliorer la sécurité des systèmes, la qualité et la productivité, de favoriser le progrès technologique et de contribuer au bien-être mental et physique des travailleurs.

Les chercheurs étudient les systèmes de travail sous des angles différents (mécaniste, biologique, perceptivo-moteur, motivationnel), chaque démarche aboutissant à ses propres résultats sur le plan de l’individu et de l’entreprise (Campion et Thayer, 1985). Dans l’analyse des systèmes de travail, le choix des méthodes est dicté par les modes d’approche suivis, ainsi que par l’objectif particulier visé, le contexte organisationnel, les caractéristiques de l’opérateur et de la tâche et la complexité technologique du système étudié (Drury, 1987). Les grilles de recueil de données — appelées aussi check-lists, listes de contrôle ou listes de pointage — et les questionnaires sont les outils habituellement utilisés par les planificateurs organisationnels pour rassembler des données en vue d’établir des priorités dans les plans d’action concernant la sélection et l’affectation des personnels, l’évaluation des performances, le management de la sécurité et de la santé, la conception de l’ensemble homme-machine et l’aménagement des postes de travail. Parmi les instruments qui font appel à une méthodologie d’inventaire et s’adressent à toute une série d’objectifs, le Position Analysis Questionnaire (PAQ) (McCormick, 1979), le Job Components Inven-tory (JCI) (Banks et Miller, 1984), le Job Diagnostic Survey (JDS) (Hackman et Oldham, 1975) et le Multi-method Job Design Questionnaire (MJDQ) (Campion, 1988) sont les plus répandus.

La grille PAQ comporte 6 grandes divisions comprenant 189 items comportementaux pour l’évaluation de la performance et 7 items supplémentaires relatifs à la rétribution:

Le Job Components Inventory Mark II se compose de 7 sections. La première comprend la collecte d’informations sur l’entreprise, la description du poste et les données biographiques de son titulaire. Suivent les sections ci-après:

Les grilles du type «définition d’un profil» ont des éléments communs, à savoir: 1) un vaste ensemble de facteurs servant à sélectionner le champ du travail; 2) une échelle d’évaluation qui permet d’apprécier les exigences du poste; 3) la pondération des caractéristiques du poste d’après la structure organisationnelle et les exigences sociotechniques. La grille Profils de postes, mise au point chez Renault (RNUR, 1976), contient une table recensant des variables relatives aux conditions de travail, avec une échelle en cinq points allant de «très satisfaisant» à «très médiocre». Ces variables couvrent: 1) la conception du poste de travail; 2) l’environnement physique; 3) la charge physique; 4) la charge nerveuse; 5) l’autonomie de la tâche; 6) les relations; 7) la répétitivité; 8) le contenu du travail.

La grille AET (Analyse ergonomique du travail) (Rohmert et Landau, 1985), mise au point sur la base du concept contrainte-astreinte, comporte 216 items codés: un des codes définit les facteurs de contrainte ou de stress, indiquant si un élément de travail constitue ou non un tel facteur. D’autres spécifient le degré de contrainte associé à une tâche; certains, enfin, concernent la durée et la fréquence des contraintes durant le poste de travail.

L’AET comprend 3 parties:

En bref, les grilles peuvent procéder de 2 méthodologies: 1) l’approche orientée vers la tâche (par exemple, l’AET; Les profils de postes); 2) l’approche orientée vers le travailleur (par exemple, le PAQ). Les inventaires de tâches et les profils de postes permettent des comparaisons pointues des tâches complexes et des profils d’emplois; ils déterminent les aspects du travail qui sont considérés a priori comme des facteurs dont il faut obligatoirement tenir compte si l’on veut améliorer les conditions de travail. Le PAQ met l’accent sur la classification en familles ou groupes de tâches (Fleishman et Quaintance, 1984; Mossholder et Arvey, 1984; Carter et Biersner, 1987), sur l’inférence de la validité des composantes des tâches et sur leurs contraintes (Jeanneret, 1980; Shaw et Riskind, 1983). Du point de vue médical, l’AET et les méthodes de type «profil» permettent, au besoin, de comparer contraintes et aptitudes (Wagner, 1985). Le questionnaire nordique est une illustration de l’analyse ergonomique d’un poste de travail (Ahonen, Launis et Kuorinka, 1989) et couvre les aspects suivants:

Les grilles employées pour l’analyse ergonomique du travail présentent certains inconvénients:

Une grille conçue pour la collecte systématique de données oblige à étudier les éléments des conditions de travail qui sont visibles ou aisément modifiables et favorise un dialogue social entre employeurs, titulaires des postes et autres personnes concernées. Il convient d’être prudent face à la simplicité et à l’efficacité apparentes de ces grilles et à leur approche quantitative et technique. Il est possible de les doter, ainsi que les questionnaires, d’une plus grande souplesse en y adjoignant des modules spécifiques permettant l’adaptation à des objectifs spécifiques. En conséquence, le choix des variables est étroitement lié à la finalité de l’analyse des systèmes de travail et c’est cette finalité qui doit guider la démarche générale d’élaboration d’une grille de recueil de données adaptée à l’utilisateur.

La «Grille de recueil de données ergonomiques» proposée ci-après peut servir à diverses applications. La collecte et le traitement informatique des données se font de façon assez simple par réponse à des énoncés primaire et secondaire. La «Fiche récapitulative d’évaluation» peut être utilisée pour établir le profil d’un ensemble sélectionné d’items pouvant servir de base à des décisions sur les systèmes de travail et pour en regrouper les éléments. Le processus d’analyse est souvent long et les utilisateurs de ces instruments doivent avoir une formation solide en ergonomie, tant théorique que pratique.

GRILLES DE RECUEIL DE DONNÉES ERGONOMIQUES

Ce document propose un modèle général de grille de recueil de données ergonomiques par module, destiné à l’analyse d’un système de travail et couvrant cinq aspects principaux: mécaniste, biologique, perceptivo-moteur, technique et psychosocial. La pondération des modules varie selon la nature des tâches à analyser, les caractéristiques particulières de la population ou du pays étudiés, les priorités de l’entreprise et l’usage prévu des résultats de l’analyse.

Les réponses à l’énoncé de base se font par «oui» ou par «non». Un «oui» indique l’absence apparente de problème (ce qui n’exclut pas qu’une étude détaillée plus poussée puisse être souhaitable). Un «non» indique la nécessité d’une évaluation et d’une amélioration sur le plan ergonomique. Une notation suivant l’échelle ci-après permet de répondre aux énoncés secondaires.

0

Ne sait pas ou sans objet

1

Pas du tout d'accord

2

Pas d'accord

3

Pas d'avis

4

D'accord

5

Tout à fait d'accord

A. Entreprise, travailleur et tâche

Vos réponses/ notations

Le concepteur de la grille peut fournir un dessin/une photo illustrant le travail ou le lieu de travail étudiés.

1.

Description de l’entreprise et des fonctions.

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

2.

Caractéristiques du travailleur: bref compte rendu du groupe de travail.

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

3.

Description de la tâche: énumérez les activités réalisées et les matériels utilisés. Donnez une indication des risques professionnels.

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

B. Aspect mécaniste

Vos réponses/ notations

I.

Spécialisation de la tâche

 

4.

Les tâches/le travail sont simples et peu compliqués.

Oui/Non

 

 

Si non, donnez une appréciation sur les points suivants:

(notez de 0 à 5)

 

4.1

L’attribution des tâches est spécifique à l’opérateur.

 O

 

4.2

Des méthodes de travail et un outillage spéciaux sont prévus.

 O

 

4.3

Volume de production et qualité du travail.

 O

 

4.4

Le détenteur du poste exécute des tâches multiples.

 O

II.

Aptitudes requises

 

5.

La tâche nécessite une activité motrice simple.

Oui/Non

 

 

Si non, donnez une appréciation sur les points suivants:

(notez de 0 à 5)

 

5.1

La tâche nécessite des connaissances et des aptitudes.

 O

 

5.2

La tâche nécessite une formation pour l’acquisition des compétences.

 O

 

5.3

Le travailleur commet de fréquentes erreurs.

 O

 

5.4

La tâche nécessite une rotation fréquente, qui intervient sur ordre.

 O

 

5.5

La cadence est imposée par la machine/ assistée par un automatisme.

 O

Remarques et suggestions d’amélioration, points 4 à 5.5:

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

O Notation de l’analyste O Notation du travailleur

C. Aspect biologique

Vos réponses/ notations

III.

Activité physique générale

 

6.

L’activité physique est entièrement déterminée et régulée par le travailleur.

Oui/Non

 

 

Si non, donnez une appréciation sur les points suivants:

(notez de 0 à 5)

 

6.1

Le rythme de travail est centré sur l’objectif.

 O

 

6.2

La tâche comporte des mouvements répétitifs fréquents.

 O

 

6.3

Demande cardio-respiratoire de la tâche:

sédentaire/faible/modérée/exigeante/ extrêmement exigeante.

 O

 

 

(Quels sont les aspects pénibles du travail?):

 

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

 

 

 

(notez de 0 à 5)

 

6.4

La tâche nécessite l’exercice d’une force musculaire considérable.

 O

 

6.5

La tâche (manœuvre d’une poignée, d’un volant, d’une pédale de frein) est à dominante statique.

 O

 

6.6

La tâche nécessite une position de travail fixe (assise ou debout).

 O

IV.

Manutentions manuelles (MM)

Nature des objets manipulés: animés/inanimés, dimensions et forme.

_____________________________________________________________________________________

 

7.

La tâche nécessite une activité MM minimale.

Oui/Non

 

 

Si non, spécifiez:

 

 

7.1

Mode de travail:

(encerclez une réponse)

 

 

tirer/pousser/tourner/lever/abaisser/transporter

 

 

 

(Précisez le cycle de répétition):

 

_____________________________________________________________________________________

 

7.2

Poids de la charge (kg):

(encerclez une réponse)

 

 

5-10, 10-20, 20-30, 30-40, >40.

 

 

7.3

Distance horizontale sujet-charge (cm):

(encerclez une réponse)

 

 

<25, 25-40, 40-55, 55-70, >70.

 

 

7.4

Distance verticale sujet-charge:

(encerclez une réponse)

 

 

sol, genou, taille, poitrine, épaule.

 

 

 

 

(notez de 0 à 5)

 

7.5

Les vêtements gênent les tâches MM.

 O

 

8.

La situation de travail est exempte de risque de lésion.

Oui/Non

 

 

Si non, donnez une note aux points suivants:

(notez de 0 à 5)

 

8.1

La tâche peut être modifiée pour diminuer la charge à manipuler.

 O

 

8.2

Les matériaux peuvent être mis en emballages de dimensions standards.

 O

 

8.3

Les dimensions ou la position des poignées sur les objets peuvent être améliorées.

 O

 

8.4

Les travailleurs n’emploient pas de méthodes de manutention des charges plus sûres.

 O

 

8.5

Des moyens mécaniques peuvent diminuer les astreintes musculaires.

 O

 

 

Précisez chacun de ces moyens, s’il en existe.

 

Suggestions d’amélioration, points 6 à 8.5:

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

V.

Conception du lieu et du poste de travail

Un schéma du lieu de travail montrant les périmètres d’atteinte et les espaces libres peut être fait. Employez l’espace ci-dessous à cette fin.

 

 

 

 

9.

Le lieu de travail est compatible avec les mensurations humaines.

Oui/Non

 

 

Si non, donnez une appréciation sur les points suivants:

(notez de 0 à 5)

 

9.1

La distance de travail dépasse l’atteinte normale dans les plans horizontal ou vertical (60 cm).

 O

 

9.2

La hauteur de la surface de travail ou de l’équipement est fixe ou très peu réglable.

 O

 

9.3

Il n’y a pas d’espace pour des opérations secondaires (contrôles, maintenance, etc.).

 O

 

9.4

Les postes de travail présentent des obstacles, des parties en saillie ou des arêtes vives.

 O

 

9.5

Le sol est glissant, inégal, encombré ou instable.

 O

 

10.

La position assise est adéquate (siège confortable, bon support postural, etc.).

Oui/Non

 

 

Si non, les causes en sont:

(notez de 0 à 5)

 

10.1

Les dimensions du siège (hauteur de l’assise, dossier, etc.) ne correspondent pas aux mensurations de l’utilisateur.

 O

 

10.2

Le siège est très peu réglable.

 O

 

10.3

Le siège ne procure pas de maintien/support (supports latéraux, garniture rigide supplémentaire, etc.) pour travailler avec les machines.

 O

 

10.4

Le siège ne comporte pas de dispositif d’amortissement des vibrations.

 O

 

11.

Des aménagements auxiliaires suffisants sont prévus pour la sécurité du lieu de travail.

Oui/Non

 

 

Si non, précisez ce qui suit:

(notez de 0 à 5)

 

11.1

Il n’y a pas d’espace pour ranger les outils, les effets personnels.

 O

 

11.2

Les passages (portes, accès, couloirs) sont exigus.

 O

 

11.3

Les poignées, échelles, escaliers, mains courantes sont mal conçus.

 O

 

11.4

Les prises pour les mains et les pieds imposent des positions astreignantes des membres.

 O

 

11.5

Les aménagements auxiliaires ne sont pas identifiables par leur emplacement, forme ou construction.

 O

 

11.6

Les gants/chaussures sont peu utilisés pour travailler et actionner les dispositifs de commande.

 O

Suggestions d’amélioration, points 9 à 11.6:

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

VI.

Posture de travail

 

12.

Le travail permet une posture détendue.

Oui/Non

 

 

Si non, donnez une appréciation sur les points suivants:

(notez de 0 à 5)

 

12.1

Travail avec bras en l’air ou éloignés du corps.

 O

 

12.2

Hyperextension du poignet et grande force exigée.

 O

 

12.3

Cou/épaules ne sont pas maintenus à un angle d’environ 15°.

 O

 

12.4

Dos penché ou tordu.

 O

 

12.5

Hanches et jambes mal soutenues en position assise.

 O

 

12.6

Gestes unilatéraux et asymétriques.

 O

 

12.7

Indiquez les raisons de la posture contraignante:

1) emplacement de la machine;
2) conception du siège;
3) manutentions;
4) lieu de travail/poste de travail.

 

 

12.8

Indiquez le code OWAS (pour une description détaillée de la méthode OWAS, voir Karhu et coll., 1981).

 

_____________________________________________________________________________________

Suggestions d’amélioration, points 12 à 12.7:

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

VII.

Milieu de travail

(Donnez si possible des mesures)

BRUIT

[Identifiez les sources et types de bruit et les durées d’exposition; voir «La protection des travailleurs contre le bruit et les vibrations sur les lieux de travail», Recueil de directives pratiques (BIT, Genève, 1984)].

 

13.

Le niveau de bruit est inférieur au niveau maximal recommandé (utiliser le tableau suivant).

Oui/Non

Notation

Le travail ne nécessite pas de communication orale

Le travail nécessite une communication orale

Le travail nécessite de la concentration

1

moins de 60 dBA

moins de 50 dBA

moins de 45 dBA

2

60-70 dBA

50-60 dBA

45-55 dBA

3

70-80 dBA

60-70 dBA

55-65 dBA

4

80-90 dBA

70-80 dBA

65-75 dBA

5

plus de 90 dBA

plus de 80 dBA

plus de 75 dBA

Source: Ahonen et coll., 1989.

 

 

Notez votre degré d’accord/désaccord

(0-5)

 

14.

Les bruits nocifs sont supprimés à la source.

Oui/Non

 

 

Si non, notez les mesures de lutte contre le bruit:

(notez de 0 à 5)

 

14.1

Il n’y a pas d’isolation acoustique efficace.

 O

 

14.2

Il n’y a pas de mesures palliatives (limitation du temps de travail, port de dispositifs de protection individuelle (coquilles antibruit, etc.).

 O

 

15.

FACTEURS CLIMATIQUES

 

 

 

Specify climatic condition.

 

 

 

Température____ Humidité____

Température radiante___ Courants d’air____

 

 

16.

L’ambiance climatique est confortable.

Oui/Non

 

 

Si non, donnez une appréciation sur les points suivants:

(notez de 0 à 5)

 

16.1

Sensation de température:

frais/un peu frais/neutre/chaud/très chaud

(encerclez une réponse)

 

16.2

Les dispositifs de ventilation (ventilateurs, fenêtres, climatiseurs) sont insuffisants.

 O

 

16.3

Les dispositions réglementaires sur les limites d’exposition ne sont pas respectées (précisez si possible).

 O

 

16.4

Les travailleurs ne portent pas de vêtements de protection contre la chaleur ou le froid.

 O

 

16.5

Il n’y a pas de fontaines d’eau fraîche à proximité.

 O

 

17.

ÉCLAIRAGE

 

 

 

Le poste de travail/les machines sont bien éclairés en permanence.

Oui/Non

 

 

Si non, donnez une appréciation sur les points suivants:

(notez de 0 à 5)

 

17.1

L’éclairage est suffisamment intense.

 O

 

17.2

L’éclairage de la zone de travail est suffisamment uniforme.

 O

 

17.3

Peu ou pas de phénomènes de papillotement.

 O

 

17.4

Pas de problème d’ombres portées.

 O

 

17.5

Peu ou pas de reflets gênants.

 O

 

17.6

La dynamique des couleurs (accentuation visuelle, chaleur des couleurs) est adéquate.

 O

 

18.

POUSSIÈRES, FUMÉES, SUBSTANCES TOXIQUES

 

 

 

L’environnement est exempt de poussières, de fumées et de substances toxiques en quantités excessives.

Oui/Non

 

 

Si non, donnez une appréciation sur les points suivants

(notez de 0 à 5)

 

18.1

Les systèmes de ventilation et d’extraction n’évacuent pas efficacement les fumées et les poussières.

 O

 

18.2

Il n’y a pas de mesures de protection contre les dégagements de substances toxiques/ dangereuses et les contacts accidentels.

Indiquez les produits chimiques toxiques:

 O

_____________________________________________________________________________________

 

18.3

Il n’y a pas de surveillance régulière des produits chimiques toxiques sur le lieu de travail.

 O

 

18.4

Il n’est pas prévu d’équipements de protection individuelle (gants, chaussures, masques, tabliers, etc.).

 O

 

19.

RAYONNEMENTS

 

 

 

Les travailleurs sont protégés de manière efficace contre les expositions aux rayonnements.

Oui/Non

 

 

Si non, mentionnez les expositions

(voir AISS, 1991):

(notez de 0 à 5)

 

19.1

Rayonnements UV (200 nm – 400 nm).

 O

 

19.2

Rayonnements IR (780 nm – 100 µm).

 O

 

19.3

Radioactivité/rayons X (<200 nm).

 O

 

19.4

Micro-ondes (1 mm – 1 m).

 O

 

19.5

Lasers (300 nm – 1,4 µm).

 O

 

19.6

Autres (précisez):

 

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

 

20.

VIBRATIONS

 

 

 

La machine ne transmet pas de vibrations au corps de l’opérateur.

Oui/Non

 

 

Si non, donnez une appréciation sur les points suivants:

(notez de 0 à 5)

 

20.1

Les vibrations sont transmises à l’ensemble du corps par les pieds.

 O

 

20.2

Les vibrations sont transmises par le siège (par exemple, véhicules à conduite assise).

 O

 

20.3

Les vibrations sont transmises par le système main-bras (par exemple, outils portatifs, machines conduites en marchant).

 O

 

20.4

Exposition prolongée à une source continue/répétitive de vibrations.

 O

 

20.5

Les sources de vibrations ne peuvent pas être isolées ou éliminées.

 O

 

20.6

Identifiez les sources de vibration.

 

Remarques et suggestions, points 13 à 20:

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

 

VIII.

Horaire de travail

 

Indiquez le temps de travail: heures/journée/semaine/année, y compris le travail saisonnier et le travail posté.

 

21.

La pression de l’horaire de travail est minimale.

Oui/Non

 

 

Si non, donnez une appréciation sur les points suivants:

(notez de 0 à 5)

 

21.1

La tâche implique un travail de nuit.

 O

 

21.2

La tâche implique des heures supplémentaires.

 O

 

 

Indiquez la durée moyenne:

 

_____________________________________________________________________________________

 

21.3

Les tâches contraignantes sont inégalement réparties sur la durée du poste.

 O

 

21.4

Les personnes travaillent suivant une cadence ou une limite de temps prédéterminées.

 O

 

21.5

La fatigue/les cycles travail-repos ne sont pas suffisamment pris en compte (utilisez des critères cardio-respiratoires pour déterminer la difficulté du travail).

 O

Remarques et suggestions, points 21 à 21.5:

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

O Notation de l’analyste O Notation du travailleur

D.

Aspect perceptivo-moteur

Vos réponses/ notations

IX.

Présentation des informations

 

22.

Les affichages (cadrans, compteurs, signaux d’avertissement) sont d’une lecture facile.

Oui/Non

 

 

Si non, notez les difficultés:

(notez de 0 à 5)

 

22.1

Eclairage insuffisant (voir point 17).

 O

 

22.2

Position malcommode de la tête ou des yeux par rapport à l’axe de vision.

 O

 

22.3

Le type d’affichage des nombres et de leur progression est source de confusion et d’erreurs de lecture.

 O

 

22.4

Absence d’indicateurs numériques permettant une lecture précise.

 O

 

22.5

Distance visuelle trop grande pour une lecture précise.

 O

 

22.6

L’information affichée est difficilement compréhensible.

 O

 

22.7

L’information présentée change avant qu’une action puisse être entreprise.

 O

 

23.

Les signaux d’urgence sont facilement reconnaissables.

Oui/Non

 

 

Si non, évaluez les raisons:

 

 

23.1

Les signaux (optiques/acoustiques) ne sont pas conformes au processus de travail.

 O

 

23.2

Les signaux clignotants sont en dehors du champ de vision.

 O

 

23.3

Les signaux acoustiques sont inaudibles.

 O

 

24.

Les indications sont regroupées d’une façon logique.

Oui/Non

 

 

Si non, donnez une appréciation sur les points suivants:

 

 

24.1

Les indications ne se différencient pas par la forme, la position, la couleur ou la tonalité.

 O

 

24.2

Les indications utilisées fréquemment ou critiques sont en dehors de l’axe de vision.

 O

X.

Dispositifs de commande

 

25.

Les commandes (interrupteurs, boutons, leviers, volants de manœuvre, pédales) s’actionnent facilement.

Oui/Non

 

 

Si non, les causes en sont:

(notez de 0 à 5)

 

25.1

Position malcommode des commandes à main/ au pied.

 O

 

25.2

Le maniement des commandes ou outils n’est pas adapté à la main de l’opérateur.

 O

 

25.3

Les dimensions des commandes ne correspondent pas aux mensurations corporelles.

 O

 

25.4

Les commandes nécessitent un effort considérable.

 O

 

25.5

La manipulation des commandes nécessite beaucoup de précision et de rapidité.

 O

 

25.6

La forme des commandes ne permet pas de bien les saisir.

 O

 

25.7

Les commandes ne sont pas identifiées par des codes de couleurs ou de symboles.

 O

 

25.8

Les commandes produisent une sensation désagréable (chaleur, froid, vibrations).

 O

 

26.

Les indicateurs et les commandes, utilisés conjointement, permettent à l’opérateur de réagir de manière facile et confortable.

Oui/Non

 

 

Si non, donnez une appréciation sur les points suivants:

(notez de 0 à 5)

 

26.1

Leurs emplacements sont trop éloignés les uns des autres.

 O

 

26.2

L’agencement des indicateurs/commandes n’est pas adapté aux fonctions/à la fréquence d’utilisation.

 O

 

26.3

La succession des opérations ne donne pas un délai suffisant pour leur exécution (il en résulte une surcharge sensorielle).

 O

 

26.4

Le sens de mouvement des indicateurs et commandes n’est pas intuitif (ainsi, un mouvement à gauche ne commande pas un mouvement à gauche de l’appareil).

 O

Remarques et suggestions, points 22 à 26.4:

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

O Notation de l’analyste O Notation du travailleur

E. Aspect technique

Vos réponses/ notations

XI.

Machines

 

27.

La machine (transporteur, chariot élévateur, machine-outil, etc.) est facile à conduire et à utiliser.

Oui/Non

 

 

Si non, donnez une appréciation sur les points suivants:

(notez de 0 à 5)

 

27.1

La machine est instable en fonctionnement.

 O

 

27.2

La machine n’est pas convenablement entretenue.

 O

 

27.3

La vitesse de conduite ne peut être réglée.

 O

 

27.4

Le volant de conduite/les manettes sont manœuvrés en position debout.

 O

 

27.5

Les mécanismes de fonctionnement entravent les gestes dans la zone d’opération.

 O

 

27.6

Risque de blessure du fait de l’absence de capotages et autres protections.

 O

 

27.7

La machine n’est pas équipée de signaux avertisseurs.

 O

 

27.8

La machine est mal équipée pour l’amortissement des vibrations.

 O

 

27.9

Les niveaux de bruit de la machine dépassent les limites réglementaires (voir points 13 et 14).

 O

 

27.10

Mauvaise visibilité des diverses parties de la machine et de la zone avoisinante (voir points 17 et 22).

 O

XII.

Petit outillage/accessoires

 

28.

Les outils et accessoires fournis assurent un bon confort de travail aux opérateurs.

Oui/Non

 

 

Si non, donnez une appréciation sur les points suivants:

(notez de 0 à 5)

 

28.1

L’outil/l’accessoire n’a pas de sangle de transport, de dosseret d’appui, etc.

 O

 

28.2

L’outil n’est pas utilisable d’une main ou de l’autre.

 O

 

28.3

Le poids de l’outil cause une hyperextension du poignet.

 O

 

28.4

La forme et la position de la poignée ne permettent pas une bonne préhension.

 O

 

28.5

L’outil portatif n’est pas conçu pour être tenu à deux mains.

 O

 

28.6

L’outil/l’équipement présente des arêtes vives ou des saillies qui peuvent provoquer des blessures.

 O

 

28.7

Des protecteurs (gants, etc.) ne sont pas utilisés de façon régulière avec des outils vibrants.

 O

 

28.8

Les niveaux sonores des outils portatifs dépassent les limites admissibles (voir point 13).

 O

Suggestions d’amélioration, points 27 à 28.8:

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

XIII.

Sécurité du travail

 

29.

Les mesures de sécurité concernant les machines sont suffisantes pour prévenir les accidents et les risques pour la santé.

Oui/Non

 

 

Si non, donnez une appréciation sur les points suivants:

(notez de 0 à 5)

 

29.1

Les accessoires de la machine ne peuvent pas être montés et démontés facilement.

 O

 

29.2

Les parties dangereuses, parties mobiles et installations électriques ne sont pas suffisamment protégées.

 O

 

29.3

Le contact direct/indirect des parties du corps avec la machine peut être dangereux.

 O

 

29.4

Difficulté dans l’inspection et la maintenance de la machine.

 O

 

29.5

Absence d’instructions claires pour l’utilisation, la maintenance et la sécurité de la machine.

 O

Suggestions d’amélioration, points 29 à 29.5:

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

O Notation de l’analyste O Notation du travailleur

F. Aspect psychosocial

Vos réponses/ notations

XIV.

Degré d’autonomie de la tâche

 

30.

La tâche permet une certaine autonomie (par exemple, latitude laissée quant à la méthode de travail, aux conditions d’exécution, au temps d’exécution, au contrôle de la qualité).

Oui/Non

 

 

Si non, les causes possibles en sont:

(notez de 0 à 5)

 

30.1

Pas de latitude sur les temps de début/fin de la tâche.

 O

 

30.2

Pas de soutien prévu au niveau organisationnel pour répondre aux demandes d’assistance dans le travail.

 O

 

30.3

Effectif insuffisant pour la tâche (travail en équipe).

 O

 

30.4

Rigidité dans les méthodes et conditions de travail.

 O

XV.

Retour d’information (intrinsèque et extrinsèque)

 

31.

La tâche permet un retour d’information sur la performance qualitative et quantitative.

Oui/Non

 

 

Si non, les raisons en sont:

(notez de 0 à 5)

 

31.1

Pas de participation à l’information et à la prise de décisions en ce qui concerne la tâche.

 O

 

31.2

Obstacles physiques aux contacts sociaux.

 O

 

31.3

Difficultés de communication en raison de niveaux de bruit élevés.

 O

 

31.4

Trop d’attention requise pour suivre la cadence de la machine.

 O

 

31.5

D’autres personnes (cadres, collègues) informent le travailleur sur sa performance.

 O

XVI.

Diversité/clarté de la tâche

 

32.

L’emploi comporte des tâches diversifiées et appelle une certaine spontanéité de la part du travailleur.

Oui/Non

 

 

Si non, donnez une appréciation sur les points suivants:

(notez de 0 à 5)

 

32.1

Les rôles et les objectifs sont ambigus.

 O

 

32.2

Des restrictions sont imposées par la machine, par le processus ou par le groupe de travail.

 O

 

32.3

L’interaction humain-machine cause un conflit de comportement pour l’opérateur.

 O

 

32.4

Le degré de stimulation est faible (par exemple, conditions visuelles et auditives statiques).

 O

 

32.5

Le travail est très monotone.

 O

 

32.6

La possibilité d’un enrichissement des tâches est limitée.

 O

XVII.

Identité/importance de la tâche

 

33.

Le travailleur a un ensemble de tâches à accomplir et s’organise comme il le souhaite pour les exécuter (par exemple, il planifie et exécute son travail, contrôle et gère les produits).

Oui/Non

 

Notez votre degré d’accord/désaccord (0-5)

 O

 

34.

Le travail effectué est reconnu à sa juste valeur et apprécié des autres.

Oui/Non

 

(Notez votre degré d’accord/désaccord)

 O

XVIII.

Surcharge/sous-charge mentale

 

35.

Le travail consiste en tâches pour lesquelles des systèmes de communication clairs et d’information non ambigus ont été prévus.

Oui/Non

 

 

Si non, donnez une appréciation sur les points suivants:

(notez de 0 à 5)

 

35.1

Des informations complètes sont fournies sur le travail.

 O

 

35.2

La tâche implique une certaine pression dans le traitement d’informations (par exemple, manœuvre d’urgence dans la conduite d’un processus)

 O

 

35.3

La charge de traitement des informations est élevée (difficultés de positionnement de la tâche, par exemple, pas de motivation particulière requise).

 O

 

35.4

Une attention occasionnelle doit être consacrée à des informations autres que celles requises par la tâche elle-même.

 O

 

35.5

La tâche se compose d’activités motrices élémentaires et répétitives, se contentant d’attention superficielle.

 O

 

35.6

Les outils/équipements ne sont pas prépositionnés pour éviter le temps de latence mentale.

 O

 

35.7

Des choix multiples sont requis pour prendre des décisions et juger des risques.

 O

Remarques et suggestions, points 30 à 35.7:

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

_____________________________________________________________________________________

XIX.

Formation et promotion

 

36.

Le poste comporte des possibilités de développement des compétences.

 O

 

 

Si non, les causes possibles en sont:

(notez de 0 à 5)

 

36.1

Pas de possibilités d’avancement à un échelon supérieur.

 O

 

36.2

Pas de formation périodique en fonction du poste.

 O

 

36.3

Les programmes/outils de formation ne sont pas faciles à apprendre et à utiliser.

 O

 

36.4

Pas de système de rémunération à caractère incitatif.

 O

XX.

Engagement au niveau de l’entreprise

 

37.

L’entreprise s’est engagée résolument en faveur de l’efficacité et du bien-être physique, mental et social.

 O

 

 

Evaluez le degré de réalisation en ce qui concerne les aspects ci-après:

(notez de 0 à 5)

 

37.1

Implication de l’entreprise dans la clarification des rôles de chacun et dans la résolution des conflits.

 O

 

37.2

Services médicaux/administratifs pour prévenir les risques professionnels.

 O

 

37.3

Mesures promotionnelles pour lutter contre l’absentéisme.

 O

 

37.4

Consignes de sécurité efficaces.

 O

 

37.5

Inspection du travail et étude des meilleures pratiques de travail.

 O

 

37.6

Action de suivi pour la gestion des accidents/lésions.

 O

Veuiller à présent vous reporter à la Fiche récapitulative d'évaluation.

FICHE RÉCAPITULATIVE D'ÉVALUATION

A. Description sommaire de l'entreprise, des caractéristiques du travailleur et des tâches

________________________________________________________________________________

________________________________________________________________________________

________________________________________________________________________________

________________________________________________________________________________

________________________________________________________________________________

Modules

Sections

Nombre d'éléments notés (items)

Degré d'accord sur la gravité

Gravité relative (%)

Numéro(s) des éléments (items) appelant une intervention immédiate

0

1

2

3

4

5

B. Mécaniste

I. Spécialisation de la tâche

4

 

 

 

 

 

 

 

 

II. Aptitudes requises

5

 

 

 

 

 

 

 

 

C. Biologique

III. Activité physique générale

5

 

 

 

 

 

 

 

 

IV. Manutentions manuelles

6

 

 

 

 

 

 

 

 

V. Conception du lieu et du poste de travail

15

 

 

 

 

 

 

 

 

VI. Posture de travail

6

 

 

 

 

 

 

 

 

VII. Milieu de travail

28

 

 

 

 

 

 

 

 

VIII. Horaire de travail

5

 

 

 

 

 

 

 

 

D. Perceptivo-moteur

IX. Présentation des informations

12

 

 

 

 

 

 

 

 

X. Dispositifs de commande

10

 

 

 

 

 

 

 

 

E. Technique

XI. Machines

10

 

 

 

 

 

 

 

 

XII. Petit outillage/ ccessoires

8

 

 

 

 

 

 

 

 

XIII. Sécurité du travail

5

 

 

 

 

 

 

 

 

F. Psychosocial

XIV. Degré d'autonomie de la tâche

5

 

 

 

 

 

 

 

 

XV. Retour d'information

5

 

 

 

 

 

 

 

 

XVI. Diversité/clarté de la tâche

6

 

 

 

 

 

 

 

 

XVII. Identité/importance de la tâche

2

 

 

 

 

 

 

 

 

XVIII. Surcharge/sous-charge mentale

7

 

 

 

 

 

 

 

 

XIX. Formation et promotion

4

 

 

 

 

 

 

 

 

XX. Engagement au niveau de l'entreprise

6

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Evaluation globale

Consensus sur la gravité pour chaque module

Remarques

A

   

B

 

C

 

D

 

E

 

F

 
 

Analyste:

LES ASPECTS PHYSIQUES ET PHYSIOLOGIQUES

L’ANTHROPOMÉTRIE

Melchiore Masali*

* Adapté de la 3e édition de l'Encyclopaedia of Occupational Health and Safety.

L’anthropométrie est une branche fondamentale de l’anthropologie physique; elle en représente l’aspect quantitatif. Il existe de nombreuses théories et pratiques axées sur la définition de méthodes et de variables permettant de relier les objectifs dans les différents domaines d’application. Dans ceux de la sécurité, de la santé au travail et de l’ergonomie, l’anthropométrie concerne principalement la morphologie de l’organisme, sa composition, sa constitution et les relations réciproques qui existent entre les mensurations du corps humain et les dimensions du poste de travail, les machines, l’environnement physique et l’habillement.

Les variables anthropométriques

Une variable anthropométrique est une caractéristique mesurable du corps humain qui peut être définie, normalisée et à laquelle on peut se référer comme unité de mesure. Les variables linéaires sont généralement définies par des points de repère qui peuvent être situés avec précision sur le corps. Ces points sont généralement de deux types: squeletto-anatomiques (on peut les trouver en palpant les saillies osseuses à travers la peau) ou virtuels (distances minimales ou maximales mesurées simplement à l’aide des branches d’un compas d’épaisseur).

Les données anthropométriques ont des composantes à la fois génétiques et environnementales et peuvent être utilisées pour définir les variabilités intra- et interdividuelles. Le choix des variables doit être lié aux objectifs de la recherche et normalisé avec d’autres recherches conduites dans le même domaine, car le nombre de variables pour le corps humain mentionnées dans la littérature est très important puisqu’on en compte jusqu’à 2 200.

Les variables anthropométriques sont principalement des mensurations linéaires (comme les hauteurs, les distances à partir de points de repère donnés, le sujet étant debout ou assis dans une posture normale); les diamètres (distances entre points de repère opposés); les longueurs (distances entre deux points de repère fixes); les mesures curvilignes (principalement des arcs) et les périmètres ou circonférences (mesurés généralement à une hauteur fixée).

D’autres variables peuvent nécessiter des méthodes et des instruments spéciaux. L’épaisseur de la peau, par exemple, est mesurée à l’aide de calibres à pression constante. Les volumes sont déterminés par calcul ou par immersion dans l’eau. Pour obtenir des informations complètes sur les caractéristiques de la surface corporelle, une matrice informatisée des points de surface peut être réalisée sur un diagramme à l’aide de techniques biostéréométriques.

Les instruments

Bien qu’il existe des instruments sophistiqués pour le recueil automatisé des données anthropométriques, les instruments de base sont relativement simples et faciles à utiliser. Une attention toute particulière doit être apportée à l’identification des points de repère et à la posture des sujets, qui constituent une source courante d’erreur.

L’instrument anthropométrique standard est l’anthropomètre (toise), tige rigide de 2 m de long munie d’échelles de lecture à deux compteurs, qui permet d’effectuer des mensurations des dimensions verticales du corps (comme les hauteurs des points de repère à partir du sol ou du siège) et des dimensions transversales (comme les diamètres).

La toise peut être divisée en trois ou quatre parties qui s’emboîtent les unes dans les autres. Un bras coulissant muni d’une pince droite ou curviligne permet de mesurer les distances à partir du sol, pour les hauteurs, tandis qu’un bras fixe permet de mesurer les diamètres. Des anthropomètres plus perfectionnés n’ont qu’une seule échelle pour mesurer hauteurs et diamètres ou sont munis de dispositifs de lecture numérique mécaniques ou électroniques (voir figure 29.7).

Figure 29.7 Un arthropomètre (toise)

Figure 29.7

Un stadiomètre est un anthropomètre fixe, généralement utilisé uniquement pour mesurer la stature, souvent associé à une balance romaine.

Pour les diamètres transversaux, une série de compas à calibrer peut être utilisée: le pelvimètre pour les mensurations jusqu’à 600 mm, et le céphalomètre jusqu’à 300 mm. Ce dernier est particulièrement approprié pour les mensurations de la tête lorsqu’il est utilisé en association avec un calibre à glissière (voir figure 29.8).

Figure 29.8 Un céphalomètre et un calibre d'épaisseur

Figure 29.8

On a recours à une planche pour déterminer les mensurations des pieds, et à une autre planche pour les coordonnées cartésiennes de la tête orientée selon le «plan de Francfort» (plan horizontal passant par les repères porion et orbitaire de la tête). La main peut être mesurée à l’aide d’un calibre ou d’un appareil spécial à cinq règles coulissantes.

L’épaisseur  de  la  peau  est  mesurée  grâce  à  un  compas d’épaisseur à pression constante, généralement avec une pression de 9,81 × 104 Pa (c’est-à-dire la pression exercée par un poids de 10 g sur une surface de 1 mm2).

Pour les arcs et les périmètres, on se sert d’un ruban souple et plat en acier. Les rubans en acier à redressement automatique ne conviennent pas.

Les systèmes de variables

Un système de variables anthropométriques est une série cohérente de mensurations du corps visant à résoudre certains problèmes spécifiques.

Dans le domaine de l’ergonomie et de la sécurité, le principal problème consiste à adapter les équipements et le poste de travail aux opérateurs et à leur proposer des vêtements de dimensions convenables.

Les équipements et le poste de travail exigent essentiellement des mesures linéaires des membres et des segments corporels qui peuvent être calculées à partir de points de repère pour les hauteurs et les diamètres, alors que les tailles des vêtements sont basées principalement sur les arcs et les périmètres. Les deux types de mesures peuvent être associés en fonction des besoins.

Dans tous les cas, il est absolument nécessaire d’avoir une référence précise dans l’espace pour chaque mensuration. Les points de repère doivent donc être reliés par les hauteurs et les diamètres et chaque arc et chaque périmètre doivent avoir un point de repère bien défini. Les hauteurs, plans et pentes de mesurage doivent être précisés.

Dans chaque étude, le nombre de variables doit être aussi faible que possible, afin d’éviter la fatigue pour le sujet et pour la personne qui procède aux mensurations.

L’un des ensembles de variables de base pour le poste de travail a été réduit à 33 variables ou mensurations (voir figure 29.9), plus 20 autres dérivées par simple calcul. Herzberg et coll. ont utilisé 146 variables dans le cadre d’une étude générale réalisée pour le compte de l’armée. Pour les vêtements et dans un but biologique général, l’Ente Italiano della Moda (Conseil italien de la mode) applique une série de 32 variables générales et de 28 variables techniques. La norme allemande (DIN 61 516) relative aux mensurations corporelles pour les vêtements inclut 12 variables. La recommandation de l’Organisation internationale de normalisation (ISO) pour l’anthropométrie comprend une liste de base de 36 variables (voir tableau 29.1). Les tableaux de données anthropométriques internationales du BIT donnent une liste de 19 mensurations du corps pour les populations de 20 régions du monde (Jürgens, Aune et Pieper, 1990).

Figure 29.9 Variables anthropométriques de base

Figure 29.9

Figure 29.9

Figure 29.9

Tableau 29.1 Mensurations anthropométriques de base du corps humain

1.1

Distance de préhension manuelle antérieure (sujet debout adossé à un mur)

1.2

Stature, taille (distance du sol au vertex)

1.3

Hauteur des yeux (distance du sol à l’angle extérieur de l’œil)

1.4

Hauteur acromale (distance du sol au point acromial)

1.5

Hauteur du coude (distance du sol au point le plus bas du coude fléchi)

1.6

Hauteur de l’entrejambe (distance du sol à la base de l’os pubien)

1.7

Hauteur de l’axe de prise du poing (distance du sol à l’axe de préhension du poing)

1.8

Largeur bideltoïde (aux épaules, entre les extrémités latérales des muscles deltoïdes)

1.9

Largeur du bassin, sujet debout (distance maximale entre les hanches)

2.1

Taille assis (distance de la surface d’assise au vertex)

2.2

Hauteur des yeux, sujet assis (distance de la surface d’assise à l’angle extérieur de l’œil)

2.3

Hauteur des épaules, sujet assis (distance de la surface d’assise au point acromial)

2.4

Hauteur des coudes, sujet assis (distance de la surface d’assise au point le plus bas du coude fléchi)

2.5

Hauteur du genou (distance du sol au bord supérieur de la rotule)

2.6

Longueur de la jambe, hauteur du creux poplité (distance du sol à la surface d’assise

2.7

Distance fonctionnelle de l’avant-bras (du coude fléchi à l’axe de préhension du poing)

2.8

Profondeur du corps en position assise (profondeur d’assise)

2.9

Distance fesse-genou, sujet assis (de l’extrémité postérieure du massif fessier à la rotule)

2.10

Largeur coude à coude (distance maximale entre l’extérieur des coudes)

2.11

Largeur du bassin, sujet assis (distance maximale entre l’extérieur des hanches)

3.1

Largeur proximale de l’index (à l’articulation entre les phalanges médianes et proximales)

3.2

Largeur distale de l’index (à l’articulation entre les phalanges distales et médianes)

3.3

Longueur de l’index

3.4

Longueur de la main (distance de l’extrémité du majeur à l’apophyse styloïde)

3.5

Largeur de la main (au niveau des métacarpes)

3.6

Périmètre du poignet

4.1

Largeur du pied

4.2

Longueur du pied

5.1

Périmètre de la tête (au niveau de la glabelle)

5.2

Arc sagittal (longueur de l’arc de la glabelle à l’inion)

5.3

Longueur de la tête (distance de la glabelle à l’extrémité postérieure du crâne)

5.4

Largeur de la tête (maximum au-dessus des oreilles)

5.5

Arc bitragus-coronal (longueur de l’arc entre les deux tragus)

6.1

Périmètre de la taille (au niveau du nombilic)

6.2

Hauteur tibiale (distance du sol au bord médial du point tibial)

6.3

Hauteur du point cervical, sujet assis (distance de la surface d’assise au point cervical)

La précision et les erreurs

La précision des mensurations corporelles ne saurait être absolue, car le corps humain est imprévisible, tant sous l’angle statique que dynamique.

Un individu peut grandir, présenter des modifications au niveau de sa musculature ou de son adiposité, subir des modifications squelettiques consécutives au vieillissement, à une maladie ou à un accident, ou encore changer de port ou de posture. Les individus peuvent différer par leurs proportions et non seulement par leurs mensurations générales. Les sujets de grande taille ne sont pas des sujets de petite taille que l’on a simplement agrandis. Les types de constitution et les somatotypes varient probablement davantage que les dimensions individuelles.

L’utilisation de mannequins, en particulier ceux représentant les 5e, 50e et 95e centiles, peut entraîner des erreurs importantes si les variations des proportions corporelles ne sont pas prises en considération.

Des erreurs peuvent aussi résulter d’une interprétation erronée des points de repère, d’une mauvaise utilisation des appareils (erreur individuelle), de l’utilisation d’appareils imprécis ou inexacts (erreur instrumentale) ou de modifications de la posture des sujets (erreur du sujet, celle-ci pouvant être imputable à des difficultés de communication si le contexte culturel ou linguistique du sujet diffère de celui de la personne qui procède aux mensurations).

Le traitement statistique

Les données anthropométriques doivent être traitées par des méthodes statistiques, principalement dans le cas des méthodes d’inférence utilisant des méthodes à une variable (moyenne, mode, centiles, histogrammes, analyse de variance, etc.), à deux variables (corrélation, régression) ou à plusieurs variables (corrélation et régression multiple, analyse factorielle, etc.). Différentes méthodes graphiques basées sur les applications statistiques ont été mises au point pour la classification des types somatiques (anthropométrogrammes, morphosomatogrammes).

L’échantillonnage et l’analyse

Comme il n’est pas possible de rassembler des données anthropométriques pour l’ensemble de la population (à l’exception des rares cas d’une population particulièrement restreinte), on procède en général à un échantillonnage. Toute étude anthropométrique débute donc par l’établissement d’un échantillon aléatoire de base. Pour que le nombre de sujets ne soit pas trop important, il faut procéder d’ordinaire à un échantillonnage stratifié à plusieurs étages; c’est la méthode permettant la ventilation la plus homogène de la population en un certain nombre de classes ou de strates.

La population peut être répartie selon le sexe, la tranche d’âge, la zone géographique, les variables sociales, l’activité physique, etc.

Les formules utilisées pour les études anthropométriques doivent être conçues d’après des méthodes de mesurage et de traitement des données, afin de prévenir aussi bien la fatigue de la personne qui effectue les mesures que les risques d’erreur. Les variables seront donc regroupées en fonction des instruments utilisés et classées de façon ordonnée pour limiter le nombre de mouvements corporels nécessaires (les flexions, par exemple).

Pour réduire les risques d’erreurs individuelles, les mesures devraient être effectuées par une seule et même personne. Si l’on fait appel à plusieurs personnes, il faut les former pour que leurs résultats soient reproductibles.

L’anthropométrie de la population

Abstraction faite de la notion très critiquée de race, on doit admettre que la taille des individus et la répartition de leur taille varient considérablement dans les divers groupes de population. Les populations humaines ne sont généralement pas strictement mendéliennes, mais sont le résultat de mélanges. Parfois, plusieurs populations ayant des origines et des trajectoires d’adaptation différentes vivent dans le même pays sans croisement, ce qui complique la distribution théorique de leurs caractéristiques. Du point de vue anthropométrique, les sexes constituent des populations différentes. Par ailleurs, les populations de travailleurs peuvent ne pas correspondre exactement à la population biologique de la même région, en raison d’un choix qui peut être basé sur les capacités ou d’une autosélection.

Enfin, les populations de différentes régions peuvent se différencier en raison de conditions d’adaptation ou de structures biologiques et génétiques différentes.

Lorsqu’il est important d’avoir un ajustement serré, il faut constituer un échantillon aléatoire.

Les essais d’adaptation et les réglages

La bonne adaptation du poste de travail et de l’équipement à un opérateur dépend de ses mensurations, mais aussi de variables comme sa tolérance à l’inconfort, la nature de ses tâches, ses vêtements, les outils qu’il utilise et les conditions environnementales. On peut recourir à cette fin à une liste des facteurs pertinents, à un simulateur et à une série d’essais sur un échantillon de sujets représentatifs des différentes tailles de la population d’utilisateurs prévue.

L’objectif est de trouver les plages de tolérance pour l’ensemble des sujets. Si ces plages se chevauchent, il est possible de choisir un intervalle final plus restreint compris dans les limites de tolérance de chaque sujet. En l’absence de chevauchement, il faut envisager une structure réglable ou offrir toute une gamme de tailles. Si le réglage porte sur plus d’un paramètre, l’utilisateur pourra éprouver des difficultés à décider quel est le réglage qui lui convient le mieux.

Cette question d’ajustement et de réglage peut poser problème, en particulier lorsque des postures inconfortables occasionnent de la fatigue. Des indications précises doivent donc être fournies à l’utilisateur qui, souvent, connaît mal — voire ne connaît pas du tout — ses caractéristiques anthropométriques. En général, une conception attentive devrait réduire le besoin d’ajustement au minimum. Il ne faut pas oublier que l’on traite ici d’anthropométrie, et pas seulement de questions techniques.

L’anthropométrie dynamique

L’anthropométrie statique peut fournir des informations générales sur les mouvements et les gestes, pour autant que l’on ait choisi un ensemble de variables appropriées. Néanmoins, lorsque les mouvements sont complexes et qu’une adaptation plus fine à l’environnement industriel est souhaitable — ce qui est le cas dans la plupart des interfaces homme-machine —, il faut procéder à une étude minutieuse des postures et des mouvements. Cette étude peut être effectuée soit par photographie, soit à l’aide de maquettes permettant de tracer des enveloppes d’amplitude des mouvements. Si l’on a recours à la photographie, il faut utiliser un appareil muni d’un téléobjectif et d’une tige anthropométrique placée dans le plan sagittal du sujet, grâce auquel on peut obtenir des clichés standards avec une faible distorsion de l’image. Des petits marqueurs placés sur les articulations des sujets permettent un repérage précis des mouvements possibles.

Une autre manière d’étudier les gestes et les mouvements consiste à enregistrer les modifications posturales selon une série de plans verticaux et horizontaux passant par les articulations. L’utilisation de modèles humains informatisés et de systèmes de conception assistée par ordinateur (CAO) permet d’inclure l’anthropométrie dynamique dans la conception des postes de travail.

LE TRAVAIL MUSCULAIRE

Juhani Smolander et Veikko Louhevaara

Le travail musculaire dans les activités professionnelles

Dans les pays industriels, environ 20% des travailleurs occupent des emplois nécessitant un effort musculaire (Rutenfranz et coll., 1990). Les travaux physiques pénibles sont moins nombreux qu’auparavant, mais le travail est devenu plus statique, alors que les sollicitations asymétriques et le travail sédentaire ont augmenté. Dans les pays en développement, le travail musculaire, sous toutes ses formes, est toujours très courant.

Sans entrer dans le détail, on peut subdiviser le travail musculaire lié aux activités professionnelles en quatre catégories: travail musculaire dynamique pénible, manutention manuelle, travail statique et travail répétitif. On trouve, par exemple, des travaux dynamiques lourds dans l’industrie forestière, l’agriculture et l’industrie de la construction. La manutention est courante dans les soins infirmiers, les transports et le stockage, tandis que les charges statiques sont monnaie courante dans les bureaux, l’industrie électronique ou la maintenance, pour ne citer que ces secteurs. Quant aux travaux répétitifs, on les rencontre surtout dans l’industrie alimentaire et le travail du bois, par exemple.

Il est important de noter que la manutention manuelle et les travaux répétitifs peuvent consister en un travail musculaire statique ou dynamique, ou en une association des deux types.

La physiologie du travail musculaire

Le travail musculaire dynamique

Dans ce type de travail, les muscles se contractent et se relâchent de manière rythmique. Le débit sanguin augmente pour répondre aux besoins du métabolisme. L’augmentation du débit sanguin est obtenue par un effort de pompage accru du cœur (débit cardiaque), une diminution du flux sanguin dans les zones moins sollicitées (comme les reins et le foie) et une augmentation du nombre de capillaires ouverts dans la musculature au travail. La fréquence cardiaque, la pression sanguine et l’extraction d’oxygène par les muscles augmentent de manière linéaire, en fonction de l’intensité du travail accompli. Par ailleurs, la ventilation pulmonaire s’accroît également en raison d’une respiration plus profonde et de l’augmentation de la fréquence respiratoire. L’activation de l’ensemble du système cardio-respiratoire a pour but d’accroître l’apport d’oxygène aux muscles actifs. La consommation d’oxygène mesurée pendant un travail musculaire dynamique lourd traduit l’intensité du travail. La consommation maximale d’oxygène (VO2max) d’un sujet indique sa capacité maximale de travail aéro-bique. Les valeurs de consommation d’oxygène peuvent être traduites en dépense énergétique (1 litre d’oxygène par minute correspond à environ 5 kcal/min ou 21 kJ/min).

Dans le cas d’un travail dynamique, lorsque la masse musculaire active est peu volumineuse (comme dans les bras), les valeurs maximales de la capacité de travail et de la consommation d’oxygène sont moins élevées que dans le cas d’un travail dynamique faisant appel à des muscles plus volumineux (jambes). Pour le même rendement de travail externe, le travail dynamique réalisé par les bras entraîne des réponses cardio-vasculaires plus élevées (fréquence cardiaque, pression sanguine) qu’un travail fait par les jambes (voir figure 29.10).

Figure 29.10 Travail statique et travail dynamique

Figure 29.10

Figure 29.10

Le travail musculaire statique

Dans le travail statique, la contraction musculaire ne produit pas de mouvement visible. Le travail statique augmente la pression à l’intérieur du muscle, ce qui, associé à la compression mécanique, bloque partiellement ou totalement la circulation sanguine. On observe une entrave à l’apport d’éléments nutritifs et d’oxygène dans le muscle et à l’élimination des produits de dégradation métaboliques. C’est la raison pour laquelle les muscles se fatiguent plus rapidement que dans le travail dynamique.

La caractéristique la plus importante du travail statique est une augmentation de la pression sanguine. La fréquence et le débit cardiaques sont peu modifiés. Au-delà d’une certaine intensité, l’augmentation de la pression sanguine est directement liée à l’intensité et à la durée de l’effort fourni. En outre, pour une même intensité d’effort, un travail statique avec des groupes de muscles volumineux entraîne un accroissement plus important de la pression sanguine qu’un travail avec des muscles moins volumineux (voir figure 29.10).

En principe, la régulation de la ventilation et de la circulation est similaire dans les deux types de travail, statique et dynamique, mais les signaux métaboliques provenant des muscles impliqués dans un travail statique sont plus importants, ce qui entraîne des réponses proportionnellement plus prononcées.

Les conséquences d’une surcharge musculaire dans les activités professionnelles

L’astreinte produite par le travail musculaire dépend de la masse musculaire sollicitée, du type de contractions musculaires (statiques, dynamiques), de l’intensité de ces contractions et des caractéristiques du sujet.

Lorsque la charge musculaire n’excède pas les capacités physiques du travailleur, l’organisme s’adapte et la récupération est rapide lorsque le travail est interrompu. Si, en revanche, la charge musculaire est trop élevée, on constate l’apparition de fatigue, une diminution de la capacité de travail et une récupération plus lente. Des efforts intenses ou des surcharges prolongées peuvent entraîner des lésions organiques (sous la forme de maladies liées au travail). Par ailleurs, un travail musculaire d’une certaine intensité, fréquence et durée peut avoir des effets «d’entraînement», de même qu’une demande musculaire trop faible peut être à l’origine d’effets de «désentraînement». Ce phénomène est illustré par le concept élargi de contrainte-astreinte (expanded stress-strain concept) développé par Rohmert (1984) (voir figure 29.11).

Figure 29.11 Modèle de contrainte-astreinte élargi

Figure 29.11

De manière générale, il existe peu de données épidémiologiques établissant que la surcharge musculaire est un facteur de maladie. Toutefois, un état de santé déficient, certaines incapacités et la sensation de fatigue sont volontiers associés aux postes de travail pénibles, en particulier lorsqu’on a affaire à des travailleurs âgés. D’autre part, plusieurs facteurs de troubles musculo-squelettiques liés à l’activité professionnelle sont en étroite relation avec certains aspects de la charge musculaire: mauvaises postures de travail, soulèvement de charges pesantes, efforts brusques, etc.

L’un des objectifs de l’ergonomie est précisément de déterminer, pour le travail musculaire, les limites aptes à prévenir l’apparition de fatigue et de troubles divers. Alors que l’objet principal de l’épidémiologie est la prévention des effets chroniques, la physiologie du travail se préoccupe essentiellement des effets à court terme, à savoir la fatigue liée aux tâches professionnelles ou à une journée de travail.

La charge de travail admissible dans le travail musculaire dynamique lourd

L’évaluation de la charge de travail admissible dans le travail dynamique est traditionnellement basée sur la mesure de la consommation d’oxygène (ou de la dépense énergétique). La consommation d’oxygène peut être mesurée relativement facilement à l’aide d’appareils portables (sac Douglas, appareils Max Planck, Oxylog, Cosmed, par exemple) ou elle peut être estimée à partir des enregistrements de la fréquence cardiaque, qui peuvent être effectués de manière fiable, par exemple, au moyen du SportTester. L’utilisation des enregistrements de la fréquence cardiaque pour estimer la consommation d’oxygène nécessite que l’appareil soit calibré, pour chaque individu, par rapport à la consommation d’oxygène mesurée pour une activité standard en laboratoire. Il faut donc que l’investigateur connaisse la consommation d’oxygène de chaque sujet pour une fréquence cardiaque donnée. Les enregistrements de la fréquence cardiaque devraient être analysés avec précaution, car ils sont susceptibles d’être affectés par la condition physique du sujet, la température ambiante, les facteurs psychologiques, le volume de la masse musculaire active, etc. Ainsi, les mesures de la fréquence cardiaque peuvent avoir pour effet de surestimer la consommation d’oxygène, de même que les valeurs de la consommation d’oxygène peuvent sous-évaluer l’astreinte physiologique globale en reflétant uniquement les besoins énergétiques.

L’astreinte aérobique relative (relative aerobic strain, RAS) est la fraction (exprimée en pourcentage) de la consommation d’oxygène d’un travailleur mesurée à son poste de travail par rapport à sa VO2max mesurée en laboratoire. Si l’on ne dispose que d’enregistrements de la fréquence cardiaque, on peut procéder à une bonne estimation de la RAS en calculant l’intervalle de fréquence cardiaque en pourcentage à l’aide de la formule de Karvonen, comme le montre la figure 29.12.

Figure 29.12 Analyse des charges de travail admissibles

Figure 29.12

Figure 29.12

La VO2max se mesure généralement sur une bicyclette ergométrique ou un tapis roulant dont le rendement mécanique est élevé (20-25%). Si la masse musculaire active est plus petite, ou si la composante statique est plus élevée, la VO2max et le rendement mécanique seront moins élevés que dans le cas d’exercices impliquant des groupes musculaires plus volumineux. Il a été montré, par exemple, que dans le tri des colis postaux, la VO2max des travailleurs n’était que de 65% du maximum mesuré sur une bicyclette ergométrique, et que le rendement mécanique de la tâche était inférieur à 1%. Lorsque les recommandations sont établies sur la base de la consommation d’oxygène maximale, il serait préférable d’utiliser, comme type d’épreuve, un travail aussi proche que possible de la tâche réellement effectuée. Cet objectif est toutefois difficile à atteindre.

Selon l’étude classique d’Åstrand (1960), la RAS ne devrait pas dépasser 50% pendant une journée de travail de huit heures. Dans ses expériences avec une charge de travail de 50%, le poids corporel a diminué, la fréquence cardiaque n’a pas atteint l’état d’équilibre et l’inconfort subjectif a augmenté durant la journée. Elle a recommandé une limite RAS de 50%, tant pour les hommes que pour les femmes. Par la suite, elle a observé que les travailleurs du bâtiment choisissaient spontanément une RAS moyenne de 40% (intervalle 25-55%) durant une journée de travail. Plusieurs études plus récentes ont indiqué que, pour être acceptable, la RAS devait être inférieure à 50%. La plupart des auteurs recommandent une valeur comprise entre 30-35% pour une journée de travail entière.

A l’origine, les valeurs RAS ont été établies pour un travail musculaire purement dynamique, ce qui est rare en milieu de travail. En effet, les taux RAS recommandés peuvent ne pas être dépassés, dans une tâche de manutention, par exemple, mais la charge locale au niveau du dos peut être inacceptable. En dépit de ces limites, la détermination de la RAS a été très largement employée pour évaluer l’astreinte physique dans différentes activités professionnelles.

Outre la mesure de la consommation d’oxygène ou son estimation, il existe d’autres méthodes physiologiques utiles pour quantifier l’astreinte ou l’effort physique dans un travail dynamique lourd. Des techniques d’observation peuvent être employées pour évaluer la dépense énergétique (l’échelle d’Edholm, par exemple) (Edholm, 1966). L’échelle de perception de l’astreinte indique la perception subjective du phénomène de fatigue. De nouveaux appareils portables de mesure de la pression sanguine permettent d’effectuer des analyses plus fines des réponses circulatoires.

La charge de travail admissible dans la manutention sans moyens mécaniques (dite manuelle)

Il s’agit ici d’activités telles que soulever, porter, pousser et tirer diverses charges. La plupart des recherches réalisées dans ce domaine portent surtout sur les atteintes de la région lombaire dans les tâches de levage, en privilégiant les aspects biomécaniques du problème.

Une RAS de 20-35% a été recommandée pour le levage lorsque la tâche est comparée à une consommation maximale d’oxygène individuelle mesurée sur une bicyclette ergométrique.

Les recommandations concernant la fréquence cardiaque maximale sont soit formulées en termes absolus, soit fonction de la fréquence cardiaque au repos. Les valeurs absolues pour les hommes et les femmes sont de 90-112 battements par minute pour un travail de manutention continu. Ces valeurs sont pratiquement identiques à celles recommandées pour l’augmentation de la fréquence cardiaque au-dessus des valeurs au repos, c’est-à-dire 30-35 battements par minute. Elles sont également valables pour le travail musculaire dynamique lourd chez les hommes et les femmes jeunes et en bonne santé. Toutefois, comme on l’a dit plus haut, les données relatives à la fréquence cardiaque devraient être analysées avec précaution, car elles peuvent être affectées par des facteurs autres que le travail musculaire.

Les recommandations concernant la charge de travail admissible pour la manutention manuelle fondées sur des études biomécaniques prennent en compte de nombreux facteurs comme le poids de la charge, la fréquence des mouvements de manutention, la hauteur de levage, l’éloignement de la charge par rapport au corps et les caractéristiques physiques du sujet.

Dans une étude de terrain portant sur de nombreux sujets, Louhevaara, Hakola et Ollila ont constaté en 1990 que les travailleurs masculins en bonne santé pouvaient manipuler des colis postaux pesant entre 4 et 5 kg pendant une journée entière de travail sans présenter de signes objectifs ou subjectifs de fatigue. La plupart des manutentions s’effectuaient au-dessous du niveau des épaules; la fréquence moyenne était inférieure à 8 colis par minute et le nombre total de colis ne dépassait pas 1 500 par journée de travail. La fréquence cardiaque moyenne des travailleurs était de 101 battements par minute et leur consommation moyenne d’oxygène de 1,0 litre par minute, ce qui correspond à une RAS de 31% par rapport à la valeur maximale mesurée sur ergocycle.

L’observation des postures de travail et le classement des efforts effectués grâce à la méthode OWAS (Karhu, Kansi et Kuorinka, 1977), l’évaluation de la perception de l’astreinte et les enregistrements de la pression sanguine sont également des techniques pouvant servir à évaluer l’astreinte. L’électromyographie peut être utilisée pour évaluer les réponses à une sollicitation localisée (muscles des bras et du dos, par exemple).

La charge de travail admissible pour le travail musculaire statique

Le travail musculaire statique sert principalement au maintien des postures de travail. Le temps limite de maintien de la contraction statique est une fonction exponentielle de la force relative de contraction. Ainsi, lorsque la contraction statique nécessite 20% de la force maximale, le temps limite est de 5 à 7 minutes, alors qu’il est de 1 minute environ lorsque la force relative est de 50%.

Des études plus anciennes avaient montré qu’aucune fatigue ne se développait lorsque la force relative était inférieure à 15% de la force maximale, mais des travaux récents ont montré qu’elle correspond à 2 à 5% de la force statique maximale et que la force relative admissible est fonction du muscle ou du groupe de muscles sollicités. En milieu de travail, ces limites sont difficiles à utiliser, car elles nécessitent des enregistrements électromyographiques.

Le praticien a peu de moyens à sa disposition sur le terrain pour quantifier l’astreinte dans le travail statique. Il existe certaines méthodes d’observation (la méthode OWAS, par exemple) qui permettent d’analyser la proportion de postures contraignantes, c’est-à-dire qui conduisent les articulations à prendre des positions qui s’écartent de la normale. Les mesures de la pression sanguine et les évaluations de la perception de l’astreinte peuvent être utiles, tandis que les mesures de la fréquence cardiaque sont moins indiquées dans ce cas.

La charge de travail admissible dans les tâches répétitives

Ces tâches font appel à des groupes de muscles peu volumineux et s’apparentent au travail musculaire statique au point de vue des réponses circulatoires et métaboliques. Dans les tâches répétitives, les muscles peuvent se contracter plus de 30 fois par minute. Lorsque la force relative de contraction dépasse 10% de la force maximale, le temps limite et la force musculaire commencent à diminuer. Toutefois, l’endurance varie considérablement d’un individu à un autre: de 2 à 50 minutes lorsque le muscle se contracte 90-110 fois par minute avec une force relative de 10 à 20% (Laurig, 1974).

Il est très difficile d’établir des critères précis pour les tâches répétitives, car même de très faibles charges (comme l’utilisation d’une souris d’ordinateur) peuvent provoquer une augmentation de la pression intramusculaire et causer un gonflement des fibres musculaires, une sensation de douleur et une chute de la force musculaire.

Dans le travail statique et répétitif, la fatigue s’installe très vite, ainsi que l’incapacité de poursuivre le travail, même pour de très petites charges. C’est pourquoi les interventions de nature ergonomique devraient chercher à limiter le plus possible le nombre de mouvements répétitifs et les contractions statiques. Il existe très peu de méthodes pour évaluer, sur le terrain, l’astreinte des tâches répétitives.

La prévention de la surcharge musculaire

Les données épidémiologiques montrant que la charge musculaire est nuisible à la santé sont relativement peu nombreuses. Toutefois, des études en physiologie du travail et des études ergonomiques indiquent que la surcharge musculaire entraîne l’apparition de fatigue (c’est-à-dire une diminution de la capacité de travail) et peut causer une baisse de la productivité et de la qualité.

La surcharge musculaire peut être évitée par des interventions au niveau des tâches, du milieu de travail et du travailleur. La charge peut être adaptée par des moyens techniques mis en œuvre au niveau de l’environnement, de l’outillage ou des méthodes de travail. La manière la plus rapide d’adapter la charge musculaire est d’augmenter la flexibilité du temps de travail pour chaque individu. Il faut pour cela prévoir des rythmes d’alternance temps de travail-repos qui tiennent compte de la charge de travail, ainsi que des besoins et des capacités de chaque sujet.

Le travail musculaire statique et les tâches répétitives devraient être réduits au minimum. Quant au travail dynamique lourd, effectué sur une base occasionnelle, il peut permettre de préserver les capacités physiques. L’activité physique la plus utile qui puisse être intercalée dans une journée de travail est sans doute la marche d’un pas alerte ou l’ascension d’escaliers.

La prévention de la surcharge musculaire reste toutefois très difficile chez des travailleurs dont la condition physique est mauvaise et l’adresse manuelle réduite. Une formation appropriée devrait permettre d’améliorer la situation et de réduire la charge musculaire. De même, la pratique régulière d’exercices de gymnastique pendant le travail ou le temps libre devrait augmenter les capacités musculaire et cardio-respiratoire.

LES POSTURES DE TRAVAIL

Ilkka Kuorinka

La posture d’une personne au travail — c’est-à-dire les positions relatives qu’occupent le tronc, la tête et les extrémités — peut être analysée sous divers angles. Ces positions sont déterminées par l’activité exercée à chaque instant et visent à maintenir un équilibre harmonieux entre ces parties du corps. Il existe une interaction étroite entre les capacités physiologiques et les caractéristiques anatomiques du travailleur et les exigences du travail qu’il accomplit.

La charge musculo-squelettique est nécessaire au bon fonctionnement de l’organisme et à son bien-être. Il s’agit, dans la conception du travail, de trouver un bon équilibre entre le nécessaire et l’excessif.

Chercheurs et praticiens s’intéressent aux postures de travail pour les raisons suivantes:

  1. La posture est source d’une charge musculo-squelettique. Hormis la station debout, la position assise et la position couchée (le corps étant détendu), les muscles doivent se contracter pour produire les forces permettant de maintenir la posture ou d’effectuer des mouvements. Dans le cas d’un travail lourd, comme dans la construction ou la manutention manuelle, les forces externes statiques et dynamiques s’ajoutent aux forces internes, créant parfois des charges élevées qui risquent de dépasser la capacité des tissus (voir figure 29.13.) Même dans des postures naturelles, lorsque l’effort musculaire est faible, tendons et articulations peuvent être sursollicités et montrer des signes de fatigue. Un effort apparemment léger, comme le travail au microscope, par exemple, peut devenir astreignant et fatigant s’il doit se prolonger.
  2. Figure 29.13 Le travail bras levés ou tronc incliné en avant sont les positions les plus
    courantes qui entraînent une charge « statique»

    Figure 29.13

    Figure 29.13

    Figure 29.13

  3. La posture est étroitement liée à l’équilibre et à la stabilité. Elle est contrôlée par plusieurs réflexes nerveux où les sensations tactiles et les informations visuelles provenant de l’environnement immédiat jouent un rôle important. Certaines postures, comme celle adoptée pour saisir un objet éloigné, sont en soi instables. La perte d’équilibre est une cause directe et fréquente d’accidents du travail. Certaines tâches sont exécutées dans un environnement où la stabilité ne peut pas toujours être garantie, par exemple dans le bâtiment.
  4. La posture permet d’assurer la précision des mouvements et la saisie d’informations visuelles. De nombreuses tâches exigent des gestes précis et une observation soutenue; la posture joue alors un rôle essentiel. L’attention est dirigée sur la tâche à exécuter et la posture en permet l’exécution: elle se stabilise, la charge musculaire augmente et devient plus statique. Un groupe de chercheurs français a montré, dans une étude désormais classique, que l’immobilité et la charge musculo-squelettique augmentaient en même temps que la cadence du travail (Teiger, Laville et Durafourg, 1974).
  5. La posture est une source d’informations sur les événements qui se produisent au travail. L’observation des postures peut être délibérée ou inconsciente. On sait que les contremaîtres et les travailleurs expérimentés observent les postures de leurs collègues de travail pour s’informer du déroulement du travail, de manière souvent inconsciente. Ainsi, sur une plate-forme pétrolière, les membres d’une équipe se tiendront au courant du progrès des opérations en observant les postures de leurs camarades, en particulier lorsqu’ils n’ont pas d’autres moyens pour communiquer.

La sécurité, la santé et les postures de travail

Si, au point de vue de la sécurité et de la santé, les considérations qui précèdent sont importantes, ce sont toutefois les postures responsables des troubles musculo-squelettiques, comme les lombalgies, qui retiennent le plus l’attention. Les troubles musculo-squelettiques associés aux tâches répétitives sont également liés aux postures.

Le terme lombalgie est un terme général qui désigne les diverses affections siégeant au bas du dos. Les causes des lombalgies sont nombreuses, et une mauvaise posture est l’une d’elles. Des études épidémiologiques montrent que les travaux pénibles sont associés à ce type de pathologie et que les postures constituent l’un des facteurs étiologiques. Plusieurs mécanismes peuvent expliquer pourquoi certaines postures peuvent provoquer des lombalgies. La flexion du tronc vers l’avant augmente la charge qui s’exerce sur la colonne vertébrale et les ligaments; ceux-ci sont particulièrement vulnérables lorsque le tronc est en torsion. Les charges externes, en particulier les charges dynamiques (mouvements brusques, glissades, etc.), peuvent accroître fortement la charge exercée sur le dos.

Du point de vue de la sécurité et de la santé, il importe dès lors d’identifier les mauvaises postures et de les étudier dans une perspective de prévention.

L’enregistrement et l’observation des postures de travail

Les postures peuvent être enregistrées et évaluées objectivement par observation visuelle, par des techniques de mesure plus ou moins perfectionnées ou par des méthodes d’auto-évaluation. La plupart des méthodes considèrent la posture comme un élément d’un tout — c’est le cas de la méthode AET ou celle des profils de postes de Renault (Landau et Rohmert, 1981; RNUR, 1976) — ou comme le point de départ de calculs biomécaniques qui tiennent également compte d’autres composantes.

En dépit des progrès réalisés en métrologie, l’observation visuelle demeure, dans les conditions de terrain, la seule technique praticable d’enregistrement systématique des postures, même si la précision des mesures reste faible. Malgré cela, les observations posturales peuvent être une source d’information précieuse sur le travail en général.

Voici un inventaire non exhaustif des principales méthodes et techniques de mesures existantes:

  1. Questionnaires et journaux de bord remplis ou tenus par le sujet. Ces questionnaires et ces journaux de bord constituent un moyen économique pour recueillir des informations sur les postures. Les informations fournies par le sujet, d’après sa propre perception des choses, sont généralement très éloignées des postures observées «objectivement», mais elles peuvent néanmoins apporter des renseignements précieux sur le caractère fastidieux du travail, par exemple.
  2. Observation des postures. Cette technique comprend l’enregistrement purement visuel des postures et de leurs composantes, ainsi qu’un entretien, dont les modalités sont définies, pour compléter les données essentielles. Ces méthodes font généralement appel à l’informatique et il en existe un bon nombre. Certaines sont basées sur un catalogue d’actions, parmi lesquelles on note les postures du tronc et des membres (Keyserling, 1986; van der Beek, van Gaalen et Frings-Dresen, 1992). La méthode OWAS propose un schéma structuré pour l’analyse, le classement et l’évaluation des postures du tronc et des membres, conçu pour les conditions de terrain (Karhu, Kansi et Kuorinka, 1977). La méthode d’enregistrement et d’analyse peut inclure des schémas de notation dont certains sont assez détaillés (c’est le cas de la méthode d’analyse des postures de Corlett et Bishop, 1976); ils permettent de noter la position de nombreux éléments anatomiques pour chaque composante de la tâche (Drury, 1987).
  3. Analyses posturales assistées par ordinateur. L’informatique a facilité les analyses posturales de bien des façons. A l’aide d’un ordinateur portable et de logiciels spécialisés, il est aisé de saisir et d’analyser rapidement des postures. Persson et Kilbom (1983) ont élaboré le programme VIRA pour l’étude des membres supérieurs; Kerguelen (1986) a réalisé un progiciel complet d’enregistrement et d’analyse des tâches; Kivi et Mattila (1991), quant à eux, ont conçu une version informatisée d’enregistrement et d’analyse des postures selon la méthode OWAS.
D’une manière générale, les techniques vidéo font partie intégrante du processus d’enregistrement et d’analyse; aux Etats-Unis, l’Institut national de la sécurité et de la santé au travail (National Institute for Occupational Safety and Health (NIOSH)) a publié des recommandations pour leur utilisation aux fins de l’analyse des risques (NIOSH, 1990).

Les logiciels biomécaniques et anthropométriques sont des outils spécialisés qui permettent d’analyser certains éléments posturaux pendant l’activité de travail et en laboratoire (Chaffin, 1969).

Les facteurs déterminants des postures de travail

Les postures de travail sont imposées par les tâches à exécuter, c’est-à-dire par des facteurs extérieurs. Les analyses posturales qui ne tiennent pas compte du milieu de travail et de la tâche proprement dite ne présentent qu’un intérêt limité pour les ergonomes.

Les postures sont dictées, dans une large mesure, par les caractéristiques dimensionnelles du poste de travail (dans le cas d’une tâche exécutée en position assise, par exemple, mais aussi dans celui d’une tâche dynamique — manutention dans un espace restreint, etc.), ainsi que par les objets à manipuler et par le poids et la forme des outils utilisés. Certaines tâches exigent la mise à contribution du poids du corps pour soutenir un outil ou pour exercer une force (voir figure 29.14).

Figure 29.14 Aspects ergonomiques de l'orthostatisme

Figure 29.14

Les différences interindividuelles, l’âge et le sexe influent sur les postures. On a constaté, par exemple, qu’il n’existe pas de posture idéale ou optimale dans la manutention manuelle. Chaque individu dispose, dans chaque situation, d’un certain nombre de postures optimales, selon les critères utilisés.

Les dispositifs auxiliaires

On a préconisé le port de ceintures, de supports lombaires, de lombostats (corsets rigides) ou d’orthèses pour les tâches présentant un risque de lombalgie ou de troubles musculo-squelettiques des membres supérieurs. Ces dispositifs, dit-on, soutiennent les muscles en limitant, par exemple, la pression intra-abdominale ou les mouvements des mains, ou encore restreignent l’amplitude des mouvements du coude, du poignet et des doigts. Toutefois, rien ne permet d’affirmer que ces dispositifs permettent de prévenir les troubles musculo-squelettiques.

En revanche, les appuis prévus au poste de travail ou sur les machines — poignées, coussinets de soutien pour les genoux, appuis pour la position assise, etc. — peuvent contribuer à atténuer les charges et les douleurs posturales.

Les réglementations concernant les postures

Les postures et les éléments posturaux n’ont fait l’objet d’aucune réglementation spécifique. Toutefois, plusieurs documents font référence aux postures ou abordent la question dans le cadre de la réglementation. Il n’existe pas de tableau complet des textes réglementaires pertinents, mais les exemples ci-après sont susceptibles de présenter un certain intérêt.

  1. En 1967, l’Organisation internationale du Travail a adopté une recommandation (no 128) sur le poids maximum (des charges dans les transports manuels). Bien qu’elle ne traite pas des éléments posturaux en tant que tels, cette recommandation n’en a pas moins une incidence directe sur l’astreinte posturale. Bien que dépassée de nos jours, elle a eu le mérite d’attirer l’attention sur les problèmes de manutention sans moyens mécaniques.
  2. Les directives sur le levage des charges à bras, adoptées par le NIOSH en 1981, ne constituent pas une réglementation à proprement parler, mais jouent un rôle similaire. Elles établissent des limites de poids en fonction de l’emplacement et de l’éloignement de la charge par rapport au corps.
  3. L’Organisation internationale de normalisation et la Communauté européenne ont élaboré des normes et des directives d’ergonomie dont certaines dispositions ont trait à la posture (CEN, 1990, 1991).

LA BIOMÉCANIQUE

Frank Darby

Objectifs et principes

La biomécanique est une discipline qui étudie le corps et ses diverses parties envisagés comme un ensemble de structures mécaniques. Dans cette perspective, on peut établir les analogies suivantes:

La biomécanique a pour principal objet d’étudier comment l’organisme génère forces et mouvements. Elle emprunte essentiellement à l’anatomie, aux mathématiques et à la physique, mais aussi, indirectement, à l’anthropométrie (étude des mensurations des diverses parties du corps), à la physiologie du travail et à la kinésiologie (étude des principes de mécanique et d’anatomie en relation avec les mouvements humains).

Dans une perspective de santé au travail, la biomécanique permet de mieux comprendre pourquoi certaines tâches occasionnent des lésions et des atteintes à la santé: élongations, problèmes articulaires, dorsalgies et fatigue.

Les accidents dorsalgiques (étirements musculaires ou tours de reins) et d’autres troubles plus graves impliquant les disques intervertébraux sont des exemples courants de lésions qui peuvent être évitées. De telles lésions surviennent souvent à la suite d’une brusque surcharge, mais peuvent aussi résulter de sollicitations excessives exercées plusieurs années durant. Le «doigt de la couturière» est un exemple de déformation qui apparaît au bout de plusieurs années. Un rapport décrit le cas d’une femme qui, après avoir travaillé 28 ans dans une usine de confection et avoir fait aussi de la couture pendant ses loisirs, a développé un épaississement et un durcissement de la peau au niveau des mains et ne pouvait plus plier les doigts (Poole, 1993); elle présentait, plus précisément, un flessum de l’index droit, des nodosités d’Heberden proéminentes sur l’index et le pouce droits et une callosité proéminente sur le majeur droit due au frottement des ciseaux. Les radiographies de la main ont mis en évidence plusieurs altérations dégénératives des articulations distales de l’index et du majeur droits avec une perte de l’interligne articulaire, une sclérose articulaire (durcissement des tissus), des ostéophytes (dépôts osseux au niveau de l’articulation) et des kystes osseux.

L’analyse du travail a montré que ces problèmes étaient dus à l’extension répétée des extrémités des doigts. La surcharge mécanique et la diminution de la perfusion sanguine (doigts blancs) étaient les plus marquées à l’endroit de ces articulations. Ces troubles s’étaient développés par suite d’efforts musculaires répétés sur un site autre que le muscle.

La biomécanique propose des moyens pour mieux concevoir ou aménager les tâches afin d’éviter ces types de lésions. La solution aux problèmes évoqués ci-dessus consiste à mettre au point de nouveaux ciseaux et à modifier les tâches pour éviter que la couturière ait à faire ce type de mouvements.

Il existe deux principes importants en biomécanique:

  1. Les muscles fonctionnent par paires. Comme ils ne peuvent que se contracter, il existe, à chaque articulation, un muscle (ou un groupe de muscles) agoniste qui permet le mouvement dans un sens et un muscle (ou un groupe de muscles) antagoniste qui permet le mouvement dans le sens opposé (pour une illustration du propos dans le cas de l’articulation du coude, voir figure 29.15).
  2. Figure 29.15 Les muscles du squelette travaillent en paires pour amorcer ou inverser un mouvement

    Figure 29.15

  3. Les muscles se contractent plus facilement lorsque le couple musculaire est relâché et que les deux muscles sont en équilibre. Cet équilibre est atteint à mi-chemin du mouvement articulaire. Il y a deux raisons à cela: premièrement, un muscle raccourci qui se contracte étire le muscle opposé. Etant donné que ce dernier est déjà étiré, il exercera une force élastique antagoniste que le muscle en contraction va devoir surmonter. La figure 29.16 illustre la façon dont la force varie en fonction de la longueur du muscle.

Figure 29.16 Variation de la tension musculaire en fonction de la longueur du muscle

Figure 29.16

Deuxièmement, si le muscle entreprend de se contracter en un point autre que le milieu de la course du membre considéré autour de l’articulation, cela se fera avec un handicap mécanique. La figure 29.17 illustre la modification de la longueur du bras de levier au droit du coude pour trois positions différentes de l’avant-bras.

Figure 29.17 Positions de l'avant-bras et bras de levier correspondants

Figure 29.17

De ces principes découle un critère important en matière de conception du travail: celui-ci doit être agencé de manière que les couples musculaires de chaque articulation soient en position d’équilibre. Pour la plupart des articulations, cela signifie que la position de l’articulation doit être proche de celle qui correspond au milieu de sa plage de mouvement.

Il faut aussi que la tension du muscle soit minimale pendant l’exécution d’une tâche: le syndrome d’hypersollicitation (qualifié aussi de lésions par efforts répétés ou RSI (repetitive strain injury)), qui affecte les muscles de la partie supérieure de l’avant-bras chez les personnes travaillant avec le poignet le plus souvent en extension, résulte de la non-observation de cette règle. Cette position adoptée par l’opérateur est due souvent à une mauvaise conception du clavier ou du poste de travail.

Les applications

Les exemples ci-après illustrent quelques applications de la biomécanique.

Le diamètre optimal des manches et poignées d’outils

Le diamètre du manche d’un outil affecte la force que les muscles de la main peuvent appliquer à cet outil. Les recherches ont montré que le diamètre optimal du manche dépend de l’utilisation qui est faite de l’outil. Le meilleur diamètre pour exercer une poussée dans l’axe du manche est un diamètre qui permet un léger chevauchement du pouce et des doigts, soit environ 40 mm. Pour exercer un couple de torsion, le diamètre optimal est d’environ de 50 à 65 mm. Malheureusement, les diamètres de la plupart des manches sont plus petits, dans un cas comme dans l’autre.

L’utilisation des pinces

Les pinces peuvent être assimilées à un outil à deux manches; la force exercée dépend ici de l’espace D entre les branches (voir figure 29.18).

Figure 29.18 Positions de l'avant-bras et bras de levier correspondants

Figure 29.18

La posture assise

L’électromyographie permet de mesurer la tension musculaire. Dans une étude portant sur la tension des muscles extenseurs du dos (erector spinae) chez des sujets assis, on a constaté que, en inclinant le dos vers l’arrière en déplaçant le dossier du siège, on réduisait la tension au niveau de ces muscles. Dans cette position, en effet, le dossier absorbe une plus grande part du poids de la partie supérieure du corps.

Les images radiographiques de sujets en différentes postures ont montré que la position d’équilibre des muscles qui commandent l’ouverture et la fermeture de l’articulation de la hanche correspond à un angle d’environ 135°. Cette position est très proche de la position (128°) adoptée naturellement en apesanteur (dans l’espace). Dans la position assise, avec un angle de 90° au niveau de la hanche, les muscles ischio-jambiers qui recouvrent à la fois les articulations du genou et de la hanche tendent à redresser le sacrum (la partie de la colonne vertébrale soudée au bassin) et à effacer la lordose (courbure) naturelle de la colonne lombaire. Les chaises devraient avoir des dossiers propres à contrebalancer cet effort.

Le vissage

On peut se demander pourquoi l’on visse dans le sens des aiguilles d’une montre. C’est sans doute parce que l’on s’est aperçu que les muscles qui commandent la rotation du bras droit dans le sens des aiguilles d’une montre (la plupart des individus sont droitiers) sont plus gros, et donc plus puissants, que les muscles qui le font tourner dans le sens inverse.

Les gauchers sont donc désavantagés lorsqu’ils doivent enfoncer des vis à la main. Comme ils représentent environ 9% de la population, des outils spéciaux devraient être mis à leur disposition (ciseaux, ouvre-boîtes, etc.).

Une étude réalisée auprès d’utilisateurs de tournevis pour des travaux d’assemblage a révélé une association plus subtile entre mouvements et effets sur la santé. On a constaté que plus l’angle du coude est ouvert pendant l’opération (plus le bras est droit), plus les sujets souffrent d’inflammation au niveau de cette articulation. La raison en est que le muscle qui permet la rotation de l’avant-bras (le biceps) tire également la tête du radius (os de l’avant-bras) sur le condyle (tête ronde) de l’humérus (os du bras).

L’augmentation de la force pour un plus grand angle du coude augmente la friction à ce niveau, causant un échauffement de l’articulation et son inflammation. Plus le bras est tendu, plus le muscle doit exercer de force pour visser. La solution consiste donc à rapprocher le plan de travail afin de ramener l’angle du coude à 90° environ.

Ces quelques exemples montrent qu’il est indispensable d’avoir une bonne compréhension de l’anatomie humaine pour appliquer les principes de la biomécanique en milieu de travail. Les concepteurs devraient consulter des experts en anatomie fonctionnelle pour anticiper les problèmes évoqués (l’ouvrage The Pocket Ergonomist (Brown et Mitchell, 1986), basé sur la recherche électromyographique propose plusieurs moyens pour réduire l’inconfort au travail).

La manutention manuelle

La manutention manuelle inclut les activités qui consistent, sans recourir à des moyens mécaniques, à soulever, abaisser, pousser, tirer, porter, déplacer, maintenir et retenir une charge pesante; elle englobe donc une part importante des tâches qu’un travailleur est appelé à accomplir.

La biomécanique, de toute évidence, intervient directement dans l’étude de la manutention manuelle, car les muscles doivent effectuer des mouvements et déployer des efforts pour accomplir ces tâches. Il s’agit dès lors de se demander quelle est la charge de travail physique qu’un individu peut raisonnablement assumer. La réponse dépend des circonstances; il faut se poser trois questions qui, toutes, ont une réponse basée sur des critères scientifiques:

  1. Quelle charge peut-on manipuler sans risque pour l’organisme (risque au sens, notamment, de fatigue musculaire, de lésions discales ou de troubles articulaires)? C’est le critère biomécanique.
  2. Quelle charge peut-on soulever ou déplacer sans sollicitation excessive de l’appareil respiratoire (sans essoufflement)? C’est le critère physiologique.
  3. Dans quelle mesure les individus sont-ils capables d’effectuer confortablement des travaux de manutention? C’est le critère psychophysique.

Ces critères doivent être pris en compte tous les trois, car les travaux de manutention peuvent induire des réactions totalement différentes. Si ce type de travail s’étend sur toute une journée, il convient de se demander ce que l’individu pense de la tâche (critère psychophysique). Si la force à déployer est importante, il faut s’assurer que les muscles et les articulations ne seront pas sollicités au point d’entraîner l’apparition de lésions (critère biomécanique). Si, enfin, le rythme de travail est trop rapide, le seuil physiologique, en l’occurrence la capacité aérobie de l’individu, pourra être dépassé.

Plusieurs facteurs déterminent l’importance de l’astreinte dans les manutentions à bras; tous peuvent faire l’objet de mesures de prévention.

Les gestes et les postures

Si le sujet doit effectuer des rotations ou des flexions du tronc tout en portant une charge, il court un risque de lésion plus important; son poste de travail pourra souvent être réaménagé en conséquence. Il y a davantage d’accidents dorsalgiques quand on soulève une charge à partir du sol que lorsqu’on la déplace du niveau de la cuisse; cette constatation suggère des mesures de prévention très simples (cela s’applique aussi quand il s’agit de hisser une charge au-dessus des épaules).

La charge. Le poids de la charge et sa position peuvent avoir une incidence sur la manutention, de même que d’autres facteurs comme sa forme, sa stabilité, son volume et sa facilité de préhension.

L’organisation et l’environnement. La manière dont le travail est organisé, à la fois matériellement et dans le temps, joue également un rôle. Ainsi, il vaut mieux confier à plusieurs employés le soin de décharger un camion pendant une heure que demander à une seule personne d’effectuer ce travail pendant toute une journée. Les conditions matérielles ont elles aussi une incidence: un mauvais éclairage, des sols encombrés ou irréguliers et des locaux mal entretenus peuvent causer des chutes ou faire trébucher.

Les facteurs individuels. L’habileté d’une personne, son âge et ses vêtements peuvent également avoir une influence sur les conditions de manutention. Il faut donner au travailleur la formation et le temps nécessaires pour qu’il acquière les connaissances et les capacités physiques requises. Le risque est plus élevé chez les sujets jeunes; les sujets plus âgés, en revanche, ont moins de force et une capacité physiologique moindre. Le port de vêtements étroitement ajustés peut nécessiter une force musculaire plus importante; c’est le cas par exemple des personnels infirmiers qui portent une blouse trop serrée ou celui des personnes qui doivent effectuer un travail avec les mains au-dessus de la tête avec une combinaison de travail trop ajustée.

Les limites de poids recommandées

On voit, d’après ce qui précède, qu’il n’est pas possible de fixer une limite de poids valable partout et en toutes circonstances. Les limites existantes varient de manière arbitraire d’un pays à l’autre. Ainsi, en Inde, les dockers sont autorisés à soulever 110 kg, alors que leurs homologues de l’ancienne République démocratique allemande ne devaient pas porter plus de 32 kg. Les poids maximaux ont également tendance à être trop élevés. La limite de 55 kg recommandée par plusieurs pays est maintenant considérée comme trop élevée si l’on se réfère aux études scientifiques plus récentes. Aux Etats-Unis, en 1991, le NIOSH a fixé le poids maximal à 23 kg (Waters et coll., 1993).

Chaque tâche de levage constitue un cas particulier. L’équation proposée par le NIOSH pour fixer le poids limite d’une charge soulevée sans recourir à des moyens mécaniques peut servir de référence utile:

RWL = LC × HM × VM × DM × AM × CM × FM

RWL = limite de poids recommandée;

LC = constante de charge (23 kg);

HM = distance horizontale du centre de gravité de la charge à la verticale équidistante des deux chevilles (minimum 15 cm, maximum 80 cm);

VM = distance verticale entre le centre de gravité de la charge et le sol au début du levage (maximum 175 cm);

DM = déplacement vertical de la charge (minimum 25 cm, maximum 200 cm);

AM = facteur d’asymétrie — angle horizontal sous lequel la charge se présente par rapport au corps;

CM = coefficient de qualité des prises (il est donné par une table de référence);

FM = fréquence des mouvements de levage (par minute).

Toutes les distances figurant dans l’équation sont exprimées en centimètres. Le poids maximal pouvant être soulevé est de 23 kg. Fixé à l’origine à 40 kg, il a été abaissé après que de nombreuses observations eurent permis de constater que la distance moyenne entre le corps et la charge, au début du levage, était de 25 cm et non pas de 15 cm comme le supposait la première version de l’équation (NIOSH, 1981).

L’indice de levage. En comparant le poids à lever au poids limite RWL, un indice de levage (LI) peut être défini par la relation: LI = (poids à lever)/RWL.

L’équation du NIOSH offre l’avantage de pouvoir classer les opérations de levage à bras selon leur niveau de risque, en utilisant l’indice de levage pour établir les priorités d’action (l’équation comporte toutefois certaines limites qu’il importe de connaître pour l’appliquer de manière efficace; voir Waters et coll., 1993).

L’estimation de la compression discale

Il existe un logiciel grâce auquel on peut estimer la compression discale consécutive à une tâche de manutention: ce sont les logiciels 2D et 3D Static Strength Prediction de l’Université du Michigan qui font appel aux données suivantes:

A la différence du programme en deux dimensions, le logiciel 3D permet d’effectuer les calculs en trois dimensions. Le résultat obtenu définit la compression discale et indique le pourcentage de la population qui pourrait effectuer la tâche considérée sans dépasser les limites recommandées pour six articulations: cheville, genou, hanche, articulation sacro-lombaire, épaule et coude. Ce programme présente lui aussi certaines limites qu’il est nécessaire de bien comprendre pour en tirer pleinement parti.

LA FATIGUE GÉNÉRALE

Etienne Grandjean†*

* Adapté de la 3e édition de l'Encyclopedia of Occupational Health and Safety.

Chacun connaît, par expérience personnelle, les deux concepts de fatigue et de repos. Le terme «fatigue» désigne un ensemble de conditions très différentes, qui provoquent toutes une réduction de la capacité de travail et une résistance au travail. Les diverses utilisations du concept de fatigue ont entraîné une grande confusion, et quelques mises au point s’imposent. Pendant longtemps, la physiologie a fait la différence entre la fatigue musculaire et la fatigue générale. La fatigue musculaire est un phénomène douloureux aigu localisé dans les muscles; la fatigue générale est caractérisée par une diminution de la disposition au travail ou de la volonté de travailler. Le présent article concerne uniquement la fatigue générale, appelée aussi fatigue psychique ou fatigue nerveuse, et les soins qu’elle nécessite.

La fatigue générale peut avoir différentes causes, dont les principales sont indiquées dans la figure 29.19. Tout se passe comme si, durant la journée, toutes les contraintes ressenties s’accumulaient au sein de l’organisme pour produire graduellement une sensation de fatigue croissante. Cette sensation incite à vouloir arrêter de travailler; c’est le prélude physiologique au sommeil.

Figure 29.19 Représentation schématique des systèmes d'inhibition et d'activation

Figure 29.19

La fatigue est une sensation salutaire pour celui qui peut se reposer. Toutefois, pour celui qui n’en tient pas compte et s’efforce de continuer à travailler, la sensation de fatigue augmente jusqu’à devenir pénible, puis accablante. L’expérience quotidienne illustre bien l’importance biologique de la fatigue dans notre vie, à l’instar d’autres sensations comme la soif, la faim, la peur, etc.

Le repos est représenté à la figure 29.19 sous la forme d’un fût qui se vide. On peut en bénéficier normalement si l’organisme n’est pas perturbé ou si aucune partie essentielle de l’organisme n’est soumise au stress. Cela explique le rôle décisif que jouent les pauses ménagées dans une journée de travail, allant des arrêts de courte durée pendant le travail au sommeil nocturne. La comparaison avec le croquis montre à quel point il est nécessaire, pour préserver une vie normale, de maintenir un certain équilibre entre la charge totale imposée à l’organisme et la somme des possibilités de repos et donc de récupération.

L’interprétation neurophysiologique de la fatigue

Les progrès de la neurophysiologie au cours des dernières décennies ont permis de mieux comprendre les phénomènes déclenchés par la fatigue dans le système nerveux central.

Le physiologiste Hess a été le premier à observer que la stimulation électrique de certaines structures diencéphaliques et, plus particulièrement, de celles du noyau médian dorsal du thalamus, produisait graduellement un effet inhibiteur qui se traduisait par une détérioration de la réactivité et une tendance à l’assoupissement. Lorsque la stimulation durait un certain temps, la relaxation générale était suivie par une envie de dormir, puis finalement par le sommeil. Il a été confirmé ultérieurement que, partant de ces structures, une inhibition active pouvait s’étendre au cortex cérébral, où sont localisés tous les phénomènes conscients, ce qui inhibe non seulement le comportement, mais aussi l’activité électrique du cortex cérébral. D’autres chercheurs ont pu déclencher également des inhibitions à partir d’autres régions sous-corticales.

On peut en conclure que certaines structures situées dans le diencéphale et le mésencéphale constituent un véritable système inhibiteur et déclenchent la fatigue et les divers phénomènes qui lui sont associés.

L’inhibition et l’activation

Il résulte de nombreuses études réalisées sur des animaux et des humains que la réactivité dépend non seulement de ce système d’inhibition, mais également d’un système fonctionnant de manière antagoniste, connu sous le nom de système réticulaire ascendant d’activation. On sait que la formation réticulaire contient des structures qui contrôlent le degré de vigilance et, partant, la réactivité. Des voies nerveuses relient ces structures au cortex cérébral, où l’activation s’exerce sur les fonctions de la conscience. En outre, le système d’activation reçoit des stimulations à partir des organes sensoriels. D’autres liaisons nerveuses transmettent des impulsions au système d’activation depuis les zones de perception et de pensée du cortex cérébral. En se basant sur ces concepts neurophysiologiques, on peut considérer que des stimuli externes ainsi que des stimulations provenant de la sphère de la conscience pourraient, par le canal d’activation, influencer la réactivité.

Par ailleurs, de nombreux travaux permettent de conclure que la stimulation du système d’activation s’étend aux centres végétatifs et pousse l’organisme à s’orienter vers une dépense d’énergie ou vers le travail, la lutte, la fuite, etc. (conversion ergotrope des organes internes). A l’inverse, il semble qu’une stimulation du système inhibiteur au niveau du système neurovégétatif incite l’organisme à s’orienter vers le repos, la reconstitution de ses réserves d’énergie, les phénomènes d’assimilation (conversion trophotrope).

La synthèse de ces connaissances neurophysiologiques conduit à la conception suivante de la fatigue: l’état et la sensation de fatigue sont conditionnés par l’état de réactivité de la conscience dans le cortex cérébral qui est, à son tour, gouverné par deux systèmes antagonistes — le système inhibiteur et le système d’activation. Ainsi, l’humeur, ou plus précisément la disposition de l’être humain au travail, dépend à chaque instant du degré d’activation des deux systèmes: si le système inhibiteur domine, l’organisme se trouvera dans un état de fatigue; si c’est le système d’activation, l’organisme aura besoin d’activité.

Cette conception psychophysiologique de la fatigue permet de mieux comprendre certains de ses aspects, parfois difficiles à expliquer. Ainsi, une sensation de fatigue peut disparaître brusquement sous le coup d’un événement extérieur inattendu ou de pensées déclenchant une tension émotionnelle. Il est évident, dans les deux cas, que le système d’activation a été stimulé. A l’inverse, si l’environnement est monotone ou si le travail paraît ennuyeux, le système d’activation fonctionnera au ralenti, laissant le système inhibiteur prendre le dessus. La fatigue peut alors s’installer sans qu’aucune charge de travail ne soit présente.

La figure 29.20 schématise cette notion de systèmes antagonistes d’inhibition et d’activation.

Figure 29.20 Représentation schématique des systèmes d'inhibition et d'activation

Figure 29.20

La fatigue clinique

On sait par expérience que la fatigue qui s’accumule jour après jour entraîne progressivement un état de fatigue chronique. La sensation de fatigue s’intensifie et apparaît non seulement le soir, après le travail, mais au cours de la journée déjà, quelquefois même avant que le travail ne commence. Cet état s’accompagne d’un sentiment de malaise, de nature souvent émotive. Les personnes souffrant de fatigue manifestent fréquemment les symptômes suivants: émotivité psychique accrue (comportement asocial, incompatibilité d’humeur), tendance à la dépression (soucis non motivés) et manque d’énergie, avec perte d’initiative. Ces effets psychiques vont souvent de pair avec des malaises non spécifiques se manifestant sous la forme de symptômes psychosomatiques: céphalées, vertiges, troubles fonctionnels cardiaques et respiratoires, manque d’appétit, troubles digestifs, insomnie, etc.

Les symptômes pathologiques qui accompagnent la fatigue chronique justifient qu’on la qualifie de fatigue clinique. On constate, chez les sujets souffrant de ce type de fatigue, une tendance à un absentéisme accru, notamment de courte durée. Ce phénomène semble être imputable autant au besoin de repos qu’à une morbidité plus élevée. L’état de fatigue chronique se manifeste plus particulièrement chez les personnes exposées à des conflits ou connaissant des problèmes psychiques. Il est quelquefois très difficile de faire la différence entre les causes endogènes et exogènes. En fait, il est presque impossible de distinguer les causes de la fatigue clinique de ses effets: une attitude négative à l’égard du travail, des supérieurs ou du poste de travail peut tout aussi bien être la cause que la conséquence d’une fatigue clinique.

Les recherches ont montré que les standardistes et les surveillants des services de télécommunications présentaient, après leur journée de travail, une augmentation significative des signes physiologiques de fatigue (temps de réaction visuelle, fréquence critique de fusion, tests de dextérité). Les examens médicaux ont mis en évidence, dans ces deux groupes, une augmentation significative des états névrotiques, de l’irritabilité, des difficultés d’endormissement et du sentiment de lassitude, par rapport à un groupe comparable d’employés des services techniques des PTT. L’accumulation de symptômes n’était pas toujours le résultat d’une attitude négative à l’égard du métier exercé ou des conditions de travail.

Les mesures de prévention

Il n’existe pas de panacée au problème de la fatigue, mais l’on peut certainement l’alléger en tenant compte globalement des conditions et de l’environnement du poste de travail. Des améliorations peuvent être apportées, par exemple en aménageant les horaires de travail, en accordant des périodes de repos adéquates et en offrant des services de restauration appropriés; les travailleurs devraient également bénéficier de congés payés suffisants. L’étude ergonomique peut également contribuer à réduire la fatigue en s’assurant que les sièges, les tables et les établis sont à la bonne dimension et que le rythme de travail est satisfaisant. En outre, la lutte contre les nuisances sonores, la climatisation, le chauffage, la ventilation et l’éclairage des locaux peuvent avoir un effet bénéfique en retardant l’apparition de la fatigue.

La monotonie et le stress peuvent également être évités par une utilisation judicieuse des couleurs et de la décoration dans les locaux, par des intermèdes musicaux ou, dans le cas de travailleurs sédentaires, par des pauses de gymnastique. La formation des travailleurs, en particulier du personnel d’encadrement, joue aussi un rôle important.

LA FATIGUE ET LA RÉCUPÉRATION

Rolf Helbig et Walter Rohmert

Fatigue et récupération sont des processus périodiques dans tout organisme vivant. On peut dire de la fatigue qu’il s’agit d’un état caractérisé par un sentiment de lassitude associé à une réduction ou à une modification involontaire de la performance (Rohmert, 1973).

La fatigue consécutive à l’exercice d’une activité ne touche pas toutes les fonctions de l’organisme humain. Même endormis, par exemple, nous respirons, et notre cœur travaille sans interruption. De toute évidence, les fonctions de base que sont la respiration et l’activité cardiaque se poursuivent, la vie durant, sans fatigue ni pause de récupération.

D’un autre côté, nous observons, après un travail intense prolongé, une baisse de rendement que nous appelons fatigue. Cette fatigue ne touche pas uniquement l’activité musculaire, mais aussi les organes sensoriels et les centres nerveux. Il appartient à chaque cellule de compenser la baisse de son rendement par un processus appelé récupération.

La contrainte, l’astreinte, la fatigue et la récupération

Les  concepts  de  fatigue  et  de  récupération  en  rapport  avec l’activité professionnelle sont étroitement liés aux concepts ergonomiques  de  contrainte  et  d’astreinte  (Rohmert,  1984)  (voir figure 29.21).

Figure 29.21 Contrainte, astreinte et fatigue

Figure 29.21

La contrainte est la somme de tous les paramètres du milieu de travail qui exercent une action sur le travailleur; ils peuvent être perçus ou ressentis principalement par le système récepteur, ou solliciter le système effecteur. Les paramètres de contrainte sont associés à la tâche (travail musculaire, travail non musculaire — dimensions et facteurs orientés vers la tâche) et à des conditions physiques, chimiques et sociales liées au travail (bruit, climat, éclairage, vibrations, travail posté, etc. — dimensions et facteurs orientés vers le milieu).

La pénibilité, la durée et la composition de ces différents paramètres (c’est-à-dire la distribution simultanée ou successive d’exigences particulières) se traduisent par un stress complexe exercé sur l’individu par l’ensemble des effets nocifs du milieu de travail. Selon son comportement, le sujet pourra soit réagir activement à ce stress complexe, soit le subir passivement. Les personnes «actives» auront des réactions orientées vers une bonne performance, alors que les personnes «passives» auront des réactions (volontaires ou non) visant essentiellement à minimiser le degré de stress. Le rapport entre stress et activité dépend très étroitement des caractéristiques de l’individu et de ses besoins. Les principaux facteurs en jeu sont ceux qui déterminent la performance (et qui sont liés à la motivation et à la concentration) et ceux qui sont liés aux dispositions (aptitudes et qualifications).

Les contraintes liées au comportement, qui sont manifestes dans certaines activités, provoquent des astreintes variables selon les individus. Les astreintes correspondantes sont objectivées par des indicateurs physiologiques ou biochimiques (augmentation de la fréquence cardiaque, par exemple) ou par des indicateurs de perception, ce qui permet de classer ces astreintes sur une échelle psychophysique en fonction de la manière dont elles sont évaluées par le sujet. Une analyse de l’activité, dans une approche com-portementale, peut également révéler l’existence d’une astreinte. L’intensité des indicateurs d’astreinte (d’ordre physiologique, biochimique, comportemental ou psychophysique) dépend de l’intensité, de la durée et de la combinaison des facteurs de contrainte, ainsi que des caractéristiques du sujet, de ses capacités, de ses compétences et des besoins qui lui sont propres.

Même si les contraintes demeurent inchangées, les indicateurs qui caractérisent l’activité exercée, la performance et l’astreinte pourront varier dans le temps. Ces variations temporelles doivent être interprétées comme des processus d’adaptation des systèmes organiques. Les effets positifs entraînent une réduction de l’astreinte et une amélioration de l’activité ou de la performance (grâce à la formation reçue, par exemple), alors que dans le cas d’effets négatifs, on observe une augmentation de l’astreinte et une chute de l’activité ou de la performance (lassitude, monotonie, etc.).

Les effets positifs peuvent être déclenchés lorsque les capacités et les aptitudes sont améliorées dans le processus d’activité, par exemple lorsque le seuil de stimulation est légèrement dépassé à la suite d’une formation. Les effets négatifs apparaissent lorsque les limites d’endurance (Rohmert, 1984) sont dépassées. Cette fatigue entraîne une fragilisation physiologique et psychologique qui peut être compensée par la récupération.

Des périodes de repos, ou du moins des périodes de travail comportant moins de contraintes, sont nécessaires pour retrouver le niveau de performance initial (Luczak, 1993).

Lorsque le processus d’adaptation franchit un certain seuil, le système organique impliqué peut être atteint, ce qui se traduit par une détérioration partielle ou totale de ses fonctions. Si la contrainte est trop importante (lésion aiguë) ou si la récupération s’avère impossible sur une longue période (lésion chronique), la dégradation de ces fonctions peut être irréversible. Le déficit auditif dû au bruit est un exemple typique de ce deuxième type de lésion.

Les modèles de fatigue

La fatigue revêt de multiples facettes en fonction de la forme et de la combinaison de l’astreinte et il n’est pas possible actuellement d’en donner une définition générale. Les processus biologiques qui conduisent à la fatigue n’étant généralement pas mesurables de manière directe, les définitions que l’on en donne concernent principalement les symptômes. Ceux-ci peuvent être divisés en trois catégories, à savoir:

  1. Symptômes physiologiques: la fatigue est interprétée comme un affaiblissement de certaines fonctions organiques, voire de l’ensemble de l’organisme. Elle déclenche des réactions physiologiques (augmentation de la fréquence cardiaque ou de l’activité électrique des muscles) (Laurig, 1970).
  2. Symptômes comportementaux: la fatigue est interprétée principalement comme une diminution des paramètres de performance (augmentation, par exemple, des erreurs lors de l’exécution de certaines tâches, ou rendement de plus en plus irrégulier).
  3. Symptômes psychophysiques: la fatigue s’exprime par un sentiment d’effort accru et une perte de sensibilité en relation avec l’intensité, la durée et la nature des contraintes.

Ces trois types de symptômes peuvent jouer un rôle concomitant dans le processus de fatigue, mais ils peuvent aussi apparaître à des instants différents.

Des réactions physiologiques au niveau des systèmes organiques, en particulier de ceux impliqués dans l’activité exercée, peuvent apparaître en premier lieu. Par la suite, c’est au niveau de la perception que l’effort se fait sentir. Les variations de performance se manifestent généralement par une diminution du rythme de travail ou une multiplication des erreurs, même si la performance moyenne demeure inchangée. A l’inverse, s’il est bien motivé, le travailleur peut essayer, par un effort de volonté, de maintenir le rendement. On pourra assister, dans la phase suivante, à une baisse prononcée du rendement se terminant par une perte totale de productivité. Les symptômes physiologiques qui accompagnent cette chute peuvent déboucher sur une désorganisation de la personnalité et un épuisement de l’organisme. Le mécanisme de la fatigue a donné lieu à la théorie de la «déstabilisation successive» (Luczak, 1983).

L’allure des mécanismes de fatigue et de récupération est illustrée, dans ses grandes lignes, à la figure 29.22.

Figure 29.22 Allure générale des mécanismes de fatigue et de récupération

Figure 29.22

Le pronostic en matière de fatigue et de récupération

L’ergonomie porte un intérêt tout particulier à la prévision de la fatigue en fonction de l’intensité, de la durée et de la composition des contraintes. Le tableau 29.2 mentionne différents échelons d’activité, les périodes correspondantes, ainsi que les motifs éventuels de fatigue et les possibilités de récupération.

Tableau 29.2 Fatigue et récupération en fonction de divers échelons d'activité

Echelons d’activité

Périodes

Causes de fatigue

Récupération par

Vie active

Décennies

Surmenage pendant des décennies

Départ à la retraite

Stades de la vie active

Années

Surmenage pendant des années

Vacances

Régime des postes de travail

Mois/semaines

Régime de travail posté peu satisfaisant

Fins de semaine, jours fériés

Un poste de travail

Une journée

Stress au-delà des limites d’endurance

Temps libre, périodes de repos

Tâches

Heures

Stress au-delà des limites d’endurance

Période de repos

Partie d’une tâche

Minutes

Stress au-delà des limites d’endurance

Modification des facteurs de stress

Dans l’analyse ergonomique des contraintes et de la fatigue, la journée de travail est la période de référence fondamentale pour la détermination du temps de récupération. L’analyse débutera par l’examen des facteurs de contrainte en fonction du temps (Laurig, 1992) (voir figure 29.23).

Figure 29.23 Profil de la contrainte en fonction du temps

Figure 29.23

Les facteurs de contrainte seront identifiés en étudiant le contenu spécifique de l’activité exercée et les conditions dans lesquelles elle se déroule. Ce contenu pourra être l’exercice d’une force (dans la manutention, par exemple), la coordination des fonctions motrices et sensorielles (travaux d’assemblage, conduite d’une grue), la saisie d’informations et leur conversion en réactions (activités de contrôle), la transformation d’informations d’entrée en informations de sortie (programmation, traduction) et la production d’informations (conception, résolution d’un problème). Les conditions de travail incluent les aspects physiques (environnement sonore, vibratoire, thermique), chimiques et sociaux (collègues, travail posté, etc.).

Dans les cas les plus simples, on observe une contrainte prédominante, les autres pouvant être négligées. Dans ces cas, et plus particulièrement lorsque les contraintes résultent d’un travail musculaire, il est souvent possible de calculer la durée des pauses nécessaires, car les principes de base sont connus.

Ainsi, dans un travail musculaire statique, cette durée dépend de l’intensité et de la durée de la contraction musculaire, selon la relation exponentielle de la formule ci-après:

Equation 29.1

dans laquelle

R.A. = pause en pourcentage de t

t = durée de la contraction en minutes

T = durée maximale possible de la contraction en minutes

f = force statique

F = force maximale

La relation entre la force exercée, le temps de maintien et la durée des pauses est illustrée par le diagramme de la figure 29.24.

Figure 29.24 Pauses (en %) pour différentes combinaisons de la force et du temps de
préhension ou de maintien

Figure 29.24

Il existe des relations analogues pour le travail musculaire dynamique lourd (Rohmert, 1962), le travail musculaire léger (Laurig, 1974) et différents types de travail musculaire rencontrés dans l’industrie (Schmidtke, 1971). Les relations relatives aux activités intellectuelles, comme le calcul (Schmidtke, 1965), sont beaucoup plus rares. Laurig (1981) et Luczak (1982) ont dressé un bilan des méthodes existantes pour déterminer la durée des pauses, principalement dans le cas d’utilisation d’un muscle isolé et d’activités non musculaires.

La situation est plus complexe en cas d’association de contraintes (voir figure 29.25) agissant simultanément (Laurig, 1992).

Figure 29.25 Action simultanée de deux facteurs de contrainte

Figure 29.25

L’association de deux contraintes peut entraîner différentes astreintes selon les lois qui régissent cette association. L’action simultanée de plusieurs contraintes peut soit n’entraîner aucune interaction entre elles, soit avoir un effet compensateur ou un effet cumulatif.

En l’absence d’interaction, les contraintes agissent sur les divers sous-systèmes de l’organisme. Chacun d’eux est capable de résister à l’astreinte sans que celle-ci ne soit distribuée dans un sous-système commun. L’astreinte globale dépendra de la contrainte la plus importante et les lois de superposition ne s’appliqueront donc pas.

Un effet compensateur se produit lorsque l’association des différentes contraintes entraîne une astreinte moins importante que celle résultant de chaque contrainte prise séparément. Ainsi, l’association d’un travail musculaire et du froid pourra réduire l’astreinte globale, car les températures peu élevées favorisent l’élimination par l’organisme de la chaleur générée par le travail musculaire.

On a affaire à un effet cumulatif lorsque plusieurs contraintes se superposent, c’est-à-dire doivent passer par un même «goulot» physiologique. L’association d’un travail musculaire sous contrainte thermique en est un bon exemple; ces deux facteurs affectent le système circulatoire et créent, dès lors, une astreinte cumulative.

Les effets éventuels d’une association entre le travail musculaire et les conditions physiques ont été décrits par Bruder (1993) (voir tableau 29.3).

Tableau 29.3 Association de deux facteurs de stress: effets sur l'astreinte

 

Froid

Vibrations

Eclairage

Bruit

Travail musculaire dynamique lourd

-

+

0

0

Travail musculaire actif peu intense

+

+

0

0

Travail musculaire statique

+

+

0

0

0 = pas d’interaction; + = effet cumulatif; – = effet compensateur.

Source: d’après Bruder, 1993.

Nos connaissances scientifiques sur l’association de plus de deux contraintes sont limitées, alors que cette situation se rencontre souvent dans la pratique. On peut en dire autant de la combinaison de facteurs de stress qui atteignent le travailleur les uns après les autres. Dans ce cas, le temps de récupération nécessaire se détermine, dans la pratique, en mesurant les paramètres physiologiques ou psychologiques et en les utilisant comme des valeurs complémentaires.

LES ASPECTS PSYCHOLOGIQUES

LA CHARGE DE TRAVAIL MENTALE

Winfried Hacker

Charge de travail mentale et charge de travail physique

La notion de charge de travail mentale (CTM) revêt une importance croissante, car les technologies modernes (automation, informatique) peuvent solliciter fortement les capacités mentales de l’individu, tant dans le domaine de la production que dans celui de la gestion et de l’administration. La conceptualisation de la charge de travail mentale a pris une importance plus grande que dans le cas de la charge traditionnelle de travail physique, surtout dans le domaine de l’analyse du travail, de la conception des situations de travail et de l’évaluation de leurs exigences.

Les définitions de la charge de travail mentale

Il n’y a pas de définition généralement admise de la charge de travail mental, car il existe au moins deux approches et définitions parfaitement fondées sur le plan théorique: d’une part, la CTM considérée en termes d’exigences de la tâche, c’est-à-dire comme une variable indépendante externe à laquelle les travailleurs doivent faire face avec plus ou moins d’efficacité; d’autre part, la CTM définie en considérant l’interaction entre les exigences de la tâche et les capacités ou ressources de l’individu (Hancock et Chignell, 1986; Welford, 1978; Wieland-Eckelmann, 1992).

Bien  qu’issues  de  contextes  différents,  ces  deux  approches offrent une contribution nécessaire et parfaitement fondée pour la solution de différents problèmes.

L’approche fondée sur l’interaction entre exigences et ressources a été élaborée dans le contexte des théories de l’adaptation ou de l’inadaptation de la personnalité à l’environnement; celles-ci tentent d’expliquer pourquoi les réactions à des situations matérielles et psychosociales diffèrent d’un individu à l’autre. Cette approche peut permettre d’expliquer les différences interindividuelles dans les schémas de réactions subjectives aux exigences et conditions de charge: fatigue, monotonie, aversion affective, épuisement ou maladie (Gopher et Donchin, 1986; Hancock et Meshkati, 1988).

L’approche reposant sur les exigences des tâches a été élaborée par des psychologues du travail et des ergonomes, c’est-à-dire par des personnes qui s’occupent essentiellement de la conception des tâches, plus particulièrement de tâches nouvelles et futures (conception prospective). Cette démarche est fondée sur les notions de contrainte et d’astreinte. Les exigences des tâches constituent les contraintes auxquelles les travailleurs tentent de s’adapter ou de faire face comme ils le feraient pour d’autres formes de stress (Hancock et Chignell, 1986). Dans cette optique, on s’efforce de planifier et d’aménager les tâches à l’avance afin d’optimiser l’impact qu’elles pourront avoir sur les travailleurs — souvent inconnus à ce stade — qui seront chargés d’exécuter les tâches en question.

Ces deux manières de concevoir la CTM présentent néanmoins quelques points communs.

  1. La CTM correspond essentiellement aux caractéristiques des tâches, en termes de sollicitations et d’exigences imposées aux travailleurs, qui permettent de prédire la manière dont elles seront exécutées.
  2. Les aspects mentaux de la CTM sont conceptualisés en termes de traitement d’informations. Ce processus comporte des aspects cognitifs, ainsi que des aspects qui relèvent de la motivation, de la volonté ou du domaine émotionnel, car l’individu évalue dans tous les cas les exigences auxquelles il doit répondre et procède à une autorégulation des efforts qu’elles appellent.
  3. Le traitement des informations intègre des processus mentaux, des représentations (connaissance ou modèles mentaux d’une machine, par exemple) et des états psychiques (états de conscience, degrés d’activation et, plus subjectivement, humeur).
  4. La CTM est une caractéristique pluridimensionnelle des exigences des tâches, puisque chaque tâche varie en fonction d’un certain nombre de dimensions interdépendantes, mais néanmoins distinctes, qui doivent être traitées séparément dans le cadre de la conception des tâches.
  5. La CTM a une incidence pluridimensionnelle qui détermine pour le moins: a) le comportement, par exemple les stratégies et la performance qui en résulte; b) le bien-être subjectif et perçu à court terme, avec des conséquences à long terme pour la santé; c) les processus psychophysiologiques, tels que les modifications de la pression sanguine au travail, qui peuvent devenir à long terme des effets positifs (favorisant, par exemple, l’amélioration de la forme physique) ou négatifs (induisant des atteintes à la santé).
  6. Du point de vue de la conception des tâches, il ne faut pas minimiser la CTM, pas plus que l’on ne saurait minimiser l’importance d’agents cancérogènes présents dans l’atmosphère; il faut au contraire l’optimiser pour la raison suivante: une forte demande mentale est indispensable au bien-être, à la santé et au développement des qualifications, car elle fournit les impulsions nécessaires à l’activation et offre les conditions requises pour la forme physique et les opportunités d’apprentissage et de formation. A l’inverse, une demande insuffisante ou inexistante peut se traduire par une démobilisation de l’individu, une dégradation de la condition physique, une perte de qualifications et une détérioration de la motivation dite intrinsèque (relative au contenu de la tâche). Les recherches entreprises dans ce domaine ont débouché sur une conception des tâches propre à favoriser la santé et à développer la personnalité (Hacker, 1986).
  7. Pour ces diverses raisons, la CTM doit être prise en compte non seulement lorsqu’on analyse les tâches et qu’on évalue les exigences, mais aussi lorsqu’on conçoit les tâches dans une perspective corrective ou prospective.

Les approches théoriques fondées sur les exigences et les ressources

Du point de vue de l’adaptation de l’individu à son environnement, on peut classer sommairement la CTM et ses répercussions en trois catégories (voir figure 29.26): sous-charge, charge adaptée et surcharge. Cette catégorisation résulte de la relation entre les demandes imposées par la tâche à accomplir et les capacités ou ressources mentales de l’individu, selon que ses capacités sont supérieures, adaptées ou inférieures aux exigences de la tâche. Les deux catégories qui correspondent à une inadaptation peuvent être de nature quantitative ou qualitative; quelle que soit la nature de cette inadaptation, ses conséquences seront de toute façon négatives (voir figure 29.26).

Figure 29.26 Relations exigences-ressources et leurs incidences

Figure 29.26

Certaines théories tentent de définir la CTM en partant de l’aspect ressources ou capacités. On pourrait établir une distinction entre ces théories selon qu’elles concernent le volume ou l’affectation des ressources (Wieland-Eckelmann, 1992). La capacité disponible peut provenir d’une source unique (théories de la ressource unique) qui détermine l’exécution du travail; sa disponibilité varie en fonction de la stimulation (Kahneman, 1973). Les théories modernes faisant appel à des ressources multiples supposent un ensemble de ressources relativement indépendantes. La performance sera conditionnée par la disponibilité d’une ressource unique ou par celle de différentes ressources dont la présence est requise simultanément. Comme exemples de ressources différentes, on peut citer celles qui sont nécessaires au codage, au traitement d’informations ou à la réaction (Gopher et Donchin, 1986; Welford, 1978). Dans les théories de ce type, le problème le plus délicat est l’identification fiable d’une ou de plusieurs capacités bien définies pour des opérations qualitativement distinctes.

Les théories relatives à l’affectation des ressources supposent que, selon les stratégies adoptées, le travail puisse être réalisé de manière qualitativement variable. Selon ces stratégies, l’accomplissement de la tâche peut faire appel à des représentations et à des processus mentaux différents. Ce n’est donc pas le volume de ressources stables qui devient le point clé, mais la flexibilité des stratégies d’allocation. Là encore, des questions fondamentales restent sans réponse, notamment celles qui concernent les méthodes de diagnostic stratégique.

L’évaluation de la CTM: application des approches fondées sur les demandes et les ressources

Dans l’état actuel des choses, il est impossible d’évaluer de façon rigoureuse la CTM, car il n’existe pas d’unité de mesure bien définie. Cela ne signifie toutefois pas que la conceptualisation et les instruments d’évaluation puissent déroger aux critères fondamentaux de qualité de toute méthode de diagnostic: objectivité, fiabilité, validité et utilité. Or, à ce jour, on est mal renseigné sur la qualité des techniques et des instruments proposés.

Les difficultés qui subsistent pour l’appréciation de la CTM par des méthodes exigences-ressources ont des causes multiples (O’Donnell et Eggemeier, 1986). Pour évaluer la CTM, il faut répondre à des questions telles que: la tâche est-elle voulue par l’exécutant, poursuit-elle des objectifs fixés par l’exécutant, ou découle-t-elle d’un ordre venu de l’extérieur? Quel genre de capacités (traitement intellectuel conscient, application de connaissances implicites, etc.) requiert-elle? L’exécutant mobilise-t-il ces capacités de manière simultanée ou séquentielle? Peut-il faire appel à différentes stratégies et, si oui, lesquelles? Quels mécanismes de réponse pourrait-on exiger de cet exécutant?

Les démarches les plus fréquemment débattues tentent d’appréhender la CTM selon les critères suivants:

  1. effort exigé (évaluation de l’effort). Cette approche fait intervenir, dans certaines versions validées sur le plan psychophysiologique, des méthodes de gradation (Bartenwerfer, 1970; Eilers, Nachreiner et Hänicke, 1986); ou
  2. capacité mentale mobilisée ou, à l’inverse, résiduelle (évaluation de la capacité mentale). Cette approche fait appel aux techniques de double tâche (O’Donnell et Eggemeier, 1986).

Ces deux démarches s’inspirent largement des hypothèses des théories de la ressource unique et doivent, par conséquent, faire face aux difficultés mentionnées plus haut.

Evaluation de l’effort. Ces techniques, telles que la procédure de gradation appliquée à un corrélat perçu de l’activation centrale générale, concept élaboré et validé par Bartenwerfer (1970), proposent des échelles verbales qui peuvent être complétées par des échelles graphiques et qui classent la partie unidimensionnellement variable de l’effort exigé perçu pendant l’accomplissement de la tâche. On demande aux sujets de décrire leur perception de l’effort à l’aide des degrés de l’échelle.

Cette technique répond aux critères de qualité mentionnés ci-dessus, mais souffre de certaines limites qui tiennent au caractère unidimensionnel de l’échelle. Celle-ci couvre une partie essentielle, mais contestable, de l’effort perçu; elle ne permet pas, ou permet mal, de prévoir la perception que les sujets auront de la tâche, sur le plan, par exemple, de la fatigue, de l’ennui ou de l’anxiété; enfin, et surtout, elle renseigne de manière très abstraite ou formelle sur l’effort et, en cela, ne permet qu’imparfaitement d’identifier ou d’expliquer les aspects de la CTM dépendant du contenu de la tâche et d’en tirer des conclusions utiles sur le plan de la qualification ou de la formation.

Evaluation de la capacité mentale. Cette méthode fait appel aux techniques de double tâche et à une procédure connexe d’interprétation des données, appelée performance operating characteristic (POC). Les techniques de double tâche comprennent plusieurs procédures qui ont pour caractéristique commune de demander aux sujets d’exécuter deux tâches simultanément. Le principe est le suivant: moins la tâche supplémentaire ou secondaire se dégrade par rapport à la tâche principale exécutée seule, plus les exigences de capacité mentale de la tâche primaire sont faibles, et inversement. Cette méthode a été élargie et l’on étudie actuellement différentes versions de l’interférence des tâches dans les conditions d’exécution d’une double tâche. Ainsi, on demande aux sujets d’exécuter deux tâches simultanément en modulant les priorités de chaque tâche. La courbe POC illustre les effets des combinaisons de double tâche possibles résultant d’un partage de ressources limitées entre tâches exécutées simultanément.

Cette méthode part de l’idée que chaque tâche exige une certaine dose de capacité de traitement stable, limitée et consciente (par opposition à une capacité inconsciente, automatique, implicite ou tacite), dans l’hypothèse où les exigences pour l’accomplissement des deux tâches sont cumulatives et où l’on se limite aux seules données associées à la performance. Celle-ci peut être trompeuse, et cela, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il existe d’importantes différences entre la sensibilité des données liées à la performance et celle des données qui résultent d’une perception subjective. La charge perçue semble être fonction principalement du volume de ressources requises, souvent matérialisé en termes de mémoire de travail, alors que les mesures de performance semblent être déterminées essentiellement par l’efficacité du partage des ressources, selon les stratégies d’affectation (c’est la théorie de la dissociation; voir Wickens et Yeh, 1983). Par ailleurs, les différences interindividuelles dans la capacité de traitement des informations et dans les traits de la personnalité influent fortement sur les indicateurs de CTM dans les domaines du subjectif (perçu), de la performance et de la psychophysiologie.

Les approches théoriques fondées sur les exigences liées aux tâches

Comme on l’a vu, ces exigences sont pluridimensionnelles et ne peuvent donc être décrites de manière adéquate au moyen d’une seule dimension, qu’il s’agisse de l’effort perçu ou de la capacité mentale consciente résiduelle. Une description de type profil appliquant un schéma, choisi de manière théorique, de dimensions hiérarchisées des caractéristiques de la tâche irait plus au fond des choses. La principale question est donc la conceptualisation de la «tâche», notamment sur le plan de son contenu et de son accomplissement, mais surtout sur celui de sa structure et des étapes d’exécution qui permettront d’atteindre l’objectif fixé. L’importance de la tâche est soulignée par le fait qu’elle détermine même l’incidence sur le personnel des conditions contextuelles (température, bruit, horaire de travail, etc.), puisque ces conditions sont modifiées par le rôle de sas qu’elle joue (Fisher, 1986). Plusieurs approches théoriques s’accordent suffisamment sur ces dimensions critiques de la tâche pour que l’on puisse les considérer comme des outils de prévision valables en ce qui concerne le résultat de la tâche elle-même. En tout état de cause, ce résultat est double: d’une part, l’objectif fixé doit être atteint en satisfaisant aux critères performance-résultat et, d’autre part, on voit apparaître un certain nombre d’effets secondaires — personnels à court terme et à long terme — tels que la fatigue, l’ennui (monotonie), les maladies professionnelles ou une amélioration de la motivation intrinsèque, des connaissances ou des aptitudes.

Evaluation de la CTM. Dans les démarches fondées sur l’étude des demandes, les méthodes centrées sur les actions, qu’elles soient complètes ou parcellaires, ou celle du score relatif au potentiel de motivation (pour plus de précisions, se reporter à Hacker, 1986), proposent d’analyser et d’évaluer au moins les caractéristiques essentielles des tâches ci-après:

Le recensement de ces caractéristiques impose de faire appel à des procédures d’analyse tant pour la situation de travail que pour les tâches, sous la forme d’analyses de documents, d’observations, d’entretiens individuels ou de réunions de groupe qui devront être pratiquement intégrés en une conception quasi expérimentale (Rudolph, Schönfelder et Hacker, 1987). Il existe des outils d’analyse des tâches susceptibles de faciliter cette mission; certains ne seront utiles qu’au stade de l’analyse (par exemple, NASA-TLX Task Load Index) (Hart et Staveland, 1988), d’autres seront précieux pour la conception, l’évaluation, voire le réaménagement des tâches. A titre d’exemple, on peut citer le TBS-GA (Tätigkeitsbewertungssystem für geistige Arbeit mit und ohne Rechner-unterstützung) (Rudolph, Schönfelder et Hacker, 1987).

LA VIGILANCE

Herbert Heuer

Le concept de vigilance fait référence à l’état de capacité d’activation mentale du sujet dans une tâche qui nécessite une détection et un traitement efficaces des signaux. Les tâches de vigilance se caractérisent par leur durée relativement longue et la nécessité de détecter des stimuli (signaux) cibles non prévisibles et rares parmi d’autres stimuli.

Les tâches de vigilance

La tâche prototype dans les recherches sur la vigilance concernait les opérateurs radar. Leurs performances apparemment peu satisfaisantes durant la seconde guerre mondiale ont constitué, historiquement, le point de départ d’une étude à grande échelle sur la vigilance. Le contrôle de qualité dans l’industrie est une autre activité exigeant de la vigilance. Plus généralement, toutes les tâches de contrôle qui nécessitent la détection de signaux relativement rares comportent des risques d’échecs dans la détection et la réponse à ces événements critiques.

Les tâches de vigilance forment un ensemble hétérogène et sont fonction de plusieurs variables, malgré leurs caractéristiques communes. L’évaluation du taux global de stimuli par rapport aux stimuli cibles revêt une importance particulière. Pourtant, il n’est pas toujours possible de l’établir précisément, notamment dans le cas de tâches qui nécessitent la détection d’événements cibles par rapport à des stimuli présents en permanence en arrière-plan, comme lors de la détection de valeurs critiques sur une série de cadrans. Une distinction, manifestement moins importante, est faite entre les tâches de discrimination successive et celles de discrimination simultanée. Dans les tâches de discrimination simultanée, les deux types de stimuli sont présents en même temps, alors que dans le deuxième cas, ils apparaissent les uns après les autres, nécessitant de faire appel à la mémoire. Les tâches de vigilance requièrent la détection de stimuli visuels, mais aussi de stimuli d’autres types. Ceux-ci peuvent avoir une localisation unique ou, dans le cas des stimuli cibles, avoir des sources différentes. Les stimuli cibles peuvent se distinguer des stimuli d’arrière-plan par leurs caractéristiques physiques, mais aussi par leurs caractéristiques plus conceptuelles (comme un schéma spécifique de relevé de compteur qui peut être différent des autres schémas). Bien sûr, la visibilité des cibles peut varier: certaines peuvent être détectées facilement, d’autres non. Les stimuli cibles peuvent être uniques ou, comme dans bien des tâches industrielles d’inspection, constituer des ensembles sans frontière explicite, difficiles à distinguer des autres stimuli d’arrière-plan.

Les variations des performances et la baisse de la vigilance

La mesure de la performance la plus fréquemment utilisée dans les tâches de vigilance est la proportion de stimuli cibles détectés, par exemple la détection des produits défectueux lors des contrôles de qualité dans l’industrie. Il s’agit d’une estimation de la probabilité de ce que l’on appelle des succès. Les stimuli cibles qui ne sont pas détectés sont appelés des échecs. Bien que l’évaluation des bonnes réponses soit une mesure pratique, elle reste toutefois incomplète. Il existe une stratégie banale qui permet d’obtenir 100% de bonnes réponses: on demande à un sujet de classer tous les stimuli comme des cibles. Cette évaluation de 100% de bonnes réponses est alors associée à une évaluation de 100% de fausses alarmes, c’est-à-dire que non seulement les stimuli cibles ont été détectés correctement, mais aussi que les stimuli d’arrière-plan l’ont été également, bien que de façon incorrecte. Ce raisonnement souligne le fait qu’en cas de fausses alarmes, il est important de connaître leur proportion et non pas seulement le taux de bonnes réponses. Une autre mesure de la performance, dans une tâche de vigilance, est le temps nécessaire pour répondre aux stimuli cibles (temps de réaction).

La performance, dans les tâches de vigilance, présente deux caractéristiques typiques. La première est le faible niveau général de la performance de vigilance. Il est faible comparé à une situation idéale avec les mêmes stimuli (courtes périodes d’observation, aptitude élevée du sujet pour chaque discrimination, etc.). La seconde caractéristique est ce que l’on appelle la baisse de vigilance, la diminution de la performance dans le temps, qui peut démarrer dans les toutes premières minutes. Ces deux observations concernent la proportion de bonnes réponses, mais ont également été rapportées pour les temps de réaction. Bien que la baisse de vigilance soit fréquente dans les tâches de vigilance, elle n’est pas systématique.

Si l’on recherche les causes du faible niveau général de performance et des baisses de vigilance, il faut faire la distinction entre les concepts liés aux caractéristiques de base de la tâche et les concepts liés aux facteurs relatifs à la situation et aux facteurs organiques sans rapport avec la tâche. Parmi les facteurs liés à la tâche, il faut faire la différence entre les facteurs stratégiques et les facteurs non stratégiques.

Les processus stratégiques dans les tâches de vigilance

La détection d’un signal, celle d’un produit défectueux, par exemple, est en partie une question de stratégie de la part du sujet et en partie une question de discriminabilité des signaux. La distinction est basée sur la théorie de détection des signaux. Certaines bases de cette théorie doivent être expliquées afin de mettre en lumière l’importance de la distinction. Considérons une variable hypothétique, définie comme une «mise en évidence de la présence d’un signal». Dès qu’un signal est présenté, cette variable prend la même valeur et, dès qu’un stimulus d’arrière-plan est présenté, elle prend une valeur inférieure à la moyenne. On suppose que la valeur de la variable de mise en évidence varie en fonction des présentations répétées du signal. Ainsi, elle peut être caractérisée par ce que l’on appelle une fonction de densité de probabilité, comme le montre la figure 29.27. Une autre fonction de densité caractérise les valeurs de la variable de mise en évidence en cas de présentation d’un stimulus d’arrière-plan. Lorsque les signaux sont similaires aux stimuli d’arrière-plan, les fonctions se chevauchent, de sorte qu’une certaine valeur de la variable de mise en évidence peut provenir soit d’un signal, soit d’un stimulus d’arrière-plan. La forme particulière des fonctions de densité montrée à la figure 29.27 n’est pas considérée ici comme essentielle.

Figure 29.27 Seuils de réponse et capacité de discrimination

Figure 29.27

La réponse de détection ou de reconnaissance par le sujet est basée sur la variable de mise en évidence. On suppose qu’un seuil de détection a été fixé, de sorte qu’une réponse de détection est donnée chaque fois que la valeur de la variable de mise en évidence se situe au-dessus du seuil. Comme le montre la figure 29.27, les zones situées au-dessous des fonctions de densité, à droite du seuil, correspondent aux probabilités de bonnes réponses et de fausses alarmes. On peut, en pratique, en déduire la séparation des deux fonctions et localiser le seuil. La séparation des deux fonctions de densité caractérise la discriminabilité entre les stimuli cibles et les stimuli d’arrière-plan, tandis que la localisation du seuil caractérise la stratégie du sujet. La variation du seuil donne une variation commune pour les proportions de bonnes réponses et de fausses alarmes. Si le seuil est élevé, les proportions de bonnes réponses et de fausses alarmes seront faibles, alors que si le seuil est bas, ces proportions seront importantes. Ainsi, la sélection d’une stratégie (placement du seuil) est principalement la sélection d’une certaine association de taux de bonnes réponses et de fausses alarmes parmi les associations possibles pour une certaine capacité de discrimination.

Les enchaînements et la fréquence des signaux sont deux facteurs importants qui influent sur la localisation du seuil. Le seuil sera fixé à des valeurs relativement faibles lorsqu’il y a plus à gagner à détecter de bonnes réponses et moins à perdre à détecter de fausses alarmes; il sera fixé à des valeurs supérieures lorsque la détection des fausses alarmes est coûteuse et le bénéfice des bonnes réponses peu important. Une proportion élevée de signaux peut entraîner la fixation d’un seuil bas, tandis qu’une faible proportion de signaux conduit à fixer un seuil plus élevé. L’effet de la fréquence des signaux sur la fixation des seuils est un facteur essentiel pour la faible performance globale en termes de proportion de succès dans les tâches de vigilance et pour la chute de la vigilance.

En ce qui concerne la baisse de vigilance en termes de changements de stratégie (modifications du seuil), il est nécessaire que la réduction de la proportion des succès durant la période d’observation soit associée à une diminution de la proportion de fausses alarmes. C’est le cas, en fait, dans de nombreuses études; il est vraisemblable que la mauvaise performance globale des tâches de vigilance (par rapport à la situation optimale) est due, au moins en partie, à un ajustement du seuil. Pendant une période d’observation, la fréquence relative des réponses s’adapte à la fréquence relative des cibles, et cet ajustement se traduit par un seuil élevé, avec une proportion relativement faible de bonnes réponses et une proportion relativement faible aussi de fausses alarmes. Il existe néanmoins des baisses de vigilance qui sont dues à des changements de la capacité de discrimination plutôt qu’à des modifications de la fixation du seuil. C’est ce qui a été observé principalement dans des tâches de discrimination successive avec un taux relativement élevé de stimuli.

Les processus non stratégiques dans les tâches de vigilance

Bien qu’une partie de la mauvaise performance des tâches de vigilance et plusieurs cas de baisse de vigilance puissent être liés aux ajustements stratégiques du seuil de détection à de faibles taux de signaux, une telle explication est insuffisante. On observe chez le sujet, durant la période d’observation, des modifications qui peuvent réduire la discriminabilité des stimuli ou entraîner un déplacement des seuils apparents et qui ne peuvent être considérés comme une adaptation aux caractéristiques de la tâche. Dans les recherches sur la vigilance, depuis plus de quarante ans, un certain nombre de facteurs non stratégiques contribuant à une mauvaise performance globale et à une baisse de la vigilance ont été identifiés.

Une réponse correcte à une cible dans une tâche de vigilance nécessite un enregistrement sensoriel suffisamment précis, une localisation appropriée du seuil et un lien entre les processus de perception et les processus de réponse qui leur sont associés. Durant la période d’observation, les sujets doivent accomplir une série donnée de tâches et être prêts à répondre aux stimuli cibles d’une certaine manière. Cette exigence n’est pas banale, car sans une série de tâches particulières, aucun observateur ne répondrait aux stimuli cibles de la manière demandée. Un enregistrement sensoriel non approprié et des déficiences dans la capacité de réponse à des stimuli cibles constituent deux sources principales de mauvaises réponses. Les principales hypothèses expliquant ces mauvaises réponses seront examinées brièvement.

La détection et l’identification d’un stimulus seront plus rapides lorsqu’il n’y a aucune incertitude dans le temps et dans l’espace en ce qui concerne son aspect. L’incertitude dans le temps ou dans l’espace est susceptible de réduire la performance de vigilance. Il s’agit de la principale affirmation de la théorie d’attente préperceptive. La préparation optimale de l’observateur nécessite une prévision dans le temps et dans l’espace; il est évident que les tâches de vigilance sont loin d’êtres optimales à cet égard. Bien que la théorie de l’attente préperceptive soit centrée principalement sur la faible performance globale, elle peut également expliquer la baisse de vigilance. Dans le cas de signaux peu fréquents, à des intervalles aléatoires, une préparation peut exister initialement, en l’absence de présentation d’un signal; en outre, la préparation sera faible au moment de la présentation des signaux. Cela constitue une entrave à des degrés élevés de préparation, de sorte que les bénéfices obtenus disparaîtront au cours de la période d’observation.

La théorie de l’attente préperceptive est étroitement liée aux théories de l’attention. Les variantes des théories de la vigilance relatives à l’attention sont bien sûr liées aux théories dominantes de l’attention en général. Si l’on considère l’attention comme la sélection ou la reconnaissance d’un signal pour un traitement ou une action, les stimuli sont choisis dans l’environnement et traités avec une efficacité élevée lorsqu’ils servent le plan d’action dominant ou l’ensemble de tâches considéré. Comme on l’a vu, la sélection bénéficiera d’attentes précises sur le moment et l’endroit où de tels stimuli se produiront. Mais les stimuli ne seront sélectionnés que si le plan d’action — l’ensemble de tâches — est actif (les conducteurs de véhicules, par exemple, réagissent aux feux de signalisation, à la circulation routière, etc.; les passagers ne réagissent pas de la même manière, bien qu’ils soient dans la même situation. La différence critique se situe au niveau des tâches de chacun: seul le conducteur doit réagir aux feux).

La sélection de stimuli en vue d’un traitement est pénible lorsque le plan d’action est temporairement désactivé, c’est-à-dire en l’absence temporaire de la série de tâches. Les tâches de vigilance englobent un certain nombre de caractéristiques qui constituent une entrave au maintien continu de la série de tâches, comme des cycles courts de traitement des stimuli, l’absence de retour d’information, le peu de motivation en cas de difficulté apparente des tâches, etc. Ce que l’on appelle des blocages peut être observé dans la plupart des tâches cognitives simples avec des cycles courts, comme un calcul mental élémentaire ou des réponses en série à de simples signaux présentés rapidement. Des blocages similaires ont également lieu en cas de maintien de la série de tâches. Ils ne sont pas immédiatement reconnaissables en tant que réponses tardives, car les réponses sont peu fréquentes et les cibles présentées durant une période où la série de tâches est temporairement absente ne seront plus là lorsque cette absence aura pris fin, de sorte qu’une mauvaise réponse sera observée au lieu d’une réponse tardive. Plus le temps passé sur la tâche est long, plus les blocages deviennent fréquents. Cela peut entraîner une baisse de la vigilance. D’autres raisons peuvent expliquer les défaillances temporaires dans la disponibilité à la série de tâches appropriées, par exemple la distraction.

Certains stimuli ne sont pas sélectionnés pour le plan d’action en cours, mais en fonction de leurs propres caractéristiques. Il s’agit de stimuli intenses, nouveaux, qui se déplacent vers l’observateur, qui ont un déclenchement rapide ou qui, pour toute autre raison, nécessitent une action immédiate, quel que soit le plan d’action actuel du sujet. Il y a peu de risques que ces stimuli ne soient pas détectés; ils attirent automatiquement l’attention, comme indiqué, par exemple par la réponse d’orientation qui inclut un décalage de la direction du regard vers la source du stimulus. Toutefois, répondre à une sonnerie d’alarme n’est pas considéré normalement comme une tâche de vigilance. Outre les stimuli qui attirent l’attention en raison de leurs caractéristiques propres, il y a des stimuli qui sont traités automatiquement comme une conséquence de la pratique; ils semblent «surgir» de l’environnement. Ce type de traitement automatique nécessite une pratique importante  avec  ce  que  l’on  appelle  une  cartographie  cohérente, c’est-à-dire une répartition cohérente des réponses aux stimuli. Dès que le traitement automatique des stimuli aura été mis en place, la baisse de vigilance sera faible, voire nulle.

Un état de veille insuffisant affecte la vigilance. Ce concept fait référence, d’une manière plutôt globale, à l’intensité de l’activité neuronale, allant du sommeil à un état de veille normal, jusqu’à une stimulation importante. L’un des facteurs qui semble exercer une influence sur l’état de veille est la stimulation externe, et celle-ci est faible et uniforme dans la plupart des tâches de vigilance. Ainsi, l’intensité de l’activité du système nerveux central peut diminuer globalement pendant une période d’observation. Un aspect important de la théorie de l’état de veille est que la performance en matière de vigilance est associée à différents facteurs liés à une situation sans lien avec la tâche, ainsi qu’à des facteurs organiques.

L’influence des facteurs situationnels et individuels

Une faible capacité d’éveil contribue à une mauvaise performance dans les tâches de vigilance. La performance pourra être améliorée par des facteurs liés à la situation qui tendent à augmenter le degré de veille, et réduite par toutes les mesures qui réduisent le degré de veille. Cette généralisation est en principe valable pour le niveau de performance globale dans les tâches de vigilance, mais les effets sur la baisse de vigilance sont absents ou observés moins sûrement lors de différents types de manipulation de l’état de veille.

L’un des moyens d’élever le degré de veille consiste à introduire des bruits supplémentaires. Cela n’a toutefois généralement aucun effet sur la baisse de vigilance, et les résultats ne sont pas homogènes en ce qui concerne la performance globale: on observe aussi bien une diminution qu’une augmentation des taux de performance, voire aucune modification du tout. Il se peut que la nature complexe du bruit joue un rôle significatif; ainsi, il peut être effectivement neutre ou ennuyeux. Il peut non seulement augmenter l’état de veille, mais également être distrayant. Les effets du manque de sommeil sont plus homogènes, entraînant une diminution de l’état de veille; en général, le manque de sommeil retentit défavorablement sur la vigilance. Des modifications appropriées de la performance de vigilance ont été également observées avec des antidépresseurs comme les benzodiazépines, avec l’alcool ou avec des stimulants comme les amphétamines, la caféine ou la nicotine.

Les différences interindividuelles sont une caractéristique évidente de la performance dans les tâches de vigilance. Bien que ces différences ne soient pas homogènes pour les différents types de tâches de vigilance, elles le sont s’il s’agit d’un même ensemble de tâches Le sexe et l’intelligence générale n’ont que peu d’effet, voire aucun. Pour ce qui est de l’âge, la performance augmente pendant l’enfance et a tendance à diminuer après 60 ans. Par ailleurs, il y a de grandes chances que la performance soit meilleure chez les individus introvertis que chez les extravertis.

L’amélioration de la vigilance

Les théories et les données existantes semblent indiquer qu’il est possible d’augmenter, dans une certaine mesure, la performance en matière de vigilance. En fonction du niveau de spécificité des suggestions, il est aisé d’en établir des listes plus ou moins longues. Certaines suggestions de caractère plutôt général sont présentées ci-après; elles devront être adaptées aux exigences spécifiques de chaque tâche. Elles concernent notamment la facilité de discrimination perceptive, les ajustements stratégiques appropriés, la réduction de l’incertitude, la prévention des effets d’un manque d’attention et le maintien de l’état de veille.

Les tâches de vigilance exigent un exercice de discrimination dans des conditions qui sont souvent loin d’être optimales. Il est donc bon de faciliter cet exercice le plus possible, en augmentant par exemple la visibilité des signaux. Les mesures prises à cette fin pourront soit être directes (aménagement d’un éclairage mieux adapté ou d’un temps d’inspection ou de contrôle plus long par article), soit plus sophistiquées (dispositifs spéciaux pour augmenter la visibilité des cibles, etc.). On sait qu’il est plus facile de faire des comparaisons simultanées que des comparaisons successives, et il peut être utile de pouvoir se référer à un étalon de référence. Il est parfois possible, grâce à des moyens techniques, de présenter l’étalon et l’objet à examiner en alternance rapide, de sorte que les différences éventuelles apparaîtront comme des mouvements ou des modifications auxquels l’organe de la vue est particulièrement sensible.

Pour contrebalancer les modifications stratégiques du seuil qui entraînent une proportion relativement faible de détections correctes des cibles (et pour rendre la tâche moins ennuyeuse en termes de fréquence des actions à entreprendre), il a été suggéré d’introduire des cibles factices. Cette recommandation semble toutefois contre-indiquée. En effet, les cibles factices augmentent la proportion globale de bonnes réponses, mais au prix de fausses alarmes plus fréquentes. En outre, la proportion de cibles non détectées parmi tous les stimuli auxquels il n’est pas répondu (les articles défectueux, dans une tâche de contrôle industriel) ne sera pas nécessairement réduite. Il semble plus approprié de bien connaître l’importance relative des bonnes réponses et des fausses alarmes et peut-être d’autres éléments d’appréciation pour fixer le seuil en faisant un choix entre ce qui est «bon» et ce qui est «mauvais».

L’incertitude dans le temps et celle qui peut planer dans l’espace sont des déterminants importants d’une mauvaise performance en matière de vigilance. Dans certaines tâches, l’incertitude dans l’espace peut être réduite en amenant les articles à contrôler en une position déterminée. On ne peut pas faire grand-chose, en revanche, en ce qui concerne l’incertitude dans le temps. Le sujet ne serait d’aucune utilité dans une tâche de vigilance si la survenue d’une cible pouvait être annoncée avant son apparition. Une chose que l’on peut faire en principe, toutefois, est de mélanger les articles à contrôler si les erreurs tendent à se produire de manière groupée. Cela permet d’éviter de très longs intervalles sans cible ainsi que de très courts intervalles.

Certaines suggestions évidentes peuvent être faites pour réduire les défauts d’attention ou, tout au moins, leurs effets sur la performance. Un bon entraînement, un certain type de traitement automatique des cibles seront peut-être réalisables, à condition que les stimuli cibles et les stimuli d’arrière-plan ne varient pas trop. La nécessité d’un maintien suivi de la série de tâches pourra être évitée par des pauses plus fréquentes, une rotation des tâches, ou encore par leur diversification ou leur enrichissement. On pourra également introduire une certaine diversité en demandant à l’inspecteur de prendre lui-même le matériel à inspecter dans une boîte ou en un autre endroit. Cela peut contribuer à éviter que des signaux ne se présentent pendant les périodes de désactivation temporaire de la série de tâches. Le maintien continu de la série de tâches peut être facilité par un retour d’information, l’intérêt du personnel de surveillance et la prise de conscience par l’opérateur de l’importance de la tâche. Un retour d’information précis du niveau de performance n’est évidemment pas possible dans les tâches de vigilance typiques; toutefois, même imprécis ou incomplet, un retour d’information peut être utile quand il s’agit de motiver le sujet.

Il s’agit là de quelques mesures qui peuvent être prises pour maintenir un degré de veille suffisant. Certains recourent à des médicaments, mais cette pratique est déconseillée. Une musique de fond peut être bienvenue, mais elle peut également avoir un effet contraire. L’isolement social durant les tâches de vigilance devrait être évité. Durant les périodes de la journée où l’état de veille est affaibli (comme dans les heures tardives de la nuit), des mesures de soutien, consistant par exemple en tours de garde de courte durée, ont toute leur importance.

LA FATIGUE MENTALE

Peter Richter

L’astreinte mentale est une conséquence normale du processus d’adaptation à la charge mentale. Une charge s’exerçant à long terme ou des exigences professionnelles importantes peuvent avoir, à court terme, un effet de surcharge (fatigue) ou de sous-charge (monotonie, saturation), ainsi que des conséquences à long terme (stress, maladie professionnelle, par exemple). En cas d’astreinte, le sujet peut assurer une stabilité de son mode de fonctionnement en modifiant les stratégies de prise d’informations et de prise de décisions, en abaissant son niveau d’exigences pour la réalisation des tâches (en les rédéfinissant ou en faisant des compromis sur la qualité), ainsi que par compensation en augmentant l’effort psychophysiologique puis, plus tard, en diminuant l’effort pendant la période d’activité.

Cette conception du processus d’astreinte mentale peut être représentée sous la forme d’un processus transactionnel de régulation de l’action pendant l’application des facteurs de charge qui inclut non seulement les composants négatifs du processus d’astreinte, mais également les aspects positifs comme l’accroissement des connaissances, leur mise à jour et leur restructuration, ainsi que la motivation (voir figure 29.28).

Figure 29.28 Composantes du mécanisme de surcharge et conséquences de l'astreinte

Figure 29.28

On peut dire de la fatigue mentale qu’il s’agit d’un processus de détérioration, réversible dans le temps, de la stabilité comportementale au niveau de la performance, de l’humeur et de l’activité après une période de travail prolongée. Cet état est temporairement réversible si l’on modifie les exigences liées au travail, l’environnement ou la stimulation; il est totalement réversible par le sommeil.

La fatigue mentale est une conséquence de la réalisation de tâches extrêmement difficiles impliquant principalement un traitement de l’information ou encore des tâches très longues. Contrairement à la monotonie, la récupération de la fatigue mentale prend du temps et n’apparaît pas immédiatement lorsqu’on modifie les caractéristiques de la tâche. Les symptômes de fatigue se manifestent à plusieurs niveaux de la régulation comportementale: dans l’homéostase biologique entre l’environnement et l’organisme, dans le processus cognitif des actions centrées sur un objectif, dans l’instabilité de la motivation et dans le niveau de réalisation.

Les symptômes de la fatigue mentale peuvent être identifiés dans tous les sous-systèmes du traitement de l’information:

Le diagnostic différentiel de la fatigue mentale

Il existe des critères suffisants pour différencier la fatigue mentale, la monotonie, la saturation mentale et le stress (au sens strict du terme) (voir tableau 29.4).

Tableau 29.4 Différenciation entre plusieurs conséquences négatives de l'astreinte mentale

Critères

Fatigue mentale

Monotonie

Saturation

Stress

Conditions clés

Mauvaise adaptation à une surcharge

Mauvaise adaptation à une sous-charge

Perte du sens des tâches

Objectifs perçus comme une menace

Thymie (humeur)

Lassitude sans épuisement dû à l’ennui

Lassitude avec ennui

Irritabilité

Anxiété, comportement d’évitement de la menace

Evaluation émotionnelle

Neutre

Neutre

Augmentation de l’aversion affective

Augmentation de l’anxiété

Activation

Baisse continue

Pas de baisse continue

Augmentée

Augmentée

Récupération

Prend du temps

Soudaine après modification des tâches

?

Troubles de récupération à long terme

Prévention

Conception des tâches, formation, régime de pauses de courte durée

Enrichissement du contenu des activités

Programmes centrés sur des objectifs et enrichissement du travail

Réaménagement de l’activité, gestion des situations conflictuelles et du stress

Les degrés de fatigue mentale

L’excellente description que Schmidtke (1965) a faite du phénomène de la fatigue mentale, les nombreuses méthodes d’évaluation dont on dispose et le grand nombre de résultats expérimentaux et d’études sur le terrain permettent de procéder à une classification ordinale des degrés de fatigue mentale (Hacker et Richter, 1994). Cette classification est basée sur l’aptitude de l’individu à faire face à des baisses au niveau comportemental:

Niveau 1: performance optimale et rendement satisfaisant: aucun symptôme  de  baisse  de  la  performance  et  du  niveau  d’activation, aucune altération de l’humeur.

Niveau 2: compensation intégrale caractérisée par une augmentation de l’activation psychophysiologique périphérique (mesurée, par exemple, par un électromyogramme des muscles digitaux): augmentation perçue de l’effort mental, augmentation de la variabilité des critères de performance.

Niveau 3: compensation labile s’ajoutant à celle décrite au niveau 2: ratés dans les actions, perception de fatigue, augmentation (compensatrice) de l’activité psychophysiologique des indicateurs centraux (fréquence cardiaque, pression sanguine).

Niveau 4: chute du rendement s’ajoutant à la compensation décrite au niveau 3: baisse des critères de performance.

Niveau 5: autres troubles fonctionnels: -perturbations dans les relations sociales et la collaboration sur le lieu de travail; symptômes de fatigue clinique (perte de la qualité du sommeil, épuisement vital).

La prévention de la fatigue mentale

La conception structurelle des tâches et de l’environnement, des périodes de repos adéquates durant la journée de travail et un sommeil suffisant permettent de réduire les symptômes de fatigue mentale et d’éviter leurs répercussions sur le plan clinique.

  1. Modifications de la structure des tâches. La réalisation de conditions préalables garantissant un bon apprentissage et une structuration satisfaisante des tâches ne sert pas uniquement à créer des structures de travail efficaces: elle est essentielle pour prévenir une mauvaise adaptation de la charge mentale, que ce soit par excès ou par défaut (surcharge ou sous-charge):
  2. Introduction de régimes de pauses de courte durée pendant le travail. Les effets positifs de telles pauses dépendent du respect de certaines conditions préalables. Il est plus efficace de ménager de nombreuses pauses brèves que de rares pauses de longue durée. Les effets dépendent d’un planning fixe établi à l’avance et pouvant donc être anticipé. Le contenu des pauses devrait avoir une fonction compensatrice par rapport aux demandes, tant physiques que mentales, liées à l’activité exercée.
  3. Une relaxation et un repos suffisants. Des programmes spéciaux d’aide aux employés et le recours aux techniques de gestion du stress devraient améliorer la capacité de relaxation et prévenir l’installation d’une fatigue chronique (Sethi, Caro et Schuler, 1987).

LES ASPECTS ORGANISATIONNELS DU TRAVAIL

L’ORGANISATION DU TRAVAIL

Eberhard Ulich et Gudela Grote

La conception des systèmes de production

De nombreuses entreprises investissent des millions dans des systèmes de production assistés par ordinateur sans tenir suffisamment compte de leurs ressources humaines, dont la valeur peut être augmentée de manière significative en développant la formation. En fait, le recours à des travailleurs qualifiés plutôt qu’à des systèmes automatisés très sophistiqués peut non seulement contribuer, dans certains cas, à réduire de manière significative les dépenses d’investissement, mais peut également accroître fortement la souplesse et la capacité du système.

Les causes d’une mauvaise utilisation de la technologie

Il est rare que les dépenses consacrées aux techniques modernes apportent vraiment les améliorations escomptées (Strohm, Kuark et Schilling, 1993; Ulich, 1994). Cela tient essentiellement aux difficultés liées à ces techniques, à l’organisation du travail et à la qualification des travailleurs.

Trois causes principales peuvent être invoquées en ce qui concerne les problèmes liés à la technologie:

  1. Carences de nature technologique. Etant donné la rapidité du progrès technologique, les nouvelles techniques qui apparaissent sur le marché n’ont bien souvent pas été suffisamment testées, ce qui peut provoquer des pannes intempestives.
  2. Technologie mal adaptée. Les techniques mises au point pour les grandes entreprises sont souvent inadaptées aux besoins des plus petites. Lorsqu’une entreprise de petite taille introduit un plan de production et un système de contrôle empruntés à une grande entreprise, elle se prive souvent de la souplesse qui est garante de son succès, voire de sa survie.
  3. Technologie exagérément complexe. Lorsque les concepteurs et les responsables du développement mettent leur savoir au service de la planification pour obtenir un produit à la pointe de la technique sans tenir compte de l’expérience des travailleurs, ils introduisent parfois des systèmes automatisés complexes qu’il est très difficile de maîtriser.

Les problèmes liés à l’organisation du travail sont essentiellement la conséquence des tentatives systématiques faites pour mettre en place les techniques les plus modernes dans des structures organisationnelles parfois désuètes. Ainsi, il serait totalement erroné de vouloir implanter des ordinateurs de la troisième, quatrième ou cinquième génération dans des entreprises qui en sont encore à la deuxième génération. Or, c’est exactement ce que font beaucoup d’entreprises (Savage et Appleton, 1988), dans lesquelles seule une restructuration radicale de l’organisation de la production pourrait permettre une introduction réussie des nouvelles technologies. Cela exige notamment un examen attentif des concepts de planification et de contrôle de la production. Des contrôles effectués localement par des opérateurs qualifiés peuvent, dans certaines circonstances, être préférables sur le plan de l’efficacité et des coûts à des systèmes de planification de la production et de contrôle exagérément compliqués.

Les problèmes rencontrés au niveau de la qualification des travailleurs sont imputables, en premier lieu, au fait que de nombreuses entreprises ne se rendent pas compte de l’importance des mesures à prendre pour assurer la formation de leurs employés lorsqu’elles installent des systèmes de production assistés par ordinateur. La formation est trop souvent considérée comme un coût qu’il faut chercher à juguler plutôt que comme un investissement stratégique. En réalité, les pannes et les pertes qu’elles entraînent peuvent souvent être considérablement réduites en diagnostiquant les sources d’erreurs et en élaborant les moyens de les éliminer grâce aux compétences et à l’expérience des opérateurs. Cela vaut plus spécialement pour les installations de production dont les opérations sont fortement interdépendantes (Köhler et coll., 1989). Il en va de même lorsqu’on lance de nouveaux produits ou qu’on modifie des produits existants. On pourrait citer de nombreux cas d’utilisation en pure perte de technologies beaucoup trop sophistiquées.

Pour résumer, on peut dire que l’introduction de systèmes de production assistés par ordinateur ne peut se faire avec succès que si ceux-ci sont intégrés dans le cadre d’une démarche globale cherchant à optimiser simultanément l’application de la technologie, la structure organisationnelle et les qualifications du personnel.

De la tâche à la mise en place de systèmes sociotechniques

Les concepts psychologiques d’aménagement de la production sont basés sur la primauté de la tâche. Les tâches sont l’interface entre l’individu et l’organisation (Volpert, 1987); d’un autre côté, elles constituent le lien entre le sous-système social et le sous-système technique. «La tâche doit être la charnière entre le système social et le système technique; elle doit relier l’activité au sein du système technique au rôle comportemental qui lui est associé dans le système social» (Blumberg, 1988).

Ainsi, un système sociotechnique (un îlot de production, par exemple) se définit tout d’abord par les tâches à effectuer. La répartition du travail entre l’opérateur et la machine joue un rôle central, car elle permet de décider si l’individu «fonctionne» comme un simple prolongement de la machine ou si la machine fonctionne comme un prolongement de l’opérateur humain en vue d’étendre la portée de ses capacités. Ces deux options opposées représentent, respectivement, un fonctionnement «orienté vers la technologie» ou un fonctionnement «orienté vers le travail» (Ulich, 1994).

Le concept de tâche intégrale ou discrétionnaire

Le principe de l’activité intégrale (Hacker, 1986) ou de la tâche intégrale joue un rôle central dans les concepts psychologiques liés à l’activité professionnelle, que ce soit pour définir les tâches ou pour les répartir entre l’opérateur et la machine. Les tâches discrétionnaires sont celles «sur lesquelles l’individu exerce une maîtrise personnelle considérable» et qui le poussent activement à poursuivre et à terminer son travail. Ces tâches contribuent au développement de ce que l’on a décrit comme une «orientation vers la tâche», c’est-à-dire une situation où l’intérêt du travailleur est stimulé, fixé et dirigé par le caractère de la tâche elle-même (Emery, 1959). La figure 29.29 résume les caractéristiques de la  nature discrétionnaire de la tâche qui doivent être prises en compte lors de la mise en place des mesures visant une conception des systèmes de production orientée vers le travail.

Figure 29.29 Caractéristiques des tâches discrétionnaires

Figure 29.29

Pour illustrer le propos, nous indiquons ci-après les conséquences pratiques de l’application du principe de la tâche discrétionnaire à la conception de la production:

  1. La mise en place indépendante d’objectifs susceptibles d’être incorporés dans des objectifs généraux plus élevés exige d’abandonner un système de planification et de contrôle centralisé en faveur d’un contrôle décentralisé au niveau opérationnel, afin de pouvoir prendre des décisions indépendantes personnelles, à des périodes définies.
  2. La préparation d’actions personnelles, destinées en fait à l’exercice de fonctions de planification, nécessite l’intégration des tâches de préparation du travail au niveau opérationnel.
  3. Le choix des moyens signifie, par exemple, que le concepteur puisse décider d’utiliser une planche à dessin plutôt qu’un système automatisé (par exemple une application CAO) pour effectuer certaines sous-tâches, à condition qu’il soit sûr que les données nécessaires pour la mise en place des autres parties du processus soient entrées dans le système.
  4. Les fonctions de performance, avec un retour d’information permettant de corriger les actions au besoin, nécessitent dans le cas de modes opératoires encapsulés une «fenêtre de visualisation» de la méthode utilisée.
  5. Le contrôle des actions, avec un retour d’informations relatives aux résultats, signifie que les travailleurs au niveau opérationnel assument les fonctions d’inspection et de contrôle de la qualité.

Ces exemples des conséquences de la mise en application du principe de la tâche discrétionnaire mettent deux choses en évidence: 1) dans de nombreux cas — voire dans la majorité des cas —, les tâches telles que celles décrites à la figure 29.29 ne peuvent être structurées que comme des tâches collectives, compte tenu de leur complexité et de leur portée; 2) la restructuration des tâches — en particulier lorsqu’elle est liée à l’introduction d’un travail en équipe — nécessite leur intégration dans un concept de restructuration global qui intéresse tous les échelons de l’entreprise.

Les principes structurels qui s’appliquent aux différents échelons sont résumés au tableau 29.5.

Tableau 29.5 Principes de structuration de la production

Echelon organisationnel

Principe structurel

Entreprise

Décentralisation

Service

Intégration fonctionnelle

Groupe de travail

Autorégulation1

Individu

Travail de production spécialisé1

1 Tient compte du principe de conception différenciée du travail.

Source: Ulich, 1994.

L’application des principes de structuration de la production indiquée au tableau 29.5 est illustrée à la figure 29.30. Cette proposition de restructuration, approuvée à l’unanimité par les responsables de la production et par un groupe de travail ad hoc, reflète un abandon fondamental du taylorisme et des barrières hiérarchiques. On peut citer de nombreuses entreprises dans lesquelles le réaménagement des structures, fondé sur de tels modèles, permet de répondre à la fois aux critères psychologiques de promotion de la santé et de développement de la personnalité et aux besoins d’efficacité économique à long terme (Ulich, 1994).

Figure 29.30 Projet de restructuration d'une entreprise manufaturière

Figure 29.30

Notre thèse — que nous ne pouvons développer ici pour des raisons de place — met en évidence trois choses:

  1. Les concepts tels que ceux qui ont été mentionnés représentent une alternative à la «production au plus juste» décrite par Womack, Jones et Roos (1990). Alors que, dans cette dernière approche, «chaque espace libre est éliminé» et que les tâches sont fragmentées à l’extrême (parcellisées) au sens taylorien du terme, dans l’approche présentée ci-après, en revanche, les tâches discrétionnaires réalisées en groupes, avec une auto- régulation importante, jouent un rôle capital.
  2. Les plans de carrière classiques des travailleurs spécialisés sont modifiés et, dans certains cas, ne peuvent être menés à bien en raison de la mise en place du principe d’intégration fonctionnelle, c’est-à-dire la réintégration au niveau de la base de fonctions de production indirectes comme la préparation des tâches, la maintenance, le contrôle de la qualité, etc. Cela exige une réorientation radicale consistant à remplacer la culture de carrière traditionnelle par une culture de compétence.
  3. Des concepts tels que ceux que l’on vient de mentionner signifient une modification fondamentale au niveau des structures dirigeantes, qui devront trouver une contrepartie dans le développement d’opportunités de participation correspondantes.

La participation des travailleurs

Dans les paragraphes qui précèdent, nous avons décrit des types d’organisation du travail dont l’une des caractéristiques de base est un processus de démocratisation, aux échelons inférieurs de l’entreprise, grâce à un renforcement de l’autonomie et de la liberté de décision en ce qui concerne le contenu des tâches et les conditions de travail. Dans la présente section, la démocratisation est considérée sous un angle différent, celui de la prise de décisions participative. Un cadre définissant la participation est d’abord présenté, suivi par un tour d’horizon des recherches sur les effets de la participation. Enfin, un projet d’étude des systèmes de participation est exposé.

Un cadre définissant la participation

Le développement organisationnel, le leadership, la conception des systèmes et les relations professionnelles sont des exemples du grand nombre de tâches et de contextes où la participation occupe une place significative. La possibilité offerte aux individus et aux groupes de servir leurs intérêts en exerçant une influence sur le choix entre plusieurs actions ou décisions dans une situation donnée, est un dénominateur commun qui peut être considéré comme le cœur même de la participation. (Wilpert, 1989). Un certain nombre de caractéristiques ou de dimensions sont toutefois nécessaires pour décrire la participation de façon plus détaillée. Celles mentionnées le plus souvent sont: a) la dimension formelle-informelle; b) la dimension directe-indirecte; c) le degré d’influence; d) la teneur des décisions (Dachler et Wilpert, 1978; Locke et Schweiger, 1979). La participation formelle fait référence à la participation rentrant dans le cadre d’une législation ou de toute autre réglementation contraignante (procédures de négociation collective, gestion des projets, etc.), tandis que la participation informelle est basée sur des échanges libres, entre un contremaître et ses subordonnés, par exemple. La participation directe permet aux individus concernés d’intervenir sans intermédiaire, alors que la participation indirecte fonctionne à travers un système de représentation. Le degré d’influence est généralement décrit à l’aide d’une échelle d’évaluation allant de «aucune information fournie aux employés en matière de décision» à «information préalable des employés», «consultation du personnel» et «décision prise en commun par toutes les parties concernées». Dans le cas de la fourniture d’informations préalables sans consultation ou de la prise de décisions commune, certains auteurs considèrent qu’il ne s’agit pas là d’un faible degré de participation, mais plutôt d’une forme de «pseudoparticipation» (Wall et Lischeron, 1977). Enfin, la teneur des décisions participatives peut être précisée, en indiquant par exemple s’il s’agit d’un changement technologique ou organisationnel, d’un problème de relations professionnelles ou de décisions opérationnelles prises au jour le jour.

Un schéma de classification, assez différent du précédent, a été mis au point par Hornby et Clegg (1992). En se fondant sur les travaux de Wall et Lischeron (1977), ils distinguent trois aspects dans les processus participatifs:

  1. types et degrés d’interactions entre les parties engagées par une décision;
  2. flux d’informations entre participants;
  3. nature de l’influence que les parties exercent les unes sur les autres, et degré de cette influence.

Ils ont ensuite utilisé ces aspects pour compléter un cadre proposé par Gowler et Legge (1978), qui ont décrit la participation comme une fonction de deux variables organisationnelles, à savoir le type de structure (mécanique/organique) et le type de processus (stable/instable). Ce modèle repose sur un certain nombre de postulats concernant la participation et ses rapports avec l’organisation; il ne peut donc pas être utilisé pour classifier les types généraux de participation. Il est présenté ici comme une tentative pour définir la participation dans un contexte plus large (voir tableau 29.6) (dans la dernière partie du présent article, le schéma de Hornby et Clegg (1992) fera l’objet d’une étude raisonnée).

Tableau 29.6 Participation dans un contexte organisationnel

 

Structure organisationnelle

 

Mécaniste

Organique

Processus organisationnel

Stable

Régulée

Interaction: verticale/commandement
Flux d’informations: non réciproque
Influence: asymétrique

Ouverte

Interaction: latérale/consultative
Flux d’informations: réciproque
Influence: asymétrique

Instable

Arbitraire

Interaction: ritualiste/aléatoire
Flux d’informations: non réciproque/sporadique;
Influence: autoritaire

Régulée

Interaction: intensive/aléatoire
Flux d’informations: réciproque/interrogatif
Influence: paternaliste

Source: d’après Hornby et Clegg, 1992.

Une caractéristique importante, généralement non incluse dans les classifications consacrées à la participation, est l’objectif organisationnel lié au choix de la stratégie de participation (Dachler et Wilpert, 1978). Plus fondamentalement, la participation peut avoir pour seul objet de se conformer à une norme démocratique, sans tenir compte de son influence sur l’efficacité du processus de prise de décisions, sur la qualité de la décision elle-même et sur les résultats de son application. Une procédure participative peut aussi avoir été choisie pour bénéficier des connaissances et de l’expérience des individus concernés ou pour s’assurer qu’ils accepteront les décisions prises. Souvent, il est difficile d’identifier les objectifs qui ont inspiré le choix d’une approche participative à la prise de décisions; plusieurs objectifs pourront coexister, de sorte que cette dimension n’est pas de nature à faciliter la classification. Elle reste toutefois une dimension importante si l’on veut bien comprendre le processus de participation.

Les recherches portant sur les effets de la participation

Nombreux sont ceux qui s’accordent à dire que le fait d’offrir aux travailleurs la possibilité d’une participation directe dans la prise de décisions permet d’augmenter leur satisfaction et d’accroître la productivité. D’une façon générale, la recherche a corroboré ce postulat, mais les résultats restent équivoques et bon nombre d’études ont été critiquées sur le fond en ce qui concerne les théories et les méthodes employées (Cotton et coll., 1988; Locke et Schweiger, 1979; Wall et Lischeron, 1977). Cotton et coll. (1988) ont relevé que les résultats souvent disparates sont dus à des différences dans la forme de participation étudiée; ainsi, la participation informelle est associée à une productivité élevée et à la satisfaction du personnel, alors que la participation à court terme s’avère inefficace à cet égard. Bien que leurs conclusions aient été sévèrement critiquées (Leana, Locke et Schweiger, 1990), il existe un consensus sur le fait que la recherche en matière de participation est généralement caractérisée par un certain nombre de carences, allant des problèmes conceptuels comme ceux mentionnés par Cotton et coll. (1988) à des questions de méthodologie, comme les variations observées dans les résultats et dues au traitement opérationnel des variables dépendantes (Wagner et Gooding, 1987).

Pour illustrer les difficultés associées à la recherche en matière de participation, l’étude classique de Coch et French (1948) sera brièvement décrite, suivie de la critique qu’en ont faite Bartlem et Locke (1981). L’objet principal de l’étude de Coch et French était de surmonter la résistance au changement en faisant appel à la participation. Les travailleurs d’une usine de textile où l’on avait noté de fréquentes mutations de postes ont été invités à participer, à des degrés divers, à la conception de leurs nouveaux postes. Un groupe de travailleurs a pris part aux décisions (portant sur les méthodes de travail et la rémunération aux pièces) par l’intermédiaire de représentants élus choisis au sein du groupe. Dans deux autres groupes, de taille plus restreinte, l’ensemble des travailleurs a participé aux décisions, tandis qu’un quatrième groupe servait de témoin sans aucune participation. On avait préalablement constaté que la plupart des travailleurs de l’usine considérée n’aimaient pas être mutés, qu’ils mettaient plus de temps à se familiariser avec leur nouveau poste et que l’absentéisme et la rotation de personnel étaient plus importants parmi les opérateurs mutés à un nouveau poste que parmi ceux qui n’avaient pas été mutés depuis longtemps. Ce phénomène avait été observé malgré le fait que les opérateurs avaient reçu une prime de mutation pour compenser la perte initiale de gains aux pièces après leur mutation. La comparaison des trois situations expérimentales a montré que le niveau de production est resté faible dans le groupe sans participation — niveau qui avait été fixé comme la norme pour le groupe — pendant le premier mois suivant la mutation, alors que les groupes dont la participation était entière avaient retrouvé leur productivité initiale au bout de quelques jours et l’avaient même dépassée après un mois. Le troisième groupe (qui avait été associé à la participation par l’intermédiaire de représentants élus) n’avait pas retrouvé aussi rapidement son niveau de productivité, mais y était parvenu au bout d’un mois (il ne disposait pas d’un équipement adéquat pendant la première semaine). Aucune mutation n’a été enregistrée dans les groupes participatifs, qui n’ont manifesté que peu d’agressivité vis-à-vis de la direction. Dans le groupe non participatif, par contre, le taux de rotation était de 17% et le personnel était généralement hostile à l’égard de la direction. Ce groupe a été dissous au bout d’un mois, puis reconstitué après deux mois et demi de travail dans une nouvelle activité; les travailleurs ont eu alors la possibilité de participer à l’aménagement de leur travail, et l’on a pu constater le même phénomène de récupération et d’augmentation de la productivité que celui noté dans les groupes participatifs lors de la première phase de l’expérience. Ces résultats ont été expliqués par Coch et French qui ont pris pour base un modèle général de résistance au changement proposé par Lewin (1951; voir ci-après).

Bartlem et Locke (1981) ont fait remarquer que ces résultats ne pouvaient être interprétés comme une preuve des effets positifs de la participation, car il y avait des différences importantes entre les groupes en ce qui concerne les explications fournies quant à la nécessité des changement dans les réunions avec la direction, le degré de formation reçue, la façon dont les études avaient été effectuées pour fixer les tarifs aux pièces, le volume de travail disponible et la taille des groupes. Ils ont fait valoir que le niveau jugé équitable des salaires et la confiance générale accordée à la direction — et non la participation en elle-même — avaient contribué à une meilleure performance des groupes participatifs.

On ne connaît pas non plus grand-chose des mécanismes responsables des effets observés (Wilpert, 1989). Dans une étude longitudinale sur les incidences de la conception participative du travail, Baitsch (1985) a décrit en détail les processus de développement des compétences chez un certain nombre de travailleurs de la base. Son étude peut être rapprochée de la théorie de Deci (1975) relative à la motivation intrinsèque fondée sur le besoin de se sentir compétent et d’être apte à prendre soi-même des décisions. Un cadre théorique, centré sur les effets de la participation sur la résistance au changement, a été suggéré par Lewin (1951). Il a admis que les systèmes sociaux avaient atteint un équilibre quasi stationnaire et que toute tentative de changement avait pour effet de les perturber. Pour que le changement soit couronné de succès, les forces qui le favorisent doivent être supérieures aux forces résistantes. La participation aide à réduire les résistances et à augmenter les forces vives, car les raisons de la résistance peuvent être discutées et traitées librement et les problèmes et les besoins des individus peuvent être intégrés dans le changement proposé. Lewin postule également que les décisions prises en commun dans le cadre d’un processus participatif constituent le lien entre la motivation pour le changement et les modifications effectives de comportement.

La participation à la conception des systèmes

Compte tenu du soutien spontané — quoique pas toujours cohérent — apporté à l’efficacité de la participation, ainsi que de son ancrage éthique dans la démocratie industrielle, il existe un large consensus selon lequel une stratégie participative devrait être suivie dans la conception des systèmes (Greenbaum et Kyng, 1991; Majchrzak, 1988; Scarbrough et Corbett, 1992). Un certain nombre d’études de cas sur les processus de conception participative ont également relevé les avantages spécifiques de la participation dans la conception des systèmes, en ce qui concerne par exemple la qualité de la solution retenue, la satisfaction des utilisateurs et l’acceptation (c’est-à-dire l’utilisation effective) du nouveau système (Mumford et Henshall, 1979; Spinas, 1989; Ulich et coll., 1991).

Dès lors, la grande question qui se pose n’est plus de savoir si la participation est utile ou non, mais comment la mettre en place. Scarbrough et Corbett (1992) ont donné une vue d’ensemble des divers types de participation dans les différentes phases du processus de conception (voir tableau 29.7). Comme ils l’ont relevé, l’implication des utilisateurs dans les choix technologiques est plutôt rare et se limite souvent à la diffusion d’informations. La participation n’intervient généralement que dans les dernières phases de mise en place et d’optimisation de la technique choisie et durant le développement des options sociotechniques, c’est-à-dire des options qui concernent la conception du travail et de son organisation en association avec les options qui s’offrent sur le plan technique. Outre la résistance manifestée par la direction et les techniciens à la participation des utilisateurs dans la conception des systèmes techniques et les restrictions potentielles liées aux structures rigides de participation dans l’entreprise, la mise en place de mécanismes permettant la discussion et l’évaluation de systèmes qui n’existent pas encore constitue une difficulté majeure (Grote, 1994). Dans le développement des logiciels, les laboratoires d’essais peuvent aider à surmonter cette difficulté en offrant la possibilité de procéder à des tests préalables.

Tableau 29.7 Participation des utilisateurs à la mise en œuvre de nouvelles technologies

Phases du processus

Type de participation

 
 

Formelle

Informelle

Conception

Consultation des syndicats
Prototypage

Réaménagement par l’utilisateur

Mise en place

Accords sur les nouvelles technologies


Négociations collectives

Négociations portant sur les qualifications

Négociations
Coopération des utilisateurs

Applications

Conception du travail

Cercles de qualité

Réaménagement informel du travail
et des méthodes de travail

Source: d’après Scarbrough et Corbett, 1992.

En étudiant les processus de conception des systèmes, y compris ceux qui ont un caractère participatif, Hirschheim et Klein (1989) ont souligné les effets des postulats implicites et explicites des dirigeants et des concepteurs de systèmes en ce qui concerne des questions fondamentales telles que le caractère de l’organisation sociale, la nature de la technologie et leurs rôles respectifs dans le processus de développement. Selon que les agents chargés de la conception des systèmes se considéreront comme des spécialistes, des catalyseurs ou des émancipateurs, cela influera sur les processus de conception et de mise en place. Le contexte organisationnel plus large dans lequel s’inscrit la conception participative doit être pris en considération, comme on l’a vu. Hornby et Clegg (1992) ont montré qu’il existe un rapport entre les caractéristiques organisationnelles générales et la forme de participation choisie (ou, plus précisément, la forme définie tout au long des stades de conception et de mise en place). Ils ont étudié l’introduction d’un système d’information au sein d’un projet de nature participative, avec un engagement explicite quant à la participation des utilisateurs. Ceux-ci ont toutefois rapporté qu’ils n’avaient reçu que peu d’informations concernant les changements envisagés et que leur influence sur la conception du système et les questions connexes comme la conception des postes de travail et la sécurité de l’emploi était faible. Ce résultat a été interprété comme un reflet de la structure rigide de l’entreprise, qui a privilégié une participation «arbitraire» plutôt que la participation libre qui aurait été souhaitable (voir tableau 29.6).

En définitive, on voit que les avantages des stratégies de changement participatives sont évidents. En dépit de cette conclusion, il reste encore beaucoup à apprendre sur les mécanismes sous- jacents et les facteurs susceptibles de favoriser, de tempérer ou d’entraver ces effets positifs.

LA PRIVATION DE SOMMEIL

Kazutaka Kogi

Les individus sains dorment régulièrement plusieurs heures par jour, d’ordinaire pendant la nuit. Lorsqu’ils ont un sommeil normal, ils ont beaucoup de mal à rester éveillés entre minuit et le petit matin. Si une personne doit rester éveillée totalement ou partiellement durant cette période, elle éprouvera une perte de sommeil forcée et souffrira d’un manque de sommeil, généralement ressenti comme de la fatigue. Elle éprouvera alors une forte envie de dormir, accompagnée de degrés fluctuants de somnolence, et cela, jusqu’à ce qu’elle ait suffisamment dormi. C’est la raison pour laquelle les périodes de privation de sommeil sont souvent considérées comme entraînant chez un individu un déficit ou une dette de sommeil.

Le manque de sommeil constitue un problème particulier pour les travailleurs dont les périodes de sommeil sont insuffisantes en raison de leurs horaires de travail (c’est le cas, par exemple, pour le travail de nuit) ou qui, à l’inverse, ont des activités de loisirs qui se prolongent. Un travailleur de nuit demeure privé de sommeil jusqu’à ce qu’il puisse dormir, c’est-à-dire après la relève. Etant donné que le travailleur qui dort pendant la journée ne peut, en règle générale, jouir d’une période de sommeil suffisante par rapport à ses besoins, il ne pourra récupérer complètement qu’après avoir pu dormir plusieurs heures de suite, c’est-à-dire généralement toute une nuit; avant ce moment, il accumulera un déficit en sommeil (on observe la même chose chez les voyageurs qui traversent rapidement plusieurs fuseaux horaires). Ils auront tendance à manquer de sommeil, car les périodes d’activité dans le pays de destination correspondent généralement à la période normale de sommeil dans le pays d’origine). Durant les périodes où ils sont privés de sommeil, les travailleurs se sentent fatigués et leurs performances sont affectées de diverses manières. Ainsi, les travailleurs dont les horaires de travail sont irréguliers présentent différents degrés de manque de sommeil dans leur vie quotidienne et il est important de prendre des mesures afin de faire face aux effets néfastes de leur déficit en sommeil. Les principales manifestations des horaires de travail irréguliers qui entraînent un manque de sommeil sont énumérées dans le tableau 29.8.

Tableau 29.8 Principales carctéristiques des horaires de travail irréguliers entraînant
différents degrés de privation de sommeil

Horaires de travail irréguliers

Caractéristiques du manque de sommeil

Travail de nuit

Pas de sommeil nocturne ou période de sommeil nocturne raccourcie

Travail commencé tôt le matin ou tard le soir

Période de sommeil raccourcie ou sommeil interrompu

Longues heures de travail ou travail s’étendant sur deux postes

Décalage des phases de sommeil

Poste de nuit ou du petit matin

Décalage consécutif des phases de sommeil

Courte période de repos entre deux postes

Sommeil court ou interrompu

Long intervalle entre les périodes de congé

Accumulation de déficits de sommeil

Travail dans une autre zone horaire

Absence de sommeil ou sommeil raccourci durant les heures «nocturnes» dans le pays d’origine (décalage horaire)

Déséquilibre au niveau des périodes de temps libre

Décalage des phases de sommeil, sommeil court

Dans des conditions extrêmes, la privation de sommeil peut durer plus d’une journée. Plus la période de manque de sommeil se prolonge, plus l’état de somnolence est prononcé et plus les performances se dégradent. Les travailleurs, toutefois, dorment généralement un peu avant que le manque de sommeil ne s’aggrave; s’ils n’y parviennent pas, les effets de la privation de sommeil persistent. Il importe par conséquent de connaître non seulement les effets du manque de sommeil sous leurs diverses formes, mais également les moyens de récupération dont disposent les travailleurs.

La nature complexe du manque de sommeil est illustrée à la figure 29.31, qui présente les données obtenues en laboratoire sur les effets de deux jours consécutifs de privation de sommeil (Fröberg, 1985). Il en ressort trois modifications fondamentales consécutives à un manque de sommeil prolongé:

  1. On observe dans l’ensemble un déclin de la performance mesurée de manière objective ou évaluée de façon subjective.
  2. La baisse de performance varie au cours de la journée. Elle est en corrélation avec les variables physiologiques, lesquelles ont un cycle circadien. La performance est meilleure dans la phase normale d’activité — lorsque, par exemple, l’élimination d’adrénaline et la température du corps sont plus élevées — que dans la période normale de sommeil nocturne où ces mêmes valeurs physiologiques sont moins élevées.
  3. Lorsque le manque de sommeil se prolonge, l’état de somnolence, estimé par le sujet lui-même, augmente lui aussi, avec une allure cyclique très nette.

Figure 29.31 Performance, somnolence et variables physiologiques chez un groupe de sujets
exposées à 48 heures de privation de sommeil

Figure 29.31

Le fait que les effets du manque de sommeil soient corrélés aux rythmes circadiens physiologiques aide à saisir la nature complexe du phénomène (Folkard et Akerstedt, 1992). Ces effets devraient être considérés comme résultant d’un décalage progressif du cycle sommeil-état de veille au cours de la journée.

Les effets d’un travail continu ou d’une privation de sommeil comportent donc non seulement une chute de la vigilance, mais également une diminution des capacités productives, une augmentation de la probabilité d’endormissement, une diminution du bien-être et une atteinte à la sécurité. Lorsque les périodes de manque de sommeil sont répétées, comme c’est le cas pour les travailleurs de nuit, cela peut avoir des effets néfastes pour la santé (Rutenfranz, 1982; Koller, 1983; Costa et coll., 1990). L’un des principaux objectifs de la recherche est donc de déterminer dans quelle mesure la privation de sommeil a un effet délétère et comment il est possible de récupérer dans les meilleures conditions.

Les effets de la privation de sommeil

Pendant et après une nuit sans sommeil, le rythme physiologique circadien de l’organisme humain semble soutenu. Ainsi, la courbe de température corporelle mesurée pendant la première journée de travail de nuit semble conserver son allure circadienne de base. Pendant la nuit, la température corporelle diminue jusqu’aux premières heures de la matinée, puis augmente à nouveau durant la journée avant de diminuer à nouveau après avoir atteint un pic dans l’après-midi. On sait que, chez les travailleurs de nuit, les rythmes physiologiques «s’adaptent» à l’inversion des cycles sommeil-état de veille, mais seulement de manière progressive après plusieurs postes de nuit. De ce fait, les effets sur la performance et la somnolence sont plus marqués durant la nuit que pendant la journée. Les effets du manque de sommeil sont donc associés, de manière variable, aux rythmes circadiens que l’on observe dans les fonctions physiologiques et psychologiques.

Les effets de la privation de sommeil sur la performance dépendent du type d’activité et de ses caractéristiques. (Fröberg, 1985; Folkard et Monk, 1985; Folkard et Akerstedt, 1992). Généralement, ces effets seront d’autant plus marqués que la tâche est plus complexe. La performance d’une tâche impliquant un nombre croissant de chiffres ou un codage plus complexe accuse une nette baisse après trois nuits sans sommeil (Fröberg, 1985; Wilkinson, 1964). Les tâches à cadence imposée seront moins bien exécutées que celles dont le rythme d’exécution peut être choisi librement. Parmi les exemples pratiques de tâches sensibles, on peut citer les réactions en série à des stimuli définis, les opérations de tri simples, l’enregistrement de messages codés, la dactylographie de copies, le monitorage d’affichages et les tâches d’inspection continues. Le manque de sommeil a également des répercussions sur la performance des travaux de force. Les effets typiques d’une privation de sommeil prolongée sur la performance d’une tâche visuelle sont présentés à la figure 29.32 (Dinges, 1992); on constate que ces effets sont plus prononcés après deux nuits sans sommeil (40-56 heures) qu’après une seule nuit sans sommeil (16-40 heures).

Figure 29.32 Droites de régression exprimant la vitesse de réaction (l'inverse du temps de
réponse TR) dans le cas d'une tâche visuelle simple, non attendue, d'une durée de 10 minutes,
présentée de manière répétitive à des adultes jeunes et sains sans perte de sommeil
(5-16 heures d'éveil), après une nuit sans sommeil (16-40 heures) et après deux
nuits sans sommeil (40-56 heures)

Figure 29.32

Les répercussions sur la performance semblent dépendre également de l’effet de masque de certaines composantes des rythmes circadiens. Ainsi, il a été démontré que des tâches de recherche mnémonique à cinq cibles s’adaptent beaucoup plus rapidement au travail de nuit que des tâches de réactions en série et qu’elles sont relativement peu altérées dans le cas d’un travail posté à rotation rapide (Folkard et coll., 1993). De telles différences dans les effets des rythmes physiologiques endogènes et de leurs composantes à effet de masque doivent être prises en compte lorsqu’on évalue la sécurité et la précision de la performance sous l’effet d’un manque de sommeil.

L’une des conséquences de la privation de sommeil sur la performance est l’apparition de périodes sans réponse ou «temps morts» fréquents (Wilkinson, 1964; Empson, 1993). Ce sont de brèves périodes de baisse de la vigilance ou de somnolence. On peut établir des tracés à partir d’enregistrements vidéo des mouvements oculaires, ou encore à partir d’électroencéphalogrammes (EEG). Une tâche prolongée (une demi-heure ou davantage), particulièrement lorsqu’elle est répétée, peut entraîner plus facilement de telles défaillances. On le constate tout particulièrement lorsqu’on a affaire à des tâches monotones appelant la répétition de réactions élémentaires ou la surveillance de signaux peu fréquents. S’il s’agit d’une tâche nouvelle, en revanche, ou si les conditions de travail ont subi des modifications, les effets seront moins marqués.

Puisqu’on a clairement démontré que le manque de sommeil entraîne une diminution graduelle de l’éveil, on pourrait s’attendre à ce que ses répercussions sur la performance soient moins importantes entre les temps morts. Cela explique pourquoi les résultats de certains tests de performance montrent que la privation de sommeil a peu d’influence lorsque ceux-ci sont de courte durée. Dans les tâches appelant des réactions élémentaires, ces temps morts entraîneraient des temps de réponse très longs. Il convient donc d’être prudent dans l’interprétation des résultats des tests concernant les effets du manque de sommeil en situations réelles.

Les modifications de la somnolence en cas de privation de sommeil sont liées de toute évidence aux rythmes physiologiques circadiens, ainsi qu’aux périodes de temps morts. La somnolence augmente fortement au cours de la première période de travail de nuit, pour diminuer ensuite le jour suivant. Si le manque de sommeil se poursuit au cours de la deuxième nuit consécutive, la somnolence devient très prononcée durant les heures nocturnes (Costa et coll., 1990; Matsumoto et Harada, 1994). Il y a des moments où le besoin de sommeil devient pratiquement irrésistible. Ces moments correspondent à l’apparition des temps morts, de même qu’à des interruptions dans les fonctions cérébrales mises en évidence par les EEG. Après un certain temps, la sensation de somnolence semble diminuer, mais elle fait place à une autre période de temps morts. Toutefois, lorsqu’on interroge les travailleurs sur les impressions de fatigue qu’ils éprouvent, ils mentionnent généralement une augmentation de la fatigue et une lassitude généralisée qui persistent durant toute la période de privation de sommeil et entre les périodes de temps morts. Une légère récupération de la fatigue subjective s’observe durant la journée qui suit une nuit sans sommeil, mais les impressions de fatigue sont plus accentuées au cours de la seconde nuit sans sommeil et des nuits suivantes.

En cas de manque de sommeil, on observe que le besoin de sommeil dû à l’interaction de l’état de veille antérieur et de la phase circadienne peut, dans une certaine mesure, persister, mais que la labilité de l’état des sujets somnolents est également modulée par des facteurs contextuels (Dinges, 1992). C’est ainsi que la somnolence peut être influencée par la quantité et le type de stimuli, l’intérêt que présente l’environnement et la signification que le sujet donne à ces stimuli. Une stimulation monotone ou qui exige une attention soutenue peut favoriser une baisse de la vigilance. Plus l’état de somnolence physiologique dû au manque de sommeil est prononcé, plus le sujet sera vulnérable à la monotonie ambiante. Des efforts de motivation et des incitations peuvent, pour un temps, aider à surmonter cet effet de l’environnement.

Les effets d’un manque de sommeil partiel et de déficits de sommeil accumulés

Lorsqu’un individu travaille de manière continue pendant toute une nuit sans sommeil, plusieurs fonctions touchant à sa performance se seront détériorées de manière définitive. Si le sujet enchaîne sur une deuxième nuit de travail sans avoir dormi du tout, le déclin de performance sera bien avancé. Après trois ou quatre nuits de privation totale de sommeil, très peu d’individus peuvent rester éveillés et accomplir leur travail, même s’ils sont fortement motivés. Dans la vie réelle, de telles situations sont évidemment rares. Généralement, on s’arrange pour dormir un peu pendant la nuit de travail suivante. Par ailleurs, des rapports provenant de différents pays montrent que dormir pendant la journée ne suffit pas pour récupérer le manque de sommeil dû au travail de nuit (Knauth et Rutenfranz, 1981; Kogi, 1981; BIT, 1990). En conséquence, plus une personne travaillera de nuit, plus son déficit de sommeil sera important. Des déficits similaires s’observent également lorsque les périodes de sommeil sont réduites pour respecter les horaires de rotation des équipes. Même si l’on peut dormir un peu pendant la nuit, l’on sait qu’un déficit de sommeil, même s’il n’est que de deux heures, empêche la majorité des individus de jouir d’une quantité de sommeil suffisante et peut entraîner, de ce fait, une diminution de la performance et de la vigilance (Monk, 1991).

Le tableau 29.8 donne quelques exemples de conditions de travail pouvant contribuer à des déficits de sommeil accumulés ou à un manque de sommeil partiel. Outre le travail de nuit poursuivi pendant deux jours ou davantage, des périodes de repos trop courtes entre les périodes de travail, le fait de commencer le travail le matin de très bonne heure, des postes de nuit trop fréquents et un régime de congés inadapté accélèrent l’accumulation des déficits de sommeil.

Un sommeil diurne de mauvaise qualité ou un temps de sommeil raccourci ont également des effets néfastes. Le sommeil diurne est caractérisé par des réveils plus fréquents, un sommeil moins profond et à ondes lentes et une répartition du sommeil paradoxal qui n’est pas la même que dans un sommeil nocturne normal (Torsvall, Akerstedt et Gillberg, 1981; Folkard et Monk, 1985; Empson, 1993). Un sommeil diurne ne sera donc jamais aussi réparateur qu’un sommeil nocturne, même s’il est pris dans un environnement favorable.

Cette difficulté à jouir d’un sommeil de bonne qualité dans un système de travail posté est illustrée par le diagramme de la figure 29.33, qui donne la durée moyenne de sommeil chez des travailleurs allemands et japonais en fonction de l’heure d’installation du sommeil et en se basant sur des enregistrements quotidiens (Knauth et Rutenfranz, 1981; Kogi, 1985). Le sommeil diurne, on le voit, est plus court en raison de l’influence circadienne (certains travailleurs pouvaient avoir dormi à plusieurs reprises pendant la journée et avoir dormi également dans la soirée, lorsque la possibilité leur en était offerte).

Figure 29.33 Durée moyenne du sommeil chez des travailleurs allemands et japonais en fonction
du moment de l'endormissement

Figure 29.33

Dans la vie courante, les travailleurs en équipes cherchent à pallier l’accumulation de leurs déficits de sommeil (Wedderburn, 1991). Ainsi, certains essaient de prendre une «avance de sommeil» avant le poste de nuit ou s’efforcent de dormir longtemps après leur travail. Bien que de tels efforts ne permettent pas d’atténuer complètement les effets d’un déficit de sommeil, ils sont faits de manière délibérée. La réduction des activités sociales et culturelles peut également faire partie de ces mesures; les activités de loisirs à l’extérieur, par exemple, sont moins fréquentes entre deux postes de nuit. L’horaire et la durée du sommeil, ainsi que le déficit réel accumulé dépendent en fait aussi bien des circonstances sociales que de l’activité professionnelle.

La récupération du manque de sommeil et les mesures d’accompagnement

Le seul moyen efficace de récupérer un manque de sommeil est de dormir. L’effet récupérateur du sommeil est bien connu (Kogi, 1982). Etant donné que la qualité de la récupération varie en fonction de sa durée et de l’horaire adopté (Costa et coll., 1990), il est essentiel de savoir quand une personne devrait dormir et pendant combien de temps. Dans la vie quotidienne normale, il est toujours préférable de dormir une nuit entière pour accélérer la récupération, bien que l’on cherche généralement à minimiser les effets d’un déficit de sommeil en effectuant de petits sommes pour remplacer le sommeil nocturne normal dont on a été privé. Le tableau 29.9 montre les divers aspects de ces sommeils de remplacement.

Tableau 29.9 Caractéristiques du sommeil pris en avance, du sommeil nocturne court et du sommeil
différé en lieu et place d'une nuit de sommeil normale

Types de sommeil

Sommeil pris en avance

Sommeil nocturne court

Sommeil différé

Occasion

Avant un poste de nuit; entre des postes de nuit; avant un poste commençant très tôt le matin; petits sommes tard dans la soirée

Travail de nuit intermittent; pendant un poste de nuit; travail faisant alterner les postes diurnes/ nocturnes; loisirs prolongés; petits sommes informels

Après un poste de nuit; entre des postes de nuit; après un travail prolongé dans la soirée; petits sommes dans la journée

Durée

Généralement courte

Courte par définition

Généralement courte mais un peu plus longue après un travail effectué tard dans la soirée

Qualité

Temps d’endormissement plus long; mauvaise humeur au réveil; sommeil paradoxal réduit; sommeil à ondes lentes dépendant de l’état de veille antérieur

Temps d’endormissement court; mauvaise humeur au réveil; phases de sommeil semblables à la première partie d’une nuit de sommeil normale

Courte latence pour le sommeil paradoxal; augmentation des réveils; augmentation du sommeil paradoxal; augmentation du sommeil à ondes lentes après une longue période d’éveil

Interaction avec les rythmes circadiens

Rythmes perturbés; ajustement relativement plus rapide

Stabilisation des rythmes circadiens de base

Rythmes perturbés; ajustement lent

Pour compenser le manque de sommeil nocturne, on cherche généralement à dormir pendant la journée pour avoir du «sommeil d’avance» ou pour prendre un sommeil différé (par exemple, avant et après un poste de nuit). Un tel sommeil coïncide avec la phase d’activité circadienne; il est caractérisé par une latence plus longue, un sommeil à ondes lentes raccourci, un sommeil paradoxal perturbé et des troubles dans la vie sociale. Les facteurs sociaux et environnementaux sont importants pour déterminer l’effet récupérateur d’un sommeil; lorsqu’on essaie de déterminer l’efficacité des fonctions de récupération du sommeil, il ne faut pas oublier qu’une conversion complète du rythme circadien est impossible pour un individu travaillant en équipe.

A cet égard, des caractéristiques intéressantes d’un sommeil nocturne de courte durée (anchor sleep) ont été rapportées (Minors et Waterhouse, 1981; Kogi, 1982; Matsumoto et Harada, 1994). Lorsqu’une partie du sommeil quotidien habituel a lieu pendant la période normale de sommeil nocturne, et le reste à intervalles irréguliers, les rythmes circadiens de la température rectale et de la sécrétion urinaire de plusieurs électrolytes peuvent se maintenir sur une période de vingt-quatre heures. Cela signifie que dormir brièvement pendant la nuit peut aider à préserver les rythmes circadiens de base au cours des périodes ultérieures.

On peut supposer que le fait de dormir à différentes périodes de la journée peut avoir certains effets complémentaires sur les différentes fonctions de récupération. Une approche intéressante pour les travailleurs de nuit consiste à faire, pendant la nuit, de petits sommes qui peuvent durer jusqu’à quelques heures. Les études montrent que ces petits sommes pendant le travail de nuit sont courants chez certaines catégories de travailleurs. Ce type de sommeil est salutaire, car il réduit la fatigue due au travail de nuit (Kogi, 1982) et peut réduire le besoin de récupération de sommeil. La figure 29.34 compare les perceptions subjectives de fatigue, pendant deux postes de travail de nuit consécutifs et durant les périodes de récupération, entre un groupe ayant fait un petit somme et un autre n’en ayant pas fait (Matsumoto et Harada, 1994). Les effets positifs d’un petit somme nocturne sur la réduction de la fatigue sont évidents. Ces effets ont persisté pendant une bonne partie de la période de récupération consécutive au travail de nuit. Aucune différence significative n’a été observée entre les deux groupes lorsque la durée de la période de sommeil diurne du groupe n’ayant pas fait de somme a été comparée à la durée de sommeil totale (somme nocturne plus sommeil diurne) du groupe ayant fait un somme nocturne. Un petit somme effectué pendant la nuit permet donc de prendre un peu d’avance en sommeil essentiel sur le sommeil diurne consécutif au travail de nuit. On peut donc en déduire que les petits sommes effectués pendant le poste de nuit peuvent favoriser l’élimination d’une partie au moins de la fatigue provoquée par ce type de travail et accompagnant la privation de sommeil (Sakai et coll., 1984; Saito et Matsumoto, 1988)

Figure 29.34 Scores moyens des perceptions subjectives de fatigue pendant deux postes de nuit
consécutifs et une période de récupération dans des groupes ayant fait ou non de petits
sommes nocturnes

Figure 29.34

Il faut admettre toutefois qu’il n’est pas possible d’élaborer des stratégies optimales pouvant être appliquées par tous les travail-leurs souffrant d’un déficit de sommeil. Les normes adoptées en vue de réglementer le travail de nuit contiennent une série de mesures pour les travailleurs appelés à travailler fréquemment de nuit (Kogi et Thurman, 1993). La nature variée de ces mesures et la tendance à augmenter la flexibilité des systèmes de travail posté reflètent clairement les efforts déployés pour développer des stratégies de sommeil flexibles (Kogi, 1991). L’âge, la condition physique, les habitudes de sommeil et d’autres différences inter-individuelles en matière de tolérance peuvent jouer un rôle important (Folkard et Monk, 1985; Costa et coll. 1990; Härmä, 1993). Une plus grande flexibilité des horaires de travail, associée à une meilleure conception du travail, est utile à cet égard (Kogi, 1991).

Les stratégies élaborées pour combattre les effets d’une privation de sommeil devraient dépendre du type d’activité exercée et être suffisamment souples pour répondre aux besoins individuels (Knauth, Rohmer et Rutenfranz, 1979; Rutenfranz, Knauth et Angersbach, 1981; Wedderburn, 1991, Monk, 1991). Il s’agit, en résumé, de combattre la privation de sommeil nocturne en fixant des horaires de travail appropriés et de faciliter la récupération en encourageant les travailleurs à dormir de manière satisfaisante et à recourir notamment à un sommeil de remplacement et à un sommeil nocturne convenable dans la période qui suit immédiatement le déficit de sommeil accumulé. Il est important d’éviter de tels déficits et de réduire autant que possible la période de travail de nuit qui prive les travailleurs d’un sommeil nocturne normal. Les intervalles séparant les périodes d’activité devraient être assez longs pour permettre un sommeil de durée suffisante. Un environnement propre à favoriser un sommeil réparateur, accompagné de mesures destinées à répondre aux besoins de la vie sociale, ont également leur utilité. Un bon soutien de l’entourage est essentiel si l’on veut parvenir à mettre au point, en matière d’horaires de travail et d’aménagement du travail, des stratégies individuelles capables de protéger la santé des travailleurs confrontés à de fréquents déficits de sommeil.

LA CONCEPTION DES SYSTÈMES DE TRAVAIL

LES POSTES DE TRAVAIL

Roland Kadefors

La conception intégrée des postes de travail

En ergonomie, la conception des postes de travail revêt une importance primordiale. On admet en général qu’un poste de travail bien conçu — qu’il s’agisse de travailleurs manuels ou d’employés de bureau — favorise non seulement la santé et le bien-être, mais également la productivité et la qualité des produits. A l’inverse, un poste de travail de conception médiocre est susceptible de provoquer, directement ou indirectement, des traumatismes, des atteintes à la santé ou des maladies professionnelles et de nuire à la qualité des produits, ainsi qu’à la productivité.

Pour un ergonome, cette affirmation peut sembler un lieu commun. Tous les ergonomes admettent que, partout dans le monde, le milieu de travail se caractérise par des carences ergonomiques quand ce ne sont pas carrément des violations flagrantes des principes ergonomiques de base. De toute évidence, les responsables — qu’il s’agisse des ingénieurs de la production, des personnes d’encadrement ou des gestionnaires — ignorent souvent l’importance d’une bonne conception des postes de travail.

Il convient de noter, dans le domaine industriel, l’existence d’une tendance généralisée qui semble souligner l’importance des facteurs ergonomiques, à savoir les exigences de plus en plus sévères en matière de qualité des produits, de flexibilité et de respect des délais de livraison. Ces exigences sont incompatibles avec une approche classique de la conception.

Bien que, dans le contexte actuel, ce soient les composantes physiques de conception des postes de travail qui constituent la principale préoccupation, on ne doit pas oublier que la conception matérielle du poste de travail ne saurait, en pratique, être dissociée de l’organisation du travail. L’évidence de ce principe sera démontrée dans le processus de conception décrit ci-après. La qualité du résultat final du processus repose sur trois fondements: les connaissances ergonomiques, la prise en compte des exigences de productivité et de qualité et la participation. Le processus de conception de tout nouveau poste de travail doit satisfaire à ces conditions et constitue le thème principal du présent article.

Les considérations en matière de conception

Les postes de travail sont destinés à l’exécution d’un travail. La conception d’un poste commence par la définition des objectifs de production. Le concepteur — souvent un ingénieur de la production ou un cadre intermédiaire — élabore une vision du poste de travail et s’applique à la mettre en œuvre par l’intermédiaire des moyens de planification dont il dispose. Le processus est itératif: à partir d’une esquisse, la solution se précise progressivement. Il est primordial de prendre en compte les aspects ergonomiques à chaque stade du processus de conception.

On remarquera que la conception ergonomique des postes de travail est étroitement liée à leur évaluation ergonomique. De fait, la démarche est la même, que le poste de travail existe déjà ou que l’on soit en train d’en étudier l’aménagement.

Dans le processus de conception, il faut pouvoir disposer d’une structure assurant la prise en compte de tous les aspects concernés. On y parvient traditionnellement à l’aide d’une grille de recueil de données, appelée également liste de contrôle, contenant une série de variables à prendre en considération. Les grilles d’usage général sont souvent volumineuses et difficiles à utiliser; parfois, seules certaines parties s’appliquent dans une situation donnée. Qui plus est, dans la pratique, certaines variables revêtent plus d’importance que d’autres. Il faut donc disposer d’une méthodologie permettant de prendre en compte la totalité de ces facteurs. C’est précisément l’objet du présent article.

Les recommandations relatives à la conception d’un poste de travail doivent être fondées sur une série d’exigences pertinentes. En général, il ne suffit pas de prendre en compte les valeurs limites des différentes variables. Si l’on veut conjuguer productivité et préservation de la santé, il faut adopter une démarche plus ambitieuse que dans un cas de conception classique. Il convient notamment de tenir compte des troubles musculo-squelettiques qui constituent un problème majeur dans de nombreuses situations de travail.

Le processus de conception d’un poste de travail

Les étapes du processus

Dans le processus de conception et d’implantation d’un poste de travail, il est indispensable de commencer systématiquement par informer les utilisateurs et d’organiser le projet de manière à leur permettre d’y participer pleinement; on s’assurera ainsi que le résultat final est bien accepté par les travailleurs. Cette question n’est pas traitée dans le cadre du présent exposé, consacré essentiellement à la recherche d’une solution optimale pour la conception matérielle du poste de travail. Le processus de conception permet néanmoins l’intégration d’un tel objectif. Il devrait toujours comporter les étapes suivantes:

  1. collecte des besoins exprimés par les utilisateurs;
  2. classement des besoins par ordre de priorités;
  3. conversion des besoins en: a) spécifications techniques; b) spécifications selon les utilisateurs;
  4. conception itérative de l’aménagement physique du poste de travail;
  5. implantation;
  6. essais et période de rodage;
  7. production à plein régime;
  8. évaluation et identification des problèmes.

L’accent sera mis ici sur les cinq premières étapes. Bien souvent, seules certaines de ces étapes sont réellement prises en compte dans la conception d’un poste de travail, et ce, pour différentes raisons. Si le poste considéré est de type standard, comme dans le cas des postes à écran de visualisation, on peut sauter certaines étapes. Dans la plupart des cas, cependant, une telle omission aboutit à un poste de travail de qualité inférieure. C’est ce qui se produit parfois en période d’austérité budgétaire ou en présence de contraintes temporelles, ou encore lorsque la direction fait preuve de négligence grave par manque de connaissances ou d’intérêt pour la question.

La collecte des besoins exprimés par les utilisateurs

Il est primordial d’identifier et d’interroger l’utilisateur du poste de travail et toutes les personnes de l’organisation ou de l’entreprise susceptibles de contribuer à sa conception en raison de leur qualification: opérateurs, agents de maîtrise, planificateurs, ingénieurs de la production, responsables de la sécurité. On sait, par expérience, que ces acteurs possèdent tous des connaissances et une expérience dont il faut tirer parti.

La collecte des besoins exprimés par ces personnes devrait satisfaire à un certain nombre de critères:

  1. Esprit d’ouverture. Aucune restriction ne devrait être imposée lors de la phase initiale du processus. Tous les points de vue devraient être accueillis sans qu’on émette de critique.
  2. Absence de discrimination. A ce stade, tous les avis devraient être traités de la même manière. On devrait veiller tout particulièrement au fait que le franc-parler de certains individus peut en réduire d’autres au silence.
  3. Approche interactive. On devrait pouvoir préciser les besoins grâce à un dialogue entre les personnes de différentes disciplines. Il faut également prévoir un classement en fonction des priorités.
  4. Souplesse. Le processus de collecte des besoins exprimés par les utilisateurs devrait être relativement économique; il ne devrait ni faire appel à des experts-conseils spécialisés, ni exiger des participants qu’ils y consacrent trop de temps.

Pour satisfaire aux critères ci-dessus, on peut recourir à une méthodologie basée sur la déclinaison de la fonction de qualité de Sullivan (1986). Les besoins de l’utilisateur sont recueillis lors d’une séance à laquelle assiste un groupe d’acteurs (de 8 à 10 personnes au maximum). Tous les participants se voient remettre un bloc de feuillets détachables autocollants; il leur est demandé de consigner par écrit, sur un feuillet séparé, tous les besoins relatifs au poste de travail qu’ils jugent pertinents. Les informations recueillies devraient couvrir tous les éléments pertinents (espace de travail, équipement, ambiance, outils d’information et de communication, organisation du travail, etc.), ainsi que la sécurité, la productivité et la qualité. Cette activité peut se poursuivre aussi longtemps qu’on le juge nécessaire, habituellement pendant 10 à 15 minutes. A la fin de la séance, chaque participant est invité à lire à haute voix la liste de ses propres besoins et à coller les feuillets correspondants sur un tableau que tous les participants du groupe peuvent voir. Les besoins sont regroupés par catégorie: éclairage, moyens de levage, équipements de production, spécifications concernant les zones d’atteinte, niveau de flexibilité, etc. Après avoir entendu chaque participant, le groupe examine l’ensemble des besoins, catégorie par catégorie, et se prononce sur leur pertinence et leur degré de priorité.

Les besoins exprimés par les utilisateurs constituent l’une des bases pour l’élaboration des repères aux fins de la conception. D’autres catégories d’acteurs — concepteurs de produits, ingénieurs de la qualité, économistes — fournissent évidemment eux aussi des informations intéressant la conception; il est toutefois capital d’avoir pleinement conscience de la contribution que peuvent apporter les utilisateurs.

Le classement des besoins en fonction des priorités

Pour ce qui est de l’élaboration des repères aux fins de la conception, il est essentiel de tenir compte des différents types de besoins en fonction de leur importance respective. Sinon, tous les aspects retenus devraient être étudiés en parallèle, ce qui tendrait à compliquer et à alourdir le processus. C’est pourquoi les listes de contrôle, qui devraient être assez détaillées pour répondre à leur objectif, sont souvent malaisées à gérer dans une situation donnée.

Il peut s’avérer difficile d’élaborer un système de priorités qui soit valable pour tous les types de postes de travail. Si l’on admet, cependant, que la manutention manuelle des matières, des outils ou des produits constitue un aspect essentiel des tâches à effectuer, il est très probable que la question d’une dépense énergétique excessive figurera en tête de la liste des priorités. La validité de cette hypothèse peut se vérifier lors de la phase de recueil des besoins exprimés par les utilisateurs. Leurs préoccupations peuvent être liées, par exemple, aux efforts exigés, à la fatigue musculaire, à l’accessibilité, à la visibilité ou à la facilité de manipulation.

Il faut bien comprendre qu’il peut s’avérer impossible de convertir tous les besoins définis par les utilisateurs en spécifications techniques. Bien que ces besoins puissent avoir trait à des aspects plus subtils comme le confort, ils peuvent s’avérer extrêmement pertinents et devraient être pris en compte dans tout le processus de conception.

Les facteurs de risque liés aux troubles musculo-squelettiques

Compte tenu de ce qui vient d’être dit, il existe une série de recommandations ergonomiques dont on devrait tenir compte en priorité lors du processus de conception pour prévenir les troubles musculo-squelettiques. Ce type d’affection est un syndrome douloureux qui touche l’appareil locomoteur et se développe à la suite d’hypersollicitations prolongées et répétées sur une partie spécifique de l’organisme (Putz-Anderson, 1988). Les principaux facteurs de risque sont à cet égard (voir, par exemple, Corlett, 1988):

Pour ce qui est de la force musculaire, les spécifications de conception peuvent être basées sur une combinaison de critères biomécaniques, physiologiques et psychologiques. La force musculaire est une variable objectivée grâce à la mesure des forces déployées, qu’il s’agisse de poids manipulé ou d’effort nécessaire pour actionner un levier, par exemple. Il pourra également s’avérer nécessaire de prendre en compte les efforts maximaux dans le cas d’un travail à forte composante dynamique.

Les exigences liées à la posture peuvent être évaluées à partir: a) de situations où les articulations sont étirées au-delà de la plage de confort; b) de certaines situations particulièrement difficiles comme l’agenouillement, les torsions, les postures courbées ou un travail avec les mains au-dessus des épaules.

La durée et la fréquence peuvent être évaluées en définissant ce qu’on entend par: a) un travail répétitif de courte durée; b) un travail statique. Notons que l’évaluation du travail statique ne se limite pas nécessairement au maintien d’une posture ou d’un effort sur des périodes prolongées; au point de vue des muscles stabilisateurs, en particulier ceux de l’articulation de l’épaule, un travail apparemment dynamique peut en réalité avoir un caractère statique. Il peut donc s’avérer nécessaire d’étudier les périodes prolongées de sollicitation d’une articulation.

En pratique, une situation sera plus ou moins bien tolérée selon la sollicitation imposée à la partie du corps subissant la contrainte la plus élevée.

Point très important, ces variables ne devraient pas être étudiées individuellement, mais conjointement. Ainsi, une force élevée pourra s’avérer acceptable si elle ne doit être déployée que de temps à autre; lever le bras au-dessus du niveau de l’épaule de temps à autre ne constitue pas habituellement un risque, mais il faut tenir compte des interactions entre les différents facteurs qui peuvent intervenir. Ce sont ces interactions qui rendent difficile la définition des spécifications pour la conception.

Dans l’équation revisée du NIOSH pour les tâches de manutention manuelle («Revised NIOSH Equation for the design and evaluation of manual handling tasks») (Waters et coll., 1993), ce problème est traité grâce à une formule de détermination du poids maximal admissible qui tient compte des variables suivantes: entraxe horizontal, hauteur de levage, asymétrie du levage, poignées pour les deux mains ou une seule, et fréquence de levage. On peut ainsi modifier à volonté la limite de poids admissible de 23 kg établie d’après des critères biomécaniques, physiologiques et psychologiques dans des conditions idéales, en tenant compte des caractéristiques particulières de chaque situation de travail. L’équation en question fournit une base pour l’évaluation des tâches de manutention. Il existe cependant des limites strictes à l’utilisation de cette équation: elle ne permet, par exemple, d’analyser que les manutentions à deux mains; les données scientifiques permettant l’analyse des opérations de manutention à une seule main restent peu concluantes. Ces réserves illustrent le problème que pose l’utilisation exclusive des preuves scientifiques comme base de conception des postes de travail: en pratique, les données scientifiques doivent être combinées aux points de vue de personnes possédant une expérience directe ou indirecte du type de travail envisagé.

Le modèle cubique

Compte tenu des nombreuses variables dont il faut tenir compte dans l’évaluation ergonomique des postes de travail, on peut dire qu’il s’agit essentiellement d’un problème de communication. Un modèle cubique destiné à l’évaluation ergonomique des situations de travail a été mis au point (Kadefors, 1993). Le principal objectif était, en l’occurrence, d’élaborer un outil didactique aux fins de communication, en partant du principe que les mesures de force, de posture et de contrainte temporelle constituent, dans la grande majorité des cas, des variables de base interdépendantes et hiérarchisées.

Pour chacun de ces facteurs, les exigences peuvent être groupées en fonction de leur intensité. Nous proposons ici de les grouper en trois catégories: 1) exigences réduites; 2) exigences moyennes; 3) exigences élevées. Les niveaux d’exigences peuvent être définis d’après les preuves scientifiques dont on dispose ou en prenant l’avis d’un échantillon représentatif d’utilisateurs. Ces deux possibilités ne s’excluent pas l’une l’autre, bien évidemment, et peuvent parfaitement aboutir à des résultats analogues, mais probablement à des degrés de généralité différents.

Comme indiqué plus haut, les combinaisons de facteurs de risque déterminent, dans une large mesure, le niveau de risque relatif à l’apparition de troubles et d’affections musculo-squettiques. Ainsi, des contraintes temporelles élevées peuvent rendre une situation de travail inacceptable si elles se conjuguent à des exigences ne serait-ce que moyennes en ce qui concerne la force à déployer et la posture à adopter. Il est primordial, lors de la conception et de l’évaluation des situations de travail, de prendre en compte conjointement les facteurs de risque les plus importants. Nous proposons ici un modèle cubique pour ce type d’évaluation. Les variables de base — force, posture et temps — constituent les trois axes obliques du modèle. On peut ainsi attribuer un cube élémentaire à chaque combinaison; le modèle proposé comprend, en tout, 27 cubes élémentaires (voir figure 29.35).

Figure 29.35 «Modèle cubique» d'évaluation ergonomique du poste de travail. Chaque cube
correspond à une combinaison des exigences de force, de posture et de temps.
Clair: combinaison acceptable; gris: acceptable à certaines conditions; noir: inacceptable

Figure 29.35

Le degré d’acceptabilité des combinaisons constitue un aspect essentiel du modèle. Un système de classement de l’acceptabilité en trois zones est proposé: 1) la situation est acceptable; 2) la situation est acceptable à certaines conditions; 3) la situation est inacceptable. A des fins didactiques, on peut donner à chaque sous-cube une texture ou une couleur particulière (vert, jaune, rouge, par exemple). Là encore, l’évaluation peut être basée sur l’avis des utilisateurs ou sur des preuves scientifiques. Le niveau acceptable à certaines conditions indique «qu’il existe un risque de maladie ou de lésion qui ne peut être négligé, pour l’ensemble ou pour une partie seulement des opérateurs» (CEN, 1995).

Pour illustrer notre propos, examinons un cas concret: quelle est la sollicitation de l’épaule lors de la manutention de matériaux à une seule main et à un rythme modéré? Il s’agit là d’un excellent exemple car, dans ce type de situation, c’est habituellement l’articulation de l’épaule qui subit la sollicitation la plus élevée.

Pour ce qui est de la variable «force», on peut baser le classement sur le poids de la charge. Une exigence réduite correspond à des niveaux inférieurs à 10% de la force maximale, soit environ 1,6 kg dans des conditions optimales. Une exigence élevée répond à plus de 30% de la force maximale, soit environ 4,8 kg. L’exigence moyenne se situe entre ces deux limites. On considère qu’il y a contrainte posturale réduite lorsque l’humérus est proche du thorax. Il y a contrainte posturale élevée lorsque l’abduction ou la flexion de l’épaule est supérieure à 45°. Enfin, il y a contrainte posturale moyenne lorsque l’angle d’abduction ou de flexion se situe entre 15 et 45°. Il y a contrainte temporelle réduite lorsque la manutention occupe moins d’une heure par journée de travail, de temps à autre, ou moins de 10 minutes par jour chaque jour. Il y a contrainte temporelle élevée si la manutention s’effectue pendant plus de 4 heures par journée de travail, ou pendant plus de 30 minutes par jour de manière continue ou répétée. Il y a contrainte temporelle moyenne lorsque la durée se situe entre ces limites.

Sur la figure 29.35, des degrés d’acceptabilité ont été attribués aux diverses combinaisons d’exigences ou de contraintes. On constate ainsi que des contraintes temporelles élevées ne peuvent être associées qu’à une exigence d’effort et à une contrainte posturale réduites, sous peine de provoquer une situation inacceptable ou acceptable à certaines conditions seulement. On peut passer de l’inacceptable à l’acceptable en réduisant l’une ou l’autre des contraintes, la réduction de la contrainte temporelle étant généralement la plus efficace. Autrement dit, on sera conduit à modifier, dans certains cas, la conception du poste de travail et, dans d’autres, l’organisation du travail.

Le recours à l’avis d’un échantillon représentatif d’utilisateurs pour la définition des niveaux de contrainte et le classement du degré d’acceptabilité peut améliorer considérablement le processus de conception du poste de travail, comme décrit ci-après.

Les variables additionnelles

Outre les variables de base mentionnées ci-dessus, il faut prendre en compte une série de paramètres caractérisant d’autres aspects du poste considéré. Ces variables comprennent:

Ces variables peuvent, dans une large mesure, être étudiées séparément; la méthode de la liste de contrôle peut donc s’avérer utile. Dans son manuel, Grandjean (1988) traite des aspects essentiels qu’il faut habituellement prendre en compte. Konz (1990) aborde dans son guide une série de questions de fond sur la conception et l’organisation des postes de travail, axées sur l’interface opérateur-machine.

Dans un processus de conception de ce genre, la liste de contrôle devrait être utilisée conjointement avec les besoins définis par les utilisateurs.

Un exemple: la conception d’un poste de soudage manuel

Pour illustrer la démarche, nous étudierons le processus de conception d’un poste de soudage manuel (Sundin et coll., 1994). Le soudage est une activité qui exige généralement de la force musculaire et une précision gestuelle élevée. La composante statique est donc importante. Le soudeur n’effectue souvent que des soudures. Le milieu de travail est en général hostile, comportant une exposition combinée à des niveaux sonores élevés, des fumées de soudage et un rayonnement lumineux intense.

L’étude portait sur la conception d’un poste de soudage MIG (soudage à l’arc sous gaz inerte de pièces de taille moyenne (jusqu’à 300 kg)). Du fait de la diversité des pièces à souder, le poste de travail devait pouvoir être aménagé de manière souple. Les exigences de productivité et de qualité étaient élevées.

On a utilisé la méthode QFD dite de déclinaison de la fonction de qualité pour classer les besoins des utilisateurs. Des soudeurs, des ingénieurs de la production et des concepteurs de produits ont participé à l’exercice. Les besoins des utilisateurs, qui ne sont pas énumérés ici, couvraient des aspects très divers, allant de l’ergonomie à la sécurité en passant par la productivité et la qualité.

A l’aide de la méthode du modèle cubique, un groupe de travail a établi, par consensus, le niveau d’exigences de chacune des variables (élevé, moyen ou réduit):

  1. Variable «force». La manipulation d’une charge de moins de 1 kg exige un effort réduit, un poids de plus de 3 kg exigeant un effort élevé.
  2. Variable de contrainte posturale. Les postures de travail occasionnant un effort élevé sont celles qui exigent de lever les bras, qui nécessitent des torsions ou des flexions du tronc importantes ou l’agenouillement, ainsi que celles qui obligent à maintenir le poignet en position de flexion/extension ou de rotation extrême. L’effort est réduit en cas de position assise ou debout parfaitement verticale ou lorsque les mains se situent dans des zones d’atteinte optimales.
  3. Variable temporelle. Le fait de passer moins de 10% du temps de travail à des travaux de soudage est considéré comme une contrainte réduite, alors que le fait d’y consacrer plus de 40% du temps représente une contrainte élevée. Il y a contrainte moyenne lorsque la variable se situe entre les limites ci-dessus ou lorsque la situation est floue.

L’évaluation à l’aide du modèle cubique a montré clairement (voir figure 29.35) que des contraintes temporelles élevées ne peuvent être tolérées si elles sont associées à une force et à une contrainte posturale d’intensité moyenne ou élevée. Pour réduire ces exigences, on a décidé de mécaniser la manutention des pièces et de supporter les outils; tout le monde a reconnu que c’était la bonne solution. Une série d’équipements a été étudiée grâce à un programme simple (ROOMER) de conception assistée par ordinateur (CAO). On a pu ainsi analyser très facilement différents aménagements du poste de travail et les modifier en interaction étroite avec les utilisateurs. Cette méthode de conception présente d’importants avantages par rapport au travail sur plans: elle permet à l’utilisateur de voir immédiatement ce à quoi ressemblera le poste de travail prévu.

La figure 29.36 montre le poste de soudage ainsi élaboré. Il permet de réduire les efforts et les contraintes posturales et satisfait à presque toutes les autres exigences posées par les utilisateurs.

Figure 29.36 Configuration d'un poste de soudage manuel obtenue grâce à la conception assistée
par ordinateur (CAO)

Figure 29.36

A partir des résultats des premières étapes du processus de conception, un poste de soudage (voir figure 29.37) a été réalisé. Ses avantages pratiques sont les suivants:

  1. Le travail est facilité par un dispositif informatisé de manutention des pièces à souder. Un palan suspendu assure leur transport et un dispositif de manutention à contrepoids facilite leur positionnement.
  2. Le pistolet de soudage et la meuleuse sont suspendus, réduisant ainsi les efforts exigés. Ils peuvent être positionnés en tout point autour de la pièce à souder. Un siège est prévu pour le soudeur.
  3. Toutes les alimentations viennent d’en haut; aucun câble ou tuyau ne traîne donc sur le sol.
  4. Le poste de travail comporte un éclairage à trois niveaux: général, poste de travail et zone d’opération. L’éclairage du poste de travail provient de rails fixés au plafond, tandis que celui de la zone d’opération est intégré au bras d’extraction des fumées de soudage.
  5. Le poste de travail comprend une ventilation à trois niveaux: ventilation statique générale, ventilation du poste de travail à l’aide d’un bras mobile, et ventilation de la zone d’opération intégrée au pistolet de soudage MIG. La ventilation du poste de travail est contrôlée à partir du pistolet de soudage.
  6. Des cloisons insonorisantes garnissent trois des côtés du local; un rideau transparent ferme le quatrième côté. Le soudeur peut ainsi voir ce qui se passe dans l’atelier attenant.

Figure 29.37 Configuration finale du poste de soudage en service dans l'entreprise

Figure 29.37

Dans la pratique, il faut parfois accepter un compromis en raison de contraintes financières ou spatiales. On sait que les entreprises de ce type, dans le monde entier, ont du mal à recruter des soudeurs qualifiés et que ceux-ci coûtent cher à leur employeur. Aucun soudeur n’exerce généralement ce métier la vie durant et il est dans l’intérêt de tous (soudeur, entreprise et collectivité) de fidéliser les soudeurs qualifiés. Il y a donc de très bonnes raisons de faire en sorte que des dispositifs de manutention et de positionnement des pièces soient installés dans tous les postes de soudage d’une certaine importance.

Les paramètres de conception

Pour assurer une bonne conception d’un poste de travail, on aura le plus souvent besoin d’un nombre considérable d’informations de base: données anthropométriques, force de soulèvement, force maximale de la population masculine et féminine, caractéristiques des zones d’atteinte optimales, etc. Plusieurs ouvrages de référence fournissent des indications utiles à cet égard.

Le manuel de Grandjean (1988) demeure probablement le traité le plus complet sur la plupart des aspects pratiques de l’organisation du travail et de la conception des postes de travail. L’ouvrage de Pheasant (1986) donne des informations sur les aspects anthropométriques du problème. Chaffin et Andersson (1984) fournissent de très nombreuses données biomécaniques et anthropométriques. Konz (1990) propose un guide pratique pour la conception des postes de travail et de nombreuses méthodes empiriques très utiles. Putz-Anderson (1988) donne des critères d’évaluation du travail manuel et des lésions attribuables au travail répétitif. Sperling et ses collaborateurs (1993) proposent un modèle d’évaluation du travail avec des outils à main. S’agissant du soulèvement des charges, Waters et ses collaborateurs (1993) ont modifié l’équation du NIOSH en faisant appel aux connaissances scientifiques récentes. Des spécifications sur l’anthropométrie fonctionnelle et les zones d’atteinte optimales ont été présentées, par exemple, par Rebiffé, Zayana et Tarrière (1969) et par Das et Grady (1983a, 1983b). Mital et Karwowski (1991) ont étudié différents aspects de la conception des postes de travail dans l’industrie.

Etant donné la quantité de données indispensables à une bonne conception des postes de travail, les ingénieurs de la production et les autres personnes responsables n’ont d’autre choix que de recourir aux techniques informatiques modernes. On disposera vraisemblablement, dans un proche avenir, de différents types de systèmes d’aide à la décision pour les concepteurs (les systèmes experts, par exemple). Ces développements ont fait l’objet d’articles — voir notamment DeGreve et Ayoub (1987), Laurig et Rombach (1989) et Pham et Onder (1992). Il n’en reste pas moins qu’il est actuellement très difficile d’accéder facilement à toutes les données pertinentes nécessaires dans une situation donnée.

LES OUTILS

T.M. Fraser

Un outil comprend habituellement une tête et une poignée ou un manche, avec parfois une tige ou un arbre et, s’il s’agit d’un outil électrique portatif, un corps. Appelé à satisfaire aux exigences de nombreux utilisateurs, chaque type d’outil pourra comporter des incompatibilités fondamentales qui devront être résolues par voie de compromis. Certaines de ces incompatibilités découlent des capacités limitées de l’utilisateur, alors que d’autres sont inhérentes à l’outil lui-même. Il convient de relever, cependant, que si les limites intrinsèques de l’espèce humaine sont en grande partie immuables, les caractéristiques d’un outil (forme, mode opératoire, etc.) peuvent faire l’objet de certaines modifications. On devra donc s’attacher surtout à la forme de l’outil et, en particulier, à l’interface entre l’utilisateur et l’outil, c’est-à-dire le manche.

Le type de prise

Les caractéristiques de prise généralement admises ont été définies par les termes prise de force, prise de précision et prise en crochet, permettant d’effectuer pratiquement toutes les activités manuelles humaines.

Dans la prise de force (utilisée par exemple pour enfoncer des clous à l’aide d’un marteau), l’outil est maintenu par la paume et les doigts en partie repliés, le pouce exerçant une pression antagoniste. Dans la prise de précision (ajustement d’une vis de réglage, par exemple), l’outil est maintenu entre les fléchisseurs des doigts et le pouce opposé. Bien connue de tous, la tenue d’un crayon constitue une variante de la prise de précision et permet d’exécuter des tâches complexes. Une prise de précision n’assure que 20% de la force d’une prise de force.

La prise en crochet est employée lorsque la tenue constitue la seule exigence. Dans ce type de prise, l’objet est suspendu aux doigts repliés, avec ou sans le soutien du pouce. Les outils lourds devraient être conçus de manière à pouvoir être tenus à l’aide d’une prise en crochet.

L’épaisseur de la poignée

Pour assurer une bonne prise de précision, les épaisseurs recommandées pour les manches vont de 8 à 16 mm pour les tournevis et de 13 à 30 mm pour les stylos. En cas de prise de force s’exerçant autour d’un objet plus ou moins cylindrique, les doigts devraient entourer plus de la moitié de la circonférence, sans toutefois que les doigts et le pouce ne se rejoignent. Dans ce cas, les diamètres recommandés vont de 25 à 85 mm. Le diamètre optimal, qui varie en fonction des dimensions de la main, est d’environ 55 à 65 mm pour les hommes et de 50 à 60 mm pour les femmes. Les personnes dotées de petites mains ne devraient pas effectuer d’actions répétées avec des prises de force de plus de 60 mm de diamètre.

La force de préhension et l’écartement de la main

L’utilisation d’un outil exige de la force. Outre la tenue, ce sont les outils à effet de levier croisé, du type pinces et outils de compression, qui exigent la force manuelle la plus grande. La force de compression exercée dépend de la force de la prise et de l’écartement des poignées. L’amplitude fonctionnelle maximale entre l’extrémité du pouce et les extrémités des doigts préhenseurs est en moyenne d’environ 145 mm pour les hommes et de 125 mm pour les femmes, avec des variations ethniques. Pour une amplitude optimale, allant de 44 à 55 mm pour les hommes comme pour les femmes, la force de préhension disponible pour une action unique de courte durée est d’environ 450 à 500 N pour les hommes et de 250 à 300 N pour les femmes. En cas d’action répétée, toutefois, elle est probablement plus proche de 90 à 100 N pour les hommes et de 50 à 60 N pour les femmes. Bon nombre de pinces couramment utilisées excèdent les capacités musculaires d’une seule main, en particulier chez les femmes.

Lorsqu’il s’agit d’un manche de tournevis ou d’un outil analogue, le couple de torsion disponible est déterminé par la capacité qu’a l’utilisateur de transmettre la force au manche; il fait donc intervenir à la fois le coefficient de friction entre la main et le manche et le diamètre du manche. Une forme irrégulière du manche ne modifiera pas sensiblement l’aptitude à exercer le couple requis, bien que des arêtes vives puissent entraîner une gêne ou occasionner une lésion de la peau. Le diamètre d’un manche cylindrique permettant d’exercer un couple maximal est de 50 à 65 mm, alors que celui d’une sphère est de 65 à 75 mm.

Les manches

La forme du manche

La forme du manche devrait assurer un contact maximal entre la peau et le manche. Elle devrait avoir en général une section elliptique ou circulaire, avec de longues courbes et des plans aplatis, ou un secteur de sphère, réunis de manière à s’adapter au contour général de la main. Du fait de sa fixation au corps d’un outil, le manche pourra prendre la forme d’un étrier ou épouser la forme d’un T ou d’un L, mais la partie en contact avec la main devrait conserver dans tous les cas la forme de base élémentaire.

L’espace compris entre les doigts repliés et la paume est, bien sûr, complexe. L’utilisation de courbes simples constitue un compromis destiné à tenir compte des différentes formes de mains et des différents degrés de flexion des doigts. A cet égard, il est peu souhaitable d’adopter sur le manche un profil quelconque correspondant aux doigts repliés, du type creux et crêtes, évidements et empreintes, car de telles modifications ne s’adapteraient pas à toutes les mains et risqueraient, en cas d’utilisation prolongée ou répétée, de léser par pression les tissus mous. Les évidements supérieurs à 3 mm sont particulièrement déconseillés.

La forme hexagonale est une variante de la forme cylindrique; elle est particulièrement intéressante pour la conception d’outils et d’instruments de petit calibre. Il est plus facile de maintenir une prise stable sur un manche hexagonal de petit calibre que sur un manche cylindrique. On a également utilisé des profils triangulaires et carrés, mais avec un succès mitigé; dans ce cas, les arêtes devraient être arrondies pour éviter tout risque de blessure.

La surface et la texture de la poignée

Ce n’est pas un hasard si le bois constitue, depuis des millénaires, le matériau privilégié pour les manches d’outils autres que ceux du type pince. Outre son attrait esthétique, le bois est produit en quantité, peut être facilement travaillé par des ouvriers non qualifiés et possède des qualités d’élasticité, de légèreté, de conductivité thermique et de coefficient de friction qui le rendent très acceptable pour ce type d’utilisation, entre autres.

Ces dernières années, les manches de métal ou de plastique sont devenus plus courants sur de nombreux outils (les manches en plastique, en particulier, pour les petits marteaux et les tournevis). Un manche de métal permet cependant de transmettre davantage de force; il devrait, de préférence, être revêtu d’une gaine de caoutchouc ou de plastique. La surface de prise devrait être légèrement compressible, si possible, non conductrice et lisse, et aussi grande que possible pour assurer une bonne répartition de la pression exercée. L’ajout d’une gaine de caoutchouc-mousse permet de réduire la sensation de fatigue et de sensibilité de la main.

Les caractéristiques d’adhérence de la surface de la poignée varient en fonction de la pression exercée par la main, de la nature de cette surface et de la présence de sueur ou d’huile.

La longueur du manche

La longueur du manche est déterminée par les dimensions anthropométriques de la main et la nature de l’outil. Dans le cas d’un marteau utilisé d’une seule main avec une prise de force, par exemple, la longueur idéale va d’un minimum d’environ 100 mm à un maximum d’environ 125 mm. Les manches courts ne conviennent pas à une prise de force; un manche de moins de 19 mm ne peut être saisi correctement entre le pouce et l’index et ne convient à aucun outil.

De manière idéale, sur un outil électrique ou pneumatique ou sur une scie à main autre qu’une scie à découper ou à chantourner, la poignée devrait mesurer, au niveau du 97,5e centile, la largeur d’une main fermée, soit 90 à 100 mm sur son axe le plus long et 35 à 40 mm sur son axe le plus court.

Le poids et l’équilibre

Le poids ne constitue pas un problème sur les outils de précision. Pour les gros marteaux et les outils électriques ou pneumatiques, un poids de 0,9 à 1,5 kg est acceptable, avec un maximum d’environ 2,3 kg. Si le poids est supérieur aux valeurs recommandées, l’outil devrait être soutenu par un dispositif mécanique.

S’il s’agit d’un outil à percussion, du type marteau-piqueur, il est souhaitable de réduire le poids de la poignée au minimum compatible avec sa résistance interne et de concentrer autant de poids que possible dans la tête de l’outil. Sur d’autres outils, le poids devrait être uniformément réparti, dans la mesure du possible. Sur les outils à petite tête et manche volumineux, cela peut s’avérer impossible, mais le manche devrait alors s’alléger progressivement à mesure que son volume augmente par rapport aux dimensions de la tête et de l’arbre.

L’importance des gants

Les concepteurs oublient parfois que leurs outils ne sont pas toujours tenus et utilisés à main nue. On porte fréquemment des gants, pour des raisons de sécurité et de confort. Les gants de protection sont rarement volumineux, mais les gants portés dans les climats froids peuvent être très lourds, entravant non seulement les sensations tactiles, mais également la capacité de préhension. Le port de gants de laine ou de cuir peut ajouter 5 mm à l’épaisseur de la main et 8 mm à sa largeur au niveau du pouce, alors que de grosses moufles peuvent y ajouter respectivement jusqu’à 25 et 40 mm.

La latéralité

La plus grande partie de la population de l’hémisphère occidental privilégie l’utilisation de la main droite. Quelques individus sont ambidextres, mais tout le monde peut apprendre à utiliser les deux mains, avec plus ou moins d’efficacité, il est vrai.

Bien que les gauchers soient relativement peu nombreux, les manches des outils devraient être montés, dans la mesure du possible, de manière à rendre l’outil utilisable aussi bien par des gauchers que par des droitiers (le positionnement de la poignée auxiliaire d’un outil électrique ou des anneaux de préhension digitale des ciseaux ou des pinces en constituent des exemples), sauf si cela s’avère manifestement inefficace, par exemple dans le cas de dispositifs de fixation à vis, conçus de manière à tirer parti des puissants muscles supinateurs de l’avant-bras d’un droitier, mais empêchant le gaucher de les utiliser avec une efficacité équivalente. Ce type de limitation doit être accepté, car l’adoption de filetages à gauche ne constitue pas une solution acceptable.

Le rôle du sexe

En général, les femmes ont des mains de plus petites dimensions que les hommes, une prise réduite et 50 à 70% moins de force que les hommes, bien que certaines femmes du centile le plus élevé possèdent, évidemment, de plus grandes mains et davantage de force que certains hommes du percentile le plus bas. Il existe, de ce fait, un nombre important, mais indéterminé de personnes, en majorité des femmes, qui manipulent difficilement des outils à main essentiellement conçus pour être utilisés par des hommes, en particulier les gros marteaux, les grosses pinces et les outils à découper, sertir et brider les métaux et les pinces à dénuder. L’emploi de ces outils par des femmes risque d’exiger l’utilisation peu souhaitable des deux mains. Dans un milieu de travail où les deux sexes sont présents, il convient donc de fournir des outils de taille appropriée, non seulement pour répondre aux besoins des femmes, mais également à ceux des hommes dont les dimensions des mains se situent dans le centile le plus bas.

Considérations particulières

Dans la mesure du possible, l’orientation du manche d’un outil devrait permettre à l’utilisateur de conserver une position naturelle du bras et de la main, c’est-à-dire plus d’une demi-supination, une abduction d’environ 15° et une légère flexion dorsale du poignet, le petit doigt en flexion presque complète, les autres doigts moins fléchis, et le pouce en adduction et légèrement fléchi; cette position est parfois appelée à tort position de la poignée de main (dans une poignée de main, en effet, le poignet ne va pas au-delà d’une demi-supination.) La combinaison d’une adduction et d’une flexion au niveau du poignet à une flexion variable des doigts et du pouce donne un angle de prise d’environ 80° entre l’axe longitudinal du bras et une ligne passant par le point central de la boucle formée par le pouce et l’index, c’est-à-dire l’axe transversal du poing fermé.

Forcer la main dans une position de déviation cubitale, c’est-à-dire avec la main repliée vers le petit doigt, comme c’est le cas lors de l’utilisation de pinces ordinaires, engendre une pression sur les tendons, les nerfs et les vaisseaux sanguins à l’intérieur de la structure du poignet et peut entraîner des pathologies du type ténosynovite, syndrome du canal carpien, etc. En courbant le manche et en gardant le poignet bien droit (c’est-à-dire en courbant l’outil et non la main), on peut éviter la compression des nerfs, des tissus mous et des vaisseaux sanguins. Bien que ce principe soit admis depuis longtemps, il n’a pas encore été systématiquement pris en compte par les fabricants d’outils. Il s’applique pourtant tout particulièrement à la conception des outils à effet de levier croisé, comme les pinces, ainsi qu’aux couteaux et aux marteaux.

Les pinces et les outils à leviers croisés

Un soin tout particulier devrait être apporté à la forme des manches des pinces et outils analogues. Traditionnellement, les pinces comportent des bras courbes de longueur égale, la courbe supérieure étant proche de celle de la paume de la main et la courbe inférieure proche de celle des doigts repliés. Lorsque l’outil est tenu en main, l’axe entre les bras est aligné sur celui des mâchoires de la pince. En cours d’utilisation, le poignet devrait donc être maintenu en inclinaison cubitale extrême, c’est-à-dire recourbé vers le petit doigt, lorsqu’il pivote de façon répétée. Dans cette position, l’utilisation de la partie main-poignet-bras du corps est extrêmement inefficace et très contraignante pour les tendons et les articulations. Si l’action est répétée de nombreuses fois, elle peut entraîner l’apparition de troubles musculo-squelettiques.

Pour remédier à ce problème, un nouveau modèle de pinces, mieux adapté sur le plan ergonomique, est apparu ces dernières années. Sur ces pinces, l’axe des manches est coudé d’environ 45° par rapport à l’axe des mâchoires. Les manches sont aussi plus épais pour permettre une meilleure prise et réduire la pression locale sur les tissus mous de la main. Le manche supérieur est proportionnellement plus long et sa forme s’ajuste à la partie supérieure de la paume; l’extrémité antérieure du manche comporte un appui pour le pouce. Le manche inférieur est plus court, avec une languette ou une saillie arrondie à l’extrémité avant et une courbure s’adaptant aux doigts repliés.

Si les indications qui précèdent constituent une modification assez radicale, plusieurs autres améliorations ergonomiques, plus simples cette fois, peuvent être apportées à ce type d’outils. Lorsqu’une prise de force s’impose, la mesure la plus importante est sans doute l’adoption de manches plus épais et légèrement aplatis, avec un appui pour le pouce du côté tête du manche et un léger élargissement à l’autre extrémité. Si elle n’est pas intégrée au stade de la conception, cette modification peut être obtenue en enrobant le manche métallique principal d’une gaine non conductrice fixe ou amovible, faite de caoutchouc ou d’une matière synthétique appropriée et éventuellement rugueuse pour améliorer la prise. Il n’est pas recommandé de doter les manches d’empreintes pour les doigts. En cas d’utilisation répétée, il peut s’avérer souhaitable d’incorporer au manche un ressort de faible puissance pour en faciliter la réouverture.

Les mêmes principes s’appliquent aux autres outils à leviers croisés, particulièrement en ce qui concerne la modification de l’épaisseur et l’aplatissement du manche.

Les couteaux

Sur un couteau universel, c’est-à-dire un couteau qui n’est pas utilisé à la façon d’un poignard, il est souhaitable de prévoir un angle de 15° entre le manche et la lame pour réduire la contrainte au niveau du poignet. La taille et la forme des manches devraient être conformes, en général, à celles des autres outils. Cependant, pour s’adapter aux mains de différentes tailles, on a proposé d’offrir des manches en deux tailles, l’une convenant aux utilisateurs du 50e au 95e centile, et l’autre aux utilisateurs du 5e au 50e centile. Pour permettre à la main d’exercer une force aussi proche de la lame que possible, la surface supérieure du manche devrait comporter un appui en saillie pour le pouce.

Une garde s’impose pour éviter à la main de glisser vers la lame. Cette garde peut avoir différentes formes: une languette ou une saillie recourbée d’environ 10 à 15 mm de long, dépassant du manche vers le bas ou perpendiculaire à celui-ci, ou encore une garde en arceau constituée d’une forte boucle de métal, de l’avant à l’arrière du manche. L’appui du pouce contribue également à éviter le glissement.

Le manche devrait être conforme aux principes ergonomiques généraux, avec une surface souple résistant à la graisse.

Les marteaux

Les exigences relatives aux marteaux ont été en grande partie exposées plus haut, à l’exception de celle portant sur la courbure du manche. Comme indiqué précédemment, une flexion forcée et répétée du poignet peut entraîner une lésion des tissus superficiels. En courbant l’outil au lieu du poignet, on peut prévenir ce type de lésions. Dans le cas très particulier des marteaux, on a étudié différents angles, mais il semble qu’une rotation de 10 à 20° de la tête vers le bas puisse améliorer le confort, même si elle n’améliore pas vraiment la performance.

Les tournevis, les grattoirs, les limes et les outils similaires

Les manches des tournevis et autres outils tenus de manière analogue (du type grattoirs, limes, burins, etc.) présentent des particularités du fait qu’ils sont tous utilisés, à un moment ou à un autre, avec une prise de force ou une prise de précision. Tous font appel aux doigts et à la paume de la main pour assurer la stabilisation et la transmission de la force.

Les exigences générales des manches ont déjà été étudiées. La forme de tournevis la plus efficace et la plus courante est celle d’un cylindre modifié, en forme de dôme à son extrémité postérieure pour accueillir la paume, avec une gorge arrondie suivie d’un évasement à son point de jonction avec le manche pour permettre l’appui de l’extrémité des doigts. On peut ainsi exercer le couple de torsion requis en faisant appel essentiellement à la paume de la main, qui est maintenue en contact avec le manche grâce à la pression exercée par le bras et la friction de la peau. Bien qu’ils transmettent une certaine force, les doigts jouent davantage un rôle stabilisateur, ce qui est moins fatigant car exigeant moins de force. Le dôme de la tête acquiert donc beaucoup d’importance dans la conception du manche. La présence d’arêtes vives ou de nervures sur le dôme même ou au point de jonction du dôme et du manche peut occasionner des cals ou des lésions de la main, ou porter l’utilisateur à transmettre la force aux doigts et au pouce, moins efficaces et se fatiguant plus facilement. La tige est habituellement cylindrique, mais on adopte parfois une tige triangulaire qui permet un meilleur appui des doigts, mais dont l’utilisation peut s’avérer plus pénible.

Si l’utilisation d’un tournevis ou d’un autre outil d’assemblage est répétitive au point d’entraîner un risque de lésion par hypersollicitation, le tournevis manuel devrait être remplacé par un tournevis électrique, accroché à un harnais suspendu, de manière à rester facilement accessible sans entraver le travail.

Les scies et les outils électriques ou pneumatiques

Les scies à main — à l’exception des scies à découper et des scies à mouvement alternatif légères auxquelles un manche du type tournevis convient mieux — comportent habituellement un manche en forme de poignée de pistolet refermée, fixé à la lame de la scie.

Le manche comprend essentiellement une boucle dans laquelle s’engagent les doigts; il s’agit en fait d’un rectangle aux coins arrondis. Pour permettre le port de gants, l’ouverture devrait mesurer environ 90 à 100 mm de long et 34 à 40 mm de large. La partie du manche en contact avec la paume devrait avoir une forme cylindrique aplatie, avec des congés de raccord adaptés convenablement à la paume et aux doigts repliés. La largeur mesurée entre la courbe extérieure et la courbe intérieure devrait être d’environ 35 mm et l’épaisseur ne devrait pas dépasser 25 mm.

Curieusement, la prise et la tenue d’un outil électrique ou pneumatique sont très semblables à celles d’une scie; de ce fait, un type de manche similaire s’avère efficace. La poignée de pistolet courante sur ce type d’outil ressemble à une poignée de scie ouverte, dont les côtés seraient incurvés au lieu d’être aplatis.

La plupart des outils électriques ou pneumatiques comportent une poignée, un corps et une tête. Le positionnement de la poignée est important. Idéalement, la poignée, le corps et la tête devraient être alignés de telle manière que la poignée soit fixée à l’arrière du corps et que la tête dépasse à l’avant. La ligne d’action est dans l’axe de l’index tendu, la tête étant excentrée par rapport à l’axe central du corps. Le centre de gravité de l’outil se situe, cependant, en avant de la poignée, et le couple résultant engendre un mouvement de rotation de la machine que le poignet doit contrecarrer; il serait plus approprié de placer la poignée principale juste sous le centre de gravité. Il est possible, en particulier sur une perceuse lourde, de prévoir une poignée auxiliaire sous la machine, de manière à pouvoir la tenir des deux mains. Les outils mécaniques sont habituellement actionnés par une gâchette intégrée à la partie avant supérieure de la poignée et déclenchée par l’index. Cette gâchette devrait être conçue de manière à pouvoir être actionnée par l’une ou l’autre main et comporter un mécanisme de blocage, facilement débrayable, permettant de maintenir l’outil en marche en cas de besoin.

LES COMMANDES, LES INDICATEURS ET LES PANNEAUX

Karl H.E. Kroemer

Trois problèmes particulièrement importants en matière de conception ergonomique seront examinés: tout d’abord, celui des commandes, c’est-à-dire des dispositifs transmettant à une machine de l’énergie ou un signal de l’opérateur; deuxièmement, les indicateurs ou affichages, qui fournissent à l’opérateur des informations visuelles sur l’état de la machine; en troisième lieu, la combinaison des commandes et des affichages sur un panneau ou une console.

La conception des postes assis

La posture assise est une posture plus stable et consommant moins d’énergie que la posture debout, mais elle réduit l’espace de travail, en particulier celui des pieds. Il est cependant beaucoup plus facile d’actionner des commandes à pédale lorsqu’on est assis plutôt que debout, car le poids corporel que le pied doit transmettre au sol est alors plus faible. De plus, si le pied exerce son effort partiellement ou essentiellement vers l’avant, l’ajout d’un siège à dossier permet d’exercer une force plus élevée (l’emplacement des pédales dans une automobile, en avant du conducteur et plus ou moins sous l’assise du siège, constitue un exemple caractéristique de ce type de disposition). La figure 29.38 illustre schématiquement les emplacements des pédales pour un opérateur assis. Les dimensions dépendent évidemment dans chaque cas des mesures anthropométriques des opérateurs.

Figure 29.38 Plages recommandées pour les commandes au pied (en centimètres). En noir:
plages préferées; en gris: plages élargies

Figure 29.38

L’espace de positionnement des commandes manuelles se situe principalement en avant du corps, dans une zone approximativement sphérique dont le centre se trouve au niveau du coude, de l’épaule ou quelque part entre ces deux articulations. La figure 29.39 illustre schématiquement l’emplacement recommandé pour ce type de commandes. Ici également, les dimensions dépendent des mensurations des opérateurs.

Figure 29.39 plage recommandées pour les commandes manuelles (en centimètres). En noir:
plage préferées; en gris: plages élargies

Figure 29.39

L’espace destiné aux affichages et aux commandes à surveiller est délimité par l’enveloppe d’une sphère partielle, disposée en avant des yeux et dont le centre serait au niveau des yeux. La hauteur optimale de ces affichages et commandes dépend donc de la hauteur des yeux de l’opérateur assis et de la position de son tronc et de son cou. L’emplacement privilégié pour les affichages visuels situés à moins d’un mètre environ de l’opérateur est nettement plus bas que la hauteur de l’œil et dépend de leur distance et de la position de la tête. Plus l’affichage est proche, plus il devrait être bas; il devrait se situer dans le plan médian de l’opérateur ou près de celui-ci.

On peut caractériser la position de la tête à l’aide de l’axe oreille-œil (Kroemer, 1994a); vu de côté, celui-ci passe par la cavité de l’oreille droite et la commissure des paupières de l’œil droit, lorsque la tête n’est inclinée ni d’un côté ni de l’autre (les pupilles, vues de face, étant alors au même niveau). La position de la tête est appelée habituellement «droite» ou «verticale» lorsque l’angle P (voir figure 29.40) formé par l’axe oreille-œil et l’horizon est d’environ 15° au-dessus de l’horizon. L’emplacement privilégié pour les affichages visuels se situe à 25° sous l’axe oreille-œil, la plupart des opérateurs préférant les valeurs les plus faibles pour les objectifs rapprochés qui doivent rester en point de mire. Même s’il existe d’importantes variations des angles privilégiés pour l’axe du regard, la plupart des sujets, surtout les moins jeunes, préfèrent travailler avec des angles plus importants.

Figure 29.40 L'axe oreille-œil

Figure 29.40

La conception des postes debout

On exige rarement d’un opérateur qu’il actionne une commande à pédale en se tenant debout, car il devrait alors reposer trop longtemps sur un pied pendant que l’autre effectue le mouvement requis. Il est évidemment impossible pour un opérateur debout d’actionner simultanément deux pédales de commande. S’il se tient debout immobile, la place réservée aux commandes par pédales se limite à une petite surface située sous le tronc et légèrement en avant de celui-ci. Si l’opérateur est appelé à se déplacer, il faudra davantage de place pour installer les pédales, ce qui est irréalisable dans la plupart des cas.

Le positionnement des commandes manuelles pour un opérateur travaillant debout exige à peu près la même surface que pour un opérateur assis, c’est-à-dire approximativement une demi-sphère en avant du corps, son centre étant proche des épaules. Les commandes utilisées fréquemment seront disposées de préférence dans la partie inférieure de cette demi-sphère. Le positionnement des affichages est le même que pour un opérateur assis, à savoir approximativement une demi-sphère centrée près des yeux de l’opérateur, les emplacements privilégiés se trouvant dans la partie inférieure de cette demi-sphère. Les emplacements précis des affichages et des commandes à surveiller dépendent ici aussi de la position de la tête.

La hauteur des commandes se détermine à partir de la hauteur du coude de l’opérateur, le coude se situant verticalement sous l’épaule. La hauteur des affichages et des commandes à surveiller se détermine par rapport à la hauteur des yeux. Dans tous les cas, on tiendra compte des mesures anthropométriques, qui peuvent varier fortement d’une personne à l’autre selon la taille, le sexe et l’appartenance ethnique.

Les commandes au pied

Il convient de distinguer deux types de commande de cette catégorie: les premières sont utilisées pour transmettre une énergie ou une force importante à une machine. C’est le cas, par exemple, des pédales d’une bicyclette ou de la pédale de frein d’un véhicule plus lourd ne disposant pas d’un servofrein. Quant aux autres, conçues pour transmettre un signal de commande à une machine (par exemple, un interrupteur marche-arrêt), elles n’exigent qu’une faible quantité d’énergie ou de force. S’il est commode de n’envisager que ces deux types extrêmes de commandes au pied, il faut noter qu’il existe diverses formes intermédiaires. Il incombe donc au concepteur de déterminer, parmi les recommandations techniques ci-après, celles qui s’appliquent le mieux à chaque situation.

Comme nous l’avons déjà dit, l’action répétée ou ininterrompue d’une pédale exige que l’opérateur soit assis. Les règles suivantes s’appliquent aux commandes destinées à transmettre une force ou de l’énergie:

Le choix des commandes

Le choix entre les différents types de commandes doit s’effectuer en fonction des besoins ou des conditions suivantes:

La fonction des commandes détermine également leur mode de sélection. Voici les principaux critères à prendre en considération:

Les tableaux 29.10 et 29.11 sont de nature à faciliter la sélection. Il convient cependant de relever qu’il existe peu de règles «naturelles» de sélection et de conception des commandes; la plupart des recommandations actuelles sont purement empiriques et s’appliquent à des dispositifs existants et à des stéréotypes occidentaux.

Tableau 29.10 Mouvements des commandes et résultats escomptés

Sens de déplacement de la commande

Fonction

Vers le haut

Vers la droite

Vers l’avant

Dans le sens des aiguilles d’une montre

Pression

Vers le bas

Vers la gauche

Vers l’arrière

Rappel

Dans le sens inverse des aiguilles d’une montre

Tirer1

Pousser2

Marche

 +3

+

+

+

 +3

 

 

 

 

+

 

Arrêt

 

 

 

 

 

+

 

+

 

Droite

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Gauche

 

 

 

 

 

 

+

 

 

 

 

Soulever

             

       

Abaisser

 

 

 

 

+

 

 

 

 

 

 

Rentrer

 

 

 

 

 

 

+

 

 

 

Sortir

 

 

+

 

 

 

 

 

 

 

Augmenter

+

 

 

 

 

 

 

 

 

Diminuer

 

 

 

 

 

+

 

 

 

Ouvrir

 

 

 

 

 

 

 

 

+

 

 

Fermer

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Blanc: sans objet; +: solution préférée; –: solution jugée moins satisfaisante.

1 Avec commande type bascule. 2 Avec interrupteur à tirette. 3 Vers le haut aux Etats-Unis; vers le bas en Europe.

Source: d’après Kroemer, 1995.

Tableau 29.11 Relations commande-résultat des commandes manuelles courantes

Effet

Verrou de sécurité

Inter-rupteur à levier

Bouton- poussoir

Bouton à barrette

Bouton rond

Molette discontinue

Molette continue

Volant

Inter-rupteur à bascule

Levier

Joystick ou boule

Inter-rupteur à légende

Curseur1

Sélection MARCHE/ ARRÊT

+

+

+

=

       

+

   

+

+

Sélection MARCHE/ ATTENTE/ ARRÊT

 

+

+

 

 

 

 

 

+

 

+

+

Sélection ARRÊT/ MODE 1/ MODE 2

 

=

+

 

 

 

 

 

+

 

+

+

Sélection d’une fonction parmi plusieurs apparentées

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

=

Sélection d’une option distincte parmi trois options ou plus

 

 

 

+

 

 

 

 

 

 

 

 

+

Sélection d’un mode opératoire

 

+

+

 

 

 

 

+

+

 

 

Enclenchement ou déclenchement

 

 

 

 

 

 

 

 

 

+

 

 

 

Sélection d’une fonction parmi plusieurs s’excluant mutuellement

 

+

 

 

 

 

 

 

 

 

 

+

 

Réglage à une valeur d’une échelle

 

 

 

 

+

 

=

 

=

=

 

+

Sélection d’une valeur par pas distincts

 

 

+

+

 

+

 

 

 

 

 

 

+

Blanc: sans objet; +: solution préférée; -: solution jugée moins satisfaisante; =: solution jugée la moins satisfaisante.

1 Estimation (aucun essai connu).

Source: d'après Kroemer, 1995.

La figure 29.41 présente quelques exemples de commandes «à déclic», caractérisées par des déclics discrets en dehors desquels la commande est au repos, ainsi que des commandes «continues» caractéristiques, où la manœuvre peut s’effectuer en tout point de la plage de réglage, sans qu’il soit besoin de placer la commande sur une position donnée quelconque.

Figure 29.41 Exemples de commandes «à déclic» et de commandes «continues»

Figure 29.41

Le dimensionnement des commandes est, dans une large mesure, affaire d’expérience; il est souvent guidé par le désir de réduire au minimum l’espace requis sur un panneau de commande, de permettre la manœuvre simultanée de commandes voisines ou d’éviter une manœuvre simultanée accidentelle. Qui plus est, le choix des caractéristiques techniques est influencé par des considérations telles que l’installation des commandes à l’extérieur ou dans un espace protégé, leur montage sur du matériel fixe ou des véhicules en mouvement, leur manipulation à mains nues ou gantées. Pour ce type de conditions particulières, on se référera à la bibliographie en fin de chapitre.

Les règles gouvernant la disposition et le groupement des commandes sont énoncées dans le tableau 29.12. Pour plus de précisions, on consultera la bibliographie en fin de chapitre et plus spécialement Kroemer, Kroemer et Kroemer-Elbert (1994).

Tableau 29.12 Règles pour la disposition des commandes

Positionner de manière à faciliter l’utilisation

Les commandes seront orientées par rapport à l’opérateur. Si l’opérateur adopte différentes postures (par exemple, pour conduire et manœuvrer une excavatrice), les commandes et les affichages correspondants devront se déplacer avec l’opérateur, de manière que leur disposition et leur manœuvre restent identiques pour chacune des postures de l’opérateur.

Commandes principales en premier

Les commandes les plus importantes seront localisées aux emplacements les plus propices, pour en faciliter l’atteinte et la manipulation par l’opérateur.

Regrouper les commandes apparentées

Les commandes utilisées de façon séquentielle, liées à une fonction spécifique ou manipulées conjointement, seront disposées en groupes fonctionnels (avec les affichages correspondants). A l’intérieur de chaque groupe, les commandes et les affichages seront disposés en fonction de leur importance et de leur ordre d’utilisation.

Disposer les commandes en fonction de leur ordre d’utilisation

Si l’utilisation des commandes suit un ordre donné,elles seront disposées de manière à faciliter cet ordre. Dispositions courantes: de gauche à droite (disposition privilégiée) ou de haut en bas, comme les ouvrages imprimés dans le monde occidental.

Cohérence

La disposition de commandes analogues ou dont le fonctionnement est identique sera la même sur tous les panneaux.

Commande homme mort

Si l’opérateur a un malaise et relâche une commande ou continue à appuyer dessus, on utilisera une commande type «homme mort» qui arrêtera le système ou le fera passer à un état de fonctionnement non critique.

Choisir des codes appropriés

Il existe de nombreuses manières de faciliter l’identification des commandes, d’indiquer le résultat de leur manœuvre et d’en afficher l’état.Principaux moyens de codage:
– Emplacement – Forme – Taille – Mode de fonctionnement – Etiquettes – Couleurs – Redondance

Source: d’après Kroemer, Kroemer et Kroemer-Elbert, 1994. Reproduit avec l’autorisation de Prentice-Hall. Tous droits réservés.

La prévention des manœuvres accidentelles

On peut se prémunir contre ces manœuvres de diverses manières (certaines méthodes peuvent être combinées):

Il faut tenir compte du fait que certaines de ces dispositions ralentissent en général la manœuvre, ce qui peut être préjudiciable en cas d’urgence.

Les unités de saisie de données

Presque toutes les commandes peuvent être conçues pour permettre l’enregistrement des données sur un ordinateur ou autre unité de mémorisation. On utilise généralement pour ce faire un clavier à touches. Sur les claviers de machines à écrire standards, qui sont devenus la norme même pour les claviers d’ordinateur, les touches sont disposées dans un ordre plus ou moins alphabétique modifié pour des raisons diverses souvent obscures. Les lettres qui se suivent fréquemment dans un texte ordinaire ont été parfois espacées pour que les anciennes barres de frappe mécanique ne s’emmêlent pas en cas de frappe successive rapide. Les «colonnes» et les «rangées» de touches sont disposées en alignements. Les extrémités des doigts ne sont cependant pas alignées de la même façon et ne se déplacent pas de cette manière lorsque les doigts de la main sont repliés, tendus ou déplacés latéralement.

On a fait de nombreuses tentatives, au cours des cent dernières années, pour améliorer la frappe en modifiant la disposition du clavier. On a notamment cherché à repositionner les touches à l’intérieur de la disposition standard, voire à modifier complètement la disposition du clavier. Le clavier a été divisé en plusieurs parties et des séries de touches (clavier numérique, etc.) lui ont été ajoutées. La disposition de touches voisines peut être modifiée en changeant leur espacement ou en les décalant les unes par rapport aux autres ou par rapport aux axes de référence. Le clavier peut être divisé en deux blocs distincts pour la main gauche et la main droite; ces blocs peuvent être disposés de manière oblique.

La dynamique de la manœuvre des touches à bouton-poussoir est importante pour l’utilisateur, mais difficile à mesurer en service. Les caractéristiques de déplacement et de force des touches se rapportent souvent à des essais statiques et non aux conditions d’utilisation réelle. Les touches des claviers d’ordinateur ont une course relativement très petite (2 mm environ) et opposent une certaine résistance, ce qui rend leur déclenchement plus sûr. Au lieu de touches séparées, certains claviers comportent une membrane recouvrant des touches à effleurement qui, lorsqu’on appuie à l’endroit approprié, produisent le contact désiré sans donner pratiquement de sensation de déplacement. La membrane a pour principal avantage d’empêcher la pénétration de poussières ou de fluides. De nombreux utilisateurs ne l’apprécient pas pour autant.

Il y a des exceptions au principe de «un caractère par touche». Ainsi, on peut introduire des données en utilisant différentes combinaisons de touches (par exemple lorsqu’on actionne simultanément plusieurs touches pour obtenir un seul caractère). Cela exige une bonne capacité de mémorisation de la part de l’opérateur, mais réduit sensiblement le nombre de touches utilisées. Certains dispositifs utilisent d’autres commandes que le bouton-poussoir à sortie binaire et font appel à des leviers, des genouillères ou des capteurs spéciaux (un gant appareillé, par exemple) réagissant aux mouvements des doigts de la main.

Traditionnellement, la frappe sur clavier et la saisie sur ordinateur s’effectuent par interaction mécanique des doigts de l’opérateur et d’unités du type clavier, souris, boule ou photostyle. Il existe pourtant de nombreux autres moyens d’effectuer des saisies. La reconnaissance vocale semble une technique prometteuse, mais on peut songer à d’autres méthodes encore, faisant appel, par exemple, au pointage par un doigt, à des gestes, des expressions faciales ou des mouvements du corps, au regard (l’orientation du regard d’un individu), à des mouvements de la langue, à la respiration ou au langage des signes. L’évolution en ce domaine est continue, comme en témoignent les nombreux systèmes proposés pour les jeux informatiques et les dispositifs qui s’écartent des claviers à touches traditionnels. On se référera à ce sujet aux travaux de Kroemer (1994b) et McIntosh (1994), par exemple.

Affichages

Ces dispositifs de visualisation fournissent des informations sur l’état de machines ou d’installations. Ils font généralement appel au sens visuel de l’opérateur (voyants, échelles graduées, compteurs, tubes cathodiques, électronique à panneau plat, etc.), mais peuvent aussi solliciter son sens auditif (sonneries, klaxons, messages vocaux enregistrés, sons produits électroniquement, etc.) ou son sens du toucher (commandes tactiles diverses, Braille, etc.). Les étiquettes, instructions écrites, avertissements ou symboles («icônes») peuvent également être considérés comme des types d’affichage spéciaux.

Les quatre règles de présentation de l’information peuvent être énoncées comme suit:

  1. N’afficher que les informations essentielles à l’exécution de la tâche.
  2. N’afficher que les informations requises pour permettre à l’opérateur de décider des actions à entreprendre.
  3. Présenter les informations sous la forme la plus directe, la plus simple, la plus compréhensible et la plus facile à exploiter.
  4. Présenter les informations de manière à mettre en évidence tout dysfonctionnement ou toute défaillance de l’affichage proprement dit.
Le choix d’un affichage visuel ou sonore dépend des conditions d’exécution du travail et des objectifs visés. L’affichage peut avoir pour but de fournir:

L’affichage visuel est mieux adapté si l’environnement est bruyant, si l’opérateur reste en place, si le message est long et complexe et, en particulier, s’il concerne la localisation spatiale d’un objet. L’affichage sonore est approprié lorsque le poste de travail doit rester dans l’obscurité, si l’opérateur se déplace, si le message est court et simple et s’il exige une attention immédiate et concerne des événements ou des instants particuliers.

Les affichages visuels

Il existe trois types d’affichages visuels. L’affichage de contrôle indique si une condition donnée existe ou non (un voyant vert, par exemple, signale un fonctionnement normal). L’affichage qualitatif indique l’état d’une variable, sa valeur approximative ou sa variation (c’est le cas d’une aiguille se déplaçant à l’intérieur d’une plage «normale»). L’affichage quantitatif se rapporte à une donnée exacte qui doit être vérifiée (trouver un endroit précis sur une carte, lire un texte ou encore dessiner sur un écran d’ordinateur); il peut aussi indiquer une valeur numérique précise que devra lire l’opérateur (une heure ou une température).

Voici quelques directives pour la conception des affichages visuels:

Figure 29.42 Code de couleurs des voyants de signalisation

Figure 29.42

Pour des informations plus détaillées, en particulier quantitatives, on utilise traditionnellement l’un des quatre types d’affichages ci-après: 1) une aiguille mobile sur une échelle fixe; 2) une échelle mobile avec une aiguille fixe; 3) des compteurs; ou 4) des icônes, en particulier ceux créés par un ordinateur sur un écran. La figure 29.43 récapitule les principales caractéristiques de ces types d’affichage.

Figure 29.43 Caractéristiques des affichages

Figure 29.43

Il est en général préférable d’utiliser une aiguille mobile plutôt qu’une échelle mobile, avec une échelle rectiligne (horizontale ou verticale) ou curviligne. Ces échelles devraient être simples et claires, avec des graduations et des chiffres conçus de manière à permettre des lectures précises et rapides. Les chiffres devraient être placés en dehors des graduations de l’échelle, de manière à ne pas être cachés par l’aiguille, dont la pointe devrait toucher les repères. Les graduations de l’échelle devraient être fines tout en étant aisément lisibles. Les principaux repères devraient être numérotés. Il est conseillé d’utiliser des intervalles comprenant une, cinq ou dix unités entre les traits principaux. Les chiffres devraient progresser de gauche à droite, de bas en haut ou dans le sens des aiguilles d’une montre. Pour des détails sur les dimensions des échelles, on se reportera aux normes, par exemple celles citées par Cushman et Rosenberg (1991) ou Kroemer (1994a).

Depuis les années quatre-vingt, les affichages mécaniques à aiguille et échelle imprimée sont de plus en plus souvent remplacés par des affichages «électroniques» à images créées par ordinateur ou par des dispositifs à semi-conducteurs utilisant des diodes électroluminescentes (voir Snyder, 1985a). Les informations affichées peuvent être codées selon l’un des modes ci-après:

Bon nombre des affichages créés électroniquement sont malheureusement flous, souvent trop colorés, trop complexes et difficiles à lire; ils exigent une accommodation précise et une attention poussée, ce qui risque de distraire l’opérateur de sa tâche principale, par exemple la conduite d’une voiture. Les trois premières des quatre règles de présentation de l’information mentionnées ci-dessus sont souvent violées. Qui plus est, les aiguilles, repères et caractères alphanumériques créés électroniquement ne sont pas toujours conformes aux règles établies de la conception ergonomique, en particulier lorsqu’ils sont créés par des segments linéaires, des lignes de balayage ou des matrices de points. Bien que certains de ces systèmes défectueux aient été tolérés par les utilisateurs, l’innovation rapide et l’amélioration des techniques d’affichage autorisent à l’heure actuelle de bien meilleures solutions. L’innovation a cependant pour conséquence de démoder rapidement les états imprimés (même s’ils sont d’actualité et satisfaisants à leur apparition). Nous n’en citerons donc aucun ici. Cushman et Rosenberg (1991), Kinney et Huey (1990) et Woodson, Tillman et Tillman (1991) en ont publié des compilations.

La qualité générale des affichages électroniques laisse souvent à désirer. La fonction de transfert de modulation (Snyder, 1985b) constitue l’une des mesures utilisées pour évaluer la qualité des images; elle indique la définition de l’affichage à l’aide d’un signal d’essai sinusoïdal. On dispose aujourd’hui de nombreux critères pour évaluer les affichages (Dillon, 1992).

Les affichages monochromes n’ont qu’une seule couleur, habituellement le vert, le jaune, l’orange ou le blanc (achromatique). Si plusieurs couleurs apparaissent sur le même affichage chromatique, elles devraient être faciles à différencier. Il est préférable de n’afficher que trois ou quatre couleurs simultanément (rouge, vert, jaune ou orange de préférence, ou encore cyan ou violet); toutes devraient se détacher nettement du fond. La meilleure solution consiste, en fait, à étudier tout d’abord l’affichage en fonction du contraste, c’est-à-dire comme pour le noir et blanc, puis à ajouter des couleurs avec modération.

Malgré les nombreuses variables qui influent sur l’utilisation d’un affichage couleur de type complexe, que ce soit individuellement ou par interaction mutuelle, Cushman et Rosenberg (1991) ont défini des règles d’utilisation de la couleur dans les affichages: elles sont indiquées à la figure 29.44.

Figure 29.44 Directives pour l'utilisation des couleurs dans les affichages

Figure 29.44

Voici quelques suggestions complémentaires:

Les panneaux de commandes et d’affichages

Les affichages et les commandes devraient être regroupés sur des panneaux, de manière à être face à l’opérateur, c’est-à-dire proches de son plan médian. Les commandes devraient se trouver à proximité de la hauteur du coude et les affichages à la hauteur des yeux ou au-dessous, que l’opérateur soit assis ou debout. Les commandes rarement utilisées ou les affichages moins importants peuvent être disposés plutôt sur les côtés, ou plus haut.

Les informations sur le résultat des manœuvres d’une commande sont souvent affichées. Dans ce cas, l’affichage devrait être placé au voisinage de la commande, de manière à permettre de régler cette dernière sans erreur, rapidement et commodément. La consigne est habituellement plus claire lorsque la commande est juste sous l’affichage ou à sa droite. On devrait s’assurer que la main ne recouvre pas l’affichage lorsqu’on actionne la commande.

Les stéréotypes d’utilisation des commandes dépendent de l’expérience et des caractéristiques culturelles des opérateurs. Le type de commande et d’affichage influe sur les mouvements respectifs prévus. Si tous deux sont linéaires ou rotatifs, l’attente stéréotypique prévoit un déplacement dans des directions correspondantes, par exemple tous deux vers le haut ou dans le sens des aiguilles d’une montre. Lorsque les mouvements sont sans rapport avec les informations, les règles suivantes s’appliquent en général:

Le rapport des déplacements de la commande et de l’affichage (rapport C/A ou gain A/C) définit le déplacement requis de la commande. Si un déplacement important de la commande ne produit qu’un petit déplacement de l’affichage, on peut dire que le rapport C/A est élevé et que la sensibilité de la commande est faible. Souvent, l’exécution d’un réglage exige deux mouvements distincts: le premier est un mouvement primaire rapide («saut») jusqu’à un emplacement approximatif, suivi d’un réglage fin sur la position précise. Dans certains cas, on considère que le rapport C/A optimal est celui qui réduit au minimum la somme de ces deux mouvements. Le rapport le plus approprié dépend cependant des circonstances données; il doit être déterminé pour chaque application.

Les étiquettes et les mises en garde

Les étiquettes

Idéalement, aucune étiquette ne devrait s’avérer nécessaire sur une installation, une machine ou une commande pour en expliquer l’utilisation. On y a pourtant souvent recours pour permettre à l’utilisateur de localiser, identifier, lire ou manipuler des commandes, des affichages ou autres dispositifs. L’étiquetage devrait être de nature à fournir rapidement des informations précises. On pourra s’inspirer des règles générales figurant au tableau 29.13.

Tableau 29.13 Règles relatives aux étiquettes

Orientation

L’étiquette et les informations qu’elle porte seront disposées horizontalement, de manière à pouvoir être lues rapidement et facilement (cette remarque n’est valable que si l’opérateur est habitué à lire horizontalement, comme dans les pays occidentaux).

Emplacement

L’étiquette sera placée sur l’objet qu’elle identifie ou très près de celui-ci.

Normalisation

La disposition des étiquettes sera la même sur tous les équipements et systèmes.

Fonction de l’équipement

L’étiquette devra décrire principalement la fonction de l’objet étiqueté («ce qu’il fait»).

Abréviations

On peut utiliser les abréviations courantes. Si une nouvelle abréviation s’impose, sa signification devra être évidente pour le lecteur. On utilisera les mêmes abréviations à tous les temps et pour le singulier et le pluriel d’un mot. On utilisera des lettres majuscules et on supprimera normalement la ponctuation.

Concision

Le texte sera aussi concis que possible, sans déformer l’information ou la signification recherchée. Il sera aussi dépourvu d’ambiguïté et la redondance réduite au minimum.

Vocabulaire familier

On choisira, autant que possible, des mots avec lesquels l’opérateur est familiarisé.

Visibilité et lisibilité

L’opérateur devra pouvoir lire facilement aux distances de lecture normales, avec le niveau d’éclairage le plus faible et avec les mouvements et vibrations ambiants. Facteurs importants: contraste entre le lettrage et le fond, hauteur, largeur, épaisseur, espacement et style des lettres et réflexion spéculaire du fond, du couvercle ou autres composants.

Police et dimension des caractères

La lisibilité des informations écrites dépend de la typographie: celle-ci régit le style, la police de caractères, la disposition et l’aspect.

Source: d’après Kroemer, Kroemer et Kroemer-Elbert, 1994. Reproduit avec l’autorisation de Prentice-Hall. Tous droits réservés.

Il convient d’utiliser des caractères (polices) simples, gras et verticaux, du type Futura, Helvetica, Namel, Tempo ou Vega. On remarquera que la plupart des polices de caractères créées électroniquement (formées par des diodes électroluminescentes, un affichage à cristaux liquides ou une matrice de points) sont en général de moins bonne qualité que les caractères imprimés; il faut donc veiller tout particulièrement à les rendre aussi lisibles que possible.

Les mises en garde

L’idéal serait de pouvoir utiliser tous les matériels et tous les produits en toute sécurité mais, bien souvent, ce résultat ne peut être assuré au stade de la conception. Il faut avertir les utilisateurs des dangers possibles et leur fournir toutes instructions utiles en vue de prévenir les accidents corporels et les dommages matériels.

Il est préférable de prévoir une mise en garde «active», comprenant habituellement un capteur apte à déceler tout usage impropre, combiné à un dispositif d’alarme qui signale la présence d’un danger imminent. On utilise pourtant, dans la plupart des cas, des dispositifs «passifs», constitués habituellement d’une étiquette apposée sur le matériel ou le produit, complétée par un manuel de l’utilisateur. Ces avertissements passifs reposent entièrement sur la perception par l’usager d’une situation dangereuse réelle ou potentielle, sur sa mémorisation de l’avertissement et sur la prudence de sa conduite.

Les étiquettes et panneaux de mise en garde passive devraient être conçus avec soin en respectant les réglementations nationales et en s’inspirant des normes nationales et internationales et des meilleures données possibles. Ils pourront contenir du texte, des graphismes et des images (complétés fréquemment par un texte qui explicite le message). Les graphismes, en particulier les images et les pictogrammes, peuvent être compris par des individus de cultures et de langues différentes, à condition d’être choisis avec soin. Les dangers et les mises en garde pourront cependant être perçus de manière assez différente suivant l’âge, l’expérience, l’origine ethnique et le niveau intellectuel des usagers. Il vaut donc toujours mieux concevoir un produit sûr plutôt que d’apposer des mises en garde sur un produit de qualité inférieure.

LA CONCEPTION ET LE TRAITEMENT DE L’INFORMATION

Andries E. Sanders

Lors de la conception d’un équipement, il faut se rappeler que l’opérateur possède à la fois des capacités et des limites lorsqu’il traite l’information, et que ces capacités et ces limites se manifestent de différentes manières et se retrouvent à différents niveaux du processus de conception. En situation de travail, la performance dépend de l’importance accordée à ces capacités et à ces limites au stade de la conception. Le présent article aborde brièvement quelques-unes des questions les plus importantes qui sont développées de manière plus approfondie ailleurs dans le présent ouvrage.

Il est courant de distinguer trois niveaux principaux dans le processus  de  traitement  de  l’information:  perception,  décision  et action. Le niveau de perception est subdivisé lui-même en trois autres niveaux qui sont le traitement sensoriel, l’extraction d’éléments et l’identification de l’objet perçu. Au niveau décisionnel, l’opérateur reçoit une information perceptible et opte pour une réaction qui est ensuite programmée et concrétisée au niveau de l’action (niveau moteur). Ce processus correspond à la circulation de l’information dans le cas le plus simple d’une réaction nécessitant un choix. Il est évident que l’information perceptible peut s’accumuler et être associée et analysée avant d’aboutir à une action. Il peut aussi être nécessaire de sélectionner l’information en raison d’une surcharge au niveau de la perception. Enfin, choisir une action appropriée devient problématique en présence de plusieurs options dont certaines sont plus judicieuses que d’autres. Dans l’exposé qui suit, nous mettons l’accent sur les facteurs de perception et de décision qui interviennent dans le traitement de l’information.

Les capacités et les limites de perception

Les limites sensorielles

La première catégorie des limites du traitement de l’information est de nature sensorielle. Leur importance dans le traitement de l’information est évidente: plus l’information s’approche des limites du seuil de perception, moins son traitement sera fiable. Cette constatation peu paraître banale; il n’en reste pas moins que les problèmes sensoriels ne sont pas toujours suffisamment pris en compte au stade de la conception. Ainsi, les caractères alphanumériques dans les systèmes de marquage des poteaux indicateurs devraient être assez grands et assez épais pour être lisibles à une distance compatible avec le déclenchement d’une action appropriée. La lisibilité, à son tour, dépend non seulement de la taille réelle des caractères, mais également du contraste et — compte tenu de l’inhibition latérale — de la quantité totale d’information fournie. Dans des conditions de mauvaise visibilité, en particulier (en cas de conduite automobile ou de pilotage d’un avion par temps de pluie ou par brouillard), la lisibilité est un problème capital qui nécessite des mesures supplémentaires. Les panneaux indicateurs routiers et les signalisations routières sont généralement bien conçus, alors que les panneaux indicateurs situés à proximité ou à l’intérieur des bâtiments sont souvent illisibles. Les écrans de visualisation constituent un autre exemple dans lequel les limites sensorielles relatives à la taille, au contraste et à la quantité d’information jouent un rôle important. Dans le domaine auditif, un des principaux problèmes sensoriels est celui de l’audibilité d’un message dans des environnements bruyants, ou encore celui de la qualité des systèmes de transmission audio.

La sélection des informations pertinentes

Pour autant que l’information respecte le seuil de perception, les autres problèmes de traitement de l’information concernent l’extraction d’éléments à partir de celle qui nous est présentée. La plupart des recherches récentes ont nettement montré que la perception d’ensembles significatifs est précédée d’une analyse de leurs éléments. Cette analyse est particulièrement utile pour localiser un objet déviant spécifique parmi d’autres. Par exemple, si l’on montre plusieurs valeurs, l’on pourra représenter celle qui est la plus importante par une couleur ou en lui donnant une taille différente, afin d’attirer immédiatement l’attention en la faisant ressortir. En théorie, il existe une cartographie des couleurs, des tailles, des formes et autres caractéristiques physiques. La valeur accordée à un élément dépend de la différence d’activation de la représentation cartographique des éléments qui appartiennent à la même classe, par exemple la couleur. Ainsi, l’activation d’une carte des éléments dépend de la possibilité de discrimination des éléments déviants. Cela signifie qu’en présence de plusieurs couleurs sur un écran, la plupart des cartes des éléments de couleur sont activées de manière similaire, de sorte qu’aucune des couleurs ne ressort.

De la même manière, un simple spot publicitaire ressortira bien, mais cet effet disparaît entièrement lorsque plusieurs stimuli se déplacent dans le champ de vision. Le principe de l’activation différente des cartes des éléments s’applique également lorsqu’on aligne des pointeurs indiquant les valeurs idéales de certains paramètres. Une déviation du pointeur se traduit par une pente déviante qui sera rapidement détectée. Là où cela est impossible à réaliser, un écart dangereux sera signalé par une modification de la couleur. Ainsi, la règle générale en matière de conception est de n’utiliser que quelques éléments déviants sur un écran et de les réserver uniquement à l’information essentielle. La recherche de l’information essentielle devient problématique dans le cas où plusieurs éléments se trouvent associés. Par exemple, il est difficile de localiser un gros objet rouge au milieu de petits objets rouges et de grands et petits objets verts. Il faut, dans la mesure du possible, éviter les associations lorsqu’on recherche la mise en évidence efficace de l’information.

Les éléments séparables comparés aux éléments intégraux

Les éléments d’un objet sont qualifiés de séparables lorsqu’ils peuvent être modifiés sans altérer la perception des autres éléments de cet objet. Les hauteurs des colonnes d’un histogramme en sont un exemple. Les éléments intégraux, en revanche, font référence à des éléments qui, lorsqu’ils sont modifiés, changent l’aspect de l’ensemble de l’objet. On ne peut pas, par exemple, modifier les caractéristiques de la bouche dans une représentation schématique du visage sans altérer l’aspect global de l’image. La couleur et la brillance sont des éléments intégraux dans la mesure où l’on ne peut pas modifier une couleur sans altérer en même temps l’impression d’éclat. Les principes relatifs aux éléments séparables et aux éléments intégraux et aux propriétés qui en découlent sont appliqués dans ce que l’on appelle les visualisations intégrées ou diagnostiques; leur objet consiste à intégrer différents paramètres dans un seul affichage dont la composition d’ensemble indique ce qui peut être erroné dans un système.

La présentation des données dans les centres de contrôle se base souvent sur la notion selon laquelle chaque mesure individuelle devrait avoir son propre indicateur. Ce type de présentation fragmentée fait que l’opérateur doit effectuer la synthèse de différentes informations pour diagnostiquer un problème éventuel. Lors de l’accident survenu dans la centrale nucléaire de Three Mile Island, aux Etats-Unis, quelque 40 à 50 affichages visuels signalaient des perturbations. L’opérateur était contraint dès lors de poser un diagnostic en recoupant une masse d’informations. Les affichages à visualisation intégrale peuvent être utiles pour diagnostiquer un type d’erreur dans la mesure où ils associent différentes mesures dans un schéma unique. Plusieurs schémas de visualisation intégrale peuvent alors servir d’outil diagnostique pour identifier des défaillances spécifiques.

Un exemple classique d’affichage diagnostique intégral proposé pour les salles de contrôle des centrales nucléaires est présenté à la figure 29.45. Un ensemble d’indications sont visualisées de manière groupée sous la forme de vecteurs d’égale longueur, de sorte qu’un polygone régulier représente toujours des situations normales. En cas d’anomalie ou de perturbation, le polygone se déforme et permet d’identifier le ou les problèmes.

Figure 29.45 En situation normale, toutes les valeurs paramétriques sont égales, créant un
polygone régulier. En cas de dysfonctionnement, certaines des valeurs se sont modifiées,
créant une distorsion spécifique

Figure 29.45

Tous les affichages de type intégral n’ont pas la même capacité de différenciation. Ainsi, une corrélation positive entre les deux dimensions d’un rectangle crée des différences de surface, tout en conservant une forme égale, alors qu’une corrélation négative crée des différences de forme tout en maintenant la surface inchangée. Les cas où une variation des dimensions d’une structure donne naissance à une forme nouvelle font apparaître une propriété de la schématisation qui ajoute un plus à l’aptitude de l’opérateur à distinguer les divers schémas. Les propriétés en question dépendent de l’identité et de la disposition des éléments mais ne sont pas identifiables avec un seul élément.

La visualisation des objets et des configurations n’a pas que des avantages. Le fait qu’il s’agisse de structures signifie que les éléments représentant chaque variable sont plus difficiles à percevoir. En fait, par définition, les dimensions des structures de type intégral sont mutuellement dépendantes, masquant ainsi leurs composantes individuelles. Il peut y avoir des circonstances dans lesquelles cela est inacceptable, car l’opérateur peut vouloir tirer profit des propriétés diagnostiques d’un schéma typique. La visualisation d’un diagramme en bâtons traditionnel peut constituer un compromis. Un tel diagramme est complètement séparable. Lorsque les bâtons sont suffisamment proches, l’observation de leur longueur peut faciliter le diagnostic.

Certaines visualisations diagnostiques sont meilleures que d’autres; leur qualité dépend de leur compatibilité avec le modèle mental de la tâche. Ainsi, un diagnostic des défaillances basé sur les distorsions d’un polygone régulier, comme illustré à la figure 29.45, peut n’avoir que peu de rapports avec la sémantique ou les idées que s’en fait le personnel de contrôle d’une centrale nucléaire. Différents types de distorsion du polygone représenté ne correspondent pas forcément à des problèmes spécifiques dans la centrale. En fait, la configuration la plus appropriée est celle qui correspond au modèle mental spécifique de la tâche. La surface d’un rectangle n’est une forme de visualisation utile que lorsque la variable qui nous intéresse est le produit de la base par la hauteur.

L’intérêt des visualisations d’objets est particulièrement apparent dans leurs représentations en trois dimensions. Ainsi, une représentation de la circulation aérienne en trois dimensions — plutôt que la représentation traditionnelle en deux dimensions qu’offrent les radars — permettrait aux pilotes de mieux appréhender le trafic environnant. Il est établi qu’une visualisation en trois dimensions est nettement supérieure dans ce cas à une visualisation en deux dimensions, car elle indique si un autre avion vole au-dessus ou au-dessous.

La vision dégradée ou la faible lisibilité

Plusieurs conditions peuvent entraîner une vision dégradée. Dans certains cas, comme dans un camouflage, les objets sont intentionnellement dégradés afin d’éviter leur identification. Dans d’autres, par exemple lorsqu’on accroît la brillance, les éléments deviennent trop flous pour permettre l’identification de l’objet. Les chercheurs ont tenté de déterminer le nombre minimal de «lignes» requises sur un écran, ou la quantité de détails nécessaire, pour éviter une dégradation de l’image. Malheureusement, cette approche fondée sur la qualité de l’image n’a pas donné de résultats concluants. La difficulté tient au fait que l’identification des stimuli dégradés (un véhicule armé camouflé, par exemple) dépend dans une trop grande mesure de la présence ou de l’absence de détails minimes spécifiques à l’objet considéré. Il en résulte qu’aucune directive générale relative à la densité des lignes ne peut être formulée; tout ce que l’on peut dire et qui est bien banal, c’est que plus la densité augmente, plus la lisibilité augmente.

Les caractéristiques des symboles alphanumériques

L’une des principales difficultés dans la perception des éléments présentés tient au nombre réel d’éléments qui, conjointement, définissent un stimulus. Ainsi, la lisibilité des caractères d’ornement comme les lettres gothiques est mauvaise en raison du grand nombre de leurs volutes. Pour éviter les confusions, les différences entre lettres comportant des éléments très similaires — comme le i et le l ou le c et le e — devraient être accentuées. Pour la même raison, la longueur des hampes ascendantes et des jambages descendants ne devrait pas être inférieure à 40% de la hauteur totale de la lettre.

Il est évident que la facilité de discrimination entre les différentes lettres est déterminée surtout par le nombre des éléments qu’elles ne partagent pas. Il s’agit principalement de lignes droites et de segments circulaires dont l’orientation peut être horizontale, verticale ou oblique et dont la taille peut différer, comme dans les lettres minuscules et majuscules.

Même lorsque les caractères alphanumériques sont faciles à distinguer lorsqu’ils sont isolés, ils peuvent ne plus l’être lorsqu’ils sont associés à d’autres éléments. Ainsi, les chiffres 4 et 7 ont peu de caractéristiques communes, mais ils peuvent être malaisés à différencier lorsqu’ils entrent dans des nombres plus grands assez voisins (384 par opposition à 387). Il est évident que la lecture d’un texte en minuscules est plus rapide que celle d’un texte en majuscules. Cette différence est généralement attribuée au fait que les minuscules ont des éléments plus distincts (par exemple chien, chat par opposition à CHIEN, CHAT). La supériorité des minuscules a été établie non seulement pour la lecture d’un texte, mais aussi pour les panneaux routiers, comme ceux mis en place à la sortie des autoroutes.

L’identification

Le processus final en matière de perception concerne l’identification et l’interprétation des informations. Les limites humaines, à ce niveau, sont généralement liées à la faculté de discrimination et à la recherche d’une interprétation appropriée. Les applications de la recherche sur la discrimination visuelle sont multiples; elles visent aussi bien des schémas alphanumériques que l’identification de stimuli plus généraux. La conception des feux de stop des voitures en fournit un bon exemple. Les collisions par l’arrière sont à l’origine d’un nombre considérable d’accidents de la route et sont dus en partie à la localisation traditionnelle des feux de stop à proximité des feux arrière, ce qui les rend moins faciles à distinguer et augmente le temps de réaction du conducteur. On a mis au point une variante consistant en un feu unique, placé au centre de la lunette arrière, au niveau des yeux, qui semble de nature à réduire le nombre d’accidents. Dans les études expérimentales sur route, l’effet du feu de stop central paraît être moins bon lorsque les sujets connaissent l’objectif de l’étude, ce qui permet de penser que l’identification du stimulus dans la configuration traditionnelle s’améliore lorsque les sujets sont concentrés sur leur tâche. Malgré l’effet positif du feu de stop déplacé, sa reconnaissance pourrait être encore améliorée si on y ajoutait un point d’exclamation ou même un icône.

Les inconvénients des jugements absolus

Des limites de performance très strictes, allant souvent à l’encontre de ce qui est intuitif, se manifestent lorsqu’on juge des caractéristiques physiques de manière absolue et non relative. On en trouve des exemples dans le codage d’objets par la couleur ou l’utilisation de tonalités dans les systèmes de signalisation acoustique. Le fait est que le jugement relatif est bien supérieur au jugement absolu. Le problème, dans le cas du jugement absolu, est que le code doit être traduit; ainsi, une couleur spécifique peut être liée à une valeur de résistance électrique, ou une tonalité donnée s’adresser à la personne recherchée. En fait, il ne s’agit pas d’un problème d’identification au niveau de la perception, mais plutôt du choix d’une réponse, qui sera abordé plus loin dans le présent article. Il suffit ici de noter qu’il ne faut pas utiliser plus de quatre ou cinq couleurs ou tonalités si l’on veut éviter les erreurs. Si la palette doit être élargie, on pourra ajouter d’autres dimensions comme l’intensité sonore et la durée du signal.

La lecture d’un texte

L’expérience a largement prouvé l’importance que revêt la séparation des mots dans l’imprimerie traditionnelle. La lecture est fortement perturbée et les erreurs d’impression passent souvent inaperçues en cas d’omission d’espaces; il est aussi très difficile de lire des mots si les casses sont alternées (par exemple, ALTeRnAtIf). Certains chercheurs ont mis l’accent sur le rôle de la forme du mot dans la lecture de groupes de mots et ont suggéré que des analyseurs de fréquence spatiale pourraient être utiles dans l’identification de la forme des mots. Le sens pourrait être fourni par la forme globale du mot plutôt que par une analyse lettre par lettre. Toutefois, la contribution de l’analyse de la forme du mot est probablement limitée à des mots courts et usuels — articles et désinences — ce qui correspond aux résultats observés, à savoir que la probabilité de détection des erreurs d’impression des mots courts et des désinences est relativement faible.

Les textes en bas de casse présentent un avantage par rapport aux textes en capitales, effet dû à la perte d’éléments dans le second cas. Toutefois, l’avantage lié aux mots en minuscules n’existe plus, ou peut même être inversé, en cas de recherche d’un seul mot; il semble que les facteurs de taille des lettres et de casse soient confondus lors de la recherche; les lettres de plus grande taille sont détectées plus rapidement, ce qui peut compenser l’inconvénient de leurs formes moins différenciables. Ainsi, un seul mot peut être lu aussi facilement en majuscules qu’en minuscules, alors qu’un texte continu sera lu plus rapidement s’il est en minuscules. La détection d’un seul mot présenté en majuscules au milieu d’autres mots en minuscules est très efficace, car elle porte sur un élément qui ressort. On peut améliorer encore la détection en imprimant un seul mot en minuscules en caractères gras, ce qui permet d’accrocher l’œil.

Le rôle des caractéristiques de codage dans la lecture est également illustré par la mauvaise lisibilité des anciens écrans de visualisation à faible résolution, qui consistaient en matrices de points assez grossières et ne pouvaient représenter les caractères alphanumériques que sous forme de lignes droites. De ce fait, la lecture d’un texte ou la recherche d’un mot sur un moniteur à faible résolution était beaucoup plus lente que pour un texte imprimé. On a pallié ce problème avec les écrans modernes haute résolution. Outre la forme des lettres, de nombreux autres facteurs interviennent dans la lecture; mentionnons en particulier l’espacement des lignes, le corps (taille) des caractères, la police de caractères, le contraste entre les caractères et le fond, la distance du support ou de l’écran, l’importance du scintillement et le fait que passer d’une page à une autre sur un écran impose un défilement sur l’écran. La conclusion la plus évidente, à savoir que la lecture est moins rapide sur un écran d’ordinateur — bien que la compréhension soit quasiment identique — est due sans doute à l’association de ces divers facteurs. Les traitements de texte actuels offrent un grand nombre d’options en ce qui concerne les polices de caractères, la couleur, le format, etc.; on peut avoir l’impression erronée que ces choix sont surtout une affaire de goûts.

Les icônes ou les textes?

Certaines études ont montré que le temps requis par un sujet pour nommer un mot imprimé était plus court que celui mis à identifier l’icône correspondant, alors que ces deux temps étaient pratiquement identiques dans d’autres études. Il a été suggéré que les mots sont lus plus vite que les icônes du fait qu’ils sont moins ambigus. Même un icône relativement simple (une maison, par exemple) peut déclencher des réponses différentes d’un sujet à l’autre, entraînant un conflit au niveau de la réponse et, partant, une augmentation du temps de réaction. Si le conflit au niveau de la réponse peut être éliminé en utilisant des icônes sans ambiguïté, la différence constatée au niveau du temps de réaction est susceptible de disparaître. Il est intéressant de noter que dans le cas des panneaux routiers, les icônes sont généralement bien supérieurs aux mots, même dans les cas où la compréhension du langage n’est pas considérée comme un problème. Ce paradoxe s’explique sans doute par le fait que la lisibilité des signes figurant sur les panneaux routiers dépend très largement de la distance à laquelle un signe peut être identifié. S’il est bien conçu, cette distance sera plus importante pour les symboles que pour les mots, car les images peuvent présenter des différences de formes importantes et contenir moins de détails que les mots. L’avantage des images provient du fait que la discrimination des caractères exige environ 10 à 12 minutes d’arc et que la détection de leurs éléments est une condition préalable de la discrimination. Il est néanmoins évident que la supériorité des symboles ne vaut que: 1) s’ils ne contiennent que peu de détails; 2) si leur forme est suffisamment distincte; 3) s’ils ne sont pas ambigus.

Les capacités et les limites en matière de décision

Une fois qu’une information a été identifiée et interprétée, une action peut s’avérer nécessaire. Nous nous limiterons ici aux relations stimulus-réponse ou, en d’autres termes, aux conditions dans lesquelles chaque stimulus a sa propre réponse invariable. Dans ce cas, les principaux problèmes de conception en matière d’équipement sont des problèmes de compatibilité, à savoir dans quelle mesure les stimuli identifiés et les réponses qui leur sont associées ont un rapport «naturel» ou résultant d’une longue pratique. Il existe des situations dans lesquelles une relation optimale est intentionnellement abandonnée, comme dans le cas des abréviations. Généralement, une contraction comme abrvtin est pire qu’une troncation comme abrév. En théorie, cela est dû à la redondance accrue des lettres successives dans un mot, ce qui accentue le rôle des lettres finales en se basant sur les lettres précédentes. Ce principe peut être avantageux pour un mot tronqué, mais non pas pour un mot contracté.

Les modèles mentaux et la compatibilité

Dans la plupart des problèmes de compatibilité, il existe des réponses stéréotypées issues de modèles mentaux généralisés. Prenons le cas où l’on doit choisir la position «zéro» sur un cadran circulaire. Les positions correspondant à 12h ou à 9h semblent être plus favorables que les positions correspondant à 6h ou 3h au point de vue des réglages. Cela s’explique sans doute par le fait qu’une déviation dans le sens des aiguilles d’une montre associée à un mouvement dans la partie supérieure du champ sont ressentis comme une «augmentation» appelant une réponse inverse. Ces deux principes, en revanche, entrent en conflit sur les positions 3h et 6h, qui sont ainsi traitées avec moins d’efficacité. Un stéréotype similaire s’observe dans la fermeture ou l’ouverture de la porte arrière d’une voiture. La plupart des individus agissent en fonction d’un stéréotype selon lequel la fermeture nécessite un mouvement dans le sens des aiguilles d’une montre. Si la fermeture est conçue dans le sens contraire, il en résultera des erreurs et une frustration continue lors des tentatives de fermeture.

En ce qui concerne les mouvements de contrôle, le principe bien connu de Warrick sur la compatibilité décrit le rapport entre la localisation d’un bouton de contrôle et le sens du mouvement résultant sur un affichage. Si le bouton de contrôle est situé sur le côté droit, sa rotation dans le sens des aiguilles d’une montre est censé entraîner un déplacement vers le haut. Considérons encore le cas d’un affichage à fenêtre; selon le modèle mental de la plupart des individus, un mouvement ascendant tendrait à faire penser que les valeurs mesurées augmentent de la même manière, par exemple, que l’augmentation de la température indiquée par un thermomètre se traduit par une élévation de la colonne de mercure. L’application de ce principe à un appareil de mesure ayant une aiguille fixe et un cadran mobile pose toutefois problème. Dans un tel indicateur, lorsque le cadran gradué descend, la valeur affichée est censée augmenter, ce qui est en conflit avec le stéréotype commun. Si l’on inverse la graduation, les valeurs les plus basses se situeront en haut de la graduation, ce qui est également contraire à la plupart des stéréotypes.

L’expression compatibilité de proximité fait référence à la correspondance entre les représentations symboliques et les modèles mentaux des individus relatifs aux relations fonctionnelles ou même spatiales au sein d’un système. Plus le modèle mental d’une situation est primaire, global ou déformé, plus les problèmes de compatibilité de proximité sont importants. Ainsi, le diagramme figurant le déroulement d’un processus industriel automatisé complexe est souvent visualisé en se basant sur un modèle technique qui ne correspond pas forcément au modèle mental que l’on a de ce processus. En particulier, lorsque le modèle mental d’un processus est incomplet ou déformé, sa représentation technique ne contribue guère à son développement ou à sa correction. Le plan d’un bâtiment ayant pour objet d’orienter le visiteur ou de situer l’emplacement des issues de secours en cas d’incendie est un exemple courant de piètre compatibilité de proximité. Ces plans sont généralement totalement inadéquats — foisonnant de détails sans importance —, en particulier pour les individus qui n’ont qu’un modèle mental global du bâtiment. La convergence entre la lecture du plan et l’orientation se rapproche de ce que l’on a appelé la «prise de conscience de la situation», particulièrement significative dans l’espace en trois dimensions au cours du vol d’un avion. Des recherches ont été entreprises récemment dans les visualisations d’objets à trois dimensions dans le but d’arriver à une compatibilité de proximité optimale dans ce domaine.

La compatibilité stimulus-réponse (S-R)

On trouve un exemple de compatibilité stimulus-réponse (S-R) typique dans la plupart des programmes de traitement de texte qui supposent que les opérateurs savent dans quelle mesure les commandes correspondent à des combinaisons de touches spécifiques. La difficulté tient au fait qu’une commande et la combinaison de touches qui lui est associée n’ont généralement pas de relation préexistante, ce qui signifie que les rapports S-R doivent être mémorisés selon un processus d’apprentissage laborieux et que, même si ce processus est achevé, la tâche reste sujette aux erreurs. Le modèle interne du programme demeure incomplet dans la mesure où des opérations qui ne sont pas effectuées fréquemment sont susceptibles d’être oubliées, de sorte que l’opérateur ne peut trouver la réponse appropriée. De même, le texte affiché à l’écran ne correspond généralement pas de manière rigoureuse au résultat final après impression, ce qui constitue un autre exemple de mauvaise compatibilité de proximité. Seuls quelques programmes utilisent, pour les commandes de contrôle, un modèle interne spatial stéréotypique fondé sur les rapports stimulus-réponse.

Il a été relevé à juste titre que les rapports préexistants entre les stimuli spatiaux et les réponses manuelles sont bien meilleurs — comme le rapport entre une réponse de pointage et une localisation dans l’espace, ou entre les stimuli verbaux et les réponses vocales. Il est évident que les représentations dans l’espace et les représentations verbales sont des catégories cognitives relativement séparées, avec peu d’interférence mutuelle mais également peu de correspondance mutuelle. Ainsi, une tâche spatiale telle que le formatage d’un texte sera effectuée plus facilement à l’aide d’une souris, libérant le clavier pour des commandes verbales.

Cela ne signifie pas que le clavier soit idéal pour effectuer les commandes verbales. La frappe demeure une question de localisation de touches disposées de manière arbitraire dans l’espace, commandées manuellement et fondamentalement incompatibles avec le traitement des lettres. Il s’agit là d’un autre exemple de tâche fortement incompatible qui ne peut être maîtrisée que par une pratique intensive; on perd vite sa dextérité lorsqu’on cesse de taper. Il en va de même pour la sténographie, qui consiste également à convertir des stimuli verbaux en symboles écrits arbitraires. Une variante intéressante a été proposée; c’est l’utilisation d’un clavier «à accords». L’opérateur dispose de deux petits claviers, l’un pour la main droite et l’autre pour la main gauche, comportant chacun six touches. Chaque lettre de l’alphabet correspond à un «accord», c’est-à-dire à une association de touches. Les résultats obtenus avec ce dispositif ont fait apparaître une économie remarquable au niveau du temps d’apprentissage. Les limitations motrices constituaient au début une entrave à la vitesse maximale, mais la performance de l’opérateur en ce qui concerne la vitesse de transcription était en fin de compte très proche de celle obtenue par la méthode traditionnelle.

Un exemple classique de compatibilité spatiale est fourni par la disposition traditionnelle des commandes des brûleurs d’une cuisinière à gaz, à savoir quatre brûleurs dans une matrice 2×2 commandés par des boutons alignés horizontalement. Dans cette configuration, les rapports entre les brûleurs et leurs commandes ne sont pas évidents et l’apprentissage reste difficile. Toutefois, malgré de nombreuses erreurs, le problème de l’allumage est généralement résolu. La situation est pire lorsqu’un individu est confronté à des rapports commande-affichage non définis. On a des exemples de mauvaise compatibilité S-R dans les caméras vidéo, les enregistreurs vidéo et les postes de télévision. Il en découle que nombre des possibilités offertes par ces appareils ne sont jamais utilisées ou doivent être réétudiées avant chaque tentative nouvelle. On a beau dire que «tout est expliqué dans le manuel»; c’est peut-être vrai, mais cela ne sert à rien, puisque la plupart des manuels sont incompréhensibles pour l’utilisateur moyen, surtout lorsqu’ils tentent de décrire des actions en utilisant des expressions incompatibles.

Les compatibilités stimulus-stimulus (S-S) et réponse-réponse (R-R)

A l’origine, on a opéré une distinction entre les compatibilités S-S et R-R et la compatibilité S-R. Une illustration classique de la compatibilité S-S concerne les tentatives faites à la fin des années quarante pour compléter le sonar (dispositif de détection acoustique) par une visualisation afin de favoriser la détection des signaux. L’une des solutions proposées comportait un faisceau lumineux horizontal avec des variations verticales se déplaçant de la gauche vers la droite et qui fournissait une translation visuelle du bruit de fond et des signaux éventuels. Un signal correspondait à une perturbation verticale un peu plus marquée. Les expérimentations ont toutefois montré qu’une association des signaux acoustiques et visuels ne donnait pas de meilleurs résultats qu’un simple signal sonore. La raison en était une mauvaise compatibilité S-S; le signal acoustique étant perçu comme une modification de l’intensité sonore, son complément visuel devrait revêtir la forme d’une variation de brillance, afin de réaliser une bonne compatibilité entre les deux.

Il est intéressant de noter que le degré de compatibilité S-S dépend de la mesure dans laquelle les sujets d’expérience sont adaptés à une modalité croisée. Dans une adaptation de ce type, on va leur demander d’indiquer quelle intensité sonore leur fait la même impression que telle luminosité ou tel poids; cette approche a été utilisée dans la recherche sur l’étalonnage des dimensions sensorielles, car elle permet d’éviter de représenter des stimuli sensoriels par des chiffres. La compatibilité R-R se rapporte à la correspondance des mouvements simultanés mais aussi des mouvements successifs. Certains mouvements sont plus faciles à coordonner que d’autres, ce qui entraîne des contraintes évidentes quant à la manière de réaliser le plus efficacement possible une succession d’actions, dans le cas par exemple de commandes séquentielles.

Les exemples qui précèdent illustrent clairement la place dominante qu’occupent les problèmes de compatibilité dans toutes les interfaces utilisateur-machine. On essaie souvent de pallier les effets d’une mauvaise compatibilité par une pratique plus intensive, ce qui a pour résultat d’occulter ou de sous-estimer la difficulté. Les problèmes passent ainsi inaperçus ou restent sous- estimés. Même lorsque des rapports affichage-commande incompatibles paraissent bien maîtrisés et ne semblent pas affecter la performance, ils demeurent une source d’erreurs importante. La réponse compatible incorrecte est en compétition avec la réponse incompatible correcte, et il est vraisemblable que l’on se trouvera tôt ou tard confronté à des risques d’accident. Par ailleurs, la pratique requise pour maîtriser des rapports S-R incompatibles est énorme et représente une perte de temps considérable.

Les limites de la programmation et de l’action motrices

L’une des limites de la programmation motrice a déjà été brièvement évoquée dans les remarques concernant la compatibilité R-R. L’individu éprouve des difficultés à exécuter des séquences de mouvements incongrues; il a de la peine, en particulier, à passer d’une séquence incongrue à une autre. Les données recueillies sur la coordination motrice sont intéressantes pour la conception des commandes nécessitant l’utilisation des deux mains. La pratique et l’entraînement jouent un rôle important à cet égard, comme le montrent les résultats surprenants des exercices acrobatiques.

Plusieurs principes courants dans la conception des commandes sont dérivés de l’étude de la programmation motrice. Citons l’incorporation d’une résistance dans un dispositif de commande complétée par un retour d’information indiquant que la manœuvre s’est déroulée normalement. Le conditionnement de l’état moteur est un facteur très significatif du temps de réaction. Réagir à un stimulus soudain et inattendu peut prendre une seconde supplémentaire, ce qui est considérable lorsqu’une réaction rapide s’impose, par exemple lorsqu’il faut réagir au freinage brusque de la voiture qui précède. L’une des principales causes des collisions en chaîne est sans doute le caractère intempestif des réactions; des signaux avertisseurs précoces seraient utiles dans ce cas. Une application majeure de la recherche sur l’exécution des mouvements est la loi de Fitt qui réunit mouvement, distance et taille de la cible. Cette loi semble être assez générale et s’applique aussi bien à un levier de commande, un manche à balai, une souris d’ordinateur ou un photostyle. On l’a utilisée, par exemple, pour estimer le temps nécessaire pour effectuer des corrections sur un écran d’ordinateur.

On pourrait en dire beaucoup plus à ce sujet. Nous avons limité nos commentaires aux problèmes concernant le flux d’informations au niveau d’une simple réaction appelant un choix. Nous n’avons abordé ni les problèmes qui vont au-delà des réactions de choix, ni les questions d’action directe et de retour d’information dans le monitorage de l’information et de l’activité motrice. Plusieurs des questions soulevées sont étroitement liées aux problèmes de mémorisation et de planification du comportement, qui n’ont pas été traités ici non plus. L’ouvrage de Wickens (1992), par exemple, pourra être consulté avec profit.

LA CONCEPTION POUR TOUS

LA CONCEPTION VISANT DES GROUPES PARTICULIERS

Joke H. Grady-van den Nieuwboer

La conception d’un produit ou d’un processus industriel est centrée sur le travailleur «moyen» et «en bonne santé». Les données concernant la force musculaire, la souplesse du corps, les zones d’atteinte, etc., chez l’être humain, proviennent pour la plupart d’études empiriques réalisées dans le cadre de la conscription et correspondent à des valeurs mesurées sur des sujets jeunes de sexe masculin. Or, les populations actives sont composées d’individus des deux sexes, d’âges, d’aptitudes physiques et de types différents dont l’état de santé, la condition physique et les capacités fonctionnelles sont eux aussi différents. L’encadré ci-après reproduit la classification des limitations fonctionnelles entre les individus, établie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). A l’heure actuelle, la plupart des projets de conception industrielle ne tiennent pas suffisamment compte des aptitudes générales (et des incapacités) des travailleurs au sens large; ils devraient être fondés sur des données plus complètes. Il est clair qu’une charge physique tolérable dans le cas d’un individu de 20 ans dépasse généralement celle d’un sujet de 15 ou de 60 ans. Il incombe au concepteur de prendre en compte de telles différences non seulement au point de vue du rendement, mais aussi au point de vue de la prévention des lésions d’origine professionnelle.

La Classification internationale des limitations fonctionnelles des individus

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a établi en 1980 la Classification internationale des handicaps: déficiences, incapacités et désavantages (CIH), dans laquelle elle fait une claire distinction entre les concepts de maladie, de limitation et de handicap.

Créée pour faciliter la communication internationale, la CIH offre un cadre de référence aux décideurs politiques, d’une part, et aux médecins qui portent un diagnostic sur les suites d’une maladie, d’autre part.

Pourquoi donc un cadre de référence? Pour tenter d’améliorer et d’accroître la participation des personnes souffrant de capacités limitées de longue durée, ainsi que pour proposer deux objectifs:

  • la perspective de réadaptation, c’est-à-dire la réinsertion des personnes dans la société, que ce soit dans la vie active, l’école, le foyer, etc.;
  • la prévention de la maladie et, dans la mesure du possible, des conséquences de la maladie, comme l’incapacité et le handicap.

La classification est officielle depuis le 1er janvier 1994. Les activités menées depuis lors sont nombreuses et portent plus particulièrement sur des questions comme l’information et la formation destinées à des groupes spécifiques, les règlements assurant la protection des travailleurs, ou encore les demandes pressantes adressées aux sociétés pour qu’elles occupent 5% au moins de travailleurs handicapés. La CIH elle-même doit conduire à l’intégration et à la non-discrimination.

La maladie

Personne n’est à l’abri de la maladie. Certaines maladies peuvent être évitées, d’autres non. Certaines peuvent être guéries, d’autres non. Les maladies devraient donc être prévenues dans la mesure du possible et, à défaut, soignées et guéries.

La déficience

Par déficience, on entend toute absence ou anomalie d’une structure ou fonction psychologique, physiologique ou anatomique.

Etre né avec trois doigts au lieu de cinq ne doit pas entraîner d’incapacité. Les capacités de l’individu et le degré de manipulation possible avec trois doigts détermineront si la personne est frappée ou non d’incapacité. Toutefois, si le cerveau, au niveau central, ne traite qu’une quantité moyenne de signaux, la déficience entraînera certainement une incapacité, car il n’est actuellement pas possible de «guérir» ou de régler ce problème chez le patient.

L’incapacité

L’incapacité décrit le niveau fonctionnel d’une personne qui a des difficultés à effectuer des tâches, par exemple à se lever de sa chaise. Ces difficultés sont évidemment liées à l’incapacité fonctionnelle, mais aussi aux circonstances environnantes. Une personne qui se déplace en chaise roulante et vit dans un pays plat comme les Pays-Bas est plus mobile qu’une autre vivant dans une région montagneuse comme le Tibet.

Le désavantage

Lorsque les problèmes entraînent un désavantage, on peut déterminer dans quel domaine ils se situent principalement (par exemple, immobilité ou dépendance physique). La possibilité d’effectuer certaines activités peut en être affectée; ainsi, la personne pourra ne pas être en mesure de se rendre à son travail, ou, sur le lieu de travail, avoir besoin d’assistance pour les soins d’hygiène personnelle, etc.

Un désavantage illustre les conséquences négatives de l’incapacité et ne peut être réduit qu’en les éliminant.

Résumé et conclusions

La CIH et les politiques qui en découlent offrent un cadre de travail international bien défini. Toute discussion sur un plan destiné à des groupes spécifiques devra partir de cette classification, afin de pouvoir définir nos activités et de la traduire dans la réalité.

Dans 60% des entreprises d’Europe et d’Amérique du Nord, une bonne partie du travail s’effectue en position assise; c’est l’un des fruits du progrès technologique. La charge physique est devenue beaucoup moins importante, bien que celle de nombreux postes de travail dépasse encore les capacités physiques de l’être humain. Les pays en développement ne disposent souvent pas des moyens techniques permettant d’alléger de manière appréciable l’effort physique. Dans les pays qui sont à la pointe du progrès, il arrive encore que le concepteur se plie aux contraintes imposées par les spécifications des produits ou par les processus de production et n’accorde que peu de considération aux facteurs humains ou à la prévention des troubles liés à la charge de travail, quand il ne les ignore pas totalement. Il est donc indispensable de former les concepteurs, afin qu’ils prennent en compte l’ensemble de ces facteurs et consignent les résultats de leurs études dans un document précisant les exigences relatives à un produit, c’est-à-dire l’ensemble des exigences auxquelles le concepteur doit satisfaire afin d’obtenir la qualité souhaitée sans déroger aux conditions liées aux capacités humaines. Il est peu réaliste d’exiger d’un produit qu’il réponde à toutes les exigences de ce document; des compromis sont inévitables. Il existe cependant une méthode qui permet d’atteindre l’objectif visé: il s’agit de la méthode de conception ergonomique des systèmes. Nous l’examinerons après avoir exposé deux autres démarches qu’il est également possible d’utiliser.

La conception créatrice

Cette démarche est surtout le fait des artistes et des personnes impliquées dans la réalisation de travaux empreints d’une forte originalité. Le processus appelle l’élaboration intuitive d’un concept; selon l’inspiration du moment, les problèmes sont traités lors de leur apparition, sans délibération consciente préalable. Le résultat obtenu ne ressemble pas nécessairement au concept initial, mais il représente aux yeux du créateur un produit authentique. Il n’est pas rare, cependant, que l’effort se solde par un échec. La figure 29.46 illustre ce type de conception.

Figure 29.46 Conception crétrice

Figure 29.46

La conception des systèmes

La conception des systèmes est née du besoin de décider, par avance et dans un ordre logique, des différentes étapes de la conception. Lorsque la tâche s’avère complexe, il est nécessaire de la subdiviser en un certain nombre de sous-tâches. Les concepteurs et les équipes chargées des sous-tâches deviennent alors interdépendants, et le projet est celui d’une équipe plutôt que d’une seule personne. Les membres de l’équipe possèdent des qualifications et une expérience complémentaires, et le processus revêt dès lors un caractère interdisciplinaire.

La conception des systèmes vise la réalisation optimale de fonctions complexes et bien définies en faisant appel aux techniques les plus appropriées; elle est onéreuse, mais les risques d’échec sont considérablement réduits par rapport à ceux que l’on encourt en adoptant des approches moins structurées. L’efficacité de la conception est évaluée en fonction des objectifs formulés dans le document spécifiant les exigences du produit considéré.

La manière dont ces spécifications sont énoncées revêt une importance capitale. La figure 29.47 illustre le rapport qui existe entre le document en question et les autres éléments du processus de conception.

Figure 29.47 Conception d'un système

Figure 29.47

Comme le montre ce schéma, les suggestions émises par l’utilisateur ne sont pas prises en compte; ce n’est qu’à la fin du processus qu’il peut critiquer le résultat. Ces critiques ne sont guère utiles, ni pour le producteur, ni pour l’utilisateur, car il faut attendre le cycle de conception suivant (pour autant qu’il y en ait un) pour corriger les erreurs et apporter les modifications requises. De plus, les critiques de l’utilisateur sont rarement retenues dans un document révisé.

La conception ergonomique des systèmes

Il s’agit d’une version adaptée pour tenir compte des facteurs humains dans le processus de conception. La figure 29.48 illustre l’apport d’informations par l’utilisateur.

Figure 29.48 Conception ergonomique d'un système

Figure 29.48

Dans ce type de conception, l’opérateur et l’utilisateur font partie intégrante du système: les spécifications de conception sont élaborées ou adaptées en tenant compte des capacités cognitives, physiques et mentales des travailleurs.

Ainsi, pour étudier les implications des capacités physiques des travailleurs, il conviendra de procéder à une évaluation précise des tâches et d’opérer une sélection minutieuse de celles qui devront être exécutées par l’opérateur et de celles qui seront confiées à une ou plusieurs machines. De toute évidence, l’opérateur est plus apte à interpréter des informations fragmentaires; en revanche, les machines calculent beaucoup plus rapidement lorsque les données qu’elles ont à traiter sont bien préparées. En outre, étant donné que l’interface utilisateur-machine peut être testée au stade du prototype, les erreurs de conception peuvent être éliminées sans attendre qu’elles soient mises en évidence au stade de la production ou de l’exploitation.

La méthodologie de la recherche visant les utilisateurs

Il n’existe pas de méthode optimale ou de directives éprouvées permettant d’entreprendre un projet de conception pour les travailleurs handicapés, par exemple. On peut, en revanche, étudier de manière exhaustive toutes les données existantes relatives au problème considéré et les exploiter au mieux.

Ces informations peuvent être obtenues à partir de sources telles que:

Outre les méthodes décrites ci-dessus, qui permettent de compiler des données sur les individus, il en existe d’autres qui donnent la possibilité d’évaluer les systèmes utilisateur-machine. L’une d’entre elles — la simulation — consiste à mettre au point une copie physique réaliste. La mise au point d’une représentation symbolique plus ou moins abstraite d’un système est un exemple de modélisation. De telles méthodes sont bien sûr utiles et nécessaires lorsque le système ou le produit n’existent pas encore ou ne peuvent être utilisés pour une manipulation expérimentale. La simulation est employée le plus souvent dans un but de formation, la modélisation étant davantage réservée aux travaux de recherche. Une maquette grandeur nature et en trois dimensions du poste de travail, comprenant au besoin des équipements de fortune, est très utile pour tester les possibilités de conception dans le cas d’un travailleur invalide: en fait, la majorité des problèmes de conception peuvent être identifiés de cette manière. Un autre avantage de cette approche est que la motivation des travailleurs augmente lorsqu’ils sont appelés à participer à la conception de leur poste de travail.

L’analyse des tâches

Elle consiste dans l’observation analytique des différentes composantes de l’activité considérée. Ces éléments comprennent la posture de travail, les techniques de manipulation, les interactions avec les autres travailleurs, le maniement d’outils, la conduite de machines, l’ordre logique des sous-tâches, l’efficacité des opérations, le travail musculaire statique (un opérateur peut avoir à travailler dans la même posture pendant une durée prolongée ou à de fréquents intervalles), le travail musculaire dynamique (qui fait appel à diverses aptitudes physiques), l’ambiance de travail et les conditions autres que matérielles (milieu de travail stressant, mauvaise organisation du travail, etc.).

La conception d’un poste de travail pour une personne handicapée doit reposer sur une analyse approfondie des tâches, ainsi que sur un examen complet des capacités fonctionnelles de cette personne. L’approche de base est cruciale: il est préférable d’étudier toutes les solutions possibles sans parti pris plutôt que de se contenter d’une seule, voire d’un nombre limité d’options. Les spécialistes parlent «d’une vue d’ensemble morphologique». Etant donné la multiplicité des solutions envisageables, il est nécessaire d’effectuer une analyse des avantages et des inconvénients de chaque possibilité en tenant compte de l’utilisation prévue du matériel, des caractéristiques techniques de la production, de la plus ou moins grande complexité des gestes, etc. Il n’est pas rare que plus d’une solution technique atteigne le stade du prototype et que la décision finale intervienne relativement tardivement.

Cette manière de procéder exige plus de temps, mais l’effort supplémentaire qu’elle demande est compensé par la disparition ou, en tout cas, la diminution des problèmes rencontrés dans la phase de développement. Le résultat obtenu — qu’il s’agisse d’un nouveau poste de travail ou d’un nouveau produit — représentera un meilleur équilibre entre les besoins du travailleur handicapé et les exigences de la production. Malheureusement, il est rare que le concepteur soit mis au courant du succès ou de l’échec de l’exercice.

Le document stipulant les exigences du produit dans le cas de travailleurs handicapés

Une fois que toutes les informations relatives à un produit ont été rassemblées, elles devraient être converties en une description qui ne se limite pas au seul produit mais qui englobe toutes les exigences relatives à celui-ci, quelles qu’en soient les sources. Ces exigences peuvent être divisées selon différents axes. Le document qui les énumère devrait inclure les demandes relatives aux données utilisateur-opérateur (mensurations corporelles, amplitude des mouvements, force musculaire, etc.), les données techniques pertinentes (matériaux, construction, technique de production, normes de sécurité, etc.), ainsi que les conclusions tirées des études de marché effectuées.

Le document en question servira de cadre de travail au concepteur, même si certains concepteurs le considèrent plus comme une restriction malvenue à leur créativité que comme un stimulant bénéfique. Compte tenu des difficultés qui peuvent se présenter au moment de l’établissement de ce document, il faut toujours garder à l’esprit qu’un échec dans la conception ou l’aménagement d’un poste de travail peut être décourageant pour la personne handicapée (elle renoncera à faire des efforts pour trouver un emploi ou se sentira une victime impuissante de sa condition) et se rappeler qu’un nouvel exercice de conception entraînera des coûts supplémentaires. Pour éviter ces écueils, le concepteur technique ne devrait pas travailler seul mais devrait, au contraire, coopérer avec d’autres spécialistes en vue de recueillir toutes informations utiles sur les capacités fonctionnelles de l’opérateur considéré et de parvenir à mettre au point un document intégré constituant un cadre de travail satisfaisant.

Les tests de prototypes

Lorsqu’un prototype a été mis au point, il faut le tester pour en déceler les éventuels défauts. Cette recherche devrait porter non seulement sur le système technique et ses sous-systèmes, mais également sur les éléments qui déterminent son utilité pour l’utilisateur. Si celui-ci est une personne handicapée, des précautions particulières s’imposent. Une situation à laquelle un travailleur valide peut faire face en toute sécurité pourra poser problème pour un travailleur handicapé.

Les tests de prototypes devraient être effectués sur un petit nombre de travailleurs handicapés (sauf s’il s’agit d’un cas unique) selon un protocole correspondant au document définissant les exigences posées. Ce n’est qu’après de tels essais empiriques que l’on pourra juger de la concordance entre ces exigences et le produit conçu. Même si les résultats fournis par de petits groupes de sujets ne peuvent être généralisés, ils fournissent cependant des informations précieuses pour le concepteur, que ce soit en vue de la conception définitive ou pour de futurs exercices de conception.

L’évaluation

L’évaluation d’un système technique (une situation de travail, une machine, un outil, etc.) peut être faite en se basant sur le document spécifiant les exigences, sans prendre l’avis de l’utilisateur ou même sans tenter d’effectuer des comparaisons avec des conceptions alternatives tenant compte de la performance physique. Ainsi, le créateur d’une attelle pour le genou — dont la conception repose sur des recherches montrant qu’une instabilité au niveau des articulations du genou provoque un retard dans la contraction des muscles ischio-jambiers — créera un produit permettant de compenser ce retard. Mais une autre attelle pourra répondre à un objectif différent. Or, les méthodes d’évaluation actuelles ne permettent pas de dire quel type d’attelle pour le genou il faut recommander à tel patient et dans quelles conditions, alors que c’est précisément le type d’information dont les spécialistes ont besoin lorsqu’il s’agit de prescrire des aides techniques (orthèses) pour compenser un handicap.

La recherche actuelle se propose de surmonter cette difficulté. Le «Rehabilitation Technology Useability Model» (RTUM) est un modèle dont on se sert pour obtenir des informations sur les facteurs qui permettent de déterminer si une aide technique doit ou non être employée et si un poste de travail est bien conçu et aménagé pour l’emploi de travailleurs handicapés. Ce modèle offre un cadre pour l’évaluation des produits, des outils et des machines déjà sur le marché; il peut également être utilisé en association avec le processus de conception ergonomique, comme le montre la figure 29.48.

L’évaluation des produits existants fait ressortir dans bien des cas la mauvaise qualité du document initial spécifiant leurs exigences. Parfois, les exigences du produit sont mal définies; dans d’autres cas, elles sont incomplètes. Les concepteurs devraient tout simplement apprendre à documenter les exigences auxquelles doivent satisfaire leurs produits, y compris celles intéressant des utilisateurs handicapés. Il convient de noter, comme le montre la figure 29.49, que le modèle RTUM, en association avec les méthodes de conception ergonomique des systèmes, offre un cadre qui inclut les exigences des handicapés. Les services chargés de prescrire des produits ou des aides devraient demander à l’industrie d’évaluer ces produits avant de les commercialiser, une tâche impossible en l’absence de spécifications précisant les exigences auxquelles ils devraient satisfaire. La figure 29.49 montre également comment on peut s’assurer que le résultat final sera évalué comme il devrait l’être avec l’aide de la personne handicapée ou du groupe de personnes auxquelles le produit considéré est destiné. Il appartient aux services nationaux de santé de formuler des réglementations appropriées et d’inciter les concepteurs à les respecter.

Figure 29.49 Emploi conjoint du modèle RTUM (Rehabilitation Technology Useability Model) et
de la conception ergonomique des systèmes

Figure 29.49

LES DIFFÉRENCES CULTURELLES

Houshang Shahnavaz

Culture et technologie sont interdépendantes. Si les facteurs culturels sont assurément un élément important de la conception, de la mise au point et de l’exploitation de la technologie, le rapport entre culture et technologie est cependant extrêmement complexe. Pour être pris en compte de manière satisfaisante dans la conception et l’application de la technologie, ce rapport doit être étudié sous plusieurs angles. A partir de ses travaux réalisés en Zambie, Kingsley (1983) classe l’adaptation technologique en changements et ajustements à trois niveaux: celui de l’individu, celui de l’organisation sociale et celui du système de valeurs culturelles de la société. Chacun de ces niveaux possède une forte dimension culturelle qui impose des préoccupations particulières en matière de conception.

La technologie, par ailleurs, est un élément indissociable de la culture. Elle est élaborée, totalement ou partiellement, autour des valeurs culturelles d’une société donnée; dans la mesure où elle est un élément de la culture, la technologie devient une expression du mode de vie et de la pensée de cette société. Par conséquent, pour être acceptée, utilisée et reconnue comme sienne par une société, elle doit être conforme à l’image globale de la culture de cette société. La technologie doit compléter la culture, et non pas la contrarier.

Le présent article aborde quelques-uns des aspects complexes des rapports entre la culture et la technologie, en faisant le bilan des questions et problèmes actuels, en rappelant les notions et les principes dominants et en examinant la façon dont on peut les appliquer.

La définition de la culture

Depuis des décennies, la définition du mot culture fait l’objet d’un vaste débat entre sociologues et anthropologues. Et, de fait, la culture peut être définie de bien des façons. Kroeber et Kluckholm (1952) se sont penchés sur plus d’une centaine de définitions de la culture. Pour Williams (1976), le terme culture est l’un des plus compliqués de la langue anglaise. On l’a même définie comme l’ensemble du mode de vie des gens. A ce titre, la culture englobe leur technologie et les objets de la vie courante — tout ce que l’on aurait besoin de connaître pour devenir un membre opérationnel de la société (Geertz, 1973). Elle peut même être décrite comme «des formes symboliques répandues dans le domaine public, par lesquelles les gens éprouvent et expriment du signifié» (Keesing, 1974). Résumant le tout, Elzinga et Jamison (1981) ont tranché la question avec justesse en affirmant que «le terme culture a des sens différents dans des disciplines intellectuelles et des systèmes de pensée différents».

La technologie: élément et produit de la culture

La technologie peut être considérée à la fois comme un élément de la culture et comme son produit. Il y a plus de 60 ans, l’éminent sociologue Malinowsky a fait de la technologie un élément de la culture et en a donné la définition suivante: «La culture comprend les artefacts, les biens, les procédés techniques, les idées, les habitudes et les valeurs hérités». Plus tard, Leach (1965) a considéré la technologie comme un produit culturel et a décrit «les objets fabriqués, les biens et les procédés techniques» comme «des produits de la culture».

Dans le domaine technologique, de nombreux fournisseurs et destinataires de technologie ont trop souvent négligé la culture en tant qu’élément important de la conception, de la mise au point et de l’utilisation de produits ou de systèmes techniques. L’une des principales raisons de cette négligence tient à l’absence de connaissances élémentaires sur les différences culturelles.

Dans le passé, l’évolution technologique a induit d’importants changements dans la vie et l’organisation sociale des peuples, ainsi que dans leurs systèmes de valeurs. L’industrialisation a profondément et durablement transformé les modes de vie traditionnels de sociétés autrefois rurales, car ces modes de vie étaient généralement réputés incompatibles avec la façon dont le travail industriel devait être organisé. Dans les cas de grande diversité culturelle, cela s’est traduit par des impasses socio-économiques (Shahnavaz, 1991). On reconnaît maintenant que le fait de se contenter d’imposer une technologie à une société en s’imaginant qu’elle sera absorbée et utilisée grâce à une formation même approfondie est parfaitement illusoire (Martin et coll., 1991). C’est au concepteur de la technologie qu’il incombe de tenir compte des effets directs et indirects de la culture et de rendre le produit compatible avec le système de valeurs culturelles de l’utilisateur et avec le milieu où il est envisagé de l’utiliser.

Pour de nombreux pays en voie d’industrialisation, l’incidence de la technologie va très au-delà de l’amélioration du rendement. L’industrialisation n’a pas été une simple modernisation des secteurs de la production et des services: elle a, dans une certaine mesure, entraîné une occidentalisation de la société. On peut dire dès lors que tout transfert de technologie entraîne aussi un transfert de culture.

Outre la religion, la tradition et la langue — qui sont d’importants paramètres dans la conception et l’utilisation de la technologie — la culture englobe d’autres aspects, comme les attitudes particulières envers certains produits ou certains travaux, les règles de bon comportement, les convenances, les tabous, les us et coutumes, etc. Tous ces aspects doivent être pris en compte en vue d’une conception optimale.

On dit que les gens sont aussi les produits de leur culture. Il n’en demeure pas moins que les cultures sont fortement entremêlées du fait des migrations humaines tout au long de l’histoire. Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’il existe plus de diversités culturelles que de nations dans le monde actuel. On peut cependant établir quelques grandes distinctions en matière de différences sociétales, organisationnelles et professionnelles dont les fondements culturels sont susceptibles d’influer sur la conception des produits en général.

Les influences contraignantes de la culture

Il existe fort peu d’informations sur l’analyse théorique et empirique des influences contraignantes de la culture sur la technologie et sur la façon dont cette question devrait être intégrée dans la conception de la technologie matérielle et logicielle. Bien que l’influence de la culture sur la technologie ait été largement reconnue (Shahnavaz, 1991; Abeysekera, Shahnavaz et Chapman, 1990; Alvares, 1980; Baranson, 1969), on ne dispose que de très peu d’informations sur l’analyse théorique des différences culturelles par rapport à la conception et à l’utilisation de la technologie. Quant aux études empiriques qui tentent de chiffrer l’importance des variations culturelles et formulent des recommandations sur la façon dont les facteurs culturels devraient être pris en compte dans la conception d’un produit ou d’un système (Kedia et Bhagat, 1988), elles sont encore plus rares. Toutefois, les rapports de la culture et de la technologie peuvent tout de même être étudiés avec une certaine clarté si on les considère de différents points de vue sociologiques.

La culture et la technologie: compatibilité et préférences

L’application convenable d’une technologie dépend, dans une large mesure, de la compatibilité de la culture de ses utilisateurs avec les caractéristiques de sa conception. Cette compatibilité doit exister à tous les niveaux de la culture — sociétal, organisationnel et professionnel. La compatibilité culturelle peut fortement influer sur les préférences des gens et leur propension à utiliser une technologie donnée. Cela touche aux préférences concernant un produit ou un système, à des concepts de productivité et de rendement relatif, de changement, de performance et d’autorité, ainsi qu’au mode d’utilisation de la technologie. Aussi, les valeurs culturelles peuvent affecter la volonté et la capacité des gens de choisir, d’utiliser et de maîtriser une technologie. Pour être préférée à une autre, une technologie doit être compatible avec la culture locale.

La culture sociétale

Toutes les technologies étant inévitablement associées à des valeurs socioculturelles, la réceptivité culturelle de la société est un facteur très important pour le bon fonctionnement d’une technologie de conception donnée (Hosni, 1988). La culture nationale ou sociétale, qui contribue à la création d’un modèle mental collectif, influe sur l’ensemble du processus de conception et d’application technologique qui va de la planification, de la fixation des objectifs et de la définition des spécifications à la formation et à l’évaluation, en passant par les processus de fabrication et les systèmes de gestion et de maintenance. Par conséquent, la conception technologique des produits matériels et logiciels devrait donc, pour que l’on puisse en escompter un bénéfice maximal, refléter les variations culturelles à fondement sociétal. Or, la définition de ces facteurs culturels à fondement sociétal en vue de leur intégration dans la conception d’une technologie est une tâche fort complexe. Hofstede (1980) propose quatre variations dimensionnelles types de la culture à fondement national:

  1. Tendance forte ou faible à évacuer les incertitudes. Cette caractéristique vise le désir plus ou moins marqué d’éviter les situations ambiguës et la mesure dans laquelle la société considérée a élaboré des moyens formels (règles, etc.) en vue de parvenir à cette fin. A titre d’exemple, Hofstede (1980) a attribué dans ce domaine un score élevé à des pays comme le Japon et la Grèce, et un score faible à Hong-kong et à la Scandinavie.
  2. Individualisme contre collectivisme. Il s’agit ici du rapport entre les individus et les organisations au sein de la société. Dans les sociétés individualistes, il est de règle que chacun se préoccupe avant tout de ses intérêts personnels. Dans une culture collectiviste, en revanche, les liens sociaux entre les gens sont très forts. Parmi les pays individualistes, on peut citer les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, tandis que la Colombie et le Venezuela peuvent être considérés comme ayant une culture collectiviste.
  3. Distance à l’égard du pouvoir. Les cultures caractérisées par un grand éloignement du pouvoir sont aussi celles où les individus qui en ont le moins acceptent qu’il soit réparti de manière inégale et où les structures de la société et des organisations qui la constituent sont très hiérarchisées. L’Inde et les Philippines sont des exemples de pays à grand éloignement du pouvoir, tandis que la Suède et l’Autriche sont typiques d’un faible éloignement du pouvoir.
  4. Masculinité contre féminité. On considère que les cultures qui insistent davantage sur les réalisations matérielles appartiennent à la première catégorie, tandis que celles qui attachent plus d’importance à la qualité de la vie et à d’autres éléments moins tangibles appartiennent à la deuxième.

Glenn et Glenn (1981) ont établi une distinction additionnelle entre tendances «abstractives» et tendances «associatives» au sein d’une culture nationale donnée. Ils affirment que lorsque les peuples qui appartiennent à une culture associative (comme ceux d’Asie) abordent un problème cognitif, ils s’attachent davantage au contexte, adoptent une démarche de réflexion globale et cherchent à tirer parti de l’association entre divers événements, tandis que, dans les sociétés occidentales, c’est une culture plus abstractive de réflexion rationnelle qui prédomine. A partir de ces dimensions culturelles, Kedia et Bhagat (1988) ont élaboré un modèle conceptuel permettant d’appréhender les contraintes culturelles qui pèsent sur les transferts de technologie. Ils ont élaboré différentes propositions descriptives qui fournissent des informations sur les variations culturelles de différents pays et leur réceptivité à l’égard de la technologie. Bien entendu, de nombreuses cultures n’appartiennent ni à l’une ni à l’autre de ces catégories tranchées mais présentent plutôt un mélange de ces différents modèles.

La perspective que producteurs et consommateurs ont de la conception et de l’utilisation de la technologie est directement influencée par la culture de leur société. Ainsi, les normes de sécurité des produits visant à la protection du consommateur, de même que la réglementation relative à l’environnement de travail et à son contrôle sont, dans une large mesure, le reflet de la culture et du système de valeurs de la société.

La culture organisationnelle

L’organisation d’une entreprise, sa structure, son système de valeurs, son rôle et son comportement sont, dans une large mesure, des produits culturels de la société au sein de laquelle elle fonctionne. Autrement dit, ce qui se passe dans une entreprise ou une organisation est généralement le reflet direct de ce qui se passe dans la société qui l’entoure (Hofstede, 1983). La structure prédominante de nombreuses entreprises des pays en cours d’industrialisation est influencée par les caractéristiques du pays d’origine de la technologie, ainsi que par celles du milieu qui met en œuvre cette technologie. En revanche, le reflet de la culture sociétale dans une entreprise est variable: les entreprises interprètent la société en fonction de leur propre culture, et leur degré de maîtrise dépend, entre autres choses, du mode de transfert de la technologie.

Compte tenu de la nature évolutive de l’entreprise d’aujourd’hui et de la présence en son sein d’un personnel pluriculturel et varié, la mise en place d’un programme de gestion structurelle adapté est plus importante que jamais pour assurer sa prospérité (on trouvera un exemple de programme de gestion de personnel diversifié dans Solomon, 1989).

La culture professionnelle

Les gens appartenant à une certaine catégorie professionnelle utilisent souvent un élément de technologie d’une manière qui leur est propre. Dans un projet concernant la mise au point d’outils manuels, Wikström et ses collaborateurs (1991) ont constaté que, en dépit de l’hypothèse du concepteur sur la manière de tenir et d’utiliser une cisaille à tôles (préhension vers l’avant, l’outil s’éloignant du corps de l’opérateur), les ferblantiers de métier tenaient et utilisaient la cisaille en sens contraire, comme on peut le voir sur la figure 29.50. Ils en concluent que pour obtenir des indications valables sur les caractéristiques des outils, il fallait les étudier dans les conditions réelles d’emploi.

Figure 29.50 Utilisation de la cisaille à tôles par des ferblantiers de métier (l'outil est tenu à l'encers)

Figure 29.50

La prise en considération des caractéristiques culturelles pour une conception optimale

Comme le laissent entendre les remarques qui précèdent, la culture apporte identité et confiance. Elle permet de se forger une opinion sur les objectifs et les caractéristiques d’un «système homme-technologie» et sur la façon dont celui-ci devrait fonctionner dans un environnement donné. De plus, toute culture présente toujours certaines caractéristiques qui sont précieuses pour le progrès technologique. Si ces caractéristiques sont prises en compte dans la conception des produits matériels et logiciels, elles peuvent dynamiser l’assimilation de la technologie par la société. On en trouve un excellent exemple dans la culture de certains pays d’Asie du Sud-Est, fortement influencés par le confucianisme et le bouddhisme. Le premier insiste, entre autres, sur l’apprentissage et la fidélité et considère comme une vertu l’aptitude à assimiler des concepts nouveaux, tandis que le second enseigne l’importance de l’harmonie et du respect d’autrui. On dit que ce sont ces caractéristiques culturelles originales qui ont favorisé la création d’un environnement favorable pour l’assimilation et l’application des techniques de pointe par les Japonais (Matthews, 1982).

On voit dès lors qu’en encourageant l’application des principes de l’ergonomie, une stratégie intelligente fait le meilleur usage des caractéristiques positives de la culture d’une société. D’après McWhinney (1990), «pour être compris et projetés de manière efficace, les événements doivent être intégrés dans des récits. Il faut aller à diverses profondeurs pour libérer l’énergie créatrice, pour libérer la société ou l’organisation de leurs inhibitions, pour trouver les voies le long desquelles elles pourraient évoluer naturellement. La planification et le changement resteront inopérants si on ne les intègre pas consciemment dans un récit».

L’application, au Japon, de la technique des «sept outils» de contrôle de la qualité constitue un excellent exemple de valorisation culturelle dans la conception d’une stratégie de gestion. Les «sept outils» sont la panoplie minimale d’armes qu’un samouraï devait emporter chaque fois qu’il allait au combat. En adaptant leurs recommandations (qui étaient au nombre de neuf) à un environnement japonais, les pionniers des «cercles de contrôle de qualité» ont ramené ce chiffre à sept pour tirer parti d’une expression bien connue — les «sept outils» — et encourager ainsi la participation des salariés à leur stratégie (Lillrank et Kano, 1989).

Il existe cependant des caractéristiques culturelles qui peuvent ne pas être bénéfiques à l’évolution technologique. Ainsi, la discrimination envers les femmes, le respect rigoureux d’un système de castes, les préjugés raciaux ou autres, ou le simple fait de considérer certaines tâches comme dégradantes, ne sont que quelques exemples de facteurs susceptibles d’avoir une influence négative dans le domaine considéré. Dans certaines cultures traditionnelles, ce sont les hommes qui doivent, au premier chef, faire vivre leur famille. Il s’ensuit qu’ils regardent d’un œil indifférent, voire hostile, le fait que les femmes puissent être des collègues ou, pis encore, des contremaîtres ou des chefs. Or, le fait de refuser aux femmes l’égalité des chances en matière d’emploi et de mettre en doute la légitimité de leur autorité n’est pas en adéquation avec les besoins actuels des entreprises, à savoir une utilisation optimale des ressources humaines.

En ce qui concerne la conception des tâches et le profil des postes, certaines cultures considèrent que le travail manuel et celui du personnel domestique sont dégradants. On peut attribuer cette attitude à un vécu antérieur lié à l’époque coloniale, marquée par la relation maître-esclave. Dans d’autres cultures, il existe de forts préjugés contre les tâches ou les métiers associés aux «mains sales». Ces attitudes se reflètent dans des salaires inférieurs à la moyenne pour ce type de travaux, ce qui a contribué à une pénurie de techniciens ou à une insuffisance de personnel d’entretien (Sinaiko, 1975).

Il faut en général plusieurs générations pour modifier la valeur culturelle attachée à une technologie nouvelle; il serait plus rationnel et plus économique d’adapter la technologie à la culture de ses usagers.

Les considérations culturelles dans la conception des produits et des systèmes

Il est admis que la technologie se compose d’éléments matériels et d’éléments logiciels ou immatériels. Les éléments matériels se divisent en biens d’équipement et biens intermédiaires, tels que les produits industriels, machines, installations, bâtiments, postes de travail, etc., dont la plupart concernent essentiellement le domaine de la microergonomie. Les éléments logiciels concernent la programmation et la planification, les techniques de gestion et d’organisation, la maintenance, la formation et l’éducation, la documentation et les services, c’est-à-dire des éléments qui relèvent de la macroergonomie.

On trouvera ci-après quelques exemples de facteurs culturels qui devraient être particulièrement pris en compte au stade de la conception, tant au point de vue microergonomique que macroergonomique.

Les questions microergonomiques

La microergonomie porte sur la conception d’un produit ou d’un système dans le but de créer une interface homme-machine-environnement «utilisable», c’est-à-dire adéquate. L’adéquation est ici la considération primordiale. Cette notion recouvre non seulement la fonctionnalité et la fiabilité du produit, mais aussi les aspects de sécurité, de confort et d’appréciation par l’usager.

Le modèle interne de l’usager (son modèle cognitif ou mental) joue un rôle important dans la conception de l’adéquation. Pour faire fonctionner ou commander un système en toute efficacité et sécurité, l’utilisateur doit avoir un modèle cognitif représentatif précis du système utilisé. Wisner (1983) a relevé que l’industrialisation exigerait un modèle mental d’un genre nouveau. A cet égard, l’éducation scolaire et la formation technique, l’expérience et la culture sont d’importants éléments dans la définition d’un modèle cognitif approprié.

En étudiant les facteurs microergonomiques et macroergonomiques de l’accident survenu en 1984 dans l’usine Union Carbide de Bhopal, Meshkati (1989) a souligné l’importance de la culture dans le modèle mental insuffisant que les opérateurs indiens avaient du fonctionnement de l’usine. A son avis, l’accident pourrait avoir été causé en partie par le fait que des opérateurs du tiers monde insuffisamment formés utilisaient des systèmes technologiques sophistiqués conçus par d’autres personnes possédant une éducation, une formation et des caractéristiques culturelles et psychosociales extrêmement différentes. De fait, bien des aspects de l’adéquation d’une conception au niveau de la microinterface sont influencés par la culture de l’utilisateur. Une étude attentive de la perception, du comportement et des préférences des usagers permettrait de mieux comprendre leurs besoins et leurs exigences et, partant, de concevoir un produit ou un système qui soit à la fois efficace et acceptable.

Parmi ces aspects microergonomiques liés à la culture, on trouve:

  1. Conception d’interface. L’émotion humaine est un élément essentiel de la conception d’un produit. Elle intervient dans des facteurs comme la couleur et la forme (Kwon, Lee et Ahn, 1993; Nagamachi, 1992). Dans la conception d’un produit, on considère que la couleur est la caractéristique de l’objet qui fait le plus appel à l’émotion. Le choix des couleurs doit s’adapter aux dispositions psychologiques et sentimentales des utilisateurs, dispositions qui diffèrent d’un pays à l’autre. Le symbolisme des couleurs peut, lui aussi, différer. Ainsi, la couleur rouge qui est signe de danger en Occident est un signe de bon augure en Inde (Sen, 1984), tandis qu’en Chine elle symbolise la joie et le bonheur.
    Les pictogrammes et symboles utilisés dans de très nombreuses applications sur la voie ou dans les lieux publics sont fortement liés à la culture. Ainsi, les pictogrammes occidentaux sont difficiles à interpréter pour des non-Occidentaux (Daftuar, 1975; Fuglesang, 1982).
  2. Compatibilité entre commande et affichage. La compatibilité indique à quel point les mouvements spatiaux de commande, l’agencement des affichages ou les rapports conceptuels répondent aux attentes de l’humain (Staramler, 1993). Elle se réfère à ce que l’utilisateur attend du rapport stimulus-réaction, ce qui est une question ergonomique fondamentale pour le fonctionnement sûr et efficace d’un produit ou d’un système. Un système compatible est un système qui tient compte du comportement sensoriel et moteur ordinaire des gens (stéréotype de population). Toutefois, à l’instar d’autres comportements humains, le comportement perceptuo-moteur peut, lui aussi, être influencé par la culture. Hsu et Peng (1993) ont comparé des sujets américains et chinois sur le plan du rapport commandes/feux dans une cuisinière à quatre feux. Ils ont observé des schémas de stéréotypes de population différents et sont arrivés à la conclusion que les stéréotypes de population concernant le rapport commandes/feux étaient culturellement différents, en raison sans doute d’habitudes différentes de lecture ou d’exploration visuelle rapide.
  3. Conception du poste de travail. La conception rationnelle d’un poste de travail vise à supprimer les mauvaises postures et à améliorer la performance de l’utilisateur en tenant compte de ses besoins biologiques, de ses préférences et des impératifs de la tâche à accomplir. Il se peut que des individus de cultures différentes préfèrent adopter des postures assises ou choisissent des hauteurs de travail différentes. Dans les pays occidentaux, pour assurer le maximum de confort et d’efficacité, la hauteur de travail est proche de la hauteur du coude du sujet assis. En revanche, dans de nombreuses régions du globe, les gens sont assis en tailleur. Les ouvriers indiens, en particulier, préfèrent cette posture, plutôt que de travailler debout ou assis sur un siège. On a observé que, même si on leur fournit des chaises, ils préfèrent toujours s’accroupir. Daftuar (1975) et Sen (1984) ont étudié le pour et le contre de cette posture des Indiens, ainsi que ses implications. Après avoir décrit les différents avantages qu’il y a à être assis par terre, Sen fait observer qu’étant donné qu’une forte population du marché mondial correspond à des sociétés où la position accroupie ou assise au sol prédomine, il est regrettable qu’aucune machine moderne n’ait, jusqu’ici, été conçue pour être utilisée de cette façon. L’amélioration de l’efficacité et du confort de l’opérateur devrait conduire à tenir compte des préférences manifestées en matière de posture.
  4. Conception des équipements de protection. Le port de vêtements de protection impose des contraintes, tant psychologiques que physiques. Ainsi, dans certaines cultures, les emplois imposant le port de vêtements de protection sont parfois considérés comme étant un travail de niveau inférieur et convenant uniquement à des manœuvres. Ainsi, les ingénieurs ne portent pas de vêtements de protection. En ce qui concerne les contraintes physiques, les membres de certains groupes religieux que leur foi oblige à porter un couvre-chef (comme le turban des Sikhs en Inde ou le voile des femmes musulmanes) ont du mal à se servir d’un casque de protection. Pour protéger les travailleurs contre les risques de leur métier, il faut donc créer des modèles spéciaux de vêtements de protection tenant compte de ces diversités culturelles.

Les questions macroergonomiques

Le terme macroergonomie s’applique à la conception de la technologie immatérielle (logiciels, systèmes de gestion, etc.). De nombreuses méthodes de gestion et d’organisation mises au point dans des pays industriels et qui se sont révélées efficaces ne peuvent être appliquées avec succès dans les pays en développement, à cause de différences de culture, de conditions sociopolitiques et de niveaux d’éducation (Negandhi, 1975). Dans la plupart de ces pays, on trouve généralement, au sein des entreprises, une hiérarchie caractérisée par une structure d’autorité verticale qui ne se soucie guère de valeurs comme la démocratie ou le partage du pouvoir dans le processus décisionnel; or, ces valeurs sont considérées comme des éléments clés de la gestion moderne, car indispensables à la bonne utilisation des ressources humaines en termes d’intelligence, de créativité, d’aptitude à résoudre les problèmes et d’ingéniosité.

Dans les pays en développement, le régime féodal de hiérarchie sociale et son système de valeurs sont également monnaie courante sur la plupart des lieux de travail industriels, ce qui fait de la démarche de gestion participative (indispensable au nouveau mode de production caractérisé par la spécialisation flexible et la moti-vation du personnel) une véritable gageure. Il existe cependant des rapports confirmant que l’instauration de systèmes de travail autonomes est souhaitable même dans ces cultures-là (Ketchum, 1984).

  1. Ergonomie participative. L’ergonomie participative est une méthode macroergonomique fort utile pour résoudre différents problèmes liés au travail (Shahnavaz, Abeysekera et Johansson, 1993; Noro et Imada, 1991; Wilson, 1991). Utilisée avant tout dans les pays industriels, cette méthode est appliquée sous des formes différentes selon la culture de l’entreprise. Dans une étude, Liker, Nagamachi et Lifshitz (1988) ont comparé les programmes d’ergonomie participative de deux usines américaines et de deux usines japonaises dont l’objectif était de diminuer le stress physique subi par les travailleurs. Ils sont parvenus à la conclusion qu’un programme d’ergonomie participative efficace peut revêtir bien des formes. Le meilleur programme pour une entreprise, quelle que soit la culture environnante, dépend de son histoire, de sa structure et de sa culture propre.
  2. Systèmes de logiciels. Lors de la conception d’un nouveau système informatique ou de l’introduction de changements dans une entreprise, il convient de tenir compte des différences sociétales et organisationnelles liées à la culture. En ce qui concerne l’informatique, De Lisi (1990) relève que les possibilités offertes par les réseaux ne pourront être pleinement exploitées que si ces réseaux sont compatibles avec la culture d’entreprise.
  3. Organisation du travail et gestion. Dans certaines cultures, la famille est une institution tellement importante qu’elle joue un rôle de premier plan dans l’organisation du travail. Ainsi, dans certaines communautés de l’Inde, un travail est généralement considéré comme une responsabilité familiale et il est exécuté collectivement par tous les membres de la famille (Chapanis, 1975).
  4. Systèmes de maintenance. La conception des programmes de maintenance (préventive et régulière) est un autre domaine dans lequel il est souhaitable que l’organisation du travail soit adaptée aux données culturelles. Dans le type de sociétés rurales qui prévaut dans de nombreux pays en cours d’industrialisation, la culture traditionnelle est généralement incompatible avec les exigences et le mode d’organisation du travail industriel. Ainsi, les activités agricoles traditionnelles n’impliquent aucun programme de maintenance rigoureux. Elles ne sont pas non plus, dans leur majeure partie, exécutées sous la pression du temps. On laisse généralement au processus de recyclage de la nature le soin de s’occuper des travaux d’entretien. La conception des programmes de maintenance et des manuels d’entretien pour l’industrie devrait tenir compte de ces contraintes culturelles et prévoir une formation et un suivi suffisants.

Dans une étude de cas portant sur l’implantation réussie d’une usine moderne de fabrication de câbles téléphoniques en Chine fournie par une société américaine (Essex), Zhang et Tyler (1990) notent que les deux parties se sont rendu compte que l’application directe de méthodes de gestion américaines ou propres à Essex n’était pas toujours réalisable ni souhaitable à cause de différences culturelles, philosophiques et politiques. De ce fait, les informations et les instructions données par Essex ont souvent été modifiées par le partenaire chinois afin de les rendre compatibles avec les conditions régnant en Chine. Ils relèvent aussi que la clé de la réussite de l’entreprise, en dépit des différences culturelles, économiques et politiques, réside dans la volonté des deux parties de réaliser un objectif commun, ainsi que dans le respect, la confiance et la sympathie mutuels qui ont transcendé toutes les différences pouvant les séparer.

Le planning du travail et le travail posté sont un autre exemple en matière d’organisation du travail. Dans la plupart des pays en voie d’industrialisation, il existe des problèmes socioculturels associés au travail posté (mauvaises conditions de vie et de logement, absence de services d’assistance, environnement bruyant des logements, etc.) qui imposent de concevoir des programmes spéciaux pour ce type de travail. Par ailleurs, pour les travailleuses, la journée de travail compte généralement beaucoup plus de huit heures, puisqu’elle comprend non seulement le temps consacré effectivement à l’employeur, mais aussi le temps pris par le trajet, les travaux domestiques et les soins aux enfants et aux parents âgés. Suivant la culture locale, l’horaire de travail devrait être aménagé en conséquence.

La flexibilité des horaires de travail pour tenir compte de particularités culturelles, telles que la sieste des ouvriers chinois après le déjeuner et les pratiques religieuses des musulmans, constitue un autre aspect culturel de l’organisation du travail. Dans la culture islamique, les gens doivent s’arrêter de travailler plusieurs fois par jour pour prier; un mois par an, ils doivent en outre jeûner du lever au coucher du soleil. Toutes ces contraintes culturelles doivent être prises en compte.

La culture influe donc, on le voit, sur un grand nombre de caractéristiques macroergonomiques.

Conclusion: les différences culturelles dans la conception

On peut affirmer que la conception d’un produit ou d’un système pleinement satisfaisante n’est pas une tâche aisée. Il n’existe pas de critère absolu de qualité. C’est au concepteur qu’il incombe de réaliser une interaction optimale et harmonieuse entre les quatre composantes élémentaires du système opérateur-technologie, à savoir l’utilisateur, la tâche, le système technologique et le milieu de travail. Un système peut être parfaitement adapté à un ensemble d’usagers, de tâches et de conditions ambiantes, mais totalement inadapté à un autre ensemble.

Même si un ingénieur compétent et consciencieux conçoit une interface opérateur-machine bien adaptée à une situation donnée, il ne sera pas nécessairement capable de prévoir les effets sur l’adéquation du produit d’une culture autre que la sienne. Il est difficile d’éviter d’éventuels effets culturels négatifs lorsqu’un produit est utilisé dans un environnement différent de celui pour lequel il a été conçu. Et comme il n’existe pratiquement pas de données quantitatives en matière de contraintes culturelles, le seul moyen pour le concepteur de rendre son produit compatible avec les facteurs culturels locaux est d’amener les usagers visés à participer à la conception de ce produit.

L’importance de cette notion élémentaire, mais essentielle, doit être prise en considération dès le début du processus de conception. En conclusion, les principes de base d’une conception axée sur l’utilisateur peuvent être récapitulés comme suit (Gould et Lewis, 1985; Shackel 1986; Gould et coll., 1987; Gould 1988; Wang, 1992):

  1. Accent mis sur l’utilisateur de façon précoce et suivie. L’utilisateur devrait être un membre actif de l’équipe de conception tout au long du processus de mise au point du produit (étude préliminaire, étude de détail, fabrication, vérification, phase d’amélioration).
  2. Conception intégrée. Le système devrait être considéré comme un tout, pour assurer une démarche de type holistique. En d’autres termes, les différents aspects de l’adéquation du système devraient être étudiés conjointement par le bureau d’études.
  3. Essais d’utilisation précoces et répétés. Les réactions de l’utilisateur devraient être testées sur prototypes ou à l’aide de simulations pendant l’exécution du travail réel dans l’environnement réel, et cela des premiers stades de la mise au point jusqu’au produit final.
  4. Conception itérative. Etudes, essais et retouches sont à répéter de manière régulière jusqu’à l’obtention de résultats satisfaisants.

Lorsqu’il s’agit de concevoir un produit à l’échelle mondiale, le concepteur devrait tenir compte des besoins des consommateurs un peu partout dans le monde; l’accès à l’ensemble des utilisateurs et à toutes les conditions d’utilisation pratique permettant d’adopter une démarche de conception axée sur l’utilisateur est évidemment impossible. Le concepteur devrait s’efforcer dans ce cas de rassembler le maximum d’informations, officielles ou non (ouvrages de référence, normes, consignes, etc.) et de tirer ainsi parti de l’expérience acquise; il devrait, en outre, donner à son produit une capacité d’adaptation et une flexibilité suffisantes pour qu’il puisse répondre aux besoins d’une population d’utilisateurs aussi large que possible.

Il ne faut pas oublier qu’aucun concepteur n’est omniscient: il a besoin de faire appel non seulement aux utilisateurs potentiels, mais aussi aux autres acteurs du projet et, notamment, aux cadres, aux techniciens et au personnel chargé des réparations et de l’entretien. Dans tout processus participatif, il est souhaitable que les intéressés mettent leurs connaissances et leur expérience en commun et acceptent une responsabilité collective dans la fonctionnalité et la sécurité du produit ou du système réalisé.

LES TRAVAILLEURS ÂGÉS

Antoine Laville et Serge Volkoff

Le statut d’un travailleur vieillissant varie suivant son état fonctionnel, lui-même marqué par son histoire professionnelle passée. Ce statut dépend aussi du poste de travail qu’il occupe et de la situation sociale, culturelle et économique du pays dans lequel il vit.

Ainsi, les travailleurs astreints à des efforts physiques importants sont aussi, le plus souvent, ceux qui ont le niveau scolaire le moins élevé et la formation professionnelle la plus restreinte. Ils subissent des contraintes de travail usantes, sources de pathologies, et ils sont exposés aux risques d’accidents. Dans ce contexte, leurs capacités physiques ont toutes les chances de diminuer vers la fin de leur vie active, ce qui les fragilise considérablement dans leur emploi.

A l’inverse, les travailleurs ayant bénéficié d’une scolarisation longue, puis de formations professionnelles qualifiantes, exercent en général des métiers où ils peuvent mettre en œuvre les connaissances ainsi acquises et enrichir progressivement leur expérience. Ils sont souvent à l’abri des environnements de travail les plus agressifs et peuvent voir leurs compétences reconnues et valorisées lorsqu’ils avancent en âge.

En période d’expansion économique et de pénurie de main-d’œuvre, on reconnaît au travailleur vieillissant des qualités de «conscience professionnelle», de régularité dans son travail, de capacité de maintenir des savoir-faire. En période de récession et de chômage, on insistera davantage sur ses performances, moins bonnes que celles des plus jeunes, et sur sa moindre capacité d’adaptation aux changements dans les techniques ou l’organisation du travail.

Suivant les pays, leur histoire, leurs traditions culturelles, leur mode et leur niveau de développement économique, la considération et la solidarité vis-à-vis des travailleurs âgés sont plus ou moins manifestes, et leur protection est plus ou moins assurée.

Les différentes dimensions temporelles des relations âge/travail

Les relations entre vieillissement et travail recouvrent une grande diversité de situations que l’on peut considérer d’un double point de vue: d’une part, le travail apparaît comme un facteur de transformations du travailleur tout au long de sa vie active, transformations qui peuvent être négatives (usure, fragilisation des compétences, maladies, accidents) ou positives (acquisition de connaissances, expérience); d’autre part, le travail révèle des transformations liées à l’âge, ce qui aboutit à la marginalisation et même à l’exclusion du système de production, pour des travailleurs âgés exposés à des exigences de travail trop fortes au regard de leurs capacités déclinantes, ou ce qui permet au contraire une progression dans la carrière professionnelle si le contenu du travail favorise une valorisation de l’expérience.

L’avancée en âge joue donc le rôle d’un «vecteur» sur lequel s’inscrivent chronologiquement des événements de la vie, dans le travail et en dehors. Autour de cet axe s’articulent des processus de déclin et de construction, très variables d’un travailleur à l’autre. Pour traiter, dans la conception des moyens de travail, les problèmes des travailleurs vieillissants, il faut prendre en compte à la fois les caractéristiques dynamiques des transformations liées à l’âge, et la variabilité interindividuelle de ces transformations.

Les relations âge/travail sont donc à considérer au regard d’une triple évolution:

  1. Le travail évolue. Les technologies se modifient; mécanisation, automatisation, informatisation, techniques de transmission d’information, entre autres, tendent ou tendront à se généraliser. Des produits nouveaux font leur apparition, d’autres disparaissent. Des risques nouveaux se révèlent ou s’étendent (rayonnements, produits chimiques), d’autres se raréfient. L’organisation du travail, la gestion de la main-d’œuvre, la répartition des tâches, les modalités d’horaires se transforment. Des secteurs de production se développent, d’autres régressent. D’une génération à l’autre, les situations de travail rencontrées pendant la vie active, les exigences qu’elles imposent et les compétences qu’elles requièrent ne sont pas les mêmes.
  2. Les populations au travail changent. Les structures d’âge se modifient, au gré des mutations démographiques, des modalités d’entrée dans la vie active ou de départ en retraite et des comportements d’activité. La part des femmes dans la population active ne cesse d’évoluer. De véritables bouleversements s’opèrent dans le champ de la scolarisation, de la formation professionnelle et de l’accès au système de santé. Toutes ces transformations entraînent à la fois des effets de génération et des effets d’époque, qui affectent à l’évidence les relations âge/travail et qu’il est possible, dans une certaine mesure, d’anticiper.
  3. Enfin — nous allons insister à présent sur ce point — des transformations individuelles se font tout au long de la vie active, et l’ajustement entre les caractéristiques d’un travail et celles des personnes qui l’effectuent est donc fréquemment remis en question.

Quelques processus de vieillissement organique et leur rapport avec le travail

Les principales fonctions organiques engagées dans le travail déclinent de manière observable à partir de 40 ou 50 ans, après que certaines d’entre elles ont connu un développement jusqu’à 20 ou 25 ans.

On constate en particulier une baisse, avec l’âge, de la force musculaire maximale et de l’amplitude articulaire maximale. La diminution est de l’ordre de 15 à 20% entre 20 et 60 ans, mais il ne s’agit que d’une tendance globale, et la variabilité interindividuelle est très grande. De plus, on évoque ici des capacités maximales; le déclin est beaucoup moins net pour des sollicitations physiques plus modérées.

Une fonction très sensible à l’âge est celle de la régulation posturale. Cette difficulté n’est pas très apparente pour des postures de travail courantes et stables (debout ou assises), mais elle se manifeste dans les situations de déséquilibre nécessitant des ajustements précis, des contractions musculaires fortes ou la sollicitation d’articulations dans des angulations extrêmes. Ces problèmes prennent une ampleur accrue quand le travail doit s’effectuer sur des supports instables ou glissants, ou lorsque le travailleur subit un choc ou une secousse imprévisible. Il en résulte que les accidents par perte d’équilibre deviennent plus fréquents quand l’âge s’élève.

La régulation du sommeil, quant à elle, se fragilise à partir de 40-45 ans. Elle devient plus sensible à des changements d’horaires (tels ceux provoqués par le travail de nuit ou le travail posté) et à des environnements perturbants (bruit, éclairage). II s’ensuit des modifications dans la durée et la qualité du sommeil.

La thermorégulation est également rendue plus difficile avec l’âge, ce qui pose aux travailleurs âgés des problèmes spécifiques vis-à-vis du travail dans la chaleur, surtout s’il s’agit de réaliser un travail physique intense.

Quant aux fonctions sensorielles, elles commencent à être atteintes très tôt, mais les déficiences qui en résultent ne se marquent guère avant 40 ou 45 ans. La fonction visuelle est globalement atteinte: l’amplitude d’accommodation diminue (ce qui peut être corrigé par des verres appropriés), ainsi que le champ visuel périphérique, la perception de la profondeur, la résistance à l’éblouissement et la transmission de la lumière à travers le cristallin. La gêne ainsi apportée n’est sensible que dans des conditions particulières: faible éclairement, sources d’éblouissement, objets ou textes de très petites dimensions ou mal présentés, etc.

Le déclin de la fonction auditive touche le seuil d’audition des fréquences élevées (sons aigus), mais il se traduit surtout par la gêne dans la discrimination des signaux sonores en environnement bruyant. Ainsi, l’intelligibilité de la parole devient plus difficile en présence de bruit ambiant ou de réverbération importante.

Les autres fonctions sensorielles sont en général peu atteintes à ces périodes de la vie.

On voit que, de façon générale, ce déclin organique est sensible surtout dans des situations extrêmes. Celles-ci, en tout état de cause, doivent aussi être aménagées pour éviter des difficultés, même chez les jeunes travailleurs. Par ailleurs, les déficiences des travailleurs vieillissants peuvent être compensées par des stratégies particulières, souvent acquises avec l’expérience, lorsque les conditions et l’organisation du travail le permettent: utilisation d’appuis complémentaires lors de postures déséquilibrées, manière de soulever et de transporter des charges réduisant les efforts extrêmes, organisation de l’exploration visuelle pour repérer les informations utiles, etc.

Le vieillissement cognitif: ralentissement et apprentissage

S’agissant à présent des fonctions cognitives, on retiendra d’abord que l’activité de travail met en jeu des mécanismes fondamentaux de réception et de traitement de l’information, d’une part, et, d’autre part, des connaissances acquises tout au long de la vie. Ces connaissances portent essentiellement sur la signification des objets, des signaux, des mots, des situations (connaissances «déclaratives»), et sur les façons de faire (connaissances «procédurales»).

La mémoire à court terme permet de stocker, quelques dizaines de secondes ou quelques minutes, les informations utiles détectées. Le traitement de ces informations est effectué par confrontation avec les connaissances mémorisées de manière permanente. Le vieillissement agit alors de plusieurs manières sur ces mécanismes: 1) du fait de l’expérience, il enrichit les connaissances, la capacité de mieux choisir les informations utiles et leur traitement, surtout dans les tâches assez fréquemment réalisées, mais, 2) le temps de traitement de ces informations s’allonge en raison du vieillissement du système nerveux central, et la mémoire à court terme est plus fragile.

Ces fonctions cognitives sont fortement dépendantes de l’environnement vécu par le travailleur et, partant, de son histoire, de sa formation, des situations de travail auxquelles il a été confronté. Les transformations avec l’âge se marquent donc par des combinaisons très variées de phénomènes de déclin et de construction où chacun de ces deux termes peut être plus ou moins accentué.

Si, au cours de sa vie professionnelle, le travailleur n’a bénéficié que d’une courte formation, qu’il a eu à exécuter des tâches relativement simples et répétitives, ses connaissances seront réduites et il se trouvera en difficulté face à des tâches nouvelles ou peu familières. Si, par ailleurs, il doit exécuter des travaux sous forte contrainte de temps, l’altération de ses capteurs sensoriels et le ralentissement de sa vitesse de traitement de l’information constitueront un handicap. Si, à l’inverse, il a suivi une scolarisation et une formation professionnelle solides, s’il a eu à réaliser des tâches variées, il a pu ainsi enrichir ses compétences, alors ses déficiences sensorielles ou cognitives liées à l’âge pourront être largement compensées.

On comprend ainsi la place essentielle que peut jouer la formation continue dans le parcours professionnel des travailleurs vieillissants. Les changements du travail obligent de plus en plus souvent à des actions périodiques de formation, mais les plus âgés n’en bénéficient guère. Il est fréquent que les entreprises ne jugent pas rentable de former un travailleur proche de la fin de sa vie active, et ce, d’autant plus que les difficultés d’apprentissage sont censées s’accroître avec l’âge. De même, les travailleurs eux-mêmes hésitent à se former, craignant de ne pas réussir et ne voyant pas toujours clairement les bénéfices qu’ils peuvent tirer d’une formation.

En fait, avec l’âge, la manière d’apprendre se transforme. Alors qu’un jeune enregistre les connaissances qui lui sont transmises, une personne plus âgée a besoin de comprendre comment s’organisent ces connaissances par rapport à ce qu’elle sait déjà, quelle en est la logique, quelle en est la justification pour le travail. Elle a aussi besoin de temps pour apprendre. Aussi, la réponse au problème de la formation des travailleurs âgés passe d’abord par une pédagogie différenciée suivant les âges, les connaissances et les expériences de chacun, en prévoyant a priori une durée de formation plus longue pour les plus âgés.

Le vieillissement des hommes et des femmes au travail

Les différences avec l’âge entre hommes et femmes se situent sur deux plans bien distincts. Sur le plan organique: l’espérance de vie est très généralement plus élevée chez les femmes que chez les hommes, mais ce que l’on nomme espérance de vie sans incapacité est très proche chez les deux sexes — jusqu’à 65-70 ans. Au-delà, les femmes sont en général plus pénalisées. Par ailleurs, les capacités physiques maximales des femmes sont en moyenne inférieures de 30% à celles des hommes et cette différence tend à persister avec l’avancée en âge. Toutefois, la dispersion dans ces deux groupes est grande et les deux distributions ont des recouvrements.

Sur le plan de la carrière professionnelle, il existe de grandes différences. Les femmes sont en moyenne moins formées professionnellement que les hommes à leur entrée au travail, elles occupent plus souvent des postes moins qualifiés, ont des carrières professionnelles moins valorisantes. Avec l’âge, elles bénéficient alors des postes où certaines contraintes, telles que la contrainte de temps, la répétitivité du travail, sont fortes. Aucune différence sexuée dans l’évolution des capacités cognitives avec l’âge ne peut être établie sans référence à ce contexte socioprofessionnel.

Si la conception des postes doit tenir compte de ces différences, des actions sont surtout à mener pour favoriser la formation professionnelle initiale et continue des femmes et construire des parcours professionnels qui accroissent leur expérience et la valorisent. Ces actions sont alors à mener à bien avant la fin de leur vie active.

Le vieillissement des populations au travail: l’intérêt des données collectives

Il y a deux raisons, au moins, de s’intéresser aux approches collectives et quantifiables concernant le vieillissement de la population au travail. La première raison est que de telles données vont être nécessaires pour évaluer et prévoir les effets du vieillissement dans un atelier, un service, une entreprise, un secteur ou un pays. La deuxième raison est que les principales composantes du vieillissement sont elles-mêmes des phénomènes à caractère pro-babiliste: tous les travailleurs ne vieillissent pas de la même façon, ni au même rythme. C’est donc au moyen d’outils statistiques que divers aspects du vieillissement vont parfois se révéler, se confirmer ou s’apprécier.

L’instrument le plus simple en ce domaine est la description des structures d’âge et de leur évolution, en lien avec un découpage pertinent vis-à-vis du travail: secteur économique, profession, groupe de postes de travail, etc.

Lorsqu’on constate, par exemple, que la structure d’âge d’une population, dans un atelier, demeure stable et jeune, on peut se poser la question des caractéristiques du travail qui joueraient un rôle sélectif à partir d’un certain âge. Si, au contraire, cette structure est stable et âgée, l’atelier joue un rôle d’accueil pour des personnes venues d’autres secteurs de l’entreprise; les raisons de ces mouvements méritent alors d’être étudiées et l’on peut également vérifier que le travail dans cet atelier se prête bien aux caractéristiques d’une main-d’œuvre vieillissante. Si, enfin, la structure d’âge se décale régulièrement, reflétant simplement les niveaux de recrutement d’une année à l’autre, on se trouve vraisemblablement dans une situation où les personnes «vieillissent sur place»; cela implique parfois une réflexion spécifique, surtout si le nombre annuel de recrutements tend à diminuer, ce qui va déplacer l’ensemble de la structure vers les âges élevés.

La compréhension de ces phénomènes peut se trouver enrichie si l’on dispose de données chiffrées concernant les conditions de travail sur les postes actuellement occupés par les travailleurs et (si possible) les postes qu’ils ont cessé d’occuper. Les horaires de travail, les types de contraintes rythmiques, la nature des efforts fournis, l’environnement de travail et, même, certaines composantes cognitives, peuvent se prêter à des interrogations (auprès des travailleurs eux-mêmes) ou à des évaluations (par des experts). II est alors possible de mettre en lien ces caractéristiques du travail actuel et du travail passé avec l’âge des travailleurs concernés, et d’élucider ainsi les mécanismes de sélection que les conditions de travail peuvent engendrer à certains âges.

On peut enrichir encore ces investigations en recueillant également des éléments concernant l’état de santé des travailleurs. Ces éléments peuvent provenir d’indicateurs objectivés, comme les taux d’accidents du travail ou les absences pour maladie. Mais ces indicateurs demandent souvent de grandes précautions méthodologiques, car s’ils reflètent effectivement des atteintes à la santé qui peuvent être reliées au travail, ils traduisent aussi la stratégie de l’ensemble des acteurs vis-à-vis des déclarations d’accidents ou des arrêts pour maladie: les travailleurs eux-mêmes, l’encadrement, les médecins peuvent avoir à cet égard des stratégies variées, et rien ne garantit que ces stratégies soient indépendantes de l’âge du travailleur. Les comparaisons entre âges sur ces indicateurs sont donc souvent délicates.

On aura donc recours, quand cela est possible, à des données issues de l’autoévaluation de la santé par les travailleurs ou recueillies lors d’examens médicaux. Ces données peuvent porter sur des pathologies dont la prévalence variable selon l’âge a besoin d’être mieux connue, dans une optique d’anticipation et de prévention. Mais l’étude du vieillissement s’appuiera surtout sur l’appréciation de phénomènes infrapathologiques, comme certaines dégradations fonctionnelles (douleurs et limitations articulaires, vision et audition, fonctionnement de l’appareil respiratoire) ou encore certaines formes de difficultés, voire d’incapacité (monter une marche de niveau élevé, effectuer un geste précis, maintenir son équilibre dans une position délicate).

La mise en relation des données concernant l’âge, le travail et la santé s’avère alors à la fois riche et complexe. Leur exploitation permet de mettre en évidence plusieurs types de liaisons (ou de présumer leur existence). Il peut s’agir de relations causales simples, une exigence du travail accélérant une forme de dégradation de l’état fonctionnel quand l’âge avance, mais ce cas n’est pas le plus fréquent. Bien souvent, on sera amené à apprécier simultanément l’effet d’un cumul de contraintes sur un ensemble de caractéristiques de la santé et, en même temps, l’effet de mécanismes de sélection aux termes desquels les travailleurs dont la santé s’est dégradée peuvent se trouver mis à l’écart de certaines conditions de travail (ce que les épidémiologistes baptisent «healthy worker effect», ou «effet du travailleur sain»).

On peut ainsi évaluer la robustesse de cet ensemble de relations, étayer certaines connaissances fondamentales en psychophysiologie et, surtout, disposer d’informations utiles pour construire des stratégies anticipatrices vis-à-vis du vieillissement au travail.

Quelques modalités d’action

Les actions à entreprendre pour maintenir en emploi les travailleurs vieillissants, sans conséquences négatives pour eux, doivent s’appuyer sur plusieurs grandes orientations:

  1. Ne pas considérer cette tranche d’âge comme une catégorie à part, mais considérer l’âge comme un facteur de diversité parmi d’autres, dans la population active; des mesures de protection trop ciblées et trop accentuées tendraient à marginaliser et à fragiliser les populations concernées.
  2. Anticiper les transformations individuelles et collectives liées à l’âge, ainsi que les changements dans les techniques et l’organisation du travail. La gestion des ressources humaines ne peut se réaliser de façon efficace que si elle s’inscrit dans le temps pour préparer les filières professionnelles et les formations appropriées. La conception des moyens de travail peut alors tenir compte à la fois des solutions techniques et organisationnelles disponibles et des caractéristiques de la (future) population concernée.
  3. Tenir compte de la diversité des solutions individuelles tout au long de la vie active pour créer les conditions d’une diversité équivalente dans les parcours professionnels et les situations de travail.
  4. Favoriser les processus de construction de compétences et atténuer les processus de déclin.

Sur la base de ces quelques principes, on peut d’abord définir quelques actions immédiates. Celles-ci vont porter par priorité sur les conditions de travail susceptibles de poser des problèmes particulièrement aigus pour les travailleurs âgés. Il s’agit, comme on l’a dit, des contraintes posturales, des efforts extrêmes, des contraintes temporelles les plus strictes (comme le travail à la chaîne, la production élevée imposée), des environnements agressifs (température, bruit) ou non appropriés (ambiance lumineuse), des horaires nocturnes ou alternants.

Un repérage systématique de ces contraintes aux postes occupés (ou susceptibles d’être occupés) par des travailleurs âgés permet d’établir un état des lieux et d’indiquer des priorités d’action. Le repérage peut se faire à partir de grilles d’observation préétablies. Il peut également s’appuyer sur l’analyse de l’activité des opérateurs, ce qui permettra de relier l’observation de leur comportement avec les explications qu’ils donnent sur leurs difficultés. Dans ces deux cas, des mesures d’effort ou de paramètres de l’environnement peuvent compléter les observations.

Au-delà de ce repérage, les actions à mener ne peuvent être décrites ici, puisqu’elles sont évidemment spécifiques à chaque situation de travail. Le recours à des normes peut parfois être utile, mais peu de normes tiennent compte des aspects spécifiques du vieillissement, et chacune d’elles traite d’un domaine particulier, ce qui conduit à réfléchir isolément à chaque composante de l’activité.

Outre les mesures immédiates, la prise en compte du vieillissement implique une réflexion à plus long terme, axée sur la recherche des marges de manœuvre les plus larges possible, dans la conception des moyens de travail.

Ces marges de manœuvre sont d’abord à chercher dans la conception des postes et des instruments de travail. Les espaces restreints, les outils non réglables, les logiciels sans souplesse d’utilisation, en bref, toutes les caractéristiques du poste qui limitent l’expression de la diversité humaine dans la réalisation de la tâche ont toutes les chances de pénaliser une part importante des salariés âgés. Il en va de même pour les formes d’organisation les plus contraignantes: répartition des tâches totalement prédéterminée, butées temporelles fréquentes et impératives, consignes trop nombreuses ou trop strictes (sauf évidemment lorsqu’il s’agit d’impératifs essentiels pour la qualité de la production ou la sécurité d’une installation). C’est donc la recherche de régulations individuelles et collectives variées qui peut faciliter l’insertion réussie des salariés vieillissants dans l’appareil de production. L’une des conditions du succès de ces régulations est évidemment la mise en œuvre de programmes de formation professionnelle, étendus aux travailleurs de tous âges, et établis en tenant compte de leurs spécificités.

La prise en compte du vieillissement dans la conception des moyens de travail relève ainsi d’un ensemble d’actions coordonnées (diminution globale des contraintes extrêmes, ouverture des stratégies possibles dans l’organisation du travail, recherche continue de l’acquisition de compétences), qui s’avèrent d’autant plus efficaces et d’autant moins coûteuses qu’elles s’inscrivent dans la durée et font l’objet d’une réflexion anticipatrice. Le vieillissement de la population est un phénomène suffisamment lent et prévisible pour qu’il soit possible de mettre en place des stratégies de prévention adaptées.

LES TRAVAILLEURS AYANT DES BESOINS PARTICULIERS

Joke H. Grady-van den Nieuwboer

Concevoir pour les personnes handicapées, c’est concevoir pour tout le monde

Il existe sur le marché d’innombrables produits dont on voit immédiatement qu’ils ne sont pas adaptés à l’ensemble de leurs usagers. Que penser d’une porte d’entrée trop étroite pour qu’une personne corpulente ou une femme enceinte puisse la franchir aisément? Faut-il incriminer sa conception physique si elle satisfait à tous les essais de fonctionnement mécanique? Or, ces personnes ne peuvent assurément pas être considérées comme handicapées sur le plan physique, car elles peuvent être en parfaite santé. Il est des appareils qui nécessitent des manipulations considérables avant de fonctionner de manière satisfaisante (c’est le cas de certains ouvre-boîtes bon marché). Or, on ne saurait considérer comme handicapée une personne en bonne santé qui a du mal à les utiliser. Le concepteur qui intègre parfaitement les considérations d’interaction entre l’être humain et le produit accroît l’utilité fonctionnelle de celui-ci. En l’absence de bonne conception fonctionnelle d’un produit, les personnes souffrant d’un handicap mineur pourront avoir des difficultés à l’utiliser. C’est l’interface utilisateur-machine qui détermine la qualité de la conception pour tous les utilisateurs.

C’est un truisme de rappeler que la technologie est au service de l’homme et que son utilisation doit permettre d’accroître les capacités de celui-ci. Pour les personnes handicapées, cet objectif revêt une importance capitale. Dans les années quatre-vingt, on s’est préoccupé de concevoir des cuisines à leur intention. L’expérience ainsi acquise a influencé la conception des cuisines «normales»; en ce sens, la personne handicapée a été l’artisan d’un progrès. Dans un autre ordre d’idées, on rappellera que les handicaps et les incapacités d’origine professionnelle — il suffit de songer aux douleurs musculo-squelettiques et autres dont souffrent souvent ceux qui sont confinés aux tâches sédentaires devenues monnaie courante aux postes de travail modernes — exigent des concepteurs un effort visant non seulement à écarter ces conditions, mais aussi à mettre au point une technologie compatible avec l’utilisateur et adaptée aux besoins d’opérateurs souffrant déjà de troubles liés à leur travail.

L’individu moyen

Un concepteur ne saurait focaliser son attention sur une population restreinte et par conséquent non représentative. Au sein de certains groupes, il peut être très risqué de nourrir des hypothèses sur d’éventuelles similitudes. Ainsi, un ouvrier victime d’un accident à l’âge adulte ne sera pas nécessairement très différent sur le plan anthropométrique d’une personne en bonne santé, comparable par ailleurs; on peut considérer qu’il fait partie de la grande moyenne. En revanche, un jeune enfant victime d’un accident semblable présentera une anthropométrie fort différente à l’âge adulte, car son développement musculaire et moteur aura été influencé par les stades antérieurs de sa croissance; dans ce cas, on ne se hasardera pas à tirer des conclusions sur la comparabilité à l’âge adulte. Il faut considérer les deux cas comme distincts, le premier étant le seul à se situer dans la grande moyenne. Toutefois, il ne faut pas oublier que si l’on part d’une conception convenant à 90% de la population, un effort un peu plus grand permettrait de porter cette proportion à 95%, ce qui réduirait sensiblement la nécessité de concevoir des produits destinés à des groupes spécifiques.

Une autre manière d’aborder la conception pour la masse de la population consiste à réaliser deux produits, chacun étant conçu grosso modo pour correspondre à deux centiles extrêmes. On pourrait par exemple songer à fabriquer deux chaises de taille différente munies de supports permettant de régler la hauteur de l’une de 38 à 46 cm et celle de l’autre de 46 à 54 cm. On trouve déjà sur le marché des tenailles de deux tailles: l’une est adaptée aux dimensions moyenne et grande des mains masculines, l’autre à la dimension moyenne des mains féminines et aux mains d’hommes de petite taille.

Si chaque entreprise affectait chaque année une somme modique à l’étude des postes de travail, afin de mieux les adapter aux personnes qui les occupent, cela permettrait d’éviter les troubles, les incapacités de travail et l’absentéisme liés à une contrainte physique excessive. En outre, les travailleurs sont plus motivés lorsqu’ils se rendent compte que la direction de l’entreprise cherche à améliorer leurs conditions de travail, et leur motivation s’accroît encore lorsque des mesures concrètes sont prises en leur faveur: analyse approfondie du travail, réalisation de maquettes, mensurations anthropométriques et, même, création d’ateliers spéciaux pour certaines catégories de travailleurs. On en arrive ainsi à repenser l’aménagement de l’ensemble des postes de travail pour des considérations d’ordre essentiellement ergonomique.

Rentabilité et facilité d’utilisation

Les ergonomes effectuent des analyses de rentabilité «élargie» pour évaluer les résultats d’une politique ergonomique en dehors du domaine purement économique. Dans le domaine industriel et commercial, cette évaluation porte à la fois sur les incidences positives et négatives.

Les méthodes d’évaluation de la qualité et de la facilité d’utilisation font actuellement l’objet d’études poussées. Le Rehabilitation Technology Useability Model (RTUM) illustré à la figure 29.51 peut servir de modèle pour déterminer la facilité d’utilisation d’un produit dans l’optique de la réadaptation fonctionnelle et pour mettre en lumière les différents aspects du produit qui définissent ses possibilités d’exploitation.

Figure 29.51 Modèle RTUM (Rehabilitation Technology Useability Model)

Figure 29.51

D’un point de vue strictement économique, il est possible de calculer le coût de création d’un système dans le cadre duquel une tâche donnée peut être exécutée ou un certain produit peut être fabriqué; chaque entreprise est naturellement désireuse d’obtenir un rendement maximal de ses investissements. Mais comment peut-on calculer le coût réel de l’exécution de la tâche ou de la fabrication du produit considéré par rapport à l’investissement consenti en tenant compte également de l’apport (variable par essence) des travailleurs sur les plans physique, cognitif et mental? De fait, l’appréciation de la performance humaine repose, entre autres facteurs, sur la perception qu’ont les travailleurs de ce qui doit être fait, sur la façon dont ils jugent leur propre contribution et sur l’idée qu’ils se font de l’entreprise. En réalité, c’est la satisfaction intrinsèque retirée du travail qui constitue la norme de valeur dans ce contexte, et c’est cette satisfaction (jointe à la qualité des objectifs de l’entreprise) qui les incite à travailler. Le bien-être et la performance sont déterminés, on le voit, par une large palette d’expériences, d’associations et de perceptions qui déterminent les attitudes envers le travail et la qualité finale de la performance; le modèle RTUM est fondé précisément sur cette notion.

Si l’on rejette ce point de vue, on est réduit à juger tout investissement à la seule lumière de résultats vagues et douteux. Les ergonomes et les médecins qui voudront améliorer l’environnement de travail des personnes handicapées auront du mal dans ce cas à trouver le moyen de justifier le coût des mesures requises. En général, ils invoqueront les économies réalisées grâce à la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles et à la réduction de l’absentéisme. Or, si les dépenses liées aux accidents et à la maladie sont prises en charge par l’Etat, elles deviennent en quelque sorte financièrement invisibles pour l’entreprise et ne sont pas prises en considération par l’entreprise dans ses calculs de rentabilité.

Des chefs d’entreprises de plus en plus nombreux prennent toutefois conscience du fait que les dépenses consenties pour la sécurité et la santé au travail sont de l’argent bien dépensé. Ils réalisent que le coût «social» des incapacités de travail se traduit en définitive par un coût pour l’économie nationale et qu’un travailleur immobilisé représente une charge pour la collectivité. Le fait d’investir dans le lieu de travail (c’est-à-dire dans l’adaptation des postes de travail, la mise à disposition d’équipements spéciaux ou même des conseils en matière d’hygiène personnelle) peut non seulement accroître la satisfaction au travail, mais offrir aussi une plus grande autonomie aux travailleurs et ne pas en faire des assistés.

On peut effectuer des analyses coûts-bénéfices pour déterminer si une intervention spéciale sur le lieu de travail se justifie dans le cas de personnes handicapées. Les éléments ci-après pourront être utiles à cette fin:

  1. 1. Personnel
  2. 2. Sécurité
  3. 3. Santé

En ce qui concerne le temps de travail perdu, le calcul peut être fait en termes de salaires, de frais généraux, d’indemnités et de perte de production. Le type d’analyse qui vient d’être décrit constitue une démarche rationnelle qui permet à l’entreprise de décider en connaissance de cause s’il est préférable pour un travailleur handicapé de retourner travailler et si l’entreprise y trouve un intérêt.

Dans la réflexion qui précède sur la conception des systèmes pour la population au sens large, l’accent a été mis sur l’ajustement à l’usager et sur l’évaluation coûts-bénéfices. Bien qu’il soit toujours malaisé de tenir compte de tous les facteurs pertinents, les recherches se poursuivent sur des méthodes de modélisation. Dans quelques pays, tels que les Pays-Bas et l’Allemagne, l’Etat a pour politique d’alourdir la responsabilité des entreprises au titre des préjudices personnels subis au travail; cette évolution va certainement induire une modification radicale des réglementations et de la structure des assurances. Il est désormais plus ou moins de règle dans ces pays que le travailleur qui a eu un accident du travail invalidant reçoive un poste de travail adapté ou qu’on lui propose un autre travail au sein de l’entreprise; cette politique représente un indéniable progrès sur le plan humain.

Les travailleurs ayant une capacité fonctionnelle limitée

En matière de conception, qu’il s’agisse ou non d’utilisateurs handicapés, le progrès est entravé par la pénurie des données de recherche. Les recherches consacrées aux travailleurs handicapés sont pratiquement inexistantes. Il n’existe par conséquent d’autre alternative que de procéder à des études empiriques faisant appel à l’observation et à la mesure.

Lors de la collecte d’informations, il faut non seulement tenir compte de l’état fonctionnel de la personne handicapée, mais aussi s’efforcer de prévoir les changements induits par l’évolution d’un état chronique. Ce genre de renseignements peut être obtenu auprès du travailleur lui-même ou d’un médecin spécialiste.

Lorsqu’il étudie, par exemple, une activité faisant intervenir un effort physique, le concepteur ne va pas se baser sur la force maximale que la personne handicapée serait capable d’exercer: il va tenir compte d’une éventuelle diminution de cette force selon  l’évolution de l’état du travailleur handicapé; ainsi, celui-ci pourra continuer d’utiliser des équipements conçus ou adaptés à son intention.

Les ingénieurs devraient par ailleurs éviter les solutions qui impliquent des gestes ou des mouvements du corps jusqu’aux portées ou amplitudes extrêmes et se baser sur des portées et des amplitudes moyennes. Voici une illustration, simple mais parlante, de ce principe. On trouve couramment, sur les tiroirs des buffets de cuisine ou des bureaux, des poignées qui ont une forme concave vers le bas. On les saisit par les doigts par dessous, puis on applique une force vers le haut et on tire pour ouvrir le tiroir. Cette manœuvre nécessite une supination du poignet à 180° (la paume de la main étant dirigée vers le haut), c’est-à-dire à l’amplitude articulaire maximale de ce type de mouvement. Cela ne présente en général aucune difficulté pour une personne en bonne santé dès lors que le tiroir s’ouvre sans effort exagéré et n’est pas à un endroit malcommode; en revanche, l’effort s’accroît sensiblement si le tiroir est difficile à ouvrir ou si la supination à 180° est impossible ou trop contraignante pour une personne handicapée. Une poignée disposée verticalement serait beaucoup plus efficace sur le plan moteur et plus facile à manier pour l’ensemble de la population.

La capacité fonctionnelle sur le plan physique

Les trois grandes catégories de limitation de la capacité fonctionnelle physique intéressent l’appareil locomoteur, le système nerveux et le système énergétique. S’ils tiennent compte des principes de base ci-après concernant les fonctions corporelles, les concepteurs auront une meilleure idée de la nature des contraintes subies par l’utilisateur ou le travailleur.

L’appareil locomoteur. L’appareil locomoteur se compose des os, des articulations, des tissus conjonctifs et des muscles. La nature de la structure des articulations détermine l’amplitude des mouvements possibles. Ainsi, l’articulation du genou présente un degré de mouvement et de stabilité qui n’est pas le même que celui de l’articulation de la hanche ou de l’épaule. Ce sont ces caractéristiques des différentes articulations qui définissent les mouvements que peuvent exécuter les bras, les mains, les pieds, etc. Il existe également différents types de muscles. Pour une partie du corps donnée, c’est le type de muscle, le fait qu’il passe sur une ou deux articulations et son emplacement qui déterminent la direction de son mouvement, sa rapidité et la force qu’il est capable de développer.

Le fait que la direction, la rapidité et la force d’un mouvement puissent être caractérisés et calculés revêt une grande importance pour la conception. Pour les personnes handicapées, il faut tenir compte du fait que les muscles concernés ne se trouvent plus à leur emplacement «normal» et que l’amplitude de mouvement des articulations a été modifiée. Chez un amputé, par exemple, un muscle peut ne fonctionner que partiellement ou avoir été déplacé; par conséquent, il faut étudier de près la capacité physique du sujet pour déterminer quelles sont les fonctions résiduelles et quel est leur degré de fiabilité. On trouvera ci-après une étude de cas.

Un menuisier âgé de 40 ans avait perdu le pouce et le majeur de la main droite dans un accident. Cherchant à rétablir sa capacité de travail, le chirurgien avait procédé à l’ablation du gros orteil d’un pied du patient et l’avait greffé à la place du pouce sectionné. Après une période de rééducation, le menuisier avait repris son travail, sans pouvoir toutefois travailler plus de trois à quatre heures d’affilée. En fait, ses outils n’étaient pas adaptés à la structure «anormale» de sa main. En étudiant celle-ci sous l’angle de sa nouvelle capacité fonctionnelle et de sa nouvelle forme, le kinésithérapeute a pu faire réaliser de nouveaux outils mieux adaptés. Désormais, la charge supportée par la main est raisonnable et le menuisier a retrouvé une capacité de travail accrue.

Le système nerveux. On peut comparer le système nerveux à un poste de commande sophistiqué, équipé de capteurs de données ayant pour objet de déclencher et de diriger les mouvements et les actions des diverses parties du corps en interprétant les informations relatives à la position ainsi qu’à l’état mécanique, chimique et autre. Ce système est doté non seulement d’un mécanisme de rétroaction (la douleur, par exemple) qui induit des mesures correctives, mais aussi d’une capacité de «préaction» qui s’exprime par anticipation afin de maintenir un état d’équilibre. Il en est ainsi du travailleur qui accomplit un mouvement réflexe pour éviter une chute ou le contact avec les parties dangereuses d’une machine.

Chez la personne handicapée, le traitement physiologique de l’information peut être entravé. Ainsi, les mécanismes de rétro- action et de préaction sont affaiblis ou inexistants chez un malvoyant et, sur le plan acoustique, chez un malentendant. Par ailleurs, les circuits de commande importants sont interactifs. Les signaux sonores agissent sur l’équilibre d’une personne, conjointement avec les circuits proprioceptifs qui situent les parties du corps dans l’espace grâce aux données fournies par les muscles et les articulations, avec le concours de signaux visuels. Le cerveau peut agir pour surmonter de très fortes défaillances de ces mécanismes en rectifiant les erreurs de codage des informations et en «complétant» les informations manquantes. Mais il va de soi qu’au-delà de certaines limites, l’incapacité survient. Voici deux études de cas.

Cas no 1. Une jeune femme de 36 ans a subi une lésion de la moelle épinière à la suite d’un accident de voiture. Elle peut s’asseoir sans aide et actionner son fauteuil roulant manuellement; son tronc est stable. En revanche, elle a perdu toute sensation dans les jambes, ce qui la rend notamment incapable de ressentir les changements de température.

Elle a chez elle un poste de travail assis (sa cuisine a été aménagée de manière à lui permettre de travailler assise). Par mesure de sécurité, l’évier a été installé à un endroit suffisamment isolé pour réduire le plus possible le risque qu’elle se brûle les jambes avec de l’eau bouillante, puisque ses jambes ne sont plus capables de sentir la chaleur.

Cas no 2. Une mère était en train de baigner son petit garçon de 5 ans paralysé du côté gauche lorsqu’on a sonné à la porte. Laissé seul un instant, l’enfant s’est brûlé en ouvrant le robinet d’eau chaude. La baignoire aurait dû être équipée d’un thermostat placé hors de portée du garçonnet.

Le système énergétique. Lorsque le corps humain doit accomplir un effort physique, il se produit des changements biologiques et physiologiques dans les cellules musculaires, encore que de manière relativement peu efficace. En effet, le «moteur» humain ne transforme qu’environ 25% de son apport d’énergie sous forme de travail mécanique, le reste de cette énergie représentant une déperdition thermique. Par conséquent, le corps humain n’est pas particulièrement adapté à un travail physique intense. Si le sujet doit exécuter un travail pénible, il va puiser dans ses réserves d’énergie. Ces réserves sont systématiquement utilisées lorsqu’une tâche est effectuée très rapidement, qu’elle débute brutalement (sans période d’échauffement) ou qu’elle implique un très gros effort.

L’organisme humain transforme l’énergie chimique contenue dans les nutriments de manière aérobie (par l’oxygène) et peut également le faire de manière anaérobie; au début d’un effort, l’apport d’oxygène n’étant pas suffisant, il puise dans ses réserves d’énergie. Le besoin de renouvellement d’air sur le lieu de travail contribue non seulement à l’apport d’oxygène, mais encore à l’élimination du gaz carbonique. L’apport d’oxygène atmosphérique, qui est si intimement lié au fonctionnement aérobie, dépend de plusieurs conditions:

Une personne souffrant d’asthme ou de bronchite, c’est-à-dire d’une affection qui touche les poumons, est fortement limitée dans son travail. Il faudrait étudier le rôle que jouent dans ce cas la charge physique et l’environnement. Un air ambiant pur contribuera largement à son confort. Il conviendra en outre de répartir la charge de travail tout au long de la journée pour éviter des pics intolérables.

La conception sur mesure

Dans certains cas, une conception spéciale peut s’imposer, pour une personne ou un petit groupe d’individus. C’est le cas, notamment, lorsque les tâches à exécuter excèdent les capacités d’une personne handicapée. Si, même après avoir été adaptés, les produits existant sur le marché ne répondent pas aux impératifs rencontrés, il faudra envisager une conception sur mesure. Que cette solution soit onéreuse ou non, il faut, indépendamment des aspects humanitaires, l’envisager sous l’angle de la faisabilité et de sa contribution à la viabilité de l’entreprise. En effet, un poste de travail conçu spécialement pour une personne handicapée ne sera rentable que si celle-ci peut y travailler plusieurs années et si le travail qu’elle effectue est un atout pour l’entreprise en termes de production. Si ce n’est pas le cas, et même si le travailleur fait valoir son droit à un tel poste, il vaut mieux faire preuve de réalisme. En tout état de cause, les problèmes de ce type sont délicats et doivent être abordés dans un esprit positif et en déployant un effort particulier sur le plan de la communication.

Les avantages de la conception sur mesure peuvent être récapitulés comme suit:

La conception sur mesure présente cependant certains inconvénients:

Cas no 1. Prenons le cas d’une réceptionniste en fauteuil roulant présentant en outre des troubles d’élocution et parlant de ce fait plutôt lentement. Tant que l’entreprise était petite, il n’y a pas eu de difficulté particulière et elle a continué d’y travailler pendant plusieurs années. Lorsque l’entreprise s’est agrandie, toutefois, ses handicaps ont commencé à poser problème. Elle aurait dû pouvoir s’exprimer et se déplacer plus vite, mais a été incapable de faire face à ces exigences nouvelles. On s’est efforcé de trouver une solution et un choix lui fut offert: soit on lui fournissait un équipement spécial permettant de compenser partiellement ses handicaps, soit elle pouvait être mutée à un poste de bureau. Elle a opté pour la deuxième solution et travaille toujours dans cette entreprise.

Cas no 2. Un jeune homme, dessinateur technique de son état, souffrait d’une grave lésion de la moelle épinière par suite d’un plongeon en eau peu profonde. Il avait besoin d’aide dans toutes ses activités quotidiennes. On a mis à sa disposition un logiciel de conception assistée par ordinateur (CAO) grâce auquel il peut continuer à gagner sa vie en exerçant le métier qui était le sien, ce qui lui permet d’être autonome financièrement et de vivre avec sa compagne. Son espace de travail a été aménagé en fonction de ses besoins; il communique avec son entreprise par ordinateur ou par téléphone.

La conception sur mesure suit une démarche qui ne diffère pas vraiment de la conception générale dont il a été question plus haut. Le seul problème insurmontable qui risque de surgir en cours d’étude est que l’objectif ne puisse être atteint pour des raisons purement techniques: en d’autres termes, il n’existe pas de solution. Ainsi, une personne atteinte de la maladie de Parkinson a tendance, à un certain stade de l’évolution de son état, à tomber à la renverse. Un dispositif permettant d’éviter les chutes représenterait certes une excellente solution, mais sa réalisation n’est pas possible en l’état actuel de la technique.

La conception ergonomique des systèmes dans le cas de travailleurs souffrant de déficiences physiques particulières

On peut traiter ces déficiences en intervenant médicalement pour rétablir la fonction endommagée, mais on peut également dans bien des cas recourir à des mesures moins élaborées qui ne font pas appel à la compétence médicale. La décision dépend largement du type de déficience considéré et de sa gravité. Dès qu’il s’agit d’un traitement, les moyens ci-après s’offrent, séparément ou conjointement, au concepteur ou au chef d’entreprise:

Sous l’angle de l’ergonomie, le traitement d’une incapacité comprend les points suivants:

L’efficacité finale est la considération première en cas de modification d’outil ou de machine; elle dépend souvent de l’investissement consenti à cette fin, des problèmes techniques rencontrés et des changements fonctionnels à intégrer dans la nouvelle conception. Le confort et l’esthétique sont également des aspects à ne pas négliger.

La deuxième considération vise la question de savoir s’il s’agit d’un dispositif à usage général (auquel cas les modifications seront apportées à un produit existant) ou d’un dispositif conçu sur mesure. Dans le deuxième cas, chacun des aspects de l’incapacité du travailleur doit faire l’objet d’une étude ergonomique particulière. Ainsi, un travailleur souffrant d’une limitation des fonctions cérébrales suite à une attaque d’apoplexie, d’aphasie (difficulté à communiquer), d’une paralysie du bras droit et de parésie spasmodique de la jambe empêchant de la lever, peut avoir besoin des aides ci-après:

Existe-t-il une réponse globale à la question: quelle méthode de conception adopter pour les personnes handicapées? La conception ergonomique des systèmes est éminemment adaptée à cet objectif. Les études relatives à la situation de travail rencontrée ou au type de produit considéré nécessitent la mise en place d’une équipe chargée de recueillir les informations concernant soit un groupe particulier de personnes handicapées, soit un individu présentant un handicap spécifique. Cette équipe sera composée d’un ensemble de gens qualifiés et possédera de ce fait une compétence technique globale très supérieure à la compétence technique d’un concepteur isolé; les connaissances médicales et ergonomiques pourront être exploitées aussi bien que les connaissances purement techniques.

Les contraintes de conception définies sur la base des données ainsi recueillies seront traitées avec la même objectivité et dans le même esprit d’analyse que celles concernant les utilisateurs en bonne santé. Pour les travailleurs handicapés comme pour ceux qui ne le sont pas, il faut étudier le comportement, le profil anthropométrique, les données biomécaniques (portée des mouvements, force, espace de manipulation utilisé, charge physique, etc.), les critères ergonomiques et les réglementations de sécurité. Il faut malheureusement reconnaître que les travaux de recherche consacrés aux travailleurs handicapés sont très peu nombreux. Il existe bien quelques études sur l’anthropométrie, un peu plus sur la biomécanique dans le domaine des prothèses et des orthèses, mais pratiquement aucune sur les capacités de charge physique (le lecteur trouvera quelques références utiles dans les «Références complémentaires» à la fin du présent chapitre). En outre, s’il est parfois aisé de recueillir et d’appliquer les données existantes, la tâche s’avère quand même souvent difficile, voire impossible. Or, il est indispensable d’obtenir des données objectives, aussi ardue que soit l’opération et aussi improbables que soient les chances de la mener à bien; en effet, le nombre des personnes handicapées disponibles à des fins de recherche est faible. En revanche, celles-ci sont très souvent plus que désireuses de participer aux études entreprises, car elles ont une conscience aiguë de l’importance d’une participation active de leur part. L’effort consenti est donc justifié non seulement pour les participants eux-mêmes, mais pour l’ensemble des personnes handicapées.

LA DIVERSITÉ ET L’IMPORTANCE DE L’ERGONOMIE
— DEUX EXEMPLES

CONCEPTION D’UN SYSTÈME DE FAÇONNAGE DES DIAMANTS

Issachar Gilad*

* L'auteur remercie M.E. Messer et le professeur W. Laurig pour leur contribution aux aspects biomécaniques du processus de polissage, ainsi que le professeur H. Stein et le docteur R. Langer pour leur aide concernant les aspects physiologiques. La recherche a été financée par une subvention du Comité pour la recherche et la prévention en matière de sécurité et de santé au travail du Ministère du Travail et des Affaires sociales d'Israël

La conception des méthodes et des postes de travail manuel dans l’industrie de la taille des diamants n’a pas changé depuis des siècles. Les études concernant la santé des tailleurs de diamants ont mis en évidence des taux élevés de lésions musculo-squelettiques au niveau des mains et des bras et, en particulier, la présence de neuropathies cubitales au niveau du coude. Ces lésions sont dues aux contraintes musculo-squelettiques élevées qui s’exercent sur la partie supérieure du corps dans une profession où les manipulations se succèdent de manière presque ininterrompue. Le Technion Israel Institute of Technology a procédé à une étude ergonomique des postes et des maladies professionnelles chez les travailleurs qualifiés de l’industrie de la taille des diamants. Leur activité exige de nombreuses manipulations appelant des gestes et des efforts manuels fréquents et rapides. Une étude épidémiologique effectuée durant les années 1989-1992 dans l’industrie diamantaire en Israël a montré que ces mouvements entraînaient très fréquemment des problèmes sérieux au niveau des membres supérieurs, ainsi que dans la partie supérieure et inférieure du dos. Lorsque les travailleurs sont exposés à des risques professionnels de cette nature, des réactions en chaîne peuvent se produire qui sont susceptibles de toucher toute l’économie du secteur concerné.

Depuis des millénaires, les diamants sont des objets de fascination et des symboles de magnificence et de richesse. Des artisans et des artistes d’une habileté remarquable se sont efforcés, au fil des siècles, de parvenir à la beauté parfaite en améliorant l’aspect, la forme et la valeur de cette formation cristalline unique de carbone dur. Peu d’efforts ont été accomplis en revanche pour améliorer les conditions souvent difficiles d’un travail exigeant, ce qui étonne si l’on songe à la qualité des créations artistiques réalisées à partir du matériau brut et l’émergence d’une importante industrie internationale. La visite des musées du diamant en Angleterre, en Afrique du Sud et en Israël permet de constater que le poste de travail traditionnel n’a pas changé avec le temps. Vleeschdrager (1986) décrit les outils, les établis et les méthodes utilisés dans le façonnage des diamants et que l’on rencontre dans tous les ateliers de taille.

Les études ergonomiques effectuées dans différents ateliers ont mis au jour de nombreuses carences dans la conception technique des postes de polissage, carences qui sont responsables de douleurs lombaires et de tensions cervico-brachiales dues à la posture de travail. L’étude des micromouvements et l’analyse biomécanique des gestes accomplis par les polisseurs de diamants font apparaître des mouvements extrêmement intenses des mains et des bras qui impliquent des déplacements rapides, de fortes accélérations et de nombreuses répétitions des gestes sur des cycles très courts. Une étude des symptômes rencontrés chez les tailleurs de diamants a montré que, bien qu’il s’agisse en grande partie de sujets jeunes et sains dont 45% avaient moins de 40 ans, 64% d’entre eux souffraient de douleurs des épaules, 36% de douleurs des bras et 27% de douleurs des avant-bras. Lors du facettage et du polissage, une pression importante est appliquée par la main tenant l’outil sur un disque rotatif et vibrant.

La première description connue d’un poste de travail de façonnage des diamants a été faite en 1568 en ces termes par l’orfèvre italien Benvenuto Cellini: «Un diamant est frotté contre un autre diamant jusqu’à ce que, par abrasion mutuelle, ils prennent tous deux la forme que le tailleur expérimenté souhaite obtenir». Cette description pourrait avoir été faite de nos jours: le rôle de l’opérateur humain n’a pas évolué depuis plus de 400 ans. Si l’on étudie les méthodes de travail, les outils et la nature des décisions impliquées dans le processus considéré, on s’aperçoit que la relation machine-utilisateur s’est à peine modifiée. Cette situation est unique dans le monde industriel: partout ailleurs, des modifications importantes ont accompagné l’introduction de l’automatisation, de la robotique et de l’informatisation, qui ont transformé radicalement le rôle du travailleur dans le monde d’aujourd’hui. On a constaté par ailleurs que les méthodes de travail utilisées en Europe (où la profession de tailleur est née) ne différaient guère de celles employées dans le reste du monde, qu’il s’agisse des tailleries modernes de Belgique, des Etats-Unis ou d’Israël — spécialisées dans les tailles fantaisie et les diamants de grande valeur — ou des tailleries de Chine, d’Inde et de Thaïlande, qui produisent généralement des formes plus populaires et des produits de qualité moyenne.

La méthode de polissage est basée sur l’abrasion du diamant brut par la poussière de diamant déposée sur une meule à concrétion diamantée. Compte tenu de la dureté du diamant, seul un broyage par friction contre un matériau carbone similaire permet de donner à la pierre sa forme géométrique et son fini brillant. Le matériel du poste de travail est composé de deux ensembles d’éléments de base: un ensemble mécanisé et des outils tenus à la main. Le premier ensemble comprend un moteur électrique qui entraîne un disque monté sur un arbre vertical, une table plate et solide (au centre de laquelle se trouve le disque), un siège et une source de lumière. Le deuxième ensemble comprend un support (ou griffes) dans lequel la pierre brute reste insérée durant toutes les phases du facettage et du polissage et qui est généralement tenu de la main gauche. Le champ visuel du tailleur est amplifié à l’aide d’une loupe tenue entre les trois premiers doigts de la main droite et utilisée avec l’œil gauche. Cette méthode de travail est imposée par un processus de formation stricte qui, dans la plupart des cas, ne tient pas compte de la latéralité manuelle. Durant le travail, le tailleur adopte une posture inclinée et appuie le support (ou griffes) contre le disque abrasif. Cette posture, qui exige que les bras soient posés sur la table de travail afin de stabiliser les mains, a tendance à provoquer des lésions externes du nerf cubital en raison de sa position anatomique. Ces lésions sont courantes parmi les tailleurs de diamants et sont assimilées à une maladie professionnelle depuis les années cinquante. On compte aujourd’hui près de 450 000 tailleurs de diamants de par le monde, dont environ 75% en Asie, plus particulièrement en Inde, pays  qui a considérablement développé son industrie diamantaire au cours des deux dernières décennies. Le polissage est effectué manuellement, chacune des facettes du diamant étant produite par des polisseurs formés et entraînés à respecter une certaine partie de la forme géométrique de la pierre. Les polisseurs constituent le corps de métier le plus important de l’industrie du diamant puisqu’ils représentent environ 80% des effectifs de cette industrie. La majeure partie des risques professionnels de cette industrie pourraient donc être prévenus en procédant à un réaménagement des postes de polissage.

L’analyse des gestes montre que les opérations de polissage comprennent deux étapes: la première, appelée cycle de polissage, représente l’opération de base du polissage du diamant; la seconde, plus importante, appelée cycle de facettage, exige une modification de la position de la pierre dans son support et un contrôle final. Le tout englobe donc les quatre opérations de base ci-après:

  1. Polissage. Il s’agit du polissage à proprement parler.
  2. Inspection. Toutes les quelques secondes, l’opérateur, à l’aide d’une loupe, contrôle les progrès réalisés sur la facette polie.
  3. Ajustage du dop. On procède à un ajustage angulaire de la tête du support du diamant (le dop).
  4. Modification de la position de la pierre. Le passage d’une facette à l’autre s’effectue en faisant tourner le diamant dans les limites d’un angle prédéterminé. Il faut répéter ces quatre opérations 25 fois environ pour polir une facette du diamant. Le nombre de répétitions dépend de l’âge de l’opérateur, de la dureté et des caractéristiques de la pierre, du moment de la journée (fatigue de l’opérateur), etc.; chacune d’elles prend environ quatre secondes en moyenne. Gilad (1993) a étudié les micromouvements exécutés au cours du polissage.

Deux des opérations — polissage et inspection — s’effectuent dans des postures de travail relativement statiques, tandis que les actions appelées «main pour polir» et «main pour contrôler» exigent des mouvements courts et rapides de l’épaule, du coude et du poignet. La plupart des mouvements des deux mains sont effectués par flexion et extension du coude et pronation et supination du poignet. La posture du corps (dos et cou) et tous les autres mouvements, à part la déviation du poignet, varient relativement peu durant un travail normal. Le support de la pierre, constitué d’une barre d’acier de section carrée, est tenu de façon telle qu’il fait pression sur les vaisseaux sanguins et les os et peut, donc, provoquer une diminution du débit sanguin dans l’annulaire et l’auriculaire. La main droite tient la loupe durant tout le cycle de polissage, en exerçant une pression égale sur les trois premiers doigts. La plupart du temps, la main droite et la main gauche suivent des schémas de mouvement parallèles, alors que dans le mouvement «main pour polir», la main gauche guide et la main droite commence à bouger après un court instant; l’ordre est inversé dans le mouvement «main pour contrôler». Les tâches faisant appel à la main droite impliquent soit le maintien de la loupe en face de l’œil gauche (chargé du contrôle) tout en soutenant la main gauche par une flexion du coude, soit l’exercice d’une pression sur la tête du support de la pierre pour assurer un meilleur polissage (ce qui demande une extension du coude). Le positionnement et le maintien de la pierre sur la meule exigent de fortes accélérations et décélérations, ainsi qu’une grande dextérité manuelle.  Il  faut  plusieurs  années  pour  que  les  mouvements requis deviennent des réflexes.

Le polissage du diamant peut sembler à première vue une tâche relativement simple, mais il nécessite beaucoup de dextérité et d’expérience. Contrairement à toutes les autres industries, où les matériaux bruts sont transformés selon des spécifications précises, le diamant brut n’est pas homogène; chaque pierre, qu’elle soit petite ou grosse, doit être contrôlée, classée et traitée individuellement. Le polisseur doit non seulement posséder une grande adresse manuelle, mais encore prendre des décisions capitales à chaque étape du polissage. Après chaque inspection visuelle, il doit décider de la correction spatiale angulaire (selon trois dimensions), de l’intensité et de la durée de la pression à appliquer, du positionnement angulaire correct de la pierre et de son point de contact avec la meule. Plusieurs facteurs importants doivent être pris en considération, tous en l’espace de moins de 4 secondes en moyenne. Il est essentiel de bien appréhender ce processus de prise de décisions lorsqu’on procède à la conception ou au réaménagement d’un poste de polissage.

Avant d’en arriver à la phase où l’analyse des gestes peut permettre une meilleure conception ergonomique du poste considéré et la définition d’un cahier des charges satisfaisant, il faut bien connaître les autres aspects d’un système utilisateur-machine unique en son genre. Alors que pratiquement tous les autres secteurs de l’activité économique n’ont cessé de subir des modifications technologiques portant non seulement sur les méthodes de production, mais également sur les produits eux-mêmes, l’industrie du diamant est restée virtuellement statique. Cette stabilité est due sans doute au fait que le produit est demeuré immuable au fil du temps et que son commerce n’a guère évolué. Les formes des diamants sont elles aussi restées pratiquement inchangées. Il n’y avait en effet aucune raison économique incitant à modifier le produit ou les méthodes utilisées. En outre, étant donné que la plupart des travaux de polissage sont effectués en sous-traitance par des artisans, l’industrie n’a pas eu de problème pour réguler la main-d’œuvre en adaptant le volume de travail aux fluctuations du marché. Aussi longtemps que les méthodes de travail ne changeront pas, le produit ne changera pas non plus. Ce n’est que lorsque des techniques plus perfectionnées et automatisées feront leur apparition dans l’industrie du diamant que l’on verra une plus grande variété de formes sur le marché. Il n’en reste pas moins qu’un diamant conserve toujours une valeur mythique qui le différencie des autres produits, et que cette valeur diminuerait s’il venait à être considéré comme un produit de grande consommation. Récemment, les pressions du marché et le développement de nouveaux centres de production, en Extrême-Orient notamment, sont venus concurrencer les centres européens établis de longue date. L’industrie s’est ainsi vue contrainte d’envisager de nouvelles méthodes de production et d’accorder davantage d’attention au facteur humain.

Si l’on veut améliorer le poste de polissage, il faut le considérer en tant que partie d’un système machine-utilisateur comportant trois paramètres: humain, technique et économique. La prise en compte des principes ergonomiques devrait permettre de concevoir une meilleure cellule de production au sens large du terme, c’est-à-dire un poste qui améliore le confort durant les longues heures de travail et qui assure une meilleure qualité des produits ainsi qu’un accroissement de la productivité. Deux approches différentes ont été tentées. La première implique une nouvelle conception des postes de travail existants, l’opérateur continuant à s’acquitter des mêmes tâches. La seconde consiste à étudier le poste de travail sans a priori en vue d’aboutir à une conception optimale tant pour le poste lui-même que pour les opérations à effectuer, ce qui devrait permettre de trouver des solutions intégrant les besoins humains, techniques et économiques de l’industrie.

A l’heure actuelle, c’est l’opérateur qui effectue la plupart des tâches faisant partie de l’étape de polissage. Le travail fait appel à l’adresse manuelle et à l’expérience; il s’agit d’un processus psychophysiologique complexe, partiellement conscient, procédant par tâtonnements, qui permet à un opérateur d’exécuter des opérations complexes et d’en prédire le résultat de manière assez précise. Les cycles de travail répétés impliquent chaque jour des milliers de mouvements identiques commandés par des automa-tismes pilotés par la mémoire motrice et exécutés avec une grande précision. Pour chacun de ces mouvements automatiques, de petites corrections sont effectuées en réponse au retour d’information fourni par les capteurs humains que sont les yeux et les détecteurs de pression. Quelle que soit la structure du futur poste de polissage des diamants, le travail restera soumis à un impératif incontournable: dans l’industrie du diamant, contrairement à la plupart des autres industries, la valeur relative de la matière première est très élevée. D’où l’importance de travailler la pierre brute de manière à obtenir, après la taille et le polissage, le diamant le plus gros possible. Cet objectif est primordial dans toutes les phases de façonnage des diamants.

Les quatre opérations répétitives «polissage», «main pour contrôler», «contrôler», «main pour polir» qui interviennent dans le polissage peuvent être classées en trois catégories principales: tâches motrices, tâches visuelles et tâches de contrôle et de gestion comportant la prise de décisions. Gilad et Messer (1992) ont étudié les considérations entrant en ligne de compte dans la conception d’un poste de polissage ergonomique. La figure 29.52 présente une vue schématique d’une cellule de polissage réaménagée. Seules les grandes lignes de la construction sont présentées, car les détails relèvent du savoir-faire de la profession et ont un caractère confidentiel. Le terme de «cellule» est utilisé à dessein, car ce système machine-utilisateur repose sur une approche totalement différente. Outre les améliorations d’ordre ergonomique, il fait appel à des dispositifs mécaniques et opto-électroniques permettant de travailler trois à cinq pierres en même temps. Une partie des tâches visuelles de contrôle ont été confiées à des techniciens plutôt qu’à des artisans, tandis que la gestion de la cellule de production se fait grâce à une unité d’affichage qui fournit des informations instantanées sur la forme géométrique et le poids des pierres ainsi que sur les opérations complémentaires pouvant être requises pour obtenir une taille optimale. Une telle conception entraîne une modernisation du poste de travail de polissage par l’incorporation d’un système expert et d’un système de contrôle visuel pour remplacer l’œil humain dans toutes les tâches de routine. L’opérateur conserve la possibilité d’intervenir en tout temps pour modifier des paramètres et évaluer la performance de la machine. Le manipulateur mécanique et le système expert forment un processus en boucle fermée permettant d’effectuer l’ensemble des tâches de polissage, la manipulation des pierres, le contrôle de la qualité et la sanction finale demeurant l’apanage de l’opérateur. A un stade aussi avancé, on pourrait envisager le recours à des techniques de pointe comme un polisseur à laser. Actuellement, les lasers sont utilisés sur une grande échelle pour scier et tailler les diamants. L’utilisation de techniques sophistiquées permettra de modifier radicalement la nature des interventions humaines. Les besoins en polisseurs expérimentés devraient diminuer; ceux-ci ne seraient chargés, en fin de compte, que du polissage des gros diamants de très grande valeur et, probablement, du contrôle de la qualité.

Figure 29.52 Représentation schématique d'un poste de polissage de diamants

Figure 29.52

TCHERNOBYL, OU LA MÉCONNAISSANCE DES PRINCIPES DE CONCEPTION ERGONOMIQUE

Vladimir M. Munipov

Diverses hypothèses ont été avancées pour expliquer la catastrophe de Tchernobyl en 1986: on a incriminé le personnel d’exploitation, la direction de l’usine, la conception du réacteur et le manque d’informations pertinentes sur la sûreté dans l’industrie nucléaire soviétique. Le présent article considère un certain nombre de défauts de conception, de déficiences opérationnelles et d’erreurs humaines qui se sont conjugués dans l’accident. Il examine la séquence des événements qui ont conduit à la catastrophe, les problèmes soulevés par la conception du réacteur et des barres de refroidissement et le déroulement de l’accident lui-même. Il s’attache aux aspects ergonomiques en partant du principe que l’accident est surtout dû à l’inadéquation de l’interface opérateur-machine. Enfin, il souligne les carences qui persistent et insiste sur le fait que, si l’on ne tire pas parti des enseignements recueillis sur le plan ergonomique, une autre catastrophe du même genre pourrait fort bien se produire.

Toute la lumière n’a pas encore été faite sur la catastrophe de Tchernobyl. Il ne faut pas se leurrer: la vérité est encore dissimulée par les réticences de ceux qui veulent se protéger, les demi-vérités, le secret et même les contre-vérités. Une étude complète des causes de l’accident apparaît comme une tâche bien difficile. Le principal problème auquel se heurtent les enquêteurs est la nécessité de reconstituer l’accident et d’établir le rôle des facteurs humains à partir des très minces éléments d’information qui ont été divulgués. La catastrophe de Tchernobyl est plus qu’un grave accident technique: ses causes tiennent en partie à l’administration et à la bureaucratie. L’objet principal du présent article est d’examiner la combinaison de défauts de conception, de déficiences opérationnelles et d’erreurs humaines qui a abouti à l’accident de Tchernobyl.

Qui faut-il blâmer?

En 1989, le responsable de la conception des réacteurs à eau bouillante de grande puissance employant des tubes à haute pression de type RBMK utilisés dans la centrale nucléaire de Tchernobyl a présenté son point de vue sur les causes de l’accident. Il a attribué la catastrophe au fait que le personnel n’avait pas respecté les procédures correctes de la «discipline de production». Il a fait valoir que les juristes étaient arrivés à la même conclusion après leurs investigations. Selon lui, «la faute est à imputer au personnel plutôt qu’à des carences de conception ou de réalisation». Le responsable de la recherche pour le développement des réacteurs RBMK a corroboré ce point de vue. La possibilité que des carences de nature ergonomique aient pu contribuer à la catastrophe n’a pas été évoquée.

Les opérateurs quant à eux ont exprimé une opinion différente. Alors qu’il se mourait sur son lit d’hôpital, le chef de quart de la quatrième unité, A.F. Akimov, irradié par une dose de 1 500 rads (R) absorbée en un court laps de temps lors de l’accident, n’a cessé de répéter à ses parents qu’il avait bien agi et qu’il n’arrivait pas à comprendre comment la situation avait pu en arriver là. Ses déclarations traduisaient une confiance absolue dans un réacteur réputé totalement sûr. Akimov a ajouté qu’il n’avait rien à reprocher à son équipe. Les autres opérateurs étaient persuadés eux aussi que leurs interventions avaient été conformes aux règles; ils n’ont fait mention à aucun moment d’une explosion (notons que c’est seulement après l’accident de Tchernobyl que la possibilité d’un comportement dangereux du réacteur dans certaines conditions a été mentionnée dans les règles de sécurité). Cependant, un fait éloquent, au vu des problèmes de conception révélés par la suite, est que les opérateurs n’ont pas compris pourquoi la descente des barres dans le cœur du réacteur avait causé une si terrible explosion, au lieu d’interrompre immédiatement la réaction nucléaire, comme elle aurait dû le faire. En d’autres termes, les opérateurs avaient agi correctement, en se conformant aux instructions de maintenance et au modèle de réacteur qu’ils avaient à l’esprit, mais l’installation telle qu’elle avait été conçue ne correspondait pas à ce modèle.

Six personnes, appartenant toutes aux cadres de l’usine, ont été condamnées, au vu des pertes en vies humaines, pour avoir violé les règles de sécurité relatives aux installations potentiellement explosives. Le président du tribunal a certes fait allusion à la poursuite de l’enquête et à «ceux qui n’avaient pas pris des mesures pour améliorer la conception de la centrale». Il a également évoqué la responsabilité des officiels, des autorités locales et des services de santé, mais, en réalité, il était clair que le dossier était clos. Personne d’autre n’a été déclaré responsable de la plus grande catastrophe de l’histoire du nucléaire.

Il est toutefois essentiel que tous les facteurs qui se sont conjugués pour aboutir à cette catastrophe soient étudiés afin d’en tirer les leçons indispensables pour la sûreté du fonctionnement futur des centrales nucléaires.

Le rôle du secret et le monopole de l’information dans la recherche et l’industrie

La défaillance de la relation opérateur-machine qui a entraîné «Tchernobyl 86» peut être attribuée dans une certaine mesure à la politique du secret et au monopole de l’information qui ont régi la communication technologique au sein de l’establishment soviétique de l’énergie nucléaire. Un petit groupe de scientifiques et de chercheurs jouissaient seuls du droit absolu de définir les principes et les procédures de base en matière d’énergie nucléaire, et leur monopole était protégé par la politique du secret d’Etat. De ce fait, les assurances données par les scientifiques soviétiques sur la sûreté absolue des centrales nucléaires ne furent jamais mises en cause pendant 35 ans; le secret masquait en réalité l’incompétence des responsables du nucléaire civil. Incidemment, on a appris récemment que ce secret s’étendait également aux informations relatives à l’accident de Three Mile Island; le personnel d’exploitation des centrales nucléaires soviétiques n’avait pas été pleinement informé sur cet accident: seuls quelques éléments d’information bien choisis, et qui ne contredisaient pas le point de vue officiel sur la sécurité des centrales nucléaires, furent divulgués. Un rapport sur les aspects ergonomiques de l’accident de Three Mile Island, présenté par l’auteur en 1985, ne fut pas communiqué aux personnes concernées par la sûreté et la fiabilité des centrales nucléaires.

Aucun accident de centrale nucléaire soviétique n’a jamais été rendu public, à l’exception de ceux survenus en Arménie et à Tchernobyl (en 1982), qui firent l’objet de quelques lignes dans la Pravda. En cachant la situation réelle et en négligeant ainsi de tirer profit des enseignements de ces accidents, les responsables de l’industrie nucléaire s’exposaient inévitablement à l’accident de Tchernobyl en 1986, éventualité qui s’annonçait d’autant plus aisément qu’on se faisait une idée simpliste du rôle des opérateurs et que les risques d’exploitation des centrales nucléaires étaient sous-estimés.

Comme l’a déclaré en 1990 un membre du Comité officiel d’experts sur les conséquences de l’accident de Tchernobyl: «Pour ne plus nous tromper, nous devons admettre toutes nos erreurs et les analyser. Il est indispensable de déterminer quelles erreurs étaient dues à notre inexpérience et quelles autres étaient en réalité une tentative délibérée de cacher la vérité».

L’accident de Tchernobyl en 1986

La mauvaise planification du test

Le 25 avril 1986, la quatrième unité de la centrale nucléaire de Tchernobyl (Tchernobyl 4) était en cours de préparation pour une opération normale de maintenance. Il avait été prévu d’arrêter l’unité et de procéder à un test avec les systèmes de sécurité privés de leurs sources normales d’énergie. Cet essai aurait dû être effectué avant la mise en service initiale de Tchernobyl 4. Cependant, le Comité d’Etat était si pressé d’exploiter l’unité qu’il avait décidé de remettre à plus tard certains tests jugés «sans importance». Le certificat de réception fut donc signé fin 1982. L’ingénieur en chef adjoint agissait conformément au plan initial qui prévoyait un test sur une unité totalement désactivée; il avait établi la planification et le déroulement du test sur la base de cette hypothèse implicite. Le test ne fut en aucune manière effectué à son initiative.

Le programme de test fut approuvé par l’ingénieur en chef. Les alimentations électriques devaient être fournies durant le test par l’énergie résiduelle du rotor de la turbine (tournant sur son inertie). En effet, aussi longtemps qu’il tourne, le rotor fournit de l’électricité qui peut être utilisée en cas d’urgence. La perte totale de courant dans une centrale nucléaire entraîne l’arrêt de tous les mécanismes, y compris des pompes qui assurent la circulation du réfrigérant dans le cœur du réacteur; si celui-ci n’est pas refroidi, il entre en fusion et provoque un accident grave. L’expérience visait à tester la possibilité d’utiliser un autre moyen — la rotation de la turbine sous l’effet de son inertie — pour produire de l’énergie. Il n’est pas interdit de procéder à des essais de ce genre dans des centrales en fonctionnement pour autant qu’une procédure adéquate ait été mise au point et que des précautions spéciales de sécurité aient été prises. Il convient notamment de prévoir une source d’alimentation de secours pendant toute la durée du test. En d’autres termes, la perte de l’alimentation doit être seulement implicite et jamais réelle. Le test ne doit avoir lieu qu’après la mise à l’arrêt du réacteur, c’est-à-dire après avoir actionné la commande d’arrêt d’urgence et abaissé les barres de refroidissement dans le cœur du réacteur. Avant cela, le réacteur doit être dans un régime stable sous contrôle offrant une marge de réactivité spécifiée dans le processus opératoire, c’est-à-dire avec au moins 28 à 30 barres descendues.

Le programme approuvé par l’ingénieur en chef de la centrale de Tchernobyl ne répondait à aucune de ces exigences. En outre, il prévoyait la fermeture du système de refroidissement de secours du cœur (SRSC), compromettant ainsi la sécurité de la centrale pendant toute la durée du test (environ 4 heures). Lors de l’élaboration du programme, les responsables avaient pris en compte l’éventualité d’un déclenchement du SRSC, éventualité qui les aurait empêchés d’exécuter le test de rotation inertielle. La méthode de purge n’était pas spécifiée dans le programme puisque la turbine n’avait plus besoin de vapeur. De toute évidence, les personnes impliquées étaient totalement ignorantes du comportement physique des réacteurs. Il est certain qu’il y avait aussi des personnes non qualifiées parmi les responsables de l’industrie nucléaire, ce qui expliquerait pourquoi elles n’ont émis aucun commentaire lorsque le programme fut soumis à l’approbation des autorités compétentes en janvier 1986. Le fait que l’on ait pu sous-estimer les risques ne saurait être exclu. La politique du secret entourant la technologie nucléaire avait donné le sentiment que les centrales nucléaires étaient sûres et fiables et qu’elles fonctionnaient sans accident. L’absence d’une réponse officielle au programme des tests n’alerta cependant pas le directeur de la centrale de Tchernobyl sur la possibilité d’un danger. Il décida de procéder au test en utilisant le programme non certifié, bien que cela fût interdit.

Le changement dans le programme du test

Durant l’exécution du test, le personnel a enfreint le programme lui-même, créant ainsi des risques accrus d’accident. Le personnel de Tchernobyl a commis six erreurs et infractions grossières. Selon le programme établi, le SRSC devait être rendu inopérant, ce qui était une faute des plus graves et des plus fatales. Les vannes de commande d’alimentation en eau avaient été préalablement fermées et verrouillées pour qu’il soit impossible de les rouvrir même manuellement. Le refroidissement d’urgence avait été délibérément mis hors service afin de prévenir un éventuel choc thermique suite à l’entrée d’eau froide dans le cœur chaud. Cette décision était fondée sur la ferme conviction que le réacteur tiendrait. Cette foi dans le réacteur était renforcée par les dix années où la centrale avait fonctionné pratiquement sans problème. Même l’alerte grave de la fusion partielle du cœur dans la première tranche de Tchernobyl, en 1982, fut ignorée.

Le programme initial prévoyait que le test de rotation inertielle du rotor se ferait à un niveau de puissance de 700 à 1 000 MWth (mégawatts de puissance thermique), avec le réacteur à l’arrêt. Malheureusement, c’est la solution inverse qui a été choisie, puisqu’il a été décidé de procéder au test avec le réacteur encore en fonctionnement. Ce choix, qui devait se révéler désastreux, visait à assurer la «pureté» de l’expérience.

Il est parfois nécessaire, dans certaines conditions de fonctionnement, d’ajuster ou d’arrêter un système local commandant des groupes de barres de contrôle. Lorsqu’un système local fut arrêté (la marche à suivre est spécifiée dans la procédure de fonctionnement à basse puissance), l’ingénieur en chef chargé du pilotage du réacteur tarda à corriger le déséquilibre introduit dans le système de commande. De ce fait, la puissance chuta au-dessous de 30 MWth, ce qui entraîna l’empoisonnement du réacteur par des produits de fission (xénon et iode). Dans un cas de ce genre, il est quasiment impossible de rétablir les conditions normales sans interrompre l’essai et sans attendre un jour jusqu’à ce que l’empoisonnement soit éliminé. Or, l’ingénieur en chef adjoint de l’exploitation a refusé d’interrompre l’essai et a contraint, en les harcelant verbalement, les opérateurs de la salle de contrôle à augmenter la puissance (qui avait été stabilisée à 200 MWth). Le processus d’empoisonnement du réacteur s’est alors poursuivi sans qu’il soit possible de faire remonter la puissance du fait de la faible marge de réactivité offerte avec 30 barres seulement pour un réacteur de grande puissance à tubes à haute pression (RBMK). Le réacteur est devenu pratiquement incontrôlable et potentiellement explosif parce que, en voulant stopper l’empoisonnement, les opérateurs avaient retiré plusieurs barres nécessaires au maintien de la marge de sécurité de la réactivité. Or, dans ces conditions, le système d’arrêt d’urgence ne pouvait plus remplir son rôle. Il fut néanmoins décidé de poursuivre l’essai, les opérateurs ayant de toute évidence envie d’en finir au plus vite.

Les problèmes dus à une conception erronée du réacteur et des barres de contrôle

Pour faire mieux comprendre les causes de l’accident, il est nécessaire de souligner les déficiences majeures qui existaient dans la conception des barres d’absorption du système de contrôle et de l’arrêt d’urgence. La hauteur du cœur est de 7 m, tandis que les barres ont une longueur absorbante de 5 m, encadrée par des parties creuses de 1 m à chaque extrémité. Les extrémités in- férieures des barres d’absorption, qui passent sous le cœur lorsqu’elles sont descendues à fond, sont remplies de graphite. Avec une telle conception, lorsque les barres de contrôle sont descendues, il y a d’abord 1 m de partie creuse qui pénètre dans le cœur avant que la partie absorbante ne soit insérée. A Tchernobyl 4, il y avait en tout 211 barres de contrôle, dont 205 étaient entièrement retirées. La réintroduction simultanée d’un si grand nombre de barres entraîne dans un premier temps une accélération transitoire de la réactivité (un pic dans l’activité de fission), étant donné que ce sont d’abord les extrémités remplies de graphite et les parties creuses qui pénètrent dans le cœur. Dans un réacteur stable, sous contrôle, un tel pic n’a rien de préoccupant mais, dans une combinaison de conditions défavorables, le regain d’activité peut se révéler fatal, car il conduit à un emballement du réacteur sous l’effet de l’augmentation instantanée de l’activité neutronique. La cause immédiate de cet accroissement de la réactivité initiale a été l’entrée en ébullition de l’eau dans le cœur. Cet accroissement traduisait une faiblesse particulière: un coefficient de cavitation positif de la vapeur résultant de la conception du cœur. Ce défaut de conception est l’une des fautes à l’origine des erreurs des opérateurs.

De graves défauts de conception dans le réacteur et les barres de contrôle ont en fait concouru à l’accident de Tchernobyl. En 1975, après l’accident de la centrale de Leningrad et par la suite, les spécialistes ont signalé le risque d’un autre accident au vu des défauts de conception du cœur. Six mois avant le désastre de Tchernobyl, un inspecteur de la sûreté à la centrale de Koursk avait envoyé une lettre à Moscou dans laquelle il attirait l’attention des responsables de la recherche et des études sur certaines insuffisances dans la conception du réacteur et des barres du système de protection et de contrôle. Le Comité de surveillance de l’Etat pour l’énergie nucléaire a estimé que ces arguments étaient sans fondement.

Le déroulement de l’accident lui-même

Les événements se sont déroulés de la manière suivante. Du fait du phénomène de cavitation dans la pompe de refroidissement du réacteur, le débit dans le cœur a baissé et le réfrigérant s’est mis à bouillir dans les tubes à haute pression. A ce moment précis, le chef de quart a appuyé sur la commande d’arrêt d’urgence, faisant ainsi plonger toutes les barres de contrôle (qui avaient été extraites) et les barres de sécurité dans le cœur du réacteur. Les premières parties à pénétrer dans le cœur furent les extrémités en graphite et les parties creuses des barres, qui provoquèrent un accroissement de la réactivité au moment même où l’on assistait à une production intense de vapeur. L’élévation de la température du cœur accéléra le processus. Il y a donc eu conjonction de trois conditions défavorables pour le cœur. Le réacteur s’est immédiatement emballé, en raison principalement de défauts grossiers dans la conception des réacteurs de type RBMK. Il faut rappeler que le SRCS avait été rendu inopérant, verrouillé et plombé.

La  suite  est  bien  connue.  Le  réacteur  a  été  endommagé. La majeure partie du combustible, du graphite et des autres composants du cœur a été projetée à l’extérieur. Le niveau de rayonnement au voisinage de l’unité endommagée a atteint 1 000 à 15 000 R/h, des niveaux nettement inférieurs ayant toutefois été enregistrés en certains endroits plus distants ou abrités.

Au début, le personnel n’a pas réalisé ce qui était arrivé et ne pouvait que répéter «C’est impossible! Tout a été fait dans les règles».

Les considérations ergonomiques relatives au rapport soviétique sur l’accident

Le  rapport  présenté  par  la  délégation  soviétique  à  la  réunion de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) au cours de l’été 1986 donnait évidemment des informations exactes sur l’explosion de Tchernobyl, mais, aujourd’hui encore on peut se demander s’il mettait bien l’accent là où il le fallait et s’il ne traitait pas les faiblesses de conception à la légère. D’après ce rapport, le personnel voulait terminer l’essai le plus vite possible. Considérant qu’ils ont enfreint la procédure de préparation et d’exécution des essais, qu’ils ont agi contrairement au programme d’essai lui-même et qu’ils ont manqué de prudence dans les opérations de contrôle du réacteur, il semblerait que les opérateurs n’étaient pas totalement conscients des processus qui se déroulaient dans le réacteur et avaient perdu tout sens du danger. Selon le rapport:

Les concepteurs du réacteur n’avaient pas prévu de systèmes de sécurité destinés à prévenir les accidents dans le cas d’une mise à l’arrêt délibérée des dispositifs de sûreté; dans le même temps, ils ont manifesté un non-respect des procédures opératoires, car ils considéraient cette combinaison comme improbable. La cause initiale de l’accident a donc été une inimaginable violation des procédures opératoires par le personnel de la centrale.

On a appris que la version initiale du rapport contenait après les mots «par le personnel de la centrale», le passage suivant: «ce qui montre qu’il y avait des défauts de conception du réacteur et des barres du système de protection et de contrôle».

Les concepteurs avaient exclu la possibilité que des «apprentis sorciers» puissent manipuler le système de commande de la centrale et n’avaient donc mis au point aucun mécanisme de sûreté intégré. Compte tenu du passage du rapport selon lequel les concepteurs jugeaient improbable la combinaison d’événements qui s’était effectivement produite, certaines questions se posent: les concepteurs avaient-ils envisagé toutes les situations possibles associées à l’activité humaine dans l’usine? Si oui, comment celles-ci avaient-elles été prises en compte dans la conception de la centrale? Malheureusement, la réponse à la première question est négative et des zones d’interaction opérateur-machine restent indéterminées. De ce fait, c’est sur la base d’un algorithme de contrôle primitif qu’étaient dispensées la formation aux situations d’urgence sur site et la formation théorique et pratique.

La conception des systèmes de commande assistés par ordinateur et des salles de contrôle des centrales nucléaires ne tenait pas compte des principes ergonomiques. On peut citer un exemple particulièrement grave: celui de l’affichage d’un paramètre essentiel de l’état du cœur, à savoir le nombre de barres de contrôle et de sécurité dans le cœur du réacteur. Ce paramètre était inscrit sur le tableau de contrôle de Tchernobyl 4 d’une manière inadaptée à la perception et à la compréhension. Seule l’expérience des opérateurs à interpréter les indications affichées permettait de surmonter cette carence.

Des erreurs de calcul et la méconnaissance des facteurs humains ont eu pour effet de créer une bombe à retardement. Il faut souligner que la conception défectueuse du cœur et du système de contrôle a constitué une base fatale pour les erreurs commises ultérieurement par les opérateurs. Aussi, la cause principale de l’accident doit être attribuée à une conception inadéquate de l’interface opérateur-machine. Les enquêteurs ont appelé au «respect de l’ergonomie et de l’interface opérateur-machine; c’est la leçon que Tchernobyl nous apporte». Malheureusement, il est difficile de se défaire des vieilles approches et des schèmes de pensée stéréotypés.

Dès 1976, l’académicien P.L. Kapitza semblait pressentir un désastre pour des raisons qui auraient pu être pertinentes pour prévenir un Tchernobyl, mais ses craintes ne furent rendues publiques qu’en 1989. En février 1976, l’hebdomadaire US News and World Report publiait un rapport sur l’incendie qui s’était déclaré sur le site nucléaire de Browns Ferry, en Californie. Kapitza avait été si troublé par cet accident qu’il en fit mention dans le rapport sur l’énergie et les problèmes à l’échelle mondiale qu’il présenta à Stockholm, en mai 1976, sous le titre «Global problems and energy». Kapitza indiquait notamment:

Cet accident met en lumière l’inadéquation des méthodes mathématiques utilisées pour calculer la probabilité de tels événements, étant donné qu’elles ne tiennent pas compte du risque d’erreurs humaines. Pour résoudre ce problème, il faut prévoir des mesures visant à empêcher qu’un accident nucléaire ne prenne un cours catastrophique.

Kapitza voulait publier son rapport dans le magazine Nauka i Zhizn (Science et Vie), mais cette autorisation lui fut refusée pour la raison qu’il ne fallait pas «effrayer la population». La revue suédoise Ambio lui avait demandé de pouvoir publier son article, mais elle ne l’a jamais fait.

L’Académie des sciences affirma à Kapitza que de tels accidents ne pouvaient pas se produire en URSS et, comme «preuve» définitive, lui transmit les Règles de sécurité des centrales nucléaires, qui venaient d’être publiées. Ces règles contenaient la disposition suivante: «8.1. Les actions du personnel en cas d’accident nucléaire sont déterminées par la procédure prévue pour traiter les conséquences de l’accident!».

L’après-Tchernobyl

Conséquence directe ou indirecte de l’accident de Tchernobyl, des mesures sont en voie d’élaboration et d’application pour assurer la sûreté de fonctionnement des centrales nucléaires existantes et améliorer la conception et la réalisation des centrales futures. En particulier, des mesures ont été prises pour rendre le système d’arrêt d’urgence plus rapide et exclure la possibilité qu’il soit délibérément mis hors d’usage par le personnel. La conception des barres de contrôle a été modifiée, et leur nombre augmenté.

En outre, alors que les instructions relatives aux conditions anormales en vigueur avant Tchernobyl stipulaient que le réacteur devait rester en fonctionnement, la procédure actuelle demande qu’il soit arrêté. Les nouveaux réacteurs devraient avoir, de par leur construction, une sûreté de fonctionnement intégrée. De nouveaux domaines de recherche, ignorés ou inexistants avant Tchernobyl, sont apparus; citons notamment les analyses des probabilités d’incidents et les tests sur banc d’essai.

Cependant, selon l’ancien ministre de l’Energie nucléaire et de l’Industrie de l’ex-URSS, V. Konovalov, le nombre des défaillances, des arrêts non programmés et des incidents demeure élevé. Les études montrent que cette situation est due principalement à la mauvaise qualité des composants livrés, aux erreurs humaines et aux solutions inadéquates retenues par les bureaux d’études. La qualité des travaux de construction et d’installation laisse, elle aussi, beaucoup à désirer.

Les modifications et reprises de conception sont devenues pratique courante. De ce fait, et en raison aussi d’une formation insuffisante, les qualifications des agents d’exploitation ne sont pas satisfaisantes. Ce personnel doit améliorer ses connaissances et ses compétences sur le tas, en s’appuyant sur l’expérience acquise dans la conduite de la centrale.

Les leçons qui restent à tirer sur le plan de l’ergonomie

Un système de contrôle de la sécurité, aussi efficace et élaboré soit-il, ne pourra assurer à lui seul la fiabilité d’une installation: les facteurs humains doivent eux aussi être pris en compte. L’Institut scientifique et de recherche sur les centrales nucléaires de l’ancienne Union soviétique étudie la formation professionnelle à dispenser aux personnels de ces installations et compte donner une forte impulsion à cet effort. Il faut cependant reconnaître que l’ergonomie n’est pas encore totalement intégrée aux activités de conception, de construction, d’essai et d’exploitation des centrales nucléaires.

En réponse à une enquête officielle, l’ancien ministre de l’Energie nucléaire et de l’Industrie de l’ex-URSS disait en 1988 que, pour la période de 1990 à 2000, il n’y avait pas besoin de spécialistes en ergonomie de niveau secondaire et supérieur, car il n’y avait pas de demandes en ce sens émanant des entreprises et centrales nucléaires.

La résolution d’une grande partie des problèmes soulevés dans le présent article exige des travaux combinant recherche et développement, avec la participation de physiciens, de concepteurs, d’ingénieurs, de personnels d’exploitation et de spécialistes en ergonomie, psychologie et autres disciplines. L’organisation d’un tel effort conjoint présente de grandes difficultés; deux d’entre elles, particulièrement critiques, ont trait au maintien du monopole de certains scientifiques et groupes de scientifiques sur la «vérité» en matière d’énergie nucléaire, et du monopole des personnels d’exploitation sur les informations relatives au fonctionnement des centrales nucléaires. Sans l’accès à une information exhaustive, il est impossible de poser un diagnostic ergonomique sur une centrale nucléaire et de proposer, au besoin, des moyens d’éliminer les déficiences et de mettre sur pied un ensemble de mesures en vue de prévenir les accidents.

Les moyens dont disposent aujourd’hui les centrales nucléaires de l’ex-URSS en matière de diagnostic, de contrôle et d’informatisation sont encore loin des normes internationales reconnues: leurs méthodes d’exploitation sont inutilement complexes et confuses, il n’existe pas de programme avancé pour la formation du personnel, les concepteurs s’impliquent très peu au niveau de l’exploitation et les manuels d’opération sont présentés sous une forme particulièrement désuète.

Conclusion

En septembre 1990, suite à des enquêtes plus poussées, deux anciens agents d’exploitation de Tchernobyl ont été libérés avant la fin de leur peine. Quelque temps après, tous les autres ont bénéficié d’une libération anticipée. Nombreux sont ceux qui, parmi les personnes impliquées dans la fiabilité et la sûreté des centrales nucléaires, estiment aujourd’hui que le personnel de Tchernobyl a bien agi à l’époque, même si ses décisions ont abouti à une explosion. Il ne saurait être tenu pour responsable de l’ampleur imprévue de l’accident.

Pour déterminer les responsabilités dans la catastrophe, le tribunal s’est fondé essentiellement sur l’avis des spécialistes techniques qui, en l’occurrence, étaient les concepteurs de la centrale. D’où une leçon encore plus importante à tirer de Tchernobyl: aussi longtemps que le principal document invoqué par les juristes pour établir les responsabilités dans les catastrophes survenant dans des installations aussi complexes qu’une centrale nucléaire consistera en instructions de service établies et modifiées exclusivement par les concepteurs des installations incriminées, il sera techniquement très difficile de trouver les causes réelles des catastrophes et de prendre toutes les précautions nécessaires pour en éviter le retour.

Il reste en outre la question de savoir si le personnel d’exploitation doit se conformer strictement aux instructions en cas de catastrophe ou s’il doit agir en faisant appel à ses connaissances, son expérience et son intuition, ce qui pourrait l’amener à contrevenir aux consignes établies ou à s’exposer inconsciemment à la menace de sanctions graves.

Il faut malheureusement reconnaître que la question «Qui est coupable de l’accident de Tchernobyl?» n’a pas encore trouvé de réponse. Les responsables doivent être recherchés parmi les politiques, les physiciens, les fonctionnaires et les opérateurs, ainsi que parmi les ingénieurs des bureaux d’études. Condamner de simples lampistes, comme dans le cas de Tchernobyl, ou faire bénir les centrales nucléaires par des prêtres — comme ce fut le cas en 1991 pour le site de Smolensk, qui connaissait des incidents à répétition — ne sont pas des mesures propres à assurer la sûreté et la fiabilité de fonctionnement des centrales nucléaires.

Ceux qui considèrent que la catastrophe de Tchernobyl ne fut qu’une nuisance malheureuse qui ne se reproduira jamais doivent réaliser que tout être humain commet des erreurs — non seulement les agents d’exploitation, mais aussi les scientifiques et les ingénieurs. La méconnaissance ou l’ignorance délibérée des principes ergonomiques dans les interactions opérateur-machine expose à de graves erreurs.

Les installations techniques telles que les centrales nucléaires doivent être conçues pour que leurs éventuelles défaillances soient découvertes avant qu’un accident grave ne survienne. De nombreux principes ergonomiques sont en réalité le fruit des recherches faites en vue de prévenir les erreurs, par exemple dans la conception des dispositifs d’affichage et de commande. Il n’en reste pas moins qu’aujourd’hui encore, ces principes sont trop souvent ignorés dans le monde entier.

Le personnel chargé de l’exploitation d’installations complexes doit être hautement qualifié, non seulement pour les opérations de routine, mais également pour les procédures à appliquer en cas d’anomalies. Une solide connaissance de la physique et des techniques appliquées aidera le personnel à mieux réagir dans des situations critiques. Les qualifications indispensables ne peuvent être acquises que par une formation intensive.

Les améliorations apportées sans cesse aux interfaces opérateur-machine dans toutes sortes d’applications techniques, souvent à la suite d’accidents mineurs ou majeurs, montrent que le problème des erreurs humaines est loin d’être résolu. Il est nécessaire de poursuivre les recherches et de mettre en pratique les résultats obtenus en vue de fiabiliser les interactions opérateur-machine, spécialement lorsqu’il s’agit de technologies à pouvoir élevé de destruction comme l’énergie nucléaire. Tchernobyl est un sévère avertissement de ce qui peut arriver si les personnes concernées (scientifiques, ingénieurs, fonctionnaires, responsables politiques, etc.) négligent d’inclure l’ergonomie dans les processus de conception et de conduite d’installations techniques complexes. Hans Blix, directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique, a mis l’accent sur ce problème en adaptant la citation célèbre selon laquelle la guerre est une chose trop sérieuse pour être laissée aux seuls généraux et en déclarant: «les problèmes de l’énergie nucléaire sont bien trop sérieux pour les abandonner aux seuls experts nucléaires».

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