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Chapitre 53 - Les risques pour la santé liés à l'environnement

LES RISQUES POUR LA SANTÉ LIÉS À L’ENVIRONNEMENT

Annalee Yassi et Tord Kjellström

Le développement, et l’industrialisation en particulier, ont contribué considérablement à la santé, y compris en facilitant l’épanouissement personnel et social, ainsi qu’en améliorant sensiblement les services sanitaires et éducatifs, les transports et les communications. Il ne fait aucun doute qu’à l’échelle mondiale les gens vivent plus longtemps et en meilleure santé que dans les siècles ou même les décennies passés. Cependant, l’industrialisation a aussi des retombées négatives sur la santé, non seulement de la main-d’œuvre, mais aussi de la population en général. Ces effets sont attribuables soit directement à l’existence de problèmes de sécurité et d’agents nocifs, soit indirectement à une dégradation de l’environnement au niveau local et planétaire (voir l’article «La pollution industrielle dans les pays en développement» dans le présent chapitre).

Cet article décrit la nature des risques pour la santé liés à l’environnement et les raisons pour lesquelles on fait le lien entre la santé en relation avec l’environnement (dite santé environnementale) et la santé au travail.

Qu’ils soient attribuables à l’environnement ou au travail, les risques sanitaires peuvent être d’ordre biologique, chimique, physique, biomécanique ou psychosocial. Dans les risques pour la santé liés à l’environnement, on range les risques classiques créés par de mauvaises conditions d’hygiène et de logement, ainsi que la pollution agricole et industrielle de l’air, de l’eau, des aliments et des sols. Ces risques s’accompagnent de multiples incidences sur la santé, allant de catastrophes qui en découlent directement (comme l’épidémie de choléra en 1991 en Amérique latine et les nombreux cas d’intoxication d’origine chimique à Bhopal, en Inde) à des effets chroniques (comme à Minamata, au Japon), ou bien à des effets subtils, indirects, voire contestés (par exemple, à Love Canal, aux Etats-Unis). Le tableau 53.1 est un résumé de quelques grandes catastrophes notoires survenues pendant la deuxième moitié du siècle dernier et qui ont provoqué une éclosion de «maladies environnementales». Il existe indéniablement une foule d’autres exemples de flambées de maladies, dont certaines ne sont pas faciles à détecter au niveau macrostatistique. Pendant ce temps, plus d’un milliard de personnes dans le monde n’ont pas accès à l’eau potable (OMS, 1992c) et plus de six cents millions d’individus vivent dans des milieux dont la teneur en dioxyde de soufre dépasse largement les niveaux recommandés. En outre, les pressions qui s’exercent sur l’agriculture et sur la production alimentaire en raison de l’augmentation de la population et de la demande par habitant vont probablement mettre davantage l’environnement à rude épreuve (voir l’article «L’alimentation et l’agriculture» dans le présent chapitre). Les conséquences de la qualité de l’environnement sur la santé englobent donc les effets indirects d’une dégradation par l’industrie des conditions d’alimentation et de logement, et une détérioration des systèmes mondiaux dont dépend la santé de la planète.

Tableau 53.1 Quelques épisodes majeurs de «maladies environnementales»

Lieu et année

Risque environnemental

Type de maladie

Nombre de victimes

Londres, Royaume-Uni, 1952

Pollution atmosphérique grave par du dioxyde de soufre et des particules en suspension

Multiplication des affections cardiaques et pulmonaires

3 000 morts, de nombreux malades

Toyama, Japon, années cinquante

Cadmium dans du riz

Affections rénales et osseuses (maladie «Itai-itai»)

200 personnes gravement atteintes et beaucoup d’autres plus légèrement

Sud-est de la Turquie, 1955-1961

Hexachlorobenzène dans des semences

Porphyrie; affection neurologique

3 000

Minamata, Japon, 1956

Méthylmercure dans du poisson

Affection neurologique («maladie de Minamata»)

200 personnes gravement atteintes, 2 000 cas suspectés

Villes américaines, années soixante-soixante-dix

Plomb dans de la peinture

Anémie, troubles comportementaux et mentaux

Plusieurs milliers

Fukuoka, Japon, 1968

Biphényles polychlorés (BPC) dans de l’huile alimentaire

Dermatoses, faiblesse générale

Plusieurs milliers

Irak,1972

Méthylmercure dans des semences

Affections neurologiques

500 morts, 6 500 personnes hospitalisées

Madrid, Espagne, 1981

Aniline ou autres toxines dans de l’huile alimentaire

Divers symptômes

340 morts, 20 000 cas

Bhopal, Inde, 1985

Méthylisocyanate

Pneumopathie aiguë

2 000 morts, 200 000 personnes empoisonnées

Californie, Etats-Unis, 1985

Pesticide au carbamate dans des pastèques

Troubles gastro-intestinaux, troubles musculo-squelettiques, affections des systèmes nerveux autonome et central (maladie du carbamate)

1 376 cas signalés attribuables à la consommation, 17 personnes gravement atteintes

Tchernobyl, URSS, 1986

Iode 134, césium 134 et césium 137 provenant de l’explosion d’un réacteur

Mal des rayons (augmentation du nombre de cancers et d’affections de la thyroïde chez les enfants)

300 blessés, 28 décédés dans les 3 mois, plus de 600 cas de cancers thyroïdiens

Goiânia, Brésil, 1987

Césium 137 provenant d’une machine de traitement du cancer abandonnée

Maladies radio-induites (suivi continu des expositions in utero)

Quelque 240 personnes ont été contaminées et 2 sont mortes

Pérou, 1991

Epidémie de choléra

Choléra

139 morts, plusieurs milliers de malades

Dans beaucoup de pays, l’agriculture intensive et, parallèlement, l’emploi massif de pesticides toxiques portent gravement atteinte à la santé des travailleurs et de leur famille. La pollution par les engrais ou par les déchets biologiques des industries alimentaire, papetière et autres peut également avoir des effets nocifs sur les cours d’eau, en réduisant les prises de poissons et autres organismes destinés à l’alimentation. Les pêcheurs et les récolteurs d’autres produits de la mer doivent parfois aller beaucoup plus loin pour effectuer leurs prises quotidiennes et courent de la sorte des risques accrus de noyade et autres types d’accidents. La propagation de maladies tropicales du fait des mutations écologiques liées à des activités comme la construction de barrages ou de routes constitue un autre type de risques pour la santé environnementale. Un nouveau barrage peut créer des zones de reproduction pour la schistosomiase, maladie débilitante qui touche les riziculteurs travaillant les pieds dans l’eau. La construction d’une nouvelle route peut accélérer la communication entre une région où le paludisme est endémique et une autre jusque-là épargnée par cette maladie.

Il faut souligner que la principale cause d’un environnement nocif au travail ou en général est la pauvreté. Les menaces classiques qui pèsent sur la santé dans les pays en développement ou dans les secteurs démunis de n’importe quel pays comprennent une mauvaise qualité des installations sanitaires, de l’eau et des aliments, propice à la transmission de maladies, de piètres logements qui sont très exposés à la fumée de cuisson et à des risques d’incendie, ainsi que des risques d’accident importants dans les petites exploitations agricoles, et dans l’industrie à domicile.

La réduction de la pauvreté et l’amélioration des conditions de vie et de travail sont essentielles à une amélioration de la santé au travail et de la santé environnementale pour des milliards de personnes. En dépit des efforts déployés en faveur des économies d’énergie et du développement durable, l’incapacité de s’attaquer à la répartition inéquitable sous-jacente de la richesse menace l’écosystème planétaire. Les forêts, par exemple, qui représentent l’aboutissement du cycle écologique, sont détruites à un rythme alarmant, à cause de l’abattage et du défrichement commerciaux que pratiquent des populations appauvries pour cultiver et se procurer du bois de feu. Le déboisement cause, entre autres, une érosion des sols qui, si elle est extrême, peut conduire à la désertification. La diminution de la biodiversité est une conséquence importante (voir l’article «L’extinction d’espèces, la diminution de la biodiversité et la santé humaine» dans le présent chapitre). On estime qu’un tiers des émanations de dioxyde de carbone proviennent du brûlage de forêts tropicales (le rôle des ces émanations dans le réchauffement de la planète est analysé dans l’article intitulé «Le changement climatique à l’échelle planétaire et l’appauvrissement en ozone» dans ce même chapitre). Lorsqu’on s’intéresse à la santé environnementale à l’échelle de notre planète, il est donc impératif de s’attaquer à la pauvreté autant qu’au bien-être des individus, des populations locales, voire de régions tout entières.

Pourquoi associer santé environnementale et santé au travail

Le principal lien entre le milieu de travail et l’environnement général tient au fait que l’origine du danger est habituellement la même, qu’il s’agisse d’une activité agricole ou d’une activité industrielle. Dans la lutte contre les risques sanitaires, la même démarche devrait permettre d’obtenir de bons résultats dans l’un et l’autre secteurs. Cela est particulièrement vrai du choix de substances chimiques pour la production. S’il est possible d’obtenir un résultat ou un produit acceptable à l’aide d’une substance chimique relativement peu toxique, le choix de cette dernière peut conduire à une atténuation ou même à une élimination des risques sanitaires, en utilisant, par exemple, des peintures à base d’eau, plus sûres que les peintures à base de solvants organiques toxiques, ou encore en préférant, chaque fois que possible, les méthodes non chimiques de lutte contre les parasites. En fait, notamment dans les pays en développement, il n’existe fréquemment aucune séparation entre logement et lieu de travail; autrement dit, on a affaire exactement au même milieu.

Il est aujourd’hui bien admis que les connaissances scientifiques et la formation nécessaires pour évaluer et limiter les risques qui pèsent sur la santé environnementale sont, pour la plupart, les mêmes que les compétences et connaissances requises pour faire face aux risques sanitaires qui existent sur le lieu de travail. La toxicologie, l’épidémiologie, l’hygiène du travail, l’ergonomie et les techniques de sécurité — en fait, les disciplines dont il est précisément question dans cette Encyclopédie — sont les outils de base de la science de l’environnement. Le processus d’évaluation et de gestion des risques est aussi le même: définition des dangers, classement des risques, évaluation du degré d’exposition et estimation des risques. On procède ensuite à un jugement des méthodes de lutte, à un abaissement de l’exposition, à une information du public sur les risques et à l’instauration d’un programme de surveillance continue de l’exposition et des risques. C’est pourquoi la santé au travail et la santé environnementale sont étroitement liées par des méthodes communes, en particulier pour l’appréciation de l’état de santé et la diminution de l’exposition.

Souvent, c’est à la suite de l’observation de problèmes de santé parmi les travailleurs que l’on prend conscience des risques liés à l’environnement qui menacent la santé et c’est indubitablement au travail que les retombées des expositions de nature industrielle sont les mieux comprises. Les données dont on dispose en matière d’effets sur la santé proviennent en général de l’une des trois sources suivantes: des expériences sur des animaux, ou autres, en laboratoire (avec des cobayes ou avec contrôle sur des humains), des expositions accidentelles d’un niveau élevé ou encore d’études épidémiologiques qui font habituellement suite à de telles expositions. Pour réaliser une étude épidémiologique, il faut savoir définir à la fois la population touchée et la nature de l’exposition et son degré, et vérifier l’existence des retombées sur la santé. En général, il est plus facile de définir un groupe de travailleurs qu’une population, surtout dans le cas d’une population qui n’est pas stable; la nature de l’exposition et son intensité parmi les divers membres de la cohorte sont généralement plus clairement déterminés dans un milieu de travail que dans une communauté; il est presque toujours plus aisé de cerner les conséquences d’une forte exposition que les changements plus subtils attribuables à une faible exposition. Il arrive bien que l’on relève en dehors des usines des taux d’exposition proches des pires résultats enregistrés dans le cadre professionnel (par exemple, exposition au cadmium provoquée par l’exploitation minière en Chine et au Japon, émanations de plomb et de cadmium provenant de fonderies en haute Silésie (Pologne)), mais les niveaux d’exposition sont habituellement beaucoup plus élevés chez les travailleurs que dans la population environnante (OMS, 1992c).

Etant donné que les retombées sur la santé sont plus visibles parmi les travailleurs, l’information concernant les effets de nombreux produits toxiques en milieu de travail (comme ceux de métaux lourds tels que le plomb, le mercure, l’arsenic et le nickel, et des cancérogènes avérés tels que l’amiante) sert à calculer le risque que court la collectivité tout entière. S’agissant du cadmium, par exemple, on a signalé dès 1942 des cas d’ostéomalacie accompagnée de fractures multiples chez des travailleurs d’une fabrique de piles alcalines en France. Dans les années cinquante et soixante, l’intoxication au cadmium passait pour une maladie strictement professionnelle. Mais les données recueillies dans les entreprises ont aidé à faire reconnaître que l’ostéomalacie et les troubles rénaux observés au Japon à cette époque, la maladie «Itai-itai», étaient biens dus à une contamination du riz par une eau contenant du cadmium d’origine industrielle utilisée en irrigation (Kjellström, 1986). Cette épidémiologie professionnelle a ainsi permis d’enrichir sensiblement les connaissances sur les effets d’une exposition au milieu ambiant et a été une raison supplémentaire de lier les deux domaines.

A l’échelle individuelle, les maladies professionnelles nuisent au bien-être au domicile et dans la collectivité; à l’échelle universelle, un individu qui souffre de mauvaises conditions à domicile et dans la collectivité ne peut être productif au travail.

D’un strict point de vue scientifique, il importe de considérer les expositions dans leur ensemble (environnementales et professionnelles) pour avoir une idée exacte de leurs conséquences pour la santé et pour établir le rapport existant entre le degré d’exposition et la réaction. L’exposition aux pesticides est un exemple classique de cas dans lesquels, à l’exposition professionnelle, peut venir se greffer une très forte exposition environnementale par une contamination des aliments et des sources hydriques et par le contact avec un air vicié à l’extérieur du travail. Parmi les événements recensés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) (OMS, 1991) dans lesquels plus de 100 intoxications étaient dues uniquement à des aliments contaminés, plus de 15 000 cas et plus de 1 500 décès pouvaient être attribués à l’absorption de pesticides. Une étude sur des cultivateurs de coton en Amérique centrale qui utilisaient des pesticides a démontré que non seulement très peu d’entre eux disposaient de vêtements de protection, mais que presque tous vivaient à moins de 100 m des champs de coton et beaucoup dans des logements temporaires sans murs qui les protègent pendant l’épandage aérien de pesticides. En outre, les travailleurs se lavaient souvent dans des canaux d’irrigation contenant des résidus de pesticides et se trouvaient ainsi d’autant plus exposés (Michaels, Barrera et Gacharna, 1985). Pour comprendre ce qui lie l’exposition aux pesticides et les problèmes sanitaires recensés, il convient de prendre en considération toutes les sources d’exposition. En évaluant le degré d’exposition tant au travail que dans le milieu ambiant, on ne peut qu’améliorer l’exactitude des données recueillies de part et d’autre.

Les problèmes de santé liés au travail et à l’environnement sont particulièrement graves dans les pays en développement qui appliquent plus rarement des méthodes bien établies pour limiter les risques parce qu’ils sont peu conscients des dangers, parce que la protection de la santé et de l’environnement n’est pas vraiment une priorité politique, parce que les ressources sont restreintes, et parce qu’ils n’ont pas de systèmes efficaces de gestion de la santé au travail et de la santé environnementale. Un obstacle important à la limitation des risques environnementaux dans beaucoup de régions du monde tient au nombre insuffisant de gens formés de manière adéquate. On peut lire que les pays en développement pâtissent d’une sérieuse pénurie d’experts en santé au travail (Noweir, 1986). En 1985, un comité d’experts de l’OMS a aussi conclu qu’ils manquaient cruellement de personnel formé dans le domaine de l’hygiène du milieu; d’ailleurs, le plan Action 21 adopté par la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (CNUED, 1992a) désigne la formation (renforcement des capacités nationales) comme étant un élément clé du travail de promotion de la santé humaine par le développement durable. Quand on ne dispose que de maigres ressources, il n’est pas possible de former un groupe d’individus à prendre en charge les problèmes de santé sur le lieu du travail et un autre à s’occuper des risques survenant à l’extérieur.

Les pays développés eux-mêmes font beaucoup d’efforts pour mieux utiliser les ressources en formant et en employant des professionnels de la santé au travail et en relation avec l’environnement. Aujourd’hui, les entreprises doivent trouver les moyens de gérer leurs affaires avec logique et efficacité, compte tenu des obligations qui leur incombent, de la loi et de la politique financière qu’impose le cadre sociétal. Une façon d’y parvenir est de regrouper sous un même toit la santé au travail et la santé environnementale.

Au moment de concevoir un lieu de travail et d’arrêter des stratégies d’hygiène industrielle, il est capital de prendre en compte un large éventail de questions environnementales. Le remplacement d’une substance par une autre moins toxique peut aller dans le sens d’une meilleure hygiène du travail, mais, si cette nouvelle substance n’est pas biodégradable, ou si elle endommage la couche d’ozone, ce n’est pas une solution à retenir, car elle ne fait que déplacer le problème. Les chlorofluorocarbures, actuellement très utilisés comme réfrigérants de préférence à l’ammoniac plus dangereux, sont un exemple classique de solution de remplacement dont on sait aujourd’hui qu’elle n’est pas écologique. En liant la santé au travail à celle du milieu, on réduit ainsi le risque de prendre des décisions inadéquates pour limiter le degré d’exposition.

Ce que l’on sait des effets de diverses substances nocives provient habituellement de l’entreprise, mais l’incidence de ces mêmes agents sur la santé publique en général est souvent un élément moteur des actions curatives menées à la fois dans l’entreprise et dans la collectivité. Ainsi, la découverte par un hygiéniste du travail de taux de plombémie élevés chez des travailleurs d’une fonderie, à Bahia (Brésil), a conduit à effectuer des prélèvements sanguins de contrôle sur des enfants habitant à proximité. Il s’est vérifié que le sang des enfants présentait une teneur élevée en plomb, ce qui a fortement incité l’entreprise à prendre des mesures pour diminuer le degré d’exposition de son personnel, ainsi que les émanations de plomb produites par l’usine (Nogueira, 1987), encore que les niveaux d’exposition dans ses locaux demeurent très supérieurs à ce que tolérerait la population.

En fait, les normes d’hygiène du milieu sont habituellement plus strictes que les normes qui régissent la santé au travail. En témoignent les chiffres recommandés par l’OMS pour certains produits chimiques. Cet écart s’explique en général par le fait que la population se compose de groupes sensibles, dont les personnes très âgées, les malades, les jeunes enfants et les femmes enceintes, alors que les salariés sont, au moins, suffisamment en bonne santé pour travailler. On entend souvent dire que le risque est plus «acceptable» pour les travailleurs qui ont la chance d’occuper un emploi et qui sont donc plus disposés à accepter le risque. La question des normes suscite beaucoup de débats politiques, éthiques et scientifiques. L’établissement d’un lien entre la santé au travail et la santé environnementale peut contribuer à éclaircir cette question. A cet égard, l’instauration d’un rapport plus étroit entre le travail et l’environnement peut aider à fixer des normes d’une manière plus cohérente.

Probablement inspirés, du moins en partie, par le débat animé que suscite le plan d’action adopté par la CNUED sur l’environnement et le développement durable, beaucoup d’organismes de professionnels qui se vouent à la santé au travail ont changé de nom pour devenir des organismes centrés sur «la santé au travail et en relation avec l’environnement» en reconnaissance du fait que leurs membres accordent une attention accrue aux risques d’origine environnementale qui existent à l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise. Par ailleurs, ainsi qu’on l’a signalé au chapitre no 19, «Les questions d’éthique», le Code international d’éthique pour les professionnels de la santé au travail stipule que le devoir de préserver l’environnement fait partie intégrante de leurs obligations éthiques.

En résumé, la santé au travail et en relation avec l’environnement sont fortement liées par:

L’intérêt d’un rapprochement entre la santé au travail et la santé environnementale ne doit cependant pas faire oublier que l’une et l’autre ont un objectif qui leur est propre. La santé au travail doit rester centrée sur la santé des travailleurs, et la santé environnementale sur la santé de la population en général. Cependant, même s’il est souhaitable pour les professionnels d’exercer exclusivement dans l’un de ces domaines, une bonne appréciation de l’autre domaine ajoute à la crédibilité de la démarche globale, aux connaissances qu’elle demande et à son efficacité. C’est dans cet esprit que ce chapitre a été rédigé.

L’ALIMENTATION ET L’AGRICULTURE1

1 Cet article a été rédigé par le docteur F.K. Käferstein, chef de l'unité Salubrité des aliments de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Il s'inspire largement du rapport d'un comité d'experts de l'OMS chargé de l'alimentation et de l'agriculture qui a aidé la Commission de la santé et de l'environnement de l'OMS à préparer un document pour la Conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement (CNUED) à Rio de Janeiro, 1992.

Friedrich Karl Käferstein

La production nécessaire compte tenu de l’accroissement démographique et d’autres pressions

La population continue de croître rapidement dans certaines régions du monde. En 2010, il faudra nourrir 1,9 milliard de personnes de plus qu’en 1990, soit une augmentation de 36% (7,2 milliards contre 5,3).

La croissance que l’on escompte au cours des vingt prochaines années devrait se produire, pour 90%, dans les pays qui font aujourd’hui partie du monde en développement. La société s’urbanise peu à peu. La population urbaine à l’échelle planétaire va atteindre 3,6 milliards d’individus, en hausse de 62% comparativement aux 2,2 milliards d’urbains recensés en 1990. Par ailleurs, la population urbaine des pays en développement va progresser de 92% (de 1,4 à 2,6 milliards) entre 1990 et 2010, et aura donc quadruplé depuis 1970. Même si la planification des naissances reçoit toute l’attention qui s’impose de façon urgente de la part des pays à forte croissance démographique, cette croissance et l’urbanisation continueront d’occuper une place prépondérante pendant les deux prochaines décennies.

Uniquement pour suivre l’évolution démographique, il faudra augmenter de 36% la production d’aliments, d’autres produits agricoles et d’eau potable au cours des vingt prochaines années; la nécessité pour un demi-milliard de personnes de se nourrir correctement au lieu de rester sous-alimentées, et la demande croissante de populations dont le revenu s’accroît conduiront à une très forte augmentation de la production alimentaire globale. Une demande excessive en nourriture d’origine animale continuera de caractériser les individus appartenant aux tranches de revenus supérieures, ce qui entraînera une hausse de la production d’aliments pour animaux.

Les pressions qui s’exercent sur la production agricole et alimentaire, du fait de la croissance de la population et de la demande par habitant, alourdiront la charge qui pèsera sur l’environnement. De par son origine, cette charge ne sera pas égale partout et aura des effets inégaux. Dans l’ensemble, ceux-ci seront nocifs et exigeront une action concertée.

Cette augmentation de la demande se répercutera sur des ressources hydriques et pédologiques qui sont limitées: les zones les plus productives ont déjà été exploitées et il en coûtera très cher pour transformer des terres médiocres en terres productives et pour utiliser des ressources en eau moins faciles d’accès. La plupart de ces sols médiocres risquent d’avoir une fertilité seulement temporaire, à moins que l’on prenne des mesures pour les conserver; d’autre part, la productivité des pêcheries naturelles est aussi extrêmement limitée. La superficie des terres arables va diminuer pour plusieurs raisons: érosion des sols provoquée par le surpâturage, latérisation des zones défrichées, salinisation des sols et autres formes de dégradation des terres, expansion des zones urbaines, industrielles et assimilées.

L’approvisionnement en eau et sa qualité, déjà très insuffisants dans la majeure partie du monde, continueront de poser de graves problèmes aux régions rurales des pays en développement, ainsi qu’à beaucoup de populations urbaines, lesquelles devront peut-être faire face, de surcroît, à des taxes de consommation élevées. Les besoins en eau vont augmenter fortement et, dans plusieurs grandes villes, satisfaire cette demande sera de plus en plus coûteux, car il faudra faire venir l’eau de bassins d’approvisionnement très éloignés. La réutilisation de l’eau doit satisfaire des normes de traitement plus rigoureuses. L’augmentation du volume d’eaux usées exigera, outre de gros investissements, des installations de traitement plus grandes.

Le développement de l’industrie, qui va devoir se poursuivre pour produire des biens, des services et de l’emploi, conduira à une intensification de la production alimentaire et, partant, à une industrialisation accrue de celle-ci. En conséquence, et surtout à cause de l’urbanisation, la demande et les ressources employées ayant trait à l’emballage, à la transformation, au stockage et à la distribution des aliments vont augmenter en volume et en importance.

La population devient beaucoup plus consciente de la nécessité de produire, de préserver et de commercialiser les aliments en limitant les atteintes à notre environnement et elle se montre plus exigeante à cet égard. L’apparition d’outils scientifiques révolutionnaires (en biotechnologie, par exemple) ouvre la voie à une augmentation de la production alimentaire, à une diminution des déchets et à une amélioration de la sécurité considérables.

Le principal enjeu consiste à satisfaire une demande croissante en nourriture, en autres produits agricoles et en eau par des moyens qui favorisent une amélioration durable de la santé et qui soient également viables, économiques et compétitifs.

Certes, on possède aujourd’hui de quoi nourrir toute la population mondiale, mais d’énormes obstacles devront être levés pour garantir un approvisionnement continu et équitable en aliments sains, nutritifs et à prix abordables afin de répondre aux besoins sanitaires de nombreuses régions de la planète, notamment de celles qui connaissent une forte croissance démographique.

Lorsqu’on se propose d’étudier et de mettre en application les politiques et les programmes concernant l’agriculture et la pêche, on néglige bien souvent d’envisager les conséquences qu’elles sont susceptibles d’avoir sur la santé. Pensons, par exemple, à la production de tabac, qui a des incidences très graves et négatives sur la santé humaine, ainsi que sur la rareté des terres cultivables et des ressources en bois de feu. Par ailleurs, faute d’une approche concertée par rapport au développement de l’agriculture et de la sylviculture, on saisit mal le lien important qui existe entre ces deux secteurs et la préservation des habitats de la faune, de la diversité biologique et des ressources génétiques.

Si l’on ne prend pas des mesures adéquates en temps opportun pour atténuer les impacts de l’agriculture, de la pêche, de la production alimentaire et de la consommation d’eau sur l’environnement, les situations suivantes vont se produire:

Les répercussions sur la santé de la contamination biologique et de l’usage de produits chimiques dans les aliments

Malgré les progrès scientifiques et technologiques, la contamination des aliments et de l’eau représente encore aujourd’hui un important problème d’hygiène publique. Les maladies d’origine alimentaire sont probablement les problèmes de santé les plus répandus dans le monde et les causes importantes d’une productivité économique réduite (OMS/FAO, 1984). Elles sont provoquées par un large éventail d’agents et elles passent par tous les degrés de gravité, allant de l’indisposition légère à la maladie mortelle. Pourtant, seule une faible proportion de cas attire l’attention des services de santé et les troubles recensés sont encore moins nombreux à faire l’objet d’une enquête. En conséquence, on pense que, dans les pays industriels, seulement 10% environ des cas sont déclarés, tandis que dans les pays en développement, on ne dépasse sans doute pas 1% du total.

En dépit de ces limites, les données recueillies révèlent que les maladies alimentaires gagnent du terrain sur toute la planète, dans les régions en développement comme dans les pays industriels. La situation du Venezuela illustre cette tendance (OPS/OMS, 1989) (voir figure 53.1).

Figure 53.1 Maladies d'orogine alimentaire au Venezuela

Figure 53.1

La contamination biologique

Les pays en développement

D’après les données disponibles, les contaminants biologiques (bactéries, virus et parasites) sont clairement la principale cause des maladies transmises par les aliments (voir tableau 53.2).

Tableau 53.2 Quelques agents de maladies importantes transmises par les aliments,
avec leurs principales caractéristiques épidémiologiques

Agents

Réservoir ou vecteur important

Voie de transmissiona

Multiplication dans la nourriture

Exemples d’aliments en cause

   

Eau

Nourriture

Personne à personne

   

Bactéries

Baccillus cereus

Sol

+

+

Riz cuit, viandes cuites, légumes, desserts à base d’amidon

Espèces des Brucella

Bovins, chèvres, moutons

+

+

Lait cru, produits laitiers

Campylobacter jejuni

Poulets, chiens, chats, bovins, porcs, oiseaux sauvages

+

+

+

b

Lait cru, volaille

Clostridium botulinum

Sol, mammifères, oiseaux, poissons

+

+

Poisson, viande, légumes (conserves domestiques), miel

Clostridium perfringens

Sol, animaux, humains

+

+

Viandes et volailles cuites, jus de viande, haricots

Escherichia coli

           

Entérotoxigènes

Humains

+

+

+

+

Salade, légumes crus

Entéropathogènes

Humains

+

+

+

+

Lait

Entéro-invasifs

Humains

+

+

0

+

Fromage

Entérohémorragiques

Bovins, volaille, moutons

+

+

+

+

Viande mal cuite, lait cru, fromage

Listeria monocytogenes

Environnement

+

+

c

+

Fromage, lait cru, salade de chou cru

Mycobacterium bovis

Bovins

+

Lait cru

Salmonella typhi et paratyphi

Humains

+

+

±

+

Produits laitiers, produits de la viande, fruits de mer, salades de légumes

Salmonella (non-typhi )

Humains, animaux

±

+

±

+

Viande, volaille, œufs, produits laitiers, chocolat

Espèces des Shigella

Humains

+

+

+

+

Salade de pommes de terre et salade aux œufs

Staphylococcus aureus (entérotoxines)

 

+

+

Jambon, salade de volaille et salade aux œufs, pâtisseries à la crème, glace, fromage

Vibrio cholerae , 01

Humains, milieu marin

+

+

±

+

Salades, fruits de mer

Vibrio cholerae , non 01

Humains, milieu marin

+

+

±

+

Fruits de mer

Vibrio parahaemolyticus

Eau de mer, milieu marin

+

+

Poisson cru, crabe et autres fruits de mer

Vibrio vulnificus

Eau de mer, milieu marin

+

+

+

Fruits de mer

Yersinia enterocolitica

Eau, animaux sauvages, porcs, chiens, volaille

+

+

+

Lait, porc, volaille

Virus

Virus de l’hépatite A

Humains

+

+

+

Fruits de mer, fruits et légumes crus

Agents de Norwalk

Humains

+

+

Fruits de mer, salades

Rotavirus

Humains

+

+

+

0

Protozoaires

 

+

+

+

+

 

Cryptosporidium parvum

Humains, animaux

+

+

+

Lait cru, saucisses crues (non fermentées)

Entamoeba histolytica

Humains

+

+

+

Légumes et fruits

Giardia lamblia

Humains, animaux

+

±

+

Légumes et fruits

Toxoplasma gondii

Chats, porcs

0

+

Viande mal cuite, légumes crus

Helminthes

Ascaris lumbricoides

Humains

+

+

Nouriture contaminée par la terre

Clonorchis sinensis

Poisson d’eau douce

+

Poisson mal cuit ou cru

Fasciola hepatica

Bovins, chèvres

±

+

Cresson

Opisthorclis viverrini/felinus

Poissons d’eau douce

+

Poisson mal cuit ou cru

Espèces des Paragonimus

Crabes d’eau douce

+

Crabes mal cuits ou crus

Taenia saginata et T. solium

Bovins, porcs

+

Viande mal cuite

Trichinella spiralis

Porcs, carnivores

+

Viande mal cuite

Trichuris trichiura

Humains

0

+

Nourriture contaminée par la terre

a Presque toutes les infections entériques aiguës se transmettent plus facilement l’été ou pendant les mois humides, sauf les infections à rotavirus et à Yersinia enterocolitica , dont la transmission augmente pendant les mois froids. b Dans certains cas, on observe une multiplication, dont l’explication épidémiologique n’est pas claire. c La transmission directe de la femme enceinte au fœtus arrive fréquemment.

+ = oui; ± = rare; — = non; 0 = absence de données.

D’après OMS/FAO, 1984.

C’est le cas, dans les pays en développement, pour les pathologies suivantes: choléra, salmonellose, shigellose, typhoïde et paratyphoïde, brucellose, poliomyélite et amibiase. Les maladies diarrhéiques, notamment la diarrhée du nouveau-né, sont le problème prédominant, atteignant des proportions énormes. Chaque année, quelque 1,5 milliard d’enfants de moins de 5 ans souffrent de diarrhée, et ils sont plus de 3 millions à en mourir. On pensait autrefois que l’approvisionnement en eau contaminée était la principale source directe des agents pathogènes qui provoquent la diarrhée, mais il est aujourd’hui prouvé que 70% des cas de diarrhée peuvent être dus à des pathogènes alimentaires (OMS, 1990b). Toutefois, la contamination de la nourriture provient souvent de l’eau qui est utilisée pour l’irrigation et à des fins semblables.

Les pays industriels

Si la situation concernant les maladies transmises par les aliments est très grave dans les pays en développement, le problème ne se limite pas à ces pays et, ces dernières années, les pays industriels ont connu une succession de grandes épidémies. Aux Etats-Unis, on estime à 6,5 millions le nombre de cas par an, et à 9 000 celui des décès, mais d’après l’Administration fédérale de contrôle des denrées alimentaires et des produits pharmaceutiques (Food and Drug Administration (FDA)), ces chiffres sont inférieurs à la réalité, laquelle pourrait atteindre 80 millions de cas (Cohen, 1987; Archer et Kvenberg, 1985; Young, 1987). Dans l’ex-Allemagne de l’Ouest, on est arrivé à 1 million de cas en 1989 (Grossklaus, 1990). Il est ressorti d’une étude effectuée aux Pays-Bas que 10% de la population pourraient être atteints de maladies transmises par les aliments ou l’eau (Hoogenboom-Vergedaal et coll., 1990).

Aujourd’hui, grâce à l’amélioration des conditions d’hygiène personnelle, au développement des installations sanitaires de base, au traitement de l’eau de consommation, à la création d’infrastructures convenables et à l’essor d’applications techniques, comme la pasteurisation, beaucoup de maladies d’origine alimentaire ont disparu ou ont très fortement reculé dans certains pays industriels (par exemple, la salmonellose du lait). En revanche, la plupart des pays connaissent aujourd’hui une forte poussée de plusieurs autres maladies du même ordre. Témoin de ce phénomène, l’évolution observée dans l’ex-Allemagne de l’Ouest entre 1946 et 1991 (voir figure 53.2) (Statistisches Bundesamt, 1994).

Figure 53.2 Entérite infectieuse, fièvre typoïde et paratyphoïde (A, B et C), Allemagne

Figure 53.2

La salmonellose, notamment, a pris énormément d’ampleur en quelques années sur les deux côtés de l’Atlantique (Rodrigue, Tauxe et Rowe, 1990). Elle est fréquemment due à Salmonella enteritidis . La figure 53.3 montre la prolifération en Suisse de ce micro-organisme par rapport à d’autres souches de Salmonella . Dans de nombreux pays, la volaille, les œufs et les aliments à base d’œuf passent pour être les sources dominantes de ce pathogène. Dans certains pays, entre 60 et 100% de la viande de volaille sont contaminés par Salmonella ; en outre la viande de boucherie, les cuisses de grenouille, le chocolat et le lait sont aussi mis en cause (Notermans, 1984; Roberts, 1990). En 1985, à Chicago, quelque 170 000 à 200 000 personnes ont été victimes d’une épidémie de salmonellose provoquée par du lait pasteurisé contaminé (Ryzan, 1987).

Figure 53.3 Sérotypes de Salmonella en Suisse

Figure 53.3

L’utilisation de produits chimiques et toxiques dans la nourriture

On fait énormément d’efforts aux niveaux national et international pour garantir la sécurité chimique des produits alimentaires. Deux comités mixtes de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et de l’OMS évaluent depuis trente ans un grand nombre de produits chimiques à usage alimentaire. Le premier, le Comité mixte d’experts sur les additifs alimentaires (JECFA), s’intéresse aux additifs alimentaires, aux contaminants et aux résidus de médicaments vétérinaires, tandis que le second, la réunion conjointe FAO/OMS sur les résidus de pesticides (JMPR), contrôle les résidus de pesticides. Ils formulent des recommandations quant à la dose journalière admissible (DJA), à la limite maximale de résidus (LMR) et aux niveaux maximaux (NM). Sur la foi de ces recommandations, la Commission du Codex Alimentarius et les gouvernements fixent des normes et la teneur en ces substances à respecter dans la nourriture. Par ailleurs, le Programme de surveillance et d’évaluation de la contamination alimentaire (GEMS/Food), instauré conjointement par le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), la FAO et l’OMS, apporte des informations sur les taux de contaminants dans les aliments et sur l’évolution de la contamination, ce qui permet de prendre des mesures de prévention et de contrôle.

Si les données en provenance de la plupart des pays en développement sont rares, des enquêtes effectuées dans les pays industriels laissent penser que, chimiquement parlant, les produits alimentaires sont dans l’ensemble sûrs grâce à l’importante infrastructure en place (lois et règlements, mécanismes d’application, systèmes de surveillance et de contrôle) et à la responsabilité générale assumée par l’industrie alimentaire dans son ensemble. Il arrive cependant que des aliments soient contaminés ou altérés par accident, ce qui peut avoir des conséquences graves pour la santé. C’est ainsi qu’en Espagne, en 1981-82, la consommation d’huile de cuisson frelatée a tué quelque 600 personnes et en a handicapé 20 000 autres, de façon temporaire ou permanente (OMS, 1984). En dépit des recherches intensives qui ont été menées, l’agent à l’origine de cette intoxication de masse n’a pas encore été mis en évidence.

Les substances chimiques présentes dans l’environnement

Plusieurs substances chimiques peuvent se retrouver dans la nourriture à cause d’une contamination de l’environnement. Elles peuvent avoir des effets extrêmement nocifs sur la santé et elles suscitent beaucoup d’inquiétude depuis quelques années.

Les conséquences s’avèrent sérieuses lorsque des aliments contaminés par des métaux lourds comme le plomb, le cadmium ou le mercure sont absorbés sur de longues périodes.

Après l’accident de Tchernobyl, on s’est beaucoup inquiété de la santé des personnes exposées aux émissions de radionucléides. Les habitants du voisinage ont été touchés, entre autres par les contaminants radioactifs contenus dans la nourriture et l’eau. Dans d’autres régions d’Europe et d’ailleurs, éloignées pourtant des lieux de l’accident, on s’est surtout préoccupé des risques présentés par les aliments contaminés. Dans la plupart des pays, on estime que la dose moyenne absorbée avec des aliments contaminés ne représente qu’une très faible fraction de la dose qui provient normalement du rayonnement de fond (AIEA, 1991).

D’autres produits chimiques présents dans l’environnement méritent d’être signalés: les biphényles polychlorés (BPC) qui servent à diverses applications industrielles. Les premières informations concernant leurs effets sur la santé humaine ont été recueillies à la suite de deux catastrophes survenues au Japon (1968) et à Taiwan, Chine (1979). On a appris à ces occasions que, en plus de leurs effets immédiats, les BPC peuvent aussi avoir des effets cancérogènes.

Le DDT a été abondamment utilisé entre 1940 et 1960 comme insecticide dans l’agriculture et pour la lutte contre des maladies transmises par un vecteur. Il fait aujourd’hui l’objet d’une interdiction ou d’une autorisation restreinte dans beaucoup de pays à cause des dangers qu’il présente pour l’environnement. Dans de nombreux pays tropicaux, le DTT demeure très employé contre le paludisme. Il n’a encore été signalé aucun effet nocif attribuable à la présence de DDT dans la nourriture (PNUE, 1988).

Les mycotoxines

Les mycotoxines, métabolites toxiques de certains champignons microscopiques (moisissures), peuvent avoir des effets extrêmement préjudiciables sur l’être humain, ainsi que sur les animaux. Des études réalisées sur des animaux ont révélé que, en plus de provoquer une intoxication aiguë, les mycotoxines peuvent se transformer en agents cancérogènes, mutagènes et tératogènes.

Les biotoxines

L’intoxication par des biotoxines marines (aussi appelée ichtyotoxisme) est un autre sujet d’inquiétude. Citons, par exemple, l’intoxication ciguatérique et diverses formes d’intoxication par consommation de coquillages.

Les toxiques végétaux

Les toxiques contenus dans les végétaux comestibles et les végétaux vénéneux qui leur ressemblent (champignons et certaines plantes vertes sauvages) sont une importante cause de problèmes de santé dans de nombreuses régions du monde et compromettent gravement la sécurité alimentaire (OMS, 1990a).

LA POLLUTION INDUSTRIELLE DANS LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT

Niu Shiru

Si l’industrialisation est un facteur essentiel de croissance économique dans les pays en développement, les pratiques industrielles peuvent aussi avoir des conséquences regrettables sur la santé environnementale à cause du rejet de polluants atmosphériques et aquatiques et du traitement des déchets dangereux. C’est souvent le cas dans les pays en développement, qui prêtent moins attention à la protection de l’environnement, où les normes environnementales sont souvent inadéquates ou mal appliquées et où il n’existe pas encore de véritables techniques antipollution. Du fait de leur essor économique, beaucoup de pays en développement, comme la Chine et d’autres pays asiatiques, se heurtent à des problèmes écologiques supplémentaires. L’un d’eux est la pollution engendrée par des industries ou des technologies dangereuses exportées par des pays industriels, qui ne les jugent plus acceptables à cause de leurs retombées sur la santé au travail et en relation avec l’environnement, alors que les pays en développement les tolèrent encore en vertu de lois sur la protection de l’environnement plus laxistes. Un autre problème tient à la prolifération rapide de petites entreprises informelles dans les agglomérations et les régions rurales, qui provoque souvent une forte pollution de l’air et de l’eau à cause d’un manque de connaissances et de moyens financiers.

La pollution atmosphérique

Dans les pays en développement, l’air est pollué non seulement par les produits que rejettent les cheminées des usines des grandes branches, comme celles des métaux non ferreux et des produits pétroliers, mais aussi par les émanations diffuses de petites entreprises — cimenteries, raffineries de plomb, fabriques d’engrais chimiques et de pesticides, etc. — qui suivent des mesures antipollution inadéquates et qui laissent des polluants s’échapper dans l’atmosphère.

Comme les activités industrielles s’accompagnent toujours d’une production d’énergie, la combustion de matières fossiles est une importante source de pollution atmosphérique dans les pays en développement, où l’on fait abondamment usage du charbon pour la consommation non seulement industrielle, mais aussi de celle des ménages. En Chine, par exemple, plus de 70% de la consommation totale d’énergie repose sur la combustion directe de charbon, qui libère de grandes quantités de polluants (particules en suspension, dioxyde de soufre, etc.) à cause d’une combus-tion incomplète et d’un contrôle insuffisant des émissions.

Les types de polluants rejetés dans l’atmosphère varient d’une industrie à l’autre et leurs concentrations varient elles aussi selon le procédé appliqué et en fonction de la géographie et du climat. Dans les pays en développement, comme ailleurs, il est difficile d’évaluer le degré d’exposition de la population générale. Si, globalement, le niveau d’exposition en milieu de travail est beaucoup plus élevé que dans l’environnement général où les émissions sont rapidement diluées et dispersées par le vent, en revanche la durée d’exposition est beaucoup plus longue pour la population générale que pour les travailleurs.

Dans l’ensemble, la population est plus exposée dans les pays en développement que dans les pays industriels qui prennent des mesures antipollution plus strictes et où les zones résidentielles sont pour la plupart éloignées des usines. Comme nous l’expliquons ailleurs dans ce chapitre, il ressort de nombreuses études épidémiologiques qu’une exposition prolongée aux polluants atmosphériques courants est étroitement liée à une baisse de la fonction pulmonaire et à une incidence accrue de maladies respiratoires chroniques.

Une étude de cas des effets de la pollution atmosphérique sur la santé de 480 élèves du primaire à Cubatão (Brésil), où des polluants mélangés en grandes quantités étaient émis par 23 usines (aciéries, établissements chimiques, cimenteries, fabriques d’engrais, etc.), a révélé que 55,3% des enfants présentaient une diminution de la fonction pulmonaire. Un autre exemple des effets de la pollution atmosphérique sur la santé nous est venu de la zone industrielle spéciale de Ulsan/Onsan (République de Corée), dans laquelle sont concentrées beaucoup de grandes usines (essentiellement des installations pétrochimiques et des raffineries de métaux). Les habitants du secteur se plaignaient de divers problèmes de santé, notamment de troubles du système nerveux appelés «maladie de Onsan».

Les rejets accidentels de substances toxiques dans l’atmosphère qui présentent de sérieux risques pour la santé sont, dans l’ensemble, plus fréquents dans les pays en développement. Cela s’explique entre autres choses par des mesures de sécurité inadéquates, un manque de personnel technique qualifié pour entretenir les installations et des difficultés que pose l’approvisionnement en pièces de rechange. L’un des pires accidents de ce type s’est produit à Bhopal (Inde) en 1984, où une fuite de méthylisocyanate a tué 2 000 personnes.

La pollution de l’eau et du sol

Les méthodes souvent inadéquates et inconsidérées par lesquelles on se débarrasse des déchets industriels — déversement irresponsable dans les cours d’eau, ou décharges non contrôlées, qui polluent souvent l’eau et le sol — sont une grave menace pour la santé environnementale et s’ajoutent à la pollution industrielle de l’air dans les pays en développement, notamment ceux qui comptent beaucoup de petites entreprises locales, comme la Chine. Certaines de ces petites usines (teinture des textiles, pâtes et papiers, tannage du cuir, électroplastie, fabriques de lampes fluorescentes ou d’accumulateurs au plomb, fonderies de métaux) produisent toujours d’importantes quantités de déchets renfermant des matières toxiques ou dangereuses, telles que le chrome, le mercure, le plomb ou le cyanure, qui peuvent polluer les rivières, les ruisseaux et les lacs, ainsi que les sols lorsqu’elles ne sont pas traitées. La pollution des sols, à son tour, peut contaminer les nappes phréatiques.

A Karachi, la rivière Lyan, qui traverse la ville, n’est plus qu’un égout à ciel ouvert dans lequel quelque 300 petites et grandes entreprises déversent leurs effluents industriels sans les avoir traités. La situation est comparable à Shanghai. Environ 3,4 millions de m3 de déchets industriels et domestiques se retrouvent dans le ruisseau Suzhou et le fleuve Huangpu, qui passent au cœur de la ville. Fortement pollués, ces deux cours d’eau sont à peu près dépourvus de toute vie et, en plus, dégagent souvent des odeurs et sont repoussants à voir, ou même insupportables, pour les riverains.

Dans les pays en développement, la pollution de l’eau et du sol est aggravée par l’apport de déchets toxiques ou dangereux en provenance de pays industriels. Le transport de ces déchets vers des sites d’entreposage primitifs dans ces pays ne coûte qu’une infime partie de ce qu’il en coûterait pour les stocker en toute sécurité ou pour les incinérer dans leur pays d’origine en application des directives gouvernementales de ces pays. C’est ce qu’on observe entre autres en Thaïlande, au Nigéria ou en Guinée-Bissau. Les déchets toxiques contenus dans les cuves peuvent fuir et polluer l’air, l’eau et le sol, menaçant ainsi la santé des populations environnantes.

Les problèmes de santé environnementale étudiés dans ce chapitre ont donc tendance à toucher les pays en développement avec encore plus d’acuité.

LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT ET LA POLLUTION

Tee L. Guidotti

Le problème de la pollution industrielle est plus compliqué dans les pays en développement que dans les pays industriels. Les obstacles structurels à la prévention et à l’élimination de la pollution y sont plus importants. Ces obstacles sont surtout d’ordre économique parce que les pays en développement ne possèdent pas les ressources nécessaires pour lutter contre la pollution autant que le font les pays développés. Par contre, la pollution peut coûter très cher à une société en développement en termes de santé, de déchets, de détérioration du milieu, de dégradation de la qualité de vie et des moyens qu’il faudra consacrer à l’assainissement des sites. Pour prendre un exemple extrême, pensons à l’avenir des enfants exposés aux émanations de plomb dans certaines mégalopoles de pays qui utilisent encore l’essence au plomb, ou qui vivent au voisinage de fonderies. On a mis en évidence chez certains de ces enfants des taux de plombémie suffisamment élevés pour compromettre leurs facultés intellectuelles et cognitives.

Comparativement aux pays industriels, les entreprises des pays en développement manquent en général de capitaux et, lorsqu’elles peuvent investir, elles le font d’abord dans l’équipement et dans les moyens de production. Les capitaux consacrés à la lutte antipollution sont jugés «improductifs» par les économistes parce qu’ils ne conduisent pas à une augmentation de la production ni du rendement. Mais la réalité n’est pas aussi simple. Il se peut que l’argent investi dans la lutte contre la pollution ne rapporte apparemment rien de manière directe à l’entreprise ou à la branche, mais cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’a aucun rendement. Dans de nombreux cas, par exemple une raffinerie de pétrole, la lutte contre la pollution permet aussi de réduire les déperditions et de gagner en efficacité, ce qui profite directement à l’entreprise. Quand la population sait se faire entendre, une entreprise a tout avantage à entretenir de bonnes relations avec elle et peut avoir intérêt à faire un effort pour diminuer la pollution. Malheureusement, la structure sociale existant dans beaucoup de pays en développement ne le permet pas parce que les gens les plus touchés par la pollution appartiennent souvent aux classes démunies et marginalisées de la société.

La pollution peut nuire à l’environnement et à la société dans son ensemble, mais ce préjudice est «externalisé» et ne porte pas vraiment atteinte à l’entreprise, du moins financièrement. En effet, le coût de la pollution tend à être supporté par l’ensemble de la société, et épargné à l’entreprise. On s’en aperçoit surtout lorsque l’industrie est vitale pour l’économie locale ou pour les priorités nationales et que l’on fait preuve d’une grande tolérance à l’égard des dommages qu’elle provoque. Une solution serait «d’internaliser» le préjudice en intégrant, sous forme de taxe ajoutée aux charges d’exploitation de l’entreprise, les frais d’assainissement ou le coût estimatif des dommages subis par l’environnement. On inciterait ainsi l’entreprise à limiter ses dépenses en diminuant la pollution. Cependant, dans les pays en développement, presque aucun gouvernement n’est en mesure d’agir en ce sens ni de prélever de telles taxes.

Dans la pratique, sauf lorsque la réglementation de l’Etat l’impose, on trouve rarement des capitaux à investir dans des équipements antipollution. Or, les Etats prennent rarement des mesures pour réglementer l’industrie, à moins que des raisons majeures et la pression de leurs citoyens ne les y contraignent. Dans la plupart des pays industriels, les gens jouissent d’une sécurité raisonnable quant à leur santé et à leur vie courante et ils attendent une meilleure qualité de vie, ce qu’ils associent à un environnement plus sain. Parce qu’elles sont écononomiquement plus stables, ces populations sont plus disposées à accepter un sacrifice financier pour assainir leur environnement. Toutefois, pour être compétitifs sur les marchés mondiaux, beaucoup de pays en développement hésitent à réglementer leurs industries. Ils espèrent en fait que la croissance industrielle d’aujourd’hui finira par enrichir suffisamment la société pour que l’on puisse nettoyer la pollution demain. Malheureusement, le coût du nettoyage augmente aussi vite, sinon plus, que les coûts liés au développement industriel. Au premier stade de leur industrialisation, les pays en développement ne devraient avoir à consacrer que des sommes relativement faibles à la prévention de la pollution, mais ils n’ont presque jamais les capitaux nécessaires pour cela. Lorsqu’ ils les ont, plus tard, les coûts sont souvent exorbitants et le mal est déjà fait.

L’industrie des pays en développement est généralement moins efficace que celle des pays industriels. C’est là un défaut chronique, qui tient au manque de formation des ressources humaines, au coût des équipements et des technologies importés et au gaspillage inévitable qui se produit quand certains secteurs de l’économie sont plus développés que d’autres.

Cette inefficacité tient aussi, dans une certaine mesure, à la nécessité de s’en remettre à des technologies dépassées qui sont faciles à obtenir, n’exigent pas de licence coûteuse ou dont l’utilisation revient moins cher. Ces technologies polluent souvent davantage que les technologies de pointe accessibles aux entreprises des pays développés. Prenons l’exemple de l’industrie du froid, où l’utilisation des chlorofluorocarbures (CFC) comme réfrigérants est beaucoup plus économique que les autres techniques, bien que ces produits chimiques contribuent fortement à l’appauvrissement de la couche d’ozone dans la haute atmosphère et, partant, à l’érosion du bouclier qui protège la terre contre les rayonnements ultraviolets; certains pays ont été très réticents à une interdiction des CFC parce qu’il leur aurait été alors financièrement impossible de fabriquer et d’acheter des réfrigérateurs. Le transfert de technologie est manifestement la solution, mais les entreprises des pays développés qui ont mis au point ces technologies, ou qui en détiennent la licence, hésitent naturellement à les faire partager. Ils hésitent parce qu’ils ont consacré leurs propres ressources à l’élaboration de ces technologies, qu’ils désirent en conserver la maîtrise pour maintenir l’avantage qu’ils possèdent sur leurs propres marchés et que l’usage ou la vente de ces technologies risque de ne leur rapporter de l’argent que pendant la durée limitée du brevet.

Les pays en développement se heurtent à un autre problème: le manque de compétences et de connaissances quant aux effets de la pollution, aux méthodes de surveillance et aux techniques antipollution. Ils comptent relativement peu d’experts dans le domaine, en partie parce que le nombre d’emplois est limité et parce qu’il existe pour leurs services un marché restreint, même si, en réalité, les besoins sont importants. Comme le marché des équipements et des services de lutte contre la pollution s’annonce réduit, il leur arrive de devoir importer ces compétences et ces techniques, ce qui ajoute aux coûts. De façon générale, il se peut que les cadres moyens et supérieurs de l’industrie n’aient pas conscience du problème ou qu’ils n’en soient qu’en partie conscients. Et quand bien même un ingénieur, un directeur ou un contremaître d’une entreprise sauraient pertinemment qu’une activité est polluante, ils peuvent éprouver de la difficulté à persuader leurs collègues, leurs supérieurs ou les propriétaires de l’entreprise qu’un problème se pose, qui doit être résolu.

L’industrie de la plupart des pays en développement se situe au bas de l’échelle des marchés internationaux, ce qui signifie que ses produits sont compétitifs sur le plan du prix mais pas sur celui de la qualité ou de l’originalité. Peu de pays en développement, par exemple, se spécialisent dans la production d’acier de qualité supérieure pour la fabrication d’instruments chirurgicaux et de machines haut de gamme. Ils produisent de l’acier de moindre qualité pour le bâtiment et le secteur manufacturier, car le marché est beaucoup plus vaste, les compétences techniques nécessaires sont moins poussées et leurs prix demeurent compétitifs tant que la qualité demeure acceptable. La lutte contre la pollution rend les prix moins compétitifs en accroissant les coûts de production apparents sans augmenter ni le volume de la production, ni le chiffre d’affaires. Le principal enjeu des pays en développement est de trouver un équilibre entre cette réalité économique et le besoin de protéger leur population, leur environnement et leur avenir, en sachant que, à terme, les coûts seront encore supérieurs et que les dommages risquent d’être irréversibles.

LA POLLUTION ATMOSPHÉRIQUE

Isabelle Romieu

La pollution atmosphérique s’aggrave régulièrement depuis les origines de la révolution industrielle, il y a 300 ans. Quatre facteurs principaux expliquent cette aggravation: une industrialisation croissante; une augmentation des transports; un développement économique rapide et une plus forte consommation d’énergie. D’après les informations disponibles, les limites fixées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour les polluants atmosphériques dominants sont régulièrement dépassées dans beaucoup de grands centres urbains. Bien que ces vingt dernières années de nombreux pays industriels aient progressé dans la lutte contre la pollution atmosphérique, la qualité de l’air — notamment dans les grandes agglomérations du monde en développement — se dégrade. On a tout lieu de se préoccuper, en particulier, des incidences des polluants atmosphériques ambiants sur la santé dans beaucoup de zones urbaines où les concentrations sont suffisantes pour augmenter les taux de mortalité et de morbidité, donner lieu à des déficits de la fonction pulmonaire et engendrer des troubles cardio-vasculaires et neurologiques (Romieu, Weitzenfeld et Finkelman, 1990; OMS/PNUE, 1992). La pollution de l’air intérieur due à la combustion de divers produits dans les ménages constitue aussi un fléau dans les pays en développement (OMS, 1992c); elle n’entre toutefois pas dans le cadre de cette analyse, qui traite uniquement des sources de la pollution de l’air extérieur, de sa dispersion et de ses effets sur la santé, et qui comprend une étude de cas sur la situation au Mexique.

La source des polluants atmosphériques

Les polluants atmosphériques les plus répandus dans les villes sont le dioxyde de soufre (SO2), les particules en suspension, les oxydes d’azote (NO et NO2, regroupés sous le terme NOX), l’ozone (O3), le monoxyde de carbone (CO) et le plomb (Pb). La combustion de carburants fossiles dans des installations fixes entraîne la production de SO2, de NOX et de particules, y compris la formation d’aérosols de sulfates et de nitrates dans l’atmosphère du fait de la transformation du gaz en particules. Les véhicules à essence sont la principale source de NOX, de CO et de Pb, alors que les moteurs diesel dégagent d’importantes quantités de particules, de SO2 et de NOX. L’ozone, oxydant photochimique et principal composant du smog photochimique, ne provient pas directement de matières en combustion, mais se forme dans la basse atmosphère par le contact de NOX et de composés organiques volatils (COV) avec la lumière du soleil (PNUE, 1991b). Le tableau 53.3 résume les principales sources de polluants de l’air extérieur.

Tableau 53.3 Principales sources de polluants de l'air extérieur

Polluants

Sources

Oxydes de soufre

Combustion de charbon et de pétrole, fonderies

Particules en suspension

Produits de combustion (carburant, biomasse), fumée du tabac

Oxydes d’azote

Combustion de pétrole et de gaz

Monoxyde de carbone

Combustion incomplète de pétrole et de gaz

Ozone

Réaction photochimique

Plomb

Combustion de pétrole et de charbon, production de piles, câbles, produits de soudure, peintures

Substances organiques

Solvants pétrochimiques, vaporisation de combustibles non brûlés

Source: d’après PNUE, 1991b.

La dispersion et le transport des polluants atmosphériques

Les deux principaux facteurs de la dispersion et du transport des polluants atmosphériques sont la météorologie (y compris les phénomènes de microclimats tels que les «îlots de chaleur») et la topographie, en rapport avec la répartition de la population. Beaucoup de villes sont entourées de collines qui peuvent empêcher le passage du vent et bloquer les polluants sur place. Sous des climats tempérés et froids, les inversions thermiques contribuent à la concentration de particules. Dans des conditions de dispersion normales, les gaz polluants chauds prennent de l’altitude à mesure qu’ils entrent en contact avec des masses d’air plus froides. Dans certains cas, il arrive cependant que la température augmente avec l’altitude et qu’une couche d’inversion se forme, enfermant ainsi les polluants près de leur point d’émission et en en retardant la diffusion. Le transport sur de longues distances de polluants atmosphériques dégagés par les métropoles peut avoir des incidences nationales et régionales. Les oxydes d’azote et de soufre peuvent faciliter la formation de dépôts acides loin du point d’origine. On relève fréquemment de plus fortes concentrations d’ozone en aval des régions urbaines à cause du décalage dû à la durée des réactions photochimiques (PNUE, 1991b).

Les effets des polluants atmosphériques sur la santé

Les polluants et leurs dérivés peuvent avoir des effets nocifs en altérant, par leur interaction, des molécules essentielles aux processus biochimiques ou physiologiques du corps humain. Trois facteurs agissent sur le degré de toxicité de ces substances: leurs propriétés chimiques et physiques, la dose de polluant qui atteint les zones tissulaires clés et la réaction de ces tissus au polluant. Les conséquences des polluants atmosphériques sur la santé peuvent aussi varier selon les groupes démographiques; les jeunes et les personnes âgées, en particulier, sont souvent sensibles à leurs effets délétères. Les personnes ayant déjà de l’asthme ou une autre affection respiratoire ou cardiaque peuvent, si elles y sont exposées, connaître une aggravation de leurs symptômes (OMS, 1987).

Le dioxyde de soufre et les particules

Durant la première moitié du XXe siècle, des phases de stagnation marquée de l’air ont provoqué une forte mortalité dans les régions où la combustion de combustibles fossiles produisait d’importantes quantités de SO2 et de particules en suspension. Des études sur leurs effets à long terme sur la santé ont aussi révélé l’existence d’un lien entre les concentrations moyennes annuelles de SO2 et de particules et les taux de mortalité et de morbidité. Des études épidémiologiques ont montré que certains niveaux de particules inhalables (PM10) à des concentrations relativement faibles (ne dépassant pas la norme) sont nuisibles à la santé, ainsi que l’existence d’une relation dose-effet entre la dose de PM10 absorbée et les taux de mortalité et de morbidité en rapport avec des problèmes respiratoires (Dockery et Pope, 1994; Pope, Bates et Raizenne, 1995; Bascom et coll., 1996) (voir tableau 53.4).

Tableau 53.4 Synthèse de la relation dose-effet d'une exposition de courte durée à des
particules halables (PM10) selon différents indicateurs des effets sur la santé

Effets sur la santé

Pourcentage de variation pour une augmentation de 10 µg/m3 de PM10

 

Moyenne

Fourchette

Mortalité

Total

1,0

0,5-1,5

Troubles cardio-vasculaires

1,4

0,8-1,8

Troubles respiratoires

3,4

1,5-3,7

Morbidité

Admissions à l’hôpital pour un problème respiratoire

1,1

0,8-3,4

Admissions aux urgences pour un problème respiratoire

1,0

0,5-4

Exacerbation des symptômes chez les asthmatiques

3,0

1,1-11,5

Variation du débit respiratoire maximum

0,08

0,04-0,25

Les oxydes d’azote

Il est ressorti d’études épidémiologiques que l’absorption de NO2 est nocive, notamment parce qu’elle augmente l’incidence et la gravité des infections respiratoires et aggrave les symptômes respiratoires, surtout après une longue exposition. On a aussi observé une dégradation de l’état clinique de personnes sujettes à l’asthme, à la bronchopneumopathie chronique obstructive et à d’autres infections respiratoires chroniques. Toutefois, d’autres chercheurs n’ont remarqué aucun effet contraire du NO2 sur les fonctions respiratoires (OMS/ECOTOX, 1992; Bascom et coll., 1996).

Les oxydants photochimiques et l’ozone

Les effets sur la santé d’une exposition à des oxydants photochimiques ne peuvent être attribués aux seuls oxydants, car le smog photochimique se compose toujours de O3, de NO2, d’acide, de sulfate et d’autres réactifs. Ces polluants peuvent avoir des effets additifs ou synergiques sur la santé humaine, mais le O3 s’avère le plus actif biologiquement. Une exposition à l’ozone peut causer une diminution de la fonction pulmonaire (dont une augmentation de la résistance des voies aériennes, une baisse du débit respiratoire et une diminution du volume pulmonaire) à cause d’une constriction des voies aériennes, des symptômes respiratoires (toux, respiration sifflante, essoufflement, douleurs thoraciques), une irritation des yeux, du nez et de la gorge et une perturbation de l’activité (baisse des performances sportives, par exemple) due à une réduction de l’apport d’oxygène (OMS/ECOTOX, 1992). Le tableau 53.5 résume les effets les plus graves de l’ozone sur la santé (OMS, 1992a, 1995). D’après plusieurs études épidémiologiques, il existe un rapport de cause à effet entre, d’une part, la dose d’ozone absorbée et, d’autre part, la gravité des symptômes respiratoires et la détérioration des fonctions respiratoires (Bascom et coll., 1996).

Tableau 53.5 Problèmes de santé liés aux variations quotidiennes de la
concentration maximale d'ozone dans l'air ambiant selon diverses études épidémiologiques

Problème de santé

Variations du 1-h O3 (µg/m3)

Variations du 8-h O3 (µg/m3)

Exacerbation des symptômes chez des enfants et des adultes en bonne santé ou des asthmatiques ayant une activité normale

   

Augmentation de 25%

200

100

Augmentation de 50%

400

200

Augmentation de 100%

800

300

Admissions à l’hôpital pour des problèmes respiratoiresa

   

5%

30

25

10%

60

50

20%

120

100

a Etant donné la forte corrélation existant entre les concentrations de 1-h O3 et de 8-h O3 selon des études sur le terrain, on devrait obtenir une amélioration presque identique en diminuant les taux de 1-h O3 ou de 8-h O3.

Source: OMS, 1995.

Le monoxyde de carbone

L’absorption de CO a pour principal effet de freiner l’alimentation des tissus en oxygène par la formation de carboxyhémoglobine (COHb). Quand la teneur du sang en COHb augmente, on peut observer les effets suivants: troubles cardio-vasculaires chez les sujets faisant déjà de l’angine de poitrine (de 3 à 5%); baisse de la vigilance (>5%); céphalées et étourdissements (≥10%); fibrinolyse et mort (OMS, 1987).

Le plomb

Une exposition au plomb perturbe principalement la biosynthèse du sang, mais peut aussi agir sur le système nerveux et d’autres systèmes tel le système cardio-vasculaire (tension artérielle). Les nouveau-nés et les enfants de moins de cinq ans sont particulièrement exposés, car il suffit d’un niveau de plombémie d’environ 10 µg de plomb par décilitre de sang pour perturber leur développement neurologique (CDC, 1991).

Plusieurs études épidémiologiques traitent de l’effet de la pollution atmosphérique, en particulier de l’absorption d’ozone, sur la santé des habitants de Mexico. Des études écologiques font apparaître une hausse de la mortalité due à un contact avec des particules fines (Borja-Arburto et coll., 1995) et une augmentation du nombre d’enfants asthmatiques reçus aux urgences (Romieu et coll., 1994). Des études sur les retombées d’une exposition à l’ozone parmi des enfants en bonne santé révèlent une augmentation de l’absentéisme scolaire attribuable à des troubles respiratoires (Romieu et coll., 1992), et une diminution de la fonction pulmonaire après une exposition aiguë ou subaiguë (Castillejos et coll., 1992, 1995). Des enquêtes réalisées auprès d’enfants asthmatiques ont révélé une multiplication des symptômes respiratoires et une baisse du débit expiratoire de pointe après une exposition à l’ozone (Romieu et coll., 1994) et à des particules fines. Bien qu’une exposition aiguë à l’ozone et à des particules puisse à l’évidence être associée à des problèmes de santé vécus par la population de Mexico, il importe d’évaluer les effets chroniques d’une telle exposition, notamment compte tenu des taux élevés d’oxydants photochimiques relevés à Mexico et de l’inefficacité des mesures de prévention.

Etude de cas: la pollution atmosphérique à Mexico

La zone métropolitaine de Mexico (ZMM) est située à une altitude moyenne de 2 240 m dans un bassin de 2 500 km2 entouré de montagnes dont deux dépassent 5 000 m. Sa population était estimée à 17 millions d’habitants en 1990. A cause de sa géographie particulière et de la faiblesse des vents, la ventilation est insuffisante et on observe de fréquentes inversions thermiques, surtout en hiver. Les 30 000 entreprises et plus que compte la ZMM et les 3 millions de véhicules à moteur qui y circulent quotidiennement comptent pour 44% de la consommation d’énergie totale. Depuis 1986, la pollution atmosphérique est contrôlée, y compris la présence de SO2, NOx, CO, O3, particules et hydrocarbures autres que le méthane. Les principaux problèmes de pollution atmosphérique sont liés à l’ozone, surtout dans le sud-ouest de la ville (Romieu, Weitzenfeld et Finkelman, 1990). En 1992, la norme nationale fixée pour l’ozone (110 parties par milliard (ppm) par heure au maximum) a été dépassée dans ce secteur durant plus de 1 000 heures et on a atteint un maximum de 400 ppm. Les taux de particules sont élevés dans la partie nord-est de la ville, près de la zone industrielle. En 1992, la moyenne annuelle de particules inhalables (PM10) s’est établie à 140 µg/m3. Depuis 1990, le gouvernement a pris des mesures importantes pour réduire la pollution atmosphérique, dont un programme qui interdit l’utilisation des voitures un jour par semaine en fonction du numéro de plaque minéralogique, ainsi que la fermeture de l’une des raffineries les plus polluantes de Mexico et la mise sur le marché d’essence sans plomb. Ces mesures ont entraîné une baisse de la quantité de divers polluants atmosphériques, notamment du SO2, des particules, du NO2, du CO et du plomb. En revanche, la teneur en ozone demeure inquiétante (voir figures 53.4, 53.5 et 53.6).

Figure 53.4 Niveau d'ozone dans deux zones de Mexico. Maximum quotidien en une
heure, par mois, 1994

Figure 53.4

Figure 53.5 Quantité de particules (PM10) présente dans deux zones de Mexico, 1988-1993

Figure 53.5

Figure 53.6 Teneur en plomb dans l'air de deux zones de Mexico, 1988-1994

Figure 53.6

LA POLLUTION TERRESTRE

Tee L. Guidotti et Weiping Chen

La quantité de déchets produite par l’être humain est en augmentation. Les déchets solides commerciaux et domestiques posent fréquemment un important problème pratique aux autorités locales. Les déchets industriels sont habituellement beaucoup moins volumineux, mais davantage susceptibles de renfermer des matières dangereuses, telles que produits chimiques toxiques, liquides inflammables et amiante. Bien qu’ils soient moins importants en quantité, leur traitement suscite plus d’inquiétudes que celui des déchets domestiques à cause des problèmes de santé à craindre et des risques de contamination de l’environnement.

La production de déchets dangereux est devenue un problème majeur partout dans le monde. La cause première en est la fabrication et la distribution industrielles. Il y a pollution terrestre lorsque des déchets dangereux contaminent le sol et les eaux souterraines à cause de mesures de traitement inadéquates ou irresponsables. L’existence de décharges à l’abandon ou mal tenues pose un problème de société particulièrement délicat et coûteux. Les déchets dangereux sont parfois éliminés dans l’illégalité et d’une façon d’autant plus dangereuse que leur propriétaire ne peut trouver un moyen économique de s’en débarrasser. L’un des principaux dilemmes à résoudre en matière de gestion des déchets dangereux est de trouver des méthodes de destruction qui soient à la fois sûres et peu coûteuses. Les préoccupations exprimées par le public concernent essentiellement les risques pour la santé d’une exposition à des substances chimiques toxiques et, notamment, les risques de cancer.

La convention de Bâle signée en 1989 est un accord international qui a pour objectif de limiter les mouvements transfrontières de déchets dangereux et d’empêcher que ces derniers ne soient expédiés vers des pays dépourvus d’installations aptes à les traiter en toute sécurité. Elle prévoit que la production de tels déchets dans le monde et leur transport transfrontalier doivent être limités au minimum. La circulation de déchets dangereux est assujettie à l’obtention de l’autorisation du pays destinataire et à sa législation, auquel on aura fourni les renseignements requis. Les mouvements transfrontières de déchets dangereux doivent se faire dans le respect de l’environnement et sous réserve que le pays d’accueil ait garanti qu’il peut les traiter d’une manière sûre. Tous les autres mouvements de déchets dangereux sont jugés illégaux et, donc, avec intention criminelle, ils sont passibles des lois et sanctions nationales. Cette convention apporte un cadre capital pour lutter contre ce problème à l’échelle internationale.

Les dangers attribués aux produits chimiques

On entend par substances dangereuses des composés et des mélanges qui présentent une menace pour la santé et les biens due à leur toxicité, leur inflammabilité, leur explosibilité, leur rayonnement ou à d’autres propriétés. L’attention du public se porte plutôt sur les substances cancérogènes, les déchets industriels, les pesticides et les rayonnements. D’innombrables composés qui n’entrent pas dans ces catégories peuvent toutefois constituer une menace pour la sécurité et la santé de la population.

Les produits chimiques dangereux peuvent présenter des risques physiques, surtout lors du transport ou d’accidents industriels. Les hydrocarbures peuvent s’enflammer, voire exploser. Les incendies et les explosions peuvent générer leurs propres effets toxiques en fonction des produits chimiques présents à l’origine. Les incendies qui surviennent dans des entrepôts de pesticides donnent lieu à des situations particulièrement dangereuses, car les pesticides peuvent se transformer par leur combustion en produits encore plus toxiques (comme les paraoxones dans le cas des organophosphates) et peuvent libérer d’importantes quantités de dioxines et de furannes nocifs pour l’environnement lorsqu’ils brûlent en présence de composés du chlore.

En ce qui concerne les déchets dangereux, c’est leur toxicité qui inquiète le plus les populations. Des produits chimiques peuvent être toxiques pour l’être humain, mais aussi porter atteinte à l’environnement par leur toxicité pour certaines espèces animales et végétales. Ceux qui ne se dégradent pas rapidement dans le milieu ambiant (que l’on qualifie de biopersistants ) ou qui s’y accumulent (on parle de bioaccumulation ) méritent une attention particulière.

Le nombre de substances toxiques d’usage courant et les risques qu’elles présentent ont énormément évolué. Au cours de la dernière génération, les activités de recherche et de développement en chimie organique et en génie chimique ont donné naissance à des milliers de nouveaux composés largement employés à des fins commerciales, dont des composés rémanents comme les biphényles polychlorés (BPC), des pesticides plus puissants, des accélérateurs et des plastifiants aux effets inhabituels et mal compris. La production de produits chimiques est en très forte hausse. Rien qu’aux Etats-Unis, par exemple, la production de composés organiques synthétiques était inférieure à 1 million de tonnes en 1941. Aujourd’hui, elle dépasse largement les 80 millions. Beaucoup de composés aujourd’hui répandus ont subi peu de tests et sont mal connus.

Les produits chimiques toxiques sont aussi beaucoup plus présents dans notre vie quotidienne que par le passé. Nombre d’usines chimiques ou de décharges autrefois isolées ou en bordure d’une ville ont été absorbées par la croissance des banlieues. Les populations se trouvent ainsi plus près des sources de problème que naguère. Certains quartiers sont construits directement sur d’anciennes décharges. Si les incidents liés à des substances dangereuses peuvent prendre de nombreuses formes et se révéler très spécifiques, il semble que la majorité d’entre eux soit attribuable à un éventail relativement restreint de substances dangereuses: solvants, peintures et enduits, solutions métalliques, biphényles polychlorés (BPC), pesticides, acides et bases. Selon des études menées aux Etats-Unis, les dix substances dangereuses les plus courantes que l’on a trouvées dans des décharges ayant nécessité une intervention des pouvoirs publics sont les suivantes: plomb, arsenic, mercure, chlorure de vinyle, benzène, cadmium, BPC, chloroforme, benzo[a]pyrène et trichloroéthylène. Cependant, le chrome, le tétrachloroéthylène, le toluène et le phtalate de di(2-éthylhexyle) étaient aussi très présents parmi les substances dont on a pu voir qu’elles migraient ou qu’elles pouvaient atteindre des êtres humains. L’origine de ces déchets chimiques est extrêmement variable et dépend de la situation locale, mais les solutions électrolytiques, les produits chimiques mis au rebut, les sous-produits des industries manufacturières et les solvants constituent le plus gros des déchets.

La contamination des eaux souterraines

La figure 53.7 illustre les problèmes qui peuvent se poser et représente la coupe d’une décharge de déchets dangereux fictive (dans la pratique, un site de ce type ne doit jamais se trouver près d’un plan d’eau ni au-dessus d’un banc de graviers). Une installation d’élimination (de confinement) de déchets dangereux bien conçue est isolée par une enveloppe parfaitement étanche qui empêche les substances chimiques de s’échapper dans le sol. Elle est aussi munie de dispositifs pour traiter les produits chimiques qui peuvent être neutralisés ou transformés et pour réduire le volume de déchets qu’elle accueille; les produits chimiques qui ne peuvent être traités sont conservés dans des conteneurs imperméables (la perméabilité, cependant, est relative, comme nous l’expliquons ci-dessous).

Figure 53.7 Coupe transversale d'une décharge fictive de déchets dangereux

Figure 53.7

Des produits chimiques peuvent fuir si un conteneur est endommagé, filtrer si de l’eau y pénètre, ou déborder pendant des manutentions ou en cas de bouleversement du site. Une fois qu’ils ont traversé l’enveloppe de protection, ou bien si l’enveloppe est déchirée ou inexistante, ils entrent dans le sol et s’y infiltrent sous l’effet de la pesanteur. Leur déplacement est beaucoup plus rapide en terrain poreux qu’en terrain argileux ou lorsqu’ils atteignent un substrat rocheux. Même dans le sous-sol, l’eau suit une pente descendante et passe par les endroits qui offrent le moins de résistance; le niveau de l’eau souterraine s’abaissera donc légèrement dans le sens du flux et celui-ci s’accélèrera nettement dans le sable ou le gravier. Les produits chimiques finiront par atteindre la nappe phréatique. Les plus légers tendent à flotter et à former une pellicule en surface. Les plus lourds et les composés solubles dans l’eau tendent à se dissoudre ou sont entraînés lentement par l’eau à travers les roches poreuses ou le gravier. Il est possible de dresser un plan du passage de matières liquides contaminées au moyen de puits ou de sondes. Le passage grossit peu à peu et se déplace dans le sens de l’écoulement souterrain.

Les eaux de surface peuvent être contaminées par des écoulements de la décharge, si la couche superficielle du sol est touchée, ou par les eaux souterraines. Lorsque ces dernières se déversent dans une masse d’eau, par exemple une rivière ou un lac, les polluants y pénètrent du même coup. Certains produits chimiques tendent à se déposer dans les sédiments de fond et d’autres sont entraînés par le courant.

La contamination des eaux souterraines peut prendre des siècles à disparaître. Lorsque des habitants de la région s’approvisionnent en eau dans des puits peu profonds, ils risquent d’être contaminés par ingestion et par contact cutané.

Les risques pour la santé humaine

Les gens peuvent se trouver en présence de substances toxiques de toutes sortes de façons. L’exposition à une substance toxique peut se produire à plusieurs stades de son utilisation. Des travailleurs amenés à toucher des déchets industriels négligent de changer de vêtements ou de se laver avant de rentrer chez eux. D’autres, qui habitent près d’une décharge de déchets dangereux illégale, mal conçue ou mal exploitée, peuvent être exposés à la suite d’un accident ou d’une manipulation imprudente, ou faute de moyens de rétention ou de barrières pour tenir les enfants à l’écart. Un individu peut être exposé à son domicile parce qu’il ingère un produit mal étiqueté, stocké dans de mauvaises conditions ou malencontreusement laissé à la portée des enfants alors que son emballage ne répond pas aux normes de sécurité.

On distingue essentiellement trois voies par lesquelles la toxicité des produits dangereux s’exerce: inhalation, ingestion et pénétration par la peau. Une fois absorbées, et selon la voie empruntée, les substances toxiques peuvent avoir sur les personnes de multiples effets, dont la liste est particulièrement longue. Cependant, les préoccupations du public et les études scientifiques se concentrent plutôt sur le risque de cancer et de troubles de la reproduction. De manière générale, cet intérêt correspond au danger que présentent les produits chimiques que l’on trouve à ces endroits.

Beaucoup d’études sont effectuées sur des personnes habitant autour ou à proximité de décharges. A quelques exceptions près, ces études ne nous renseignent que très peu sur des problèmes de santé qui soient vérifiables et d’un intérêt clinique réel. Les exceptions tiennent essentiellement à des situations dans lesquelles la contamination apparaît exceptionnellement forte et que le mode d’exposition est clairement défini, que les individus habitent en bordure immédiate du site ou qu’ils s’approvisionnent dans un puits alimenté par une source contaminée. Plusieurs raisons peuvent probablement expliquer cette absence étonnante d’informations sérieuses concernant les effets sur la santé. Premièrement, à la différence de la pollution de l’air et des eaux superficielles, les substances chimiques à l’origine de la pollution terrestre ne sont pas à portée immédiate des personnes touchées. Ces dernières peuvent vivre dans un secteur fortement contaminé par des produits chimiques, sans pour autant en ressentir les effets toxiques si elles n’entrent pas en contact avec ces produits par les voies susmentionnées. Une autre explication possible est le fait que les effets chroniques d’une exposition à ces produits toxiques prennent beaucoup de temps à se manifester et sont très difficiles à étudier. Il se peut enfin que ces substances chimiques aient sur la santé humaine des effets chroniques moins violents qu’on ne le suppose habituellement.

Outre ses répercussions sur la santé humaine, la pollution terrestre peut nuire très gravement aux écosystèmes. Des espèces végétales et animales, des bactéries du sol (qui contribuent au rendement agricole) et d’autres éléments des écosystèmes peuvent être irrémédiablement endommagés par une pollution plus ou moins importante qui n’a aucune incidence visible sur notre santé.

La maîtrise du problème

La répartition spatiale de la population, les restrictions relatives à l’utilisation des terres, les coûts de transport et les préoccupations écologiques de la société constituent autant de pressions pour que l’on trouve une solution à une élimination économiquement viable des déchets dangereux. C’est pourquoi on s’intéresse de plus en plus à des méthodes comme la réduction à la source, le recyclage, la neutralisation chimique et l’aménagement de centres d’élimination (confinement) sûrs pour des déchets dangereux. Les deux premières solutions visent à diminuer la quantité de déchets produite. La neutralisation chimique réduit la toxicité des déchets et peut les transformer en solides plus facilement manipulables. Autant que possible, il vaut mieux procéder à cette opération sur le lieu de production des déchets pour limiter le volume de déchets qui doit être déplacé. Pour les déchets résiduels, on a besoin d’installations bien conçues, qui fassent appel aux meilleures techniques de traitement et de conditionnement des substances chimiques.

La construction de sites d’élimination (confinement) pour produits dangereux coûte relativement cher. Il convient de choisir avec soin chaque site pour prévenir toute pollution des eaux superficielles et des principales nappes aquifères (eaux souterraines). Chaque site doit être conçu et construit avec des barrières imperméables pour éviter une contamination du sol et des eaux souterraines. Ces barrières consistent habituellement en une enveloppe de plastique épais qu’on pose sur une couche d’argile comprimé. Dans la réalité, on se sert d’une barrière pour retarder les ruptures et ralentir les infiltrations qui finissent toujours par se produire, mais qui sont acceptables dans la mesure où elles n’entraînent aucune accumulation et où elles ne polluent pas gravement les eaux souterraines. La perméabilité désigne une propriété d’un matériau et n’est autre que la résistance de ce dernier à la pénétration d’un liquide ou d’un gaz dans des conditions de pression et de température données. Même la barrière la moins perméable qui soit, par exemple une enveloppe en plastique ou de l’argile comprimé, ne pourra totalement empêcher un liquide chimique de la traverser, bien que cela puisse ne se produire qu’après des années voire plusieurs siècles; une fois la brèche ouverte, l’écoulement peut devenir permanent, mais son débit restera très faible. L’eau qui passe directement au-dessous d’une décharge de déchets dangereux est donc toujours exposée à certains risques de contamination, ne fût-ce que minimes. Une fois que de l’eau souterraine est contaminée, il est très difficile, et souvent impossible, de la purifier.

Beaucoup de décharges de déchets dangereux font l’objet de contrôles réguliers par des prélèvements et de vérifications des puits avoisinants pour s’assurer que la pollution ne se répand pas. Les plus modernes sont équipées de dispositifs de recyclage ou de traitement installés sur place ou à proximité, ce qui permet de réduire le volume des déchets entreposés.

Le confinement des déchets dangereux n’apporte pas de solution parfaite au problème de la pollution des sols. La conception des installations requiert les services coûteux d’experts, leur construction coûte cher et elles peuvent nécessiter un travail de surveillance, ce qui ajoute encore aux frais d’exploitation. Elles n’apportent aucune garantie contre une contamination future des eaux souterraines, bien qu’elles en limitent sensiblement les risques. L’un des principaux inconvénients est le fait que, inévitablement, quelqu’un doit vivre à proximité. Les collectivités dans lesquelles les décharges de déchets dangereux sont installées ou en projet s’y opposent en général fortement et font obstacle à l’agrément des pouvoirs publics. C’est ce qu’on appelle le syndrome du «d’accord chez les autres, mais pas chez moi», réaction courante à l’implantation d’installations jugées indésirables. Lorsqu’il est question de décharges de déchets dangereux, ce syndrome tend à se manifester avec une vigueur particulière.

Malheureusement, en l’absence de sites d’élimination (de confinement) des déchets dangereux, notre société risque de perdre complètement le contrôle de la situation. Quand il n’existe pas de tels sites, ou qu’il revient trop cher d’en utiliser un, les déchets dangereux sont souvent éliminés d’une façon illégale. D’aucuns, par exemple, répandent des déchets liquides à même le sol dans des lieux à l’écart, s’en débarrassent dans des caniveaux ou des égouts qui se déversent dans des cours d’eau voisins, ou expédient leurs déchets dangereux vers des pays où leur traitement est régi par des lois plus laxistes. Cela peut aboutir à des dérives encore plus dangereuses que l’utilisation d’un site aménagé et exploité de manière peu satisfaisante.

Il existe plusieurs techniques pour éliminer les déchets résiduels. Les incinérateurs à haute température sont à cet égard l’un des moyens les plus propres et les plus efficaces, mais ils sont extrêmement coûteux. Une des solutions les plus prometteuses consiste à incinérer les déchets toxiques liquides dans des fours à ciment, qui fonctionnent à des températures suffisamment élevées et que l’on trouve dans tous les pays en développement et industriels. L’injection dans des puits profonds situés sous la nappe phréatique est une option à retenir pour les produits chimiques dont on ne peut se défaire autrement. Cependant, les eaux souterraines peuvent suivre des chemins compliqués et il arrive qu’elles soient finalement contaminées par une pression inhabituelle dans le sous-sol ou par une fuite dans un puits. La déshalogénation est une technique chimique qui consiste à retirer les atomes de chlore et de brome à des hydrocarbures halogénés, comme les BPC, pour que l’on puisse facilement les détruire par incinération.

Il reste un important problème à régler concernant les déchets municipaux solides: la contamination attribuable à l’élimination accidentelle ou intentionnelle de déchets dangereux. On peut limiter ces risques par des collectes séparées. Dans la plupart des municipalités, les substances chimiques et autrement dangereuses sont traitées séparément pour qu’elles ne contaminent pas les déchets solides. L’idéal serait que, pour leur élimination, on les achemine vers une installation offrant la sécurité voulue.

On a cruellement besoin d’endroits où l’on puisse collecter et éliminer de petites quantités de déchets dangereux à un coût minime. Habituellement, les personnes en possession d’une bouteille ou d’une boîte contenant un solvant, un pesticide ou quelque poudre ou liquide inconnu ne peuvent s’offrir le luxe de s’en débarrasser convenablement et n’ont pas conscience des risques correspondants. Il faut donc qu’il y ait un système quelconque pour la collecte de ce genre de déchets afin de dissuader le consommateur de les déverser sur le sol, de les vider dans les toilettes ou d’empoisonner l’air en les brûlant. Un certain nombre de municipalités organisent des journées de collecte durant lesquelles les habitants peuvent apporter de petites quantités de substances toxiques en un lieu central pour qu’elles soient évacuées et éliminées de manière sûre. Des systèmes décentralisés ont été mis sur pied dans certaines zones urbaines, grâce auxquels les substances toxiques à jeter, en petites quantités, sont ramassées à domicile ou localement en vue de leur élimination. Aux Etats-Unis, l’expérience montre que les gens sont disposés à faire une dizaine de kilomètres pour se débarrasser de leurs déchets toxiques ménagers en un lieu sûr. La sensibilisation des consommateurs à la toxicité possible de produits courants s’impose fortement. Les pesticides en bombes aérosols, l’eau de Javel, les produits ménagers nettoyants, liquides ou autres, peuvent présenter un danger, surtout pour les enfants.

Les décharges de déchets dangereux abandonnées

L’existence de décharges de déchets dangereux à l’abandon ou peu sûres est un problème mondial. Celles de ces décharges qui doivent être décontaminées créent d’énormes risques pour la société. L’aptitude des pays et des autorités locales à assainir les décharges les plus importantes varie grandement. La logique voudrait que le propriétaire de la décharge ou la personne qui l’a installée en paie l’assainissement. Dans la pratique, ces décharges changent souvent de mains: l’ancien propriétaire a mis la clé sous la porte, le propriétaire actuel n’a pas l’argent nécessaire pour procéder aux travaux d’assainissement qui sont souvent retardés pendant une très longue période à cause d’études techniques coûteuses suivies de batailles juridiques. Les pays plus petits ou moins riches ont peu de pouvoir pour demander aux propriétaires actuels, ou aux responsables, de se charger de la décontamination, et trop peu de ressources pour s’en occuper eux-mêmes.

Les méthodes classiques d’assainissement des décharges de déchets dangereux sont très lentes et coûteuses. Elles demandent des gens extrêmement spécialisés qui font souvent défaut. On commence par examiner la décharge pour établir dans quelle mesure le sol est atteint et si les eaux souterraines sont contaminées. On évalue la probabilité que les riverains puissent entrer en contact avec les substances dangereuses et, dans certains cas, on fait une estimation des risques pour la santé qui en découlent. Il faut ensuite s’entendre sur un niveau de décontamination acceptable et décider dans quelle mesure l’exposition doit être réduite pour protéger la santé humaine et l’environnement. Pour déterminer l’ampleur du travail de décontamination, les pouvoirs publics appliquent les lois en vigueur sur l’environnement, ainsi que les normes sur la pollution atmosphérique et l’eau potable et ils se fondent sur une évaluation des risques sanitaires engendrés par telle ou telle décharge. La décontamination à effectuer est alors fixée dans le souci de préserver la santé et l’environnement. Il s’agit d’établir le mode de réhabilitation du site, ou la meilleure façon de diminuer l’exposition. Techniquement parlant, la réhabilitation consiste à décontaminer une décharge au niveau souhaité avec des moyens industriels ou autres. Parmi les techniques employées, mentionnons l’incinération, la solidification, le traitement chimique, l’évaporation, le lavage répété du sol à grande eau, la biodégradation, le confinement, l’enlèvement de la terre et le pompage des eaux souterraines. Ces techniques industrielles sont trop complexes et trop particulières à chaque situation pour que l’on puisse les décrire en détail ici. Il faut que chaque solution soit adaptée aux circonstances et que l’on dispose des fonds nécessaires à son application. Parfois, la réhabilitation n’est pas faisable. On doit alors établir à quel usage le site pourra être affecté.

LA POLLUTION DES EAUX

Ivanildo Hespanhol et Richard Helmer

Depuis au moins deux millénaires, l’eau naturelle a vu sa qualité se dégrader peu à peu et elle est aujourd’hui contaminée au point que ses usages sont extrêmement restreints ou qu’elle peut même être nocive à l’être humain. Certes, cette dégradation est liée au développement socio-économique d’un bassin fluvial, mais le transport de contaminants dans l’atmosphère sur de grandes distances a changé la donne: désormais, des régions éloignées peuvent aussi être indirectement polluées (Meybeck et Helmer, 1989).

Les récits et les griefs qui nous ont été transmis du Moyen Age concernant le dépôt sauvage d’excréments, ou les cours d’eau nauséabonds qui traversaient des villes surpeuplées, constituent, parmi d’autres problèmes semblables, les premières manifestations de la pollution des eaux urbaines. C’est en 1854 que l’on a établi pour la première fois un lien de cause à effet évident entre la mauvaise qualité de l’eau et des problèmes de santé humaine, lorsque John Snow attribua à une source d’eau de consommation bien localisée l’épidémie de choléra qui sévissait à Londres.

Depuis le milieu du XXe siècle, et parallèlement à l’accélération de la croissance industrielle, différents problèmes de pollution des eaux sont apparus à un rythme élevé. La figure 53.8 illustre le genre de problèmes que les eaux douces posent en Europe.

Figure 53.8 Problèmes dus à la pollution de l'eau

Figure 53.8

Pour résumer la situation européenne, on peut dire que: 1) les problèmes du passé (agents pathogènes, bilan de l’oxygène, eutrophisation, métaux lourds) ont été établis et étudiés et que les moyens de lutte nécessaires ont été définis et plus ou moins appliqués; 2) les problèmes actuels sont d’une nature différente, car on a, d’un côté, des sources de pollution ponctuelles et non ponctuelles «classiques» (nitrates) et des contaminants présents partout dans l’environnement (produits organiques synthétiques) et, de l’autre, des facteurs «de la troisième génération» qui perturbent les cycles planétaires (acidification, changement climatique).

Autrefois, la pollution des eaux dans les pays en développement s’expliquait principalement par le déversement d’eaux usées non traitées. Elle est aujourd’hui plus complexe, résultant de la production de déchets dangereux par des industries et du développement rapide de l’usage de pesticides en agriculture. De fait, actuellement, la pollution des eaux dans certains pays en développement, et en tout cas dans les pays en voie d’industrialisation, est pire que dans les pays industriels (Arceivala, 1989). Malheureusement, les pays en développement dans leur ensemble accusent un très grand retard en ce qui concerne l’élimination des principales sources de pollution. En conséquence, la qualité de leur environnement se détériore progressivement (OMS/PNUE, 1991).

Les types et les sources de pollution

Un grand nombre d’agents microbiens, d’éléments et de composés peuvent polluer l’eau; on peut les classer comme suit: organismes microbiologiques, composés organiques biodégradables, particules en suspension, nitrates, sels, métaux lourds, nutriments et micropolluants organiques.

Les organismes microbiologiques

Les organismes microbiologiques sont courants dans les cours d’eau pollués essentiellement par le déversement d’eaux ménagères non traitées. Ces agents microbiens comprennent les bactéries pathogènes, virus, helminthes, protozoaires et plusieurs organismes multicellulaires plus complexes qui peuvent provoquer des maladies gastro-intestinales. D’autres organismes, par nature plus opportunistes, infectent les individus fragiles par contact du corps avec de l’eau contaminée ou par inhalation de gouttes d’eau de mauvaise qualité avec divers aérosols.

Les composés organiques biodégradables

Des substances organiques d’origine naturelle (détritus terrestres allochtones ou débris autochtones de plantes aquatiques) ou de source humaine (déchets ménagers, agricoles et certains déchets industriels) sont décomposées par des microbes aérobies, tandis que la rivière poursuit son cours. Il en résulte un abaissement de la teneur en oxygène en aval du point de déversement des eaux usées, ce qui nuit à la qualité de l’eau et à la survie du biote aquatique, notamment des poissons nobles.

Les particules en suspension

Les particules sont un important vecteur de polluants organiques et inorganiques. La plupart des métaux lourds toxiques, des polluants organiques, des pathogènes et nutriments, comme le phosphore, sont présents dans les particules en suspension. On trouve aussi dans ces particules une quantité appréciable de matières organiques biodégradables qui consomment l’oxygène dissous dans les cours d’eau. Ces particules proviennent de l’urbanisation et de la construction de routes, du déboisement, de l’exploitation minière, du dragage de rivières, de sources naturelles liées à l’érosion terrestre ou de catastrophes naturelles. Des particules plus grosses se déposent dans les lits des cours d’eau, les réservoirs, les plaines d’inondation, ainsi que dans les marais et dans les lacs.

Les nitrates

La concentration de nitrates dans les eaux superficielles non polluées varie entre moins de 0,1 et 1 mg par litre (exprimé en azote), de sorte qu’un taux de nitrate supérieur à 1 mg/l est le signe d’une intervention humaine: déversement de déchets municipaux, écoulement d’origine urbaine ou agricole, etc. Les précipitations atmosphériques sont aussi une importante source de nitrates et d’ammoniac dans les bassins versants, notamment dans les zones où il n’existe pas de sources de pollution directes, par exemple dans certaines régions tropicales. La forte concentration de nitrates dans l’eau de consommation peut intoxiquer gravement les nouveau-nés alimentés au biberon pendant leurs premiers mois, ou encore les personnes âgées, par un phénomène appelé méthémoglobinémie.

Les sels

La salinisation de l’eau peut avoir des causes naturelles, comme l’interaction géochimique des eaux avec des sols salins, ou des causes humaines: irrigation des terres agricoles, apport d’eau de mer provoqué par un pompage excessif des eaux souterraines dans certaines îles et zones côtières, élimination de déchets industriels et de la saumure de champs de pétrole, salage des routes, lixiviat de décharges et fuites d’égouts.

Bien qu’elle empêche d’utiliser l’eau pour l’irrigation des cultures fragiles ou pour la consommation en particulier, la teneur en sel, même très élevée, n’a en soi pas d’effets directement nocifs sur la santé, mais elle peut s’accompagner d’effets indirects catastrophiques. La disparition de terres agricoles fertiles et la diminution des récoltes dues à la saturation hydrique et à la salinisation des sols irrigués privent des villages entiers de leur moyen de subsistance et peuvent aller jusqu’à entraîner des pénuries alimentaires.

Les métaux lourds

Les métaux lourds tels que le plomb, le cadmium et le mercure sont des micropolluants qui présentent un intérêt particulier, car ils ont une incidence sur la santé et l’environnement à cause de leur rémanence, de leur forte toxicité et de leur accumulation biologique.

Les métaux lourds qui polluent l’eau proviennent en général de cinq sources: l’altération géologique, qui représente la pollution de fond; la transformation industrielle de minerais et de métaux; l’utilisation de métaux et de composés métalliques, comme les sels de chrome dans les tanneries, des composés du cuivre en agriculture et le tétraéthylplomb employé comme agent antidétonant dans l’essence; les métaux lourds qui fuient des ordures ménagères et des décharges de déchets solides; et les métaux lourds contenus dans les excréments humains et animaux, notamment le zinc. Les métaux rejetés dans l’air par les automobiles, la combustion de carburants et les activités industrielles peuvent se déposer sur les sols et finir par ruisseler jusqu’à atteindre les eaux superficielles.

Les nutriments

L’eutrophisation est le phénomène de l’enrichissement des eaux par des nutriments végétaux, surtout du phosphore et de l’azote, qui accélère la croissance des plantes (des algues comme des macrophytes) et qui provoque en conséquence l’apparition de fleurs d’eau visibles à l’œil nu, de tapis d’algues ou de macrophytes en surface, une accumulation d’algues benthiques et des concentrations macrophytiques submergées. Lorsqu’ils pourrissent, ces végétaux entraînent un épuisement des réserves d’oxygène contenues dans l’eau qui donne lieu à toutes sortes d’autres problèmes secondaires, tels que la mort de poissons et le relargage de gaz corrosifs et autres substances indésirables, comme du gaz carbonique, du méthane, du sulfure d’hydrogène, des substances organoleptiques (qui donnent un goût et une odeur aux choses), des toxines, etc.

Les composés du phosphore et de l’azote proviennent principalement des eaux ménagères non traitées, mais d’autres sources, comme le drainage de terres agricoles fertilisées artificiellement, les ruissellements de surface engendrés par un élevage intensif et certaines eaux industrielles usées peuvent aussi accroître sensiblement la quantité de matières nutritives dans les lacs et réservoirs, notamment dans les pays tropicaux en développement.

Les principaux problèmes liés à l’eutrophisation des lacs, réservoirs et retenues sont les suivants: épuisement de l’oxygène dans la couche aquatique du fond; diminution de la qualité de l’eau, qui entraîne des difficultés de traitement, notamment lorsqu’on veut retirer les substances responsables du goût et de l’odeur; limitation des usages récréatifs, augmentation des risques pour la santé des baigneurs et enlaidissement des sites; baisse des activités de pêche due à la mortalité du poisson et à la prolifération d’espèces indésirables et de mauvaise qualité; vieillissement des lacs et réservoirs et diminution de leur volume utile du fait de l’ensablement; aggravation de la corrosion des tuyaux et autres structures.

Les micropolluants organiques

Les micropolluants organiques peuvent être rangés en groupes de produits chimiques en fonction de leur usage et, par conséquent, de leur mode de dispersion dans l’environnement:

Les micropolluants organiques proviennent de sources fixes ou diffuses, urbaines ou rurales et, pour la plupart, d’activités industrielles majeures, comme le raffinage du pétrole, l’extraction du charbon, la synthèse organique et la fabrication de produits synthétiques, les industries du fer et de l’acier, le textile et le secteur des pâtes et papiers. Les effluents de fabriques de pesticides peuvent renfermer d’énormes quantités de ces produits de synthèse. Une forte proportion de polluants organiques aboutit dans le milieu aquatique à cause des ruissellements urbains; dans les campagnes, les pesticides répandus sur les cultures peuvent atteindre les eaux superficielles, entraînés par le ruisselement de l’eau de pluie et par le drainage artificiel ou naturel. Il arrive enfin que des déversements accidentels causent de graves dommages écologiques et obligent à fermer temporairement des sources d’approvisionnement en eau.

La pollution urbaine

Vu l’expansion continue, l’intensité et la très grande diversité de la pollution, le maintien de la qualité des ressources hydriques est devenu un grave problème, en particulier dans les zones les plus urbanisées du monde en développement. Il y a à cela deux raisons: l’impossibilité d’appliquer les mesures antipollution aux sources principales, notamment les industries, et les insuffisances des systèmes d’assainissement, ainsi que des méthodes de collecte et d’élimination des déchets (OMS, 1992c). On trouvera en encadré quelques cas de pollution des eaux observés dans différentes villes de pays en développement.

La pollution des eaux dans quelques villes

Karachi (Pakistan)

La rivière Lyari, qui traverse Karachi, principale ville industrielle du Pakistan, est un égout à ciel ouvert sur le plan chimique et microbiologique, qui transporte un mélange d’eaux-vannes et d’effluents industriels non traités. La plupart de ces derniers proviennent d’un complexe industriel comprenant quelque 300 grandes usines et presque trois fois plus de petits établissements. Les trois cinquièmes des établissements sont des fabriques de textile. Les autres industries établies à Karachi déversent aussi pour la plupart des effluents non traités dans le cours d’eau le plus proche.

Alexandrie (Egypte)

Les usines d’Alexandrie comptent pour environ 40% de la production industrielle de l’Egypte, et la plupart déversent des déchets liquides non traités dans la mer ou dans le lac Maryut. En dix ans, le volume de poissons pris dans ce lac a diminué de quelque 80% à cause du déversement direct d’effluents industriels et domestiques. Conséquence de sa dégradation, le lac a également cessé d’être un important site récréatif. On connaît une situation semblable le long de la mer, résultat des eaux usées non traitées qui proviennent d’exutoires mal situés.

Shanghai (Chine)

Quelque 3,4 millions de m3 de déchets industriels et ménagers se déversent essentiellement dans le ruisseau Suzhou et le fleuve Huangpu, qui traversent le cœur de la ville, dont ils sont devenus les principaux égouts (à ciel ouvert). La plupart des déchets sont d’origine industrielle, car peu de foyers sont équipés de toilettes à chasse d’eau. Le Huangpu est un fleuve quasiment mort depuis 1980. Au total, moins de 5% des eaux usées de la ville sont traitées. La nappe phréatique est habituellement à faible profondeur, ce qui signifie que divers produits toxiques issus d’usines et de rivières avoisinantes s’infiltrent dans les eaux souterraines et contaminent les puits, qui approvisionnent aussi la ville en eau.

São Paulo (Brésil)

Pendant sa traversée de l’agglomération de São Paulo, l’une des plus grandes du monde, le fleuve Tiete reçoit chaque jour 300 tonnes d’effluents provenant de 1 200 usines implantées dans la région. Le plomb, le cadmium et d’autres métaux lourds figurent parmi les principaux polluants. Le fleuve reçoit aussi quotidiennement 900 tonnes d’eaux usées, dont seulement 12,5% sont traitées par les 5 stations d’épuration de la région.

Source: d’après Hardoy et Satterthwaite, 1989.

Les incidences de la pollution microbienne sur la santé

Les maladies provoquées par l’ingestion d’agents pathogènes dans de l’eau contaminée sont celles qui ont la plus forte incidence dans le monde. On estime que 80% des maladies, et plus du tiers des décès survenant dans les pays en développement sont causés par la consommation d’eau contaminée et que, en moyenne, chaque personne perd un dixième de son temps de production à cause de maladies liées à l’eau (CNUED, 1992b). Les maladies provoquées par l’eau représentent la plus importante catégorie de maladies transmissibles dont meurent les nouveau-nés dans les pays en développement et elles viennent au second rang après la tuberculose pour ce qui est de la mortalité des adultes, avec un million de décès par an.

Le nombre annuel de cas de choléra déclarés à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) par ses Etats membres a atteint un record pendant la septième pandémie, avec une pointe de 595 000 cas en 1991 (OMS, 1993). Le tableau 53.6 donne les taux globaux de morbidité et de mortalité en rapport avec les principales maladies transmises par l’eau. Souvent, ces chiffres sont nettement sous-évalués du fait que les déclarations de cas sont loin d’être effectuées de manière systématique dans beaucoup de pays.

Tableau 53.6 Taux globaux de morbidité et de mortalité attribuables aux principales
maladies transmises par l'eau

 

Nombre/année ou période étudiée

Maladie

Cas

Décès

Choléra — 1993

297 000

4 971

Typhoïde

500 000

25 000

Giardiase

500 000

Nombre faible

Amibiase

48 000 000

110 000

Diarrhée (moins de 5 ans)

1 600 000 000

3 200 000

Dracunculose (vers de Guinée)

2 600 000

Schistosomiase

200 000 000

200 000

Source: Galal-Gorchev, 1994.

Les effets de la pollution chimique sur la santé

Les problèmes de santé associés à la présence de substances chimiques dissoutes dans l’eau tiennent principalement au fait que les effets se manifestent après une longue période d’exposition; sont particulièrement à craindre les contaminants ayant des effets toxiques cumulatifs, tels que les métaux lourds et certains micropolluants, les substances cancérogènes et celles qui peuvent perturber la reproduction et le développement. D’autres substances dissoutes dans l’eau sont un élément essentiel du régime alimentaire, tandis que d’autres encore sont neutres eu égard aux besoins d’un être humain. Compte tenu de leur incidence sur la santé, on peut classer les produits chimiques présents dans l’eau, notamment dans l’eau de consommation, en trois grandes catégories (Galal-Gorchev, 1986):

L’impact sur l’environnement

Les effets de la pollution de l’environnement sur la qualité des eaux douces sont multiples et existent depuis longtemps. L’essor industriel, le développement de l’agriculture intensive, l’augmentation exponentielle de la population, ainsi que la production et l’utilisation de dizaines de milliers de produits chimiques synthétiques, figurent parmi les principales causes de détérioration de la qualité de l’eau à l’échelle locale, nationale et mondiale. Le principal problème que pose cette détérioration est le risque qu’elle ne compromette l’usage que l’on fait de l’eau aujourd’hui et celui que l’on voudrait en faire à l’avenir.

L’une des causes les plus graves et les plus répandues de la dégradation de l’environnement est le déversement de déchets organiques dans les cours d’eau (voir ci-dessus «Les composés organiques biodégradables»). Cette pollution est surtout inquiétante dans le milieu aquatique où de nombreux organismes, entre autres les poissons, ont besoin de concentrations élevées d’oxygène. L’anoxie de l’eau a pour effet secondaire sérieux celui de libérer des substances toxiques à partir de particules et de sédiments de fond que l’on trouve dans les rivières et les lacs. Le rejet d’eaux ménagères dans les cours d’eau et les nappes aquifères entraîne aussi une accumulation de nitrates dans les rivières et les eaux souterraines, et l’eutrophisation de lacs et réservoirs (voir ci-dessus «Les nitrates» et «Les sels»). Dans les deux cas, la pollution est le résultat d’une synergie entre les effluents d’eaux usées et le ruissellement ou l’infiltration d’eaux issues de l’agriculture.

Les incidences économiques

Les conséquences économiques de la pollution des eaux peuvent être assez importantes étant donné ses effets nocifs sur la santé humaine ou sur l’environnement. Une mauvaise santé entraîne souvent une baisse de la productivité humaine, et une dégradation de l’environnement diminue la productivité des ressources en eau directement utilisées par la population.

Le poids économique des maladies peut s’exprimer non seulement en frais de traitement, mais aussi en manque à gagner pour les entreprises. Il suffit de penser aux maladies extrêmement invalidantes comme la diarrhée ou le vers de Guinée. En Inde, par exemple, on estime à 73 millions le nombre de journées de travail perdues chaque année à cause de maladies transmises par l’eau (Arceivala, 1989).

Les carences de l’hygiène publique et les épidémies qui en résultent peuvent aussi pénaliser lourdement l’économie. C’est ce qui est apparu très clairement lors d’une épidémie de choléra survenue en Amérique latine. Ainsi, au Pérou, la diminution des exportations agricoles et du tourisme s’est traduite par des pertes estimées à 1 milliard de dollars E.-U. C’est plus de trois fois les sommes investies par le pays dans les services d’approvisionnement en eau et d’assainissement durant les années quatre-vingt (Banque mondiale, 1992).

Une fois polluée, l’eau devient impropre à l’approvisionnement des villes. En conséquence, celles-ci doivent se doter d’installations de traitement coûteuses ou acheminer de l’eau propre par des canalisations sur de longues distances, ce qui revient beaucoup plus cher.

Dans les pays en développement de l’Asie et du Pacifique, le coût des dommages écologiques a été estimé en 1985 par la Commission économique et sociale pour l’Asie et le Pacifique (CESAP) à environ 3% du PNB, soit 250 milliards de dollars E.-U., tandis que pour réparer ces dommages il en coûterait approximativement 1%.

L’ÉNERGIE ET LA SANTÉ

L.D. Hamilton

A la Commission de la santé et de l’environnement de l’OMS (1992a), le Groupe d’experts sur l’énergie a recensé quatre grands problèmes liés à l’énergie qui menacent ou vont menacer l’état de l’environnement:

  1. l’exposition à des agents nocifs lors de l’utilisation de biomasse et de charbon à des fins domestiques;
  2. l’exposition à des polluants atmosphériques dans de nombreuses métropoles du monde;
  3. les effets possibles du changement climatique sur la santé;
  4. les accidents graves ayant des répercussions sur la santé du public en général.

L’évaluation quantitative des risques pathologiques engendrés par différents systèmes énergétiques nécessite une estimation globale à toutes les étapes d’un cycle du combustible, depuis l’extraction des ressources d’énergie brutes jusqu’à leur consommation finale. Pour que l’on puisse faire des comparaisons valables entre les technologies, il importe que les méthodes, les données et l’usage ultime du combustible soient semblables et établis avec précision. Lorsqu’on cherche à quantifier les effets de la demande des usagers, il convient de calculer les écarts concernant le rendement énergétique de différents appareils fonctionnant au moyen d’un type d’énergie ou de combustible donné.

Pour cet examen comparatif, on s’appuie sur le principe du système énergétique de référence (Reference Energy System (RES)), qui décrit le cycle suivi par un combustible étape après étape, de l’extraction à l’élimination des déchets en passant par la transformation et la combustion. Grâce à un cadre de travail commun et simple, le RES permet de définir les flux d’énergie et les données connexes utilisées pour l’évaluation des risques. Le RES (voir figure 53.9) représente sous forme d’un graphe les principales composantes d’un système énergétique pour une année donnée, en apportant des précisions sur la consommation de la source d’énergie, le transport du combustible, les procédés de transformation et les utilisations finales. Il donne ainsi un condensé des grandes caractéristiques du système énergétique mais aussi les moyens d’évaluer les principaux effets des nouvelles technologies et nouvelles politiques sur les ressources, l’environnement, la santé et l’économie.

Figure 53.9 Système énergétique de référence, année 1979

Figure 53.9

En fonction des risques qu’elles posent pour la santé, les technologies du secteur de l’énergie peuvent être classées en trois groupes:

  1. Le groupe des combustibles, caractérisé par l’utilisation de grandes quantités de combustibles fossiles ou de biomasse — charbon, pétrole, gaz naturel, bois etc.— dont l’extraction, la transformation et le transport sont à l’origine d’un nombre élevé d’accidents, les plaçant en tête des risques professionnels et dont la combustion produit d’importants volumes de polluants atmosphériques et de déchets solides, en en faisant le principal risque pour la population.
  2. Le groupe des ressources renouvelables, caractérisé par l’utilisation de ressources renouvelables diffuses et à faible valeur énergétique — soleil, vent et eau — que l’on peut se procurer en énormes quantités pour un coût nul, mais dont le captage requiert d’immenses superficies et la construction d’installations coûteuses capables de les «concentrer» en des formes exploitables. Les risques professionnels, élevés, tiennent essentiellement à la construction des installations. Les risques pour le public sont peu élevés et se limitent à des accidents dont la probabilité est faible, comme les ruptures de barrage, les pannes d’équipement et les incendies.
  3. Le groupe des combustibles nucléaires , qui comprend les technologies de la fission nucléaire, se distingue par l’immense valeur énergétique que présentent les combustibles traités, et en parallèle par la faible quantité de combustibles et de déchets à traiter, mais aussi par les faibles concentrations auxquelles on trouve ces combustibles dans la croûte terrestre, ce qui nécessite un important travail d’extraction ou d’accumulation. Les risques professionnels sont donc relativement élevés et sont dominés par les accidents qui surviennent pendant l’extraction et la transformation. Les risques pour le public, limités, tiennent plutôt à l’exploitation courante des réacteurs. Il convient d’apporter une attention particulière aux craintes du public à l’égard des risques d’une exposition au rayonnement nucléaire — craintes relativement importantes par rapport aux risques pour la santé.

La production d’électricité a, sur la santé, des effets importants, qui sont récapitulés aux tableaux 53.7, 53.8 et 53.9.

Tableau 53.7 Principaux effets sur la santé des techniques de production d'électricité
— Groupe des combustibles

Technique

Risques professionnels

Effets sur la santé publique

Charbon

Pneumoconiose des houilleurs
Traumatismes dus aux accidents pendant l’extraction Traumatismes dus aux accidents pendant le transport

Effets de la pollution atmosphérique
Traumatismes dus aux accidents pendant le transport

Pétrole

Traumatismes dus aux accidents pendant l’extraction
Cancers provoqués par une exposition à des produits de raffinage

Effets de la pollution atmosphérique
Traumatismes dus aux explosions et aux incendies

Schistes bitumineux

Schistose
Cancers provoqués par une exposition aux émissions lors de la distillation
Traumatismes dus aux accidents pendant l’extraction

Cancers provoqués par une exposition aux émissions lors de la distillation
Effets de la pollution atmosphérique

Gaz naturel

Traumatismes dus aux accidents pendant l’extraction
Cancers provoqués par une exposition aux émissions lors du raffinage

Effets de la pollution atmosphérique
Traumatismes dus aux explosions et aux incendies

Sables bitumineux

Traumatismes dus aux accidents pendant l’extraction

Effets de la pollution atmosphérique
Traumatismes dus aux explosions et aux incendies

Biomasse*

Traumatismes dus à des accidents pendant la récolte et le traitement
Exposition à des produits chimiques et à des agents biologiques dangereux découlant du traitement et de la transformation

Effets de la pollution atmosphérique
Maladies engendrées par une ex-position à des pathogènes
Traumatismes dus aux incendies de maisons

* Utilisée comme source d’énergie, que l’on considère habituellement comme étant renouvelable.

Tableau 53.8 Principaux effets sur la santé des techniques de production d'électricité
— Groupe des sources d'énergie renouvelables

Technique

Risques professionnels

Effets sur la santé publique

Energie géothermique

Exposition à des gaz toxiques — courante et accidentelle
Stress dû au bruit
Traumatismes dus aux accidents pendant l’extraction

Maladies provoquées par une exposition à des saumures toxiques et à du sulfure d’hydrogène
Cancers provoqués par une exposition au radon

Energie hydro-électrique, classique et de basse chute

Traumatismes dus aux accidents pendant la construction

Traumatismes dus à une rupture de barrage
Maladies provoquées par une exposition à des pathogènes

Energie photo-voltaïque

Exposition à des matériaux toxiques pendant la fabrication — courante et accidentelle

Exposition à des matériaux toxiques pendant la fabrication — courante et accidentelle

Energie éolienne

Traumatismes dus aux accidents pendant la construction et l’exploitation

 

Energie solaire thermique

Traumatismes dus aux accidents pendant la fabrication
Exposition à des produits chimiques toxiques pendant l’exploitation

 

Tableau 53.9 Principaux effets sur la santé des techniques de production d'électricité
— Groupe des combustibles nucléaires

Technique

Risques professionnels

Effets sur la santé publique

Fission

Cancers provoqués par une exposition aux rayonnements pendant l’extraction de l’uranium, le traitement du minerai ou du combustible, l’exploitation de la centrale et la gestion des déchets
Traumatismes pendant l’extraction et le traitement, la construction et l’exploitation de la centrale et la gestion des déchets

Cancers provoqués par une exposition aux rayonnements à tous les stades du cycle du combustible — courante et accidentelle
Traumatismes dus à des accidents pendant le transport industriel

Comme dans le cas d’autres sources d’énergie, pour étudier les effets de la combustion de bois sur la santé, on a considéré, aux Etats-Unis, les effets obtenus en fournissant une unité d’énergie, c’est-à-dire la quantité nécessaire pour chauffer un million d’années-habitations. Elle est égale à 6 × 107 GJ, soit une quantité d’énergie primaire de 8,8 × 107 GJ avec un rendement de 69%. Les effets sur la santé ont été évalués au stade de l’extraction (ou de l’exploitation dans le cas du bois), du transport et de la combustion. Pour le pétrole et le charbon, on s’est fondé sur des travaux antérieurs (voir figure 53.10). On a retenu un facteur de ~2, pour les risques courus à l’extraction, un facteur de ~3, pour les risques d’incendie au domicile et un facteur excédant ±10 pour les risques de pollution atmosphérique. Si l’on avait estimé les risques électriques nucléaires selon la même échelle, ils auraient été égaux à environ la moitié de ceux engendrés par l’extraction de charbon.

Figure 53.10 Effets sur la santé par unité d'énergie

Figure 53.10

Pour avoir une meilleure idée des risques, une bonne façon est de les comparer à ceux que court une seule personne qui appro-visionnerait une famille en bois de feu pendant 40 ans (voir figure 53.11). On obtient ainsi un risque total de décès égal à ~1,6 × 10–3 (c’est-à-dire, ~0,2%). On peut le comparer au risque de décès dans un accident d’automobile aux Etats-Unis pendant le même laps de temps, ~9,3 × 10–3 (c’est-à-dire ~1%), qui est cinq fois plus élevé. L’utilisation du bois présente des risques qui sont du même ordre que ceux des techniques de chauffage plus classiques. Les uns et les autres sont beaucoup moins importants que le risque global attribuable à d’autres activités courantes et ils se prêtent aisément, sous de nombreux aspects, à des mesures préventives.

Figure 53.11 Risque de décès pour une personne qui approvisionnerait une famille en
bois de feu pendant 40 ans

Figure 53.11

Les divers risques pour la santé peuvent se comparer comme suit:

Il est clair que les effets sur la santé dépendent de la quantité et du genre d’énergie que l’on utilise et qu’ils diffèrent grandement d’une région à l’autre. Le bois de feu se classe au quatrième rang dans le monde, après le pétrole, le charbon et le gaz naturel. Près de la moitié des habitants de la planète, notamment ceux qui vivent dans les zones rurales et urbaines des pays en développement, en dépendent pour cuire leurs aliments et se chauffer (ils utilisent le bois ou son dérivé, le charbon de bois, ou bien, en leur absence, des résidus agricoles ou de la bouse). Le bois de feu représente plus de la moitié du bois consommé dans le monde; on atteint une proportion de 86% dans les pays en développement et de 91% en Afrique.

Quand on réfléchit aux sources d’énergie nouvelles et renouvelables, comme l’énergie solaire ou éolienne et les combustibles à base d’alcool, il faut prendre en compte l’ensemble du «cycle du combustible» dans des secteurs comme l’énergie photovoltaïque, qui utilisent des installations dont le fonctionnement ne présente théoriquement aucun danger, mais dont la fabrication peut créer des risques importants, souvent sous-estimés.

Pour faire face à cette difficulté, certains étendent le cycle du combustible à toutes les étapes de l’élaboration d’un système énergétique, en y incluant, par exemple, le béton que l’on trouve dans l’usine qui fabrique le verre des capteurs solaires. Quand on s’est demandé quoi inclure dans le cycle, on a remarqué que l’analyse des étapes de fabrication de l’aval vers l’amont conduit à un ensemble d’équations simultanées dont la solution — si elle est linéaire — s’exprime par une matrice de valeurs. Une telle façon de procéder est bien connue des économistes, qui parlent d’analyses entrées-sorties; on a déjà fait les calculs voulus pour savoir dans quelle mesure chaque activité économique profite des autres, encore que, pour les catégories globales qui ne correspondent pas forcément avec exactitude aux étapes de fabrication, on ait intérêt à approfondir l’examen pour mesurer les dommages sur la santé.

Il n’existe pas une méthode qui satisfasse à elle seule à une analyse comparative des risques dans le secteur de l’énergie. Chaque méthode a ses avantages et ses limites; chacune apporte des renseignements différents. Etant donné l’incertitude inhérente aux analyses des risques pour la santé, il faut examiner les résultats fournis par toutes les méthodes pour obtenir l’image la plus précise possible et pour mieux saisir l’ampleur des incertitudes qui subsistent.

L’URBANISATION

Edmundo Werna

L’urbanisation est l’une des grandes caractéristiques du monde contemporain. Au début du XIXe siècle, environ 50 millions de personnes vivaient dans des zones urbaines. En 1975, elles étaient 1,6 milliard et, en l’an 2000, on en comptait 3,1 milliards (Harpham, Lusty et Vaugham, 1988). Ces chiffres dépassent de loin ceux de la croissance de la population rurale.

Toutefois, l’urbanisation a souvent eu des effets dommageables sur la santé des individus qui travaillent et vivent dans les villes. Dans une plus ou moins grande mesure, la construction de logements convenables et d’infrastructures urbaines ainsi que la maîtrise de la circulation n’ont pas progressé au même rythme que la croissance urbaine. Il en est résulté une multitude de problèmes de santé.

Le logement

Partout dans le monde, les conditions de logement sont loin d’être satisfaisantes. Au milieu des années quatre-vingt, par exemple, entre 40 et 50% des habitants de nombreuses villes de pays en développement vivaient dans des logements non conformes aux normes établies (OMS, 1992c). La situation s’est aggravée depuis. Bien qu’ils soient moins inquiétants dans les pays industriels, les problèmes de logement y sont fréquents: dégradation, surpeuplement et même présence de personnes sans domicile fixe.

Les principaux éléments de l’environnement domestique qui influencent la santé et les risques qui leur sont associés sont présentés au tableau 53.10. La santé d’un travailleur peut se ressentir de l’absence de l’un ou de plusieurs de ces éléments à son lieu de domicile. Dans les pays en développement, par exemple, quelque 600 millions de citadins habitent dans des maisons et des quartiers qui présentent une menace pour leur santé ou pour leur vie (Hardoy, Cairncross et Satterthwaite, 1990; OMS, 1992c).

Tableau 53.10 Logement et santé

Problèmes de logement

Risques pour la santé

Mauvaise maîtrise de la température

Contrainte thermique, hypothermie

Ventilation inadéquate (fumée dégagée par le foyer)

Affections respiratoires aiguës et chroniques

Poussière excessive

Asthme

Surpeuplement

Accidents à domicile, transmission facilitée des maladies contagieuses (tuberculose, grippe, méningite)

Feux ouverts mal contrôlés, protection insuffisante contre le kérosène ou le gaz en bouteille

Brûlures

Mauvaise finition des murs, sols ou plafonds (qui laissent entrer des vecteurs)

Maladie de Chagas, peste, typhus, shigellose, hépatite, poliomyélite, maladie des légionnaires, fièvre récurrente, allergie à la poussière de maison

Emplacement de la maison (près d’un foyer de vecteurs)

Paludisme, bilharziose, filariose, trypanosomiase

Emplacement de la maison (dans un secteur sujet à des catastrophes telles que glissements de terrain ou inondations)

Accidents

Défauts de construction

Accidents

Source: Hardoy, Cairncross et Satterthwaite 1990; Harpham, Lusty et Vaugham, 1988; Commission de la santé et de l’environnement de l’OMS, 1992b.

Les problèmes de logement peuvent aussi avoir une incidence directe sur la santé au travail, lorsque la personne exerce son activité au domicile. C’est le cas du personnel domestique et d’un nombre croissant de petits producteurs qui possèdent une exploitation familiale. Ces derniers peuvent être d’autant plus touchés que leurs procédés de production créent telle ou telle forme de pollution. Quelques études réalisées dans des entreprises de ce type ont révélé la présence de déchets dangereux qui provoquent, entre autres, des maladies cardio-vasculaires, des cancers de la peau, des troubles neurologiques, des cancers des bronches, de la photophobie et de la méthémoglobinémie infantile (Hamza, 1991).

La prévention des problèmes domestiques comprend l’adoption de mesures aux différents stades de la mise à disposition de logements:

  1. emplacement (lieux sûrs et exempts de vecteurs de maladie);
  2. conception du logement (espaces dotés de dimensions et d’une protection climatique suffisantes, utilisation de matériaux de construction non périssables, protection convenable des équipements);
  3. construction (prévention des défauts de construction);
  4. entretien (inspections et contrôles satisfaisants de l’équipement, etc.).

L’implantation d’activités industrielles dans le milieu résidentiel peut exiger des mesures de protection spéciales, en fonction de procédés de production particuliers.

Les types de solutions adoptées pour le logement peuvent varier grandement d’un endroit à l’autre, selon la situation sociale, économique, technique et culturelle. De nombreuses villes, grandes et petites, se sont dotées de lois sur l’urbanisme et la construction, qui prévoient des mesures pour prévenir les risques sanitaires. Mais, bien souvent, ces lois ne sont pas appliquées, par ignorance, ou encore parce qu’il n’existe pas d’appareil judiciaire ni les ressources financières nécessaires pour bâtir des logements convenables. Il est donc important non seulement d’édicter des règlements appropriés (et de les mettre à jour), mais aussi de créer des conditions propres à leur application.

L’infrastructure urbaine: la fourniture de services de salubrité de l’environnement

Le logement peut aussi avoir des conséquences dommageables sur la santé lorsqu’il n’existe pas de services de salubrité de l’environnement suffisants, comme les services de ramassage des ordures, d’approvisionnement en eau, d’assainissement et d’évacuation des eaux. Les effets d’une insuffisance de ces services dépassent toutefois le cadre strict du logement et peuvent engendrer des risques pour une ville dans son ensemble. Dans beaucoup d’endroits, la qualité de ces services en est encore médiocre. Par exemple, entre 30 et 50% des déchets solides produits par les centres urbains ne sont pas ramassés. En 1985, on comptait 100 millions de personnes de plus qu’en 1975 qui n’étaient pas alimentées en eau. Plus de 2 milliards d’individus ne possèdent pas d’installation sanitaire pour l’élimination des excréments (Hardoy, Cairncross et Satterthwaite, 1990; OMS, 1992c). Les médias citent fréquemment le cas d’inondations ou d’autres accidents attribuables à une mauvaise évacuation des eaux de ruissellement.

Les risques qui découlent d’une déficience des services de salubrité de l’environnement sont présentés au tableau 53.11. Il est aussi fréquent que des risques se répercutent d’un type de service à l’autre: contamination de l’eau courante à cause d’un manque d’installations d’assainissement, dissémination des déchets par les eaux non drainées, etc. Pour donner un exemple de l’ampleur des problèmes d’infrastructure, parmi beaucoup d’autres, rappelons qu’il meurt dans le monde un enfant toutes les vingt secondes pour cause de diarrhée — fléau dû à l’insuffisance des services de salubrité de l’environnement.

Tableau 53.11 Infrastructure urbaine et santé

Problèmes liés à la fourniture de services sanitaires

Risques pour la santé

Ordures non collectées

Présence de pathogènes dans les déchets, vecteurs de maladies (principalement mouches et rats) qui se reproduisent ou se nourrissent dans les ordures, risques d’incendie, pollution des cours d’eau

Insuffisance de la quantité ou de la qualité de l’eau

Diarrhée, trachome, dermatoses infectieuses, infections portées par les poux, autres infections engendrées par la consommation d’aliments non lavés

Absence d’équipements sanitaires

Infections des voies digestives et orales (diarrhée, choléra, fièvre typhoïde), parasites intestinaux, filariose

Absence d’égouts

Accidents (inondations, glissements de terrain, effondrements de maisons), infections des voies digestives et orales, schistosomiase, maladies transmises par les moustiques (paludisme, dengue, fièvre jaune), filariose à Wuchereria bancrofti

Source: Hardoy, Cairncross et Satterthwaite, 1990; Commission de la santé et de l’environnement de l’OMS, 1992b.

Les travailleurs dont le cadre de travail immédiat ou élargi n’est pas correctement pourvu de ce genre de services sont exposés à de nombreux risques professionnels. Ceux qui travaillent à la fourniture de services ou à l’entretien des infrastructures urbaines, comme les éboueurs et les balayeurs, sont d’autant plus exposés.

Certes, il existe des solutions techniques pour améliorer les services de salubrité de l’environnement. On pensera, parmi beaucoup d’autres, au recyclage des ordures (y compris aux moyens employés pour faciliter le travail des éboueurs), à l’utilisation de différents véhicules de ramassage des ordures pour diverses viabilités (y compris dans les secteurs d’habitat spontané), aux dispositifs qui permettent d’économiser l’eau, au renforcement du dépistage des fuites d’eau et à des installations sanitaires peu coûteuses comme les latrines ventilées, les fosses septiques ou les conduites d’égout de petit calibre.

Mais le succès de chaque solution dépend de son adaptation à la situation locale, ainsi que des ressources et des compétences que l’on possède sur place pour la mettre en œuvre. La volonté politique est fondamentale, mais pas suffisante. Les pouvoirs publics ont souvent de la difficulté à fournir des services urbains convenables par eux-mêmes. Pour réussir, il faut souvent faire collaborer les secteurs public, privé et bénévole. Le soutien et la participation pleine et entière des collectivités locales sont importants. Cela exige souvent que l’on reconnaisse officiellement les nombreux quartiers illicites et semi-licites (notamment dans les pays en développement, mais pas uniquement) qui contribuent pour une grande part aux problèmes de santé en rapport avec l’environnement. Les travailleurs préposés au ramassage des ordures ou à l’entretien des installations de recyclage et des égouts, par exemple, doivent porter un équipement de protection spécial, comme des gants, une combinaison et un masque.

La circulation

Les villes dépendent énormément des transports de surface pour le déplacement des personnes et des marchandises. C’est pourquoi l’essor de l’urbanisation partout dans le monde s’est accompagné d’une forte augmentation de la circulation. Or, celle-ci entraîne une multiplication des accidents. Environ 500 000 individus sont tués chaque année dans des accidents de la circulation, dont les deux tiers surviennent en milieu urbain ou périurbain. Par ailleurs, d’après de nombreuses études réalisées dans différents pays, on compte entre 10 et 20 blessés pour chaque décès. Parmi eux, beaucoup ont ensuite une incapacité de travail permanente ou prolongée (Urban Edge , 1990a; OMS, 1992b). Dans bien des cas, il s’agit de personnes qui se rendent à leur travail ou en reviennent; depuis peu, cette catégorie d’accident de la circulation est assimilée à un risque professionnel.

Selon des études de la Banque mondiale, les principales causes d’accident de la circulation urbaine sont le mauvais état des véhicules, la dégradation du réseau routier, la présence de différents types d’usagers (des piétons aux camions en passant par les animaux) dans une même rue ou une même voie, l’absence de chemins pour les piétons et l’imprudence (des conducteurs comme des piétons) (Urban Edge , 1990a, 1990b).

L’expansion de la circulation urbaine a aussi pour conséquence d’aggraver la pollution atmosphérique et sonore. Entre autres problèmes de santé, mentionnons les maladies respiratoires aiguës et chroniques, les affections malignes et les déficits auditifs (la pollution fait aussi l’objet d’autres chapitres de l’Encyclopédie ).

On ne manque pas de solutions techniques pour améliorer la sécurité des routes et des voitures (de même que pour réduire la pollution). Le plus difficile semble être de changer la mentalité des conducteurs, des piétons et des autorités. On recommande souvent de faire un travail d’éducation en matière de sécurité routière — de l’école primaire aux campagnes des médias — pour toucher les conducteurs et les piétons (lorsqu’ils sont appliqués, les programmes de ce type remportent souvent un certain succès). Les autorités ont pour responsabilité d’édicter et de faire respecter des règlements de la circulation, d’inspecter les véhicules, de concevoir et de mettre en application des mesures de prévention technique. Malheureusement, d’après les études susmentionnées, il est rare que ces autorités accordent une grande importance aux accidents de la circulation (ou à la pollution) ou qu’elles aient les moyens de faire de la prévention dans ce domaine (Urban Edge , 1990a, 1990b). Il importe donc que les services publics dépendant de ces autorités soient aussi la cible des campagnes d’éducation et qu’on les soutienne dans leur travail.

Le tissu urbain

Outre les problèmes déjà cités (logement, services, circulation), le développement global du tissu urbain a aussi une incidence sur la santé. Premièrement, les zones urbaines sont généralement densément peuplées, ce qui facilite la transmission des maladies contagieuses. Deuxièmement, ces zones attirent un nombre important d’industries, avec la pollution qu’elles engendrent. Troisièmement, de par l’urbanisation, les foyers naturels des vecteurs de maladies peuvent se trouver inclus dans les nouvelles zones urbaines et les vecteurs de maladies peuvent avoir ainsi de nouvelles niches. Des vecteurs peuvent s’adapter aux nouveaux habitats (urbains), par exemple ceux du paludisme urbain, de la dengue et de la fièvre jaune. Quatrièmement, l’urbanisation a souvent des conséquences psychosociales telles que le stress, l’aliénation, l’instabilité et l’insécurité, lesquelles engendrent à leur tour des problèmes comme la dépression, l’alcoolisme et la toxicomanie (Harpham, Lusty et Vaugham, 1988; OMS, 1992b).

Certaines expériences passées ont montré qu’il est possible (et nécessaire) de remédier aux problèmes de santé en améliorant la situation en milieu urbain. Par exemple «... la remarquable diminution des taux de mortalité et l’amélioration de la situation sanitaire en Europe et en Amérique du Nord à la fin du XIXe siècle s’expliquent plus par une amélioration de l’alimentation, de l’approvisionnement en eau, des installations sanitaires et des conditions de logement et de vie sous d’autres aspects que par l’essor de la médecine» (Hardoy, Cairncross et Satterthwaite, 1990).

Pour résoudre les problèmes croissants de l’urbanisation, il faut une bonne intégration entre l’urbanisme et la gestion urbaine (qui sont souvent séparés) et la participation des différents acteurs publics, privés et bénévoles qui opèrent dans le milieu urbain. L’urbanisation touche un large éventail de travailleurs. Contrairement à d’autres sources ou d’autres types de problèmes de santé (qui peuvent toucher des catégories précises de travailleurs), les risques professionnels issus de l’urbanisation ne peuvent être traités par une simple action ou pression des syndicats. Ils requièrent une action intersectorielle ou, mieux, une action de la part de la collectivité urbaine en général.

LE CHANGEMENT CLIMATIQUE À L’ÉCHELLE PLANÉTAIRE ET L’APPAUVRISSEMENT EN OZONE

Jonathan A. Patz

Le changement climatique

Les principaux gaz à effet de serre (GES) comprennent le dioxyde de carbone, le méthane, l’oxyde nitreux, la vapeur d’eau et les chlorofluorocarbures (CFC). Ces gaz permettent à la lumière du soleil de pénétrer jusqu’à la surface de la terre, mais empêchent la chaleur radiante infrarouge de s’échapper. D’après les conclusions du Groupe intergouvernemental d’experts des Nations Unies sur l’évolution du climat (IPCC), les émanations gazeuses, notamment celles provenant de l’industrie, et la destruction des «puits» des gaz à effet de serre (en raison d’une mauvaise utilisation des terres et, principalement, du déboisement) font que les concentrations de GES ont augmenté fortement au-delà de celles résultant des processus naturels. Sans un changement radical de politique, on prévoit que les taux de dioxyde de carbone préindustriel vont grimper, ce qui fera augmenter la température moyenne de la planète de 1 à 3,5 °C d’ici à 2100.

Les deux principales composantes du changement climatique sont: 1) une élévation de la température qui s’accompagne de conditions atmosphériques instables et extrêmes; 2) une élévation du niveau de la mer due à la thermoexpansion. Ce changement peut entraîner une augmentation de la fréquence des vagues de chaleur et des épisodes de pollution atmosphérique dangereux, une diminution de l’humidité du sol, une incidence accrue des accidents climatiques et des inondations côtières (IPCC, 1992). Sur le plan sanitaire, le changement climatique peut aboutir à une aggravation des phénomènes suivants: 1) mortalité et morbidité en rapport avec la chaleur; 2) maladies infectieuses, notamment celles qui sont transmises par des insectes; 3) malnutrition due à la pénurie d’aliments; 4) sursollicitation des infrastructures sanitaires publiques découlant de catastrophes climatiques et de l’élévation du niveau de la mer, aggravée par des migrations humaines attribuables au climat (voir figure 53.12).

Figure 53.12 Effets des principales composantes du changement climatique au niveau
mondial sur la santé de la population

Figure 53.12

L’être humain possède une très bonne capacité d’adaptation aux conditions climatiques et environnementales. Mais l’ampleur des changements climatiques et écologiques prévus préoccupe le corps médical et les spécialistes des sciences de la terre. Beaucoup de problèmes de santé découleront de conséquences écologiques de la modification du climat. La propagation de maladies transmises par un vecteur, par exemple, dépendra de la façon dont évolueront la végétation, la présence de réservoirs d’hôtes ou d’hôtes intermédiaires, conjointement avec des effets directs des variations de température et d’humidité sur les parasites et leurs vecteurs (Patz et coll., 1996). Pour bien comprendre les conséquences du changement climatique, il faudra donc une évaluation complète des risques écologiques, ce qui exigera des moyens nouveaux et complexes comparativement à la méthode classique qui consiste à analyser pour un seul agent les rapports de cause à effet à partir de données empiriques (McMichael, 1993).

L’appauvrissement de l’ozone stratosphérique

L’appauvrissement de l’ozone stratosphérique résulte principalement de réactions avec des radicaux libres halogénés de chlorofluorocarbures (CFC), ainsi qu’à d’autres hydrocarbures halogénés et du bromure de méthyle (Molina et Rowland, 1974). Plus précisément, l’ozone empêche la pénétration des rayonnements ultraviolets B (UV-B), qui couvrent les longueurs d’onde biologiquement les plus destructrices (290-320 nanomètres). On s’attend à ce que la quantité d’UV-B augmente d’une façon disproportionnée dans les zones tempérées et arctiques, car il est maintenant clair que plus la latitude est élevée, plus la couche d’ozone diminue (Stolarski et coll., 1992).

On a calculé que pendant la période 1979-1991, la couche d’ozone a diminué en moyenne de 2,7% tous les dix ans, compte tenu des cycles solaires et d’autres facteurs (Gleason et coll., 1993). En 1993, des chercheurs de Toronto (Canada) ont découvert, grâce à un nouveau spectroradiomètre très sensible, que l’appauvrissement de l’ozone stratosphérique avait provoqué localement une augmentation du rayonnement d’UV-B ambiant de 35% en hiver et de 7% en été par rapport à 1989 (Kerr et McElroy, 1993). D’après des calculs antérieurs du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), une diminution de 1% de l’ozone stratosphérique devrait entraîner une augmentation de 1,4% des UV-B (PNUE, 1991a).

La réduction de l’ozone stratosphérique, qui provoque une augmentation du rayonnement UV-B ambiant, a des retombées directes sur la santé: cancers de la peau, troubles oculaires et immunosuppression auxquels peuvent s’ajouter des effets indirects dus à une détérioration des cultures par les rayons ultraviolets.

Les effets de la modification des températures et des précipitations sur la santé

L’influence du réchauffement sur les taux de morbidité et de mortalité

Physiologiquement parlant, les êtres humains possèdent une grande capacité de thermorégulation, cela jusqu’à un certain seuil. Lorsque la chaleur ambiante dépasse ce seuil et persiste pendant plusieurs jours consécutifs, la mortalité augmente. Facteur aggravant, les mauvaises conditions de logement s’ajoutent, dans certaines villes, à la concentration de chaleur en milieu urbain. A Shanghai, par exemple, les écarts peuvent atteindre 6,5 °C les soirées d’hiver sans vent (IPCC, 1990). La plupart des décès qui résultent de la chaleur se produisent dans le groupe des personnes âgées et sont attribués à des troubles cardio-vasculaires et respiratoires (Kilbourne, 1989). Certaines variables météorologiques clés contribuent à faire augmenter la mortalité explicable par la chaleur, la principale étant la température élevée observée pendant la nuit. On pense que l’effet de serre va faire sensiblement grimper ces températures minimales (Kalkstein et Smoyer, 1993).

On s’attend à ce que les régions tempérées et polaires se réchauffent comparativement davantage que les zones tropicales et subtropicales (IPCC, 1990). Si l’on en croit les prévisions de l’Administration nationale de l’aérospatiale américaine (National Aeronautics and Space Administration (NASA)), un doublement du taux de CO2 ambiant entraînera, par exemple, une augmentation de 3,1 et 3,9 °C, respectivement, de la température moyenne en été à New York et à Saint Louis. Même si l’on tient compte de l’acclimatation physiologique, le taux de mortalité enregistré chaque année en été dans des villes tempérées de ce type pourrait plus que quadrupler (Kalkstein et Smoyer, 1993).

Les réactions chimiques qui se produisent dans l’atmosphère contribuent fortement à la formation du smog photochimique urbain, phénomène dans lequel la photodécomposition de NO2 en présence de composés organiques volatils produit de l’ozone troposphérique (au voisinage du sol). L’augmentation du rayonnement UV ambiant et l’augmentation de la température accélèrent toutes deux ces réactions. Les effets nocifs de la pollution atmosphérique sur la santé sont bien connus, et l’utilisation continue de combustibles fossiles ne fera qu’ajouter aux maladies aiguës et chroniques (voir l’article intitulé «La pollution atmosphérique» dans le présent chapitre).

Les maladies infectieuses et les modifications du climat et des écosystèmes

Des modèles qui reproduisent à la fois la circulation générale de l’atmosphère et des océans nous font prévoir que c’est aux latitudes élevées de l’hémisphère Nord que la température à la surface de la terre se réchauffera le plus, d’après les hypothèses de l’IPCC (IPCC, 1992). Selon toute vraisemblance, les températures minimales en hiver changeront d’une manière disproportionnée, en conséquence de quoi certains virus et parasites atteindront des régions dans lesquelles ils ne pouvaient vivre auparavant. Outre les effets directs du climat sur les vecteurs, la transformation des écosystèmes pourrait avoir une forte incidence sur des maladies pour lesquelles l’extension géographique du vecteur, ou du réservoir de l’hôte, est définie par ces écosystèmes.

Les maladies transmises par un vecteur pourront s’étendre aux régions tempérées des deux hémisphères et s’intensifier dans les zones où elles ont un caractère endémique. La température détermine l’infectiosité des vecteurs en influant sur la réplication des pathogènes, leur maturation et leur période d’infectiosité (Longstreth et Wiseman, 1989). Une élévation de la température et de l’humidité peut aussi accroître l’agressivité de certaines espèces de moustiques. Une chaleur extrême, en revanche, peut raccourcir la durée de vie d’un insecte.

Les maladies infectieuses qui font intervenir dans leur cycle de vie une espèce à sang froid (invertébrée) sont les plus sensibles aux variations climatiques légères (Sharp, 1994). Parmi les maladies dont l’agent infectieux, le vecteur ou l’hôte sont influencés par le changement climatique, on compte le paludisme, la schistosomiase, la filariose, la leishmaniose, l’onchocercose (cécité des rivières), la trypanosomiase (maladie de Chagas et maladie du sommeil), la dengue, la fièvre jaune et l’encéphalite à arbovirus. Le nombre de personnes exposées à ces maladies est donné au tableau 53.12 (OMS, 1990c).

Tableau 53.12 Situation dans le monde des principales maladies transmises par un vecteur

a

Maladie

Population menacée (millions)b

Prévalence de l’infection (millions)

Répartition actuelle

Evolution possible de la répartition à cause des changements climatiques

1.

Paludisme

2 100

270

Zones tropicales/ subtropicales

++

2.

Filariose lymphatique

900

90,2

Zones tropicales/ subtropicales

+

3.

Onchocercose

90

17,8

Afrique/ Amérique du Sud

+

4.

Schistosomiase

600

200

Zones tropicales/ subtropicales

++

5.

Maladie du sommeil

50

(25 000 nouveaux cas/an)

Afrique tropicale

+

6.

Leishmaniose

350

12 millions infectés
+ 400 000 nouveaux cas/an

Asie/ Europe du Sud/ Afrique/ Amérique du Sud

?

7.

Dracunculiose

63

1

Zones tropicales (Afrique/Asie)

0

Maladies à arbovirus

         

8.

Dengue

1 500

 

Zones tropicales/ subtropicales

++

9.

Fièvre jaune

+++

 

Afrique/ Amérique latine

+

10.

Encéphalite japonaise

+++

 

Asie de l’Est et du Sud-Est.

+

11.

Autres maladies à arbovirus

+++

   

+

a Les chiffres renvoient aux explications données dans le texte.b Sur la base d’une population mondiale estimée à 4,8 milliards (1989).

0 = peu probable; + = probable; ++ = très probable; +++ = absence d’estimation; ? = inconnu.

Parmi les maladies transmises par un vecteur, le paludisme est la plus répandue dans le monde, provoquant entre 1 et 2 millions de morts par an. Selon Martens et coll. (1995), il pourrait s’y ajouter 1 million de pertes humaines attribuables au changement climatique d’ici au milieu du siècle prochain. Le territoire de l’anophèle, moustique vecteur du paludisme, s’étend jusqu’à l’isotherme hivernal de 16 °C, ce parasite ne pouvant se développer au-dessous de cette température (Gilles et Warrell, 1993). La survenue d’une épidémie à des altitudes plus élevées coïncide en général avec des températures supérieures à la moyenne (Loevinsohn, 1994). Le déboisement favorise aussi le paludisme, étant donné que de nombreuses masses d’eau douce où la larve d’anophèle peut prospérer se forment dans les zones défrichées (voir l’article intitulé «L’extinction d’espèces, la diminution de la biodiversité et la santé humaine» dans ce chapitre).

Les efforts déployés depuis deux décennies pour lutter contre le paludisme n’ont donné que des résultats médiocres. Le traitement ne s’est pas amélioré, la résistance aux médicaments étant devenue le principal problème posé par la souche la plus virulente, Plasmodium falciparum , et les vaccins antipaludiques ne s’avèrent que d’une efficacité limitée (Institute of Medicine, 1991). La grande capacité de variation antigénique des protozoaires a, jusqu’à présent, empêché la mise au point de vaccins efficaces contre le paludisme et la maladie du sommeil, ce qui laisse craindre que l’on ne puisse disposer avant longtemps de nouveaux produits pharmaceutiques contre ces maladies. Les maladies transmises par un hôte intermédiaire (comme le cerf et les rongeurs dans le cas de la maladie de Lyme) rendent quasiment impossible une immunisation des populations humaines avec des vaccins, obstacle supplémentaire à une prévention médicale.

A mesure que le changement climatique modifiera l’habitat, risquant ainsi de porter atteinte à la biodiversité, les insectes vecteurs devront trouver de nouveaux hôtes (voir l’article intitulé «L’extinction d’espèces, la diminution de la biodiversité et la santé humaine», dans le présent chapitre). Au Honduras, par exemple, des insectes hématophages comme le scarabée tueur, porteur de l’incurable maladie de Chagas (ou la trypanosomiase américaine), se replient sur l’être humain à cause d’une diminution de la biodiversité provoquée par le déboisement. Sur les 10 601 Honduriens que l’on a étudiés dans des régions touchées par l’endémie, 23,5% sont aujourd’hui séropositifs à la maladie de Chagas (Sharp, 1994). Des zoonoses sont souvent à l’origine d’infections chez l’humain, qu’elles atteignent en général après une modification de l’environnement ou de l’activité humaine (Institute of Medicine, 1992). Beaucoup de maladies émergentes chez l’humain ont en fait depuis longtemps des animaux pour hôtes. L’hantavirau , par exemple, dont on a appris dernièrement qu’il est la cause de décès humains dans le sud-ouest des Etats-Unis, est connu depuis longtemps pour s’attaquer aux rongeurs, et on pense que l’éclosion récente de cette infection a un lien avec les conditions climatiques et écologiques (Wenzel, 1994).

Les effets sur la vie marine

Le changement climatique peut aussi influencer la santé de la population de par ses effets sur la prolifération des variétés nocives de phytoplancton marin (ou d’algues). Globalement, le développement du phytoplancton résulte d’une mauvaise maîtrise de l’érosion, de l’usage immodéré d’engrais en agriculture et du déversement d’eaux usées le long des côtes, autant de phénomènes qui produisent des effluents riches en nutriments propices à une prolifération des algues. Celle-ci pourrait être favorisée encore davantage par une élévation de la température en surface des océans, conséquence prévisible du réchauffement planétaire. La pêche et la récolte de coquillages (consommateurs d’algues) pratiquées de manière excessive, ajoutées à une utilisation généralisée de pesticides toxiques pour les poissons, contribuent également à la prolifération du plancton (Epstein, 1995).

Les diarrhées et maladies paralysantes provoquées par les marées rouges, ainsi que les amnésies dues à une intoxication par les coquillages, sont de bons exemples de maladies résultant de la prolifération des algues. On sait que le phytoplancton marin peut être l’hôte du Vibrio cholerae ; les algues pourraient donc constituer un véritable réservoir pour les épidémies de choléra (Huq et coll., 1990).

L’approvisionnement en nourriture et l’alimentation humaine

La malnutrition est une cause importante de mortalité infantile et de maladie chez l’enfant à cause de l’immunosuppression (voir «L’alimentation et l’agriculture»). Le changement climatique risque d’avoir sur l’agriculture des effets négatifs à la fois durables, comme la réduction de l’humidité du sol du fait de l’évapotranspiration, et des effets plus immédiats, sous la forme de phénomènes atmosphériques extrêmes tels que sécheresse, inondations (et érosion) et tempêtes tropicales. Au début, certains végétaux pourront profiter de la «fertilisation au CO2», qui facilite la photosynthèse (IPCC, 1990). Cependant, même dans ce cas, l’agriculture des pays en développement sera la plus touchée et on calcule, que, dans ces régions, entre 40 et 300 millions d’individus supplémentaires seront menacés par la famine à cause de l’évolution du climat (Sharp, 1994).

Il faudra aussi prendre en compte les changements écologiques indirects qui influent sur les cultures, car la distribution des populations de parasites dans l’agriculture pourrait se modifier (IPCC, 1992) (voir «L’alimentation et l’agriculture»). Vu la dynamique complexe des écosystèmes, il ne faudra pas se contenter, pour faire une évaluation complète, d’examiner les conséquences directes des changements de l’atmosphère et de l’état du sol.

Les effets des catastrophes climatiques et de l’élévation du niveau de la mer sur la santé

Sous l’influence de leur expansion thermique, les océans pourront voir leur niveau s’élever à un rythme relativement rapide de 2 à 4 cm tous les dix ans, et on prévoit que le cycle hydrologique atteindra des extrêmes qui engendreront un grand nombre de désastres climatiques et de tempêtes. Des phénomènes de ce type endommageront directement les logements et les infrastructures de santé publique, entre autres les réseaux d’assainissement et les égouts d’eaux pluviales (IPCC, 1992). Les populations habitant dans les terres basses le long des côtes et sur de petites îles, les plus exposées, devront migrer vers des régions plus sûres. Un surpeuplement et de mauvaises conditions sanitaires parmi ces «réfugiés climatiques» pourront amplifier la propagation de maladies infectieuses comme le choléra, et les maladies transmises par un vecteur se répandront à un rythme accéléré vu la promiscuité et, éventuellement, l’arrivée massive d’individus infectés (OMS, 1990c). La situation pourra être aggravée par le débordement d’égouts, et il faudra aussi tenir compte des conséquences psychologiques du syndrome de stress post-traumatique qui suivra les grandes tempêtes.

Les réserves d’eau douce vont diminuer à cause de la pénétration du sel dans les nappes aquifères côtières et de la salinisation ou de l’inondation pure et simple de terres agricoles côtières, qui seront ainsi perdues. Une élévation de 1 m du niveau de la mer, par exemple, fera reculer l’agriculture de 15 et 20% en Egypte et au Bangladesh, respectivement (IPCC, 1990). Comme dans le cas des sécheresses, les méthodes d’irrigation adaptées pourraient avoir des répercussions sur les sites de reproduction des arthropodes et des invertébrés vecteurs (à l’instar de la schistosomiase en Egypte), mais il sera difficile d’évaluer les avantages de ces méthodes par rapport à leur coût.

Les effets de l’appauvrissement de l’ozone stratosphérique sur la santé

Les effets directs des rayonnements ultraviolets B sur la santé

L’ozone empêche la pénétration des rayonnements ultraviolets B (UV-B), dont la longueur d’onde de 290 à 320 nanomètres est la plus nocive pour la santé. Les UV-B entraînent la formation de dimères de pyrimidine dans les molécules d’ADN, qui peuvent évoluer en cancer si cette formation n’est pas réversible (CIRC, 1992). Les cancers de la peau non mélaniques (épithéliome malpighien ou basocellulaire) et les mélanomes malins à extension superficielle sont corrélés à l’exposition au soleil. Dans les pays occidentaux, l’incidence du mélanome a progressé de 20 à 50% tous les cinq ans au cours des deux dernières décennies (Coleman et coll., 1993). S’il n’existe pas de lien direct entre des expositions cumulatives aux ultraviolets (UV) et l’apparition d’un mélanome, une exposition excessive aux UV pendant l’enfance, en revanche, explique une telle incidence. Si la couche d’ozone stratosphérique diminuait durablement de 10%, le nombre de cancers de la peau non mélaniques pourrait augmenter de 26% par an, soit de 300 000 cas dans le monde, et le nombre de mélanomes malins de 20%, soit de 4 500 cas par an toujours (PNUE, 1991a).

La cataracte explique la moitié des cas de cécité dans le monde (17 millions de victimes par an) et est liée aux rayonnements UV-B selon une relation dose-réponse (Taylor, 1990). Les acides aminés et les systèmes de transport membranaire dans le cristallin sont particulièrement sujets à une photo-oxydation par des radicaux oxygène provenant de rayonnements UV-B (CIRC, 1992). Un doublement de l’exposition aux UV-B pourrait entraîner une augmentation de 60% du nombre de cataractes corticales par rapport aux chiffres actuels (Taylor et coll., 1988). Le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) calcule qu’une perte durable de 10% de la couche d’ozone stratosphérique pourrait faire apparaître presque 1,75 million de cataractes supplémentaires par an (PNUE, 1991a). Une exposition aux UV-B peut avoir aussi d’autres effets oculaires: photokératites, photokérato-conjonctivites, pinguécula et ptérygion (ou croissance exagérée de l’épithélium conjonctival), kératite bulleuse (CIRC, 1992).

L’aptitude du système immunitaire à bien fonctionner dépend du traitement de l’antigène «local» et de sa présentation aux lymphocytes, ainsi que de l’augmentation du pouvoir de réaction «systémique» par la production de lymphokine (messager biochimique) et des ratios résultants entre lymphocytes amplificateurs et lymphocytes suppresseurs. Les UV-B provoquent une immunosuppression à deux niveaux. Chez l’animal, les UV-B peuvent influencer le cours de maladies cutanées infectieuses, comme l’onchocercose, la leishmaniose et la dermatophytose, et entraver l’immunosurveillance des cellules épidermiques transformées, précancéreuses. Les études préliminaires mettent aussi en évidence une influence sur l’efficacité des vaccins (Kripke et Morison, 1986; CIRC, 1992).

Les effets indirects des UV-B sur la santé publique

Les végétaux ne sont apparus sur terre qu’après la formation du bouclier d’ozone, étant donné que les UV-B empêchent la photosynthèse (PNUE, 1991a). La fragilisation des cultures alimentaires sensibles aux UV-B pourrait aggraver les effets que le changement climatique et l’élévation du niveau de la mer auront sur l’agriculture.

Le phytoplancton, premier maillon de la chaîne alimentaire marine, sert aussi d’important «puits» pour le dioxyde de carbone. C’est pourquoi les dommages créés par les UV à ces algues dans les régions polaires altèrent la chaîne trophique marine et exacerbent l’effet de serre. Selon le PNUE, une diminution de 10% du phytoplancton marin ferait baisser de 5 gigatonnes la quantité de CO2 absorbée chaque année par les océans, ce qui équivaut aux émanations annuelles produites par la consommation de combustibles fossiles (PNUE, 1991a).

Les risques professionnels et les méthodes de réduction

Les risques professionnels

Pour réduire les GES produits par les combustibles fossiles, il faudra développer les sources d’énergie renouvelables. Les dangers créés par l’énergie nucléaire dans la population et sur le lieu de travail sont bien connus et il sera nécessaire de sauvegarder les installations, le personnel et le combustible irradié. Le méthanol peut remplacer une bonne partie de l’essence; mais le formaldéhyde qu’il émet présentera un nouveau risque environnemental. Les matériaux supraconducteurs qui permettent de transporter efficacement l’électricité sont surtout des céramiques composées de calcium, de strontium, de baryum, de bismuth, de thallium et d’yttrium.

On sait moins comment est assurée la sécurité des gens travaillant dans les usines qui fabriquent des unités de captage de l’énergie solaire. Pour produire des cellules photovoltaïques, on se sert essentiellement de silicone, de gallium, d’indium, de thallium, d’arsenic et d’antimoine. Le silicium et l’arsenic sont nocifs pour les poumons; le gallium se concentre dans les reins, le foie et les os; et sous ses formes ionisées, l’indium est néphrotoxique.

Les effets destructeurs des CFC sur la couche d’ozone stratosphérique ont été reconnus dans les années soixante-dix, et c’est en 1978 que l’Agence de protection de l’environnement (Environmental Protection Agency (EPA)), aux Etats-Unis, a interdit l’utilisation de ces gaz inertes dans les aérosols. En 1985, la prise de conscience du problème s’est amplifiée lorsqu’une équipe britannique basée dans l’Antarctique découvrit le «trou» dans la couche d’ozone (Farman, Gardiner et Shanklin, 1985). La signature du Protocole de Montréal en 1987, modifié en 1990 et 1992, a déjà rendu obligatoire une forte réduction de la production de CFC.

Les produits chimiques de remplacement des CFC sont les hydrochlorofluorocarbures (HCFC) et les hydrofluorocarbures (HFC). La présence de l’atome d’hydrogène peut faciliter la dégradation de ces composés par des radicaux hydroxyles (OH)dans la troposphère, réduisant d’autant les risques d’appauvrissement de l’ozone stratosphérique. Sur le plan biologique, cependant, ces produits de remplacement des CFC réagissent davantage que les CFC. L’existence d’un lien C-H rend ces produits chimiques sujets à une oxydation par le cytochrome P-450.

L’atténuation et l’adaptation

Pour relever les défis de santé publique posés par les mutations du climat planétaire, il faudra: 1) adopter une démarche écologique intégrée; 2) réduire les gaz à effet de serre en limitant les émissions industrielles, réglementer l’utilisation des sols pour maximiser l’étendue des «puits» de CO2 et établir des politiques démographiques qui permettent d’atteindre ces deux objectifs; 3) surveiller l’évolution d’indicateurs biologiques à l’échelle régionale et mondiale; 4) adapter les politiques de santé publique pour limiter les incidences du changement climatique inévitables; 5) assurer une coopération entre pays développés et en développement. En bref, il faudra veiller à une intégration accrue des politiques d’environnement et de santé publique.

Le changement climatique et l’appauvrissement de l’ozone s’accompagnent d’un nombre considérable de risques pour la santé à différents niveaux et mettent en lumière le rapport important qui existe entre la dynamique des écosystèmes et le maintien en bonne santé des êtres humains. Les mesures préventives doivent donc être fondées sur une vision systémique et anticiper les importantes réactions écologiques au changement climatique, ainsi que les risques physiques directs prévus. Au moment d’évaluer les risques écologiques, il faudra examiner certains éléments clés, dont les variations spatiales et temporelles, les mécanismes de rétroaction et l’utilisation d’organismes inférieurs comme bio-indicateurs primaires.

Le fait de réduire les gaz à effet de serre en passant des combustibles fossiles à des sources d’énergie renouvelables représente le principal moyen de prévenir le changement climatique (prévention primaire). De la même façon, une planification stratégique de l’utilisation des sols et une stabilisation de la charge sur l’environnement due à la population humaine permettront de préserver d’importants «puits» naturels de gaz à effet de serre.

Comme on ne pourra peut-être pas éviter certains changements climatiques, il faudra un travail de coordination sans précédent pour faire de la prévention secondaire sous la forme d’une détection précoce grâce au contrôle de paramètres sanitaires. Pour la première fois de l’histoire, des tentatives sont effectuées pour surveiller le système terrestre dans son intégralité. Le Système mondial d’observation du climat comprend la Veille météorologique mondiale et la Veille de l’atmosphère du globe de l’Organisation météorologique mondiale (OMM), ainsi que des éléments du Système mondial de surveillance continue de l’environnement du PNUE. Le Système mondial d’observation des océans est le fruit d’une entreprise commune entre la Commis-sion océanographique intergouvernementale de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), l’OMM et le Conseil international des unions scientifiques (International Council of Scientific Unions (ICSU)). On utilisera à la fois le satellite et des dispositifs sous-marins pour mesurer les changements survenant dans le milieu marin. Le Système mondial d’observation de la terre est un nouveau système parrainé par le PNUE, l’UNESCO, l’OMM, l’ICSU et l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), qui apportera l’élément terrestre au Système mondial d’observation du climat (OMM, 1992).

Les moyens d’adaptation qui permettent de limiter les problèmes de santé inévitables comprennent les programmes de préparation aux catastrophes, des mesures d’urbanisme pour limiter l’effet des «îlots» de chaleur et améliorer le logement, des plans d’occupation des sols pour réduire l’érosion, les crues subites et le déboisement inutile (on arrêtera, par exemple, la création de grands pâturages pour la production de viande d’exportation), les changements de comportement personnel (comme la renonciation aux bains de soleil), la lutte contre les vecteurs et une multiplication des campagnes de vaccination. Il faudra réfléchir aux coûts imprévus des mesures d’adaptation prises pour mettre fin, par exemple, à un usage accru des pesticides. Une trop grande dépendance à l’égard des pesticides non seulement aboutit à une résistance des insectes, mais élimine aussi des prédateurs naturels utiles. Les effets dommageables des pesticides sur la santé publique et l’environnement ont un coût que l’on situe aujourd’hui entre 100 et 200 milliards de dollars E.-U. par an (Institute of Medicine, 1991).

Les pays en développement souffriront nettement plus des conséquences du changement climatique que les pays industriels, qui sont pourtant les principaux responsables des rejets de GES dans l’atmosphère. A l’avenir, les pays pauvres influeront beaucoup plus sur le cours du réchauffement planétaire, à la fois de par les technologies qu’ils emploieront à mesure qu’ils se développeront, et de par leur politique d’occupation des sols. Les pays développés vont devoir adopter des politiques énergétiques plus respectueuses de l’environnement et transférer rapidement aux pays en développement des technologies nouvelles (à un prix abordable).

Etude de cas: virus transmis par les moustiques

L’encéphalite transmise par le moustique et la dengue sont de bons exemples de maladies dues à un vecteur dont l’extension est limitée par le climat. Les épidémies d’encéphalite de Saint Louis (ESL), l’encéphalite arbovirale la plus commune aux Etats-Unis, surviennent généralement au sud de l’isotherme de 22 °C de juin, mais des flambées peuvent se produire plus au nord pendant des années anormalement chaudes. Chez l’être humain, elles se manifestent très souvent après plusieurs jours où la température dépasse 27 °C (Shope, 1990).

Des études sur le terrain révèlent qu’une élévation de 1 °C de la température raccourcit nettement le temps écoulé entre le moment où un moustique pompe sa dose de sang et celui où le virus s’est suffisamment reproduit pour devenir infectieux à l’intérieur du vecteur (période d’incubation extrinsèque). Une fois les corrections faites pour tenir compte d’une résistance réduite des moustiques aux températures élevées, on prévoit une extension nette des épidémies d’ESL vers le nord (Reeves et coll., 1994), consécutive à une augmentation de la température de 3 à 5 °C.

Le territoire d’Aedes aegypti , vecteur primaire de la dengue (et de la fièvre jaune), s’étend jusqu’à une latitude de 35° parce que le gel tue les larves comme les adultes. La dengue est très répandue aux Antilles, en Amérique tropicale, en Océanie, en Asie, en Afrique et en Australie. Depuis 15 ans, les épidémies de dengue deviennent plus nombreuses et plus graves, notamment dans les centres urbains des régions tropicales. La fièvre hémorragique de la dengue se classe aujourd’hui parmi les principales causes d’hospitalisation et de mortalité chez les enfants en Asie du Sud-Est (Institute of Medicine, 1992). La progression observée en Asie il y a 20 ans est en train de se répéter dans les Amériques.

Il se pourrait que le changement climatique agisse sur la transmission de la dengue. En 1986, on a constaté au Mexique que le plus important indicateur de la dengue était la température médiane pendant la saison des pluies, avec un risque corrigé quadruple entre 17 °C et 30 °C (Koopman et coll., 1991). Les vérifications effectuées en laboratoire vont dans le même sens. In vitro, la période d’incubation extrinsèque pour le virus de type 2 de la dengue était de 12 jours à 30 °C et de seulement 7 jours entre 32 et 35 °C (Watts et coll., 1987). Ce raccourcissement de 5 jours attribuable à la température pourrait équivaloir à un triplement des risques de transmission de la maladie (Koopman et coll., 1991). Enfin, l’élévation des températures donne des insectes à l’âge adulte plus petits, qui doivent piquer plus souvent pour pouvoir produire un couvain. En résumé, une élévation des températures peut créer une population de moustiques plus infectieux et plus voraces (Focks et coll., 1995).

L’EXTINCTION D’ESPÈCES, LA DIMINUTION DE LA BIODIVERSITÉ ET LA SANTÉ HUMAINE1

1 Cet article a été adapté avec l'aimable autorisation de Chivian, E., 1993: «Species extinction and biodiversity loss: The implications for human health», dans E. Chivian, M. McCally, H. Hu et A. Haines (directeurs de publication): Critical Condition: Human Health and the Environment (Cambridge, Massachusetts et Londres, MIT Press). Remerciements à E.O. Wilson, Richard Schultes, Stephen Morse, Andrew Spielma, Paul Epstein, David Potter, Nan Vance, Rodney Fujita, Michael Balick, Suzn Strobel et Edson Albuquerque

Eric Chivian

L’activité humaine entraîne l’extinction d’espèces animales, végétales et microbiennes mille fois plus vite qu’au rythme naturel (Wilson, 1992), extinction qui est probablement l’une des plus importantes de l’histoire de la géologie. Lorsque l’Homo sapiens est apparu, il y a quelque 100 000 ans, le nombre d’espèces qu’abritait la Terre était le plus important de tous les temps (Wilson, 1989). Au rythme où les espèces disparaissent aujourd’hui, on est en train de retomber au niveau le plus bas depuis l’époque des dinosaures, il y a 65 millions d’années, puisqu’on estime qu’un quart des espèces seront éteintes dans 50 ans (Ehrlich et Wilson, 1991).

En plus de poser des dilemmes éthiques — nous n’avons pas le droit de tuer d’innombrables autres organismes, dont beaucoup étaient sur la planète des dizaines de millions d’années avant nous —, ce comportement ne peut qu’aboutir à une autodestruction, en rompant le fragile équilibre écologique sur lequel repose toute forme de vie, y compris la nôtre, en détruisant la diversité biologique qui rend les sols fertiles, qui produit l’air que nous respirons et qui nous fournit les aliments et d’autres produits naturels vitaux, dont le plus grand nombre reste à découvrir.

L’accroissement exponentiel de la population humaine et, parallèlement, l’augmentation encore plus forte de la consommation de ressources naturelles et de la production de déchets sont les principaux facteurs qui menacent la survie des autres espèces. Le réchauffement de la planète, les pluies acides, l’appauvrissement de l’ozone stratosphérique et le rejet de produits chimiques toxiques dans l’air, le sol et les écosystèmes d’eau douce et salée conduisent tous à une diminution de la biodiversité. Mais c’est la destruction d’habitats par les activités humaines, notamment le déboisement, qui constitue le principal fléau.

C’est surtout vrai des forêts tropicales humides. La superficie qu’elles occupaient du temps de la préhistoire a été réduite de plus de la moitié, mais on continue de les couper et de les brûler au rythme d’environ 142 000 km2 par an, ce qui équivaut à la superficie de la Suisse et des Pays-Bas réunis; il disparaît ainsi chaque seconde une forêt de la grandeur d’un terrain de football (Wilson, l992). Cette œuvre de destruction est la cause première de l’extinction massive d’espèces dans le monde.

On estime que la Terre abrite entre 10 et 100 millions d’espèces. Si l’on se base sur un chiffre prudent de 20 millions d’espèces, ce sont donc 10 millions d’espèces qui vivent dans les forêts humides tropicales; or, à la vitesse à laquelle on déboise les régions tropicales, cela veut dire que 27 000 espèces seraient éliminées des forêts tropicales chaque année, soit plus de 74 par jour ou 3 par heure (Wilson, 1992).

Cet article examine les incidences de cette réduction généralisée de la diversité biologique sur la santé humaine. D’après l’auteur, si l’on saisissait bien les effets qu’entraîneront ces extinctions massives — qui compromettront la compréhension et le traitement de nombreuses maladies incurables et, au bout du compte, menaceront peut-être la survie des êtres humains —, on verrait alors que les atteintes actuellement portées à la biodiversité ne constituent ni plus ni moins qu’une urgence médicale à évolution lente et exigerait que les mesures prises pour préserver les espèces et les écosystèmes soient reconnues hautement prioritaires.

La perte de modèles médicaux

Trois groupes d’animaux menacés, très éloignés les uns des autres — les grenouilles vénéneuses, les ours et les requins — montrent de manière éclatante comment des modèles importants pour la science biomédicale risquent d’être détruits par les êtres humains.

Les grenouilles vénéneuses

Toute la famille des grenouilles vénéneuses, les dendrobatidés, que l’on trouve dans les régions tropicales des Amériques, est menacée par la destruction de ses habitats, c’est-à-dire des forêts humides situées dans les basses terres de l’Amérique centrale et du Sud (Brody, 1990). Ces animaux aux couleurs vives, qui se répartissent en plus de 100 espèces, sont particulièrement sensibles au déboisement, car ils ne vivent souvent que dans certains secteurs précis de la forêt et ne peuvent évidemment pas vivre ailleurs. Les scientifiques ont fini par comprendre que les toxines qu’ils libèrent, que les Indiens d’Amérique centrale et du Sud utilisent depuis des siècles pour fabriquer des flèches empoisonnées, sont parmi les substances naturelles les plus mortelles que l’on connaisse. Ils sont également très utiles en médecine. Les éléments actifs de ces toxines sont des alcaloïdes, composés cycliques azotés tels que morphine, caféine, nicotine et cocaïne, par exemple, que l’on trouve presque exclusivement dans des végétaux. Les alcaloïdes se lient de préférence à des canaux et pompes ioniques particulières dans les membranes nerveuses et musculaires. Sans eux, on connaîtrait de façon très incomplète les éléments de base de la fonction des membranes que l’on retrouve dans tout le règne animal.

En plus de l’intérêt qu’elles présentent pour la recherche fondamentale en neurophysiologie, les grenouilles vénéneuses offrent aussi des éléments d’information biochimique précieux pour la production de nouveaux analgésiques puissants qui agissent autrement que la morphine, de nouveaux médicaments pour les arythmies cardiaques et de nouveaux traitements pour soulager certaines affections neurologiques comme la maladie d’Alzheimer, la myasthénie grave et la sclérose latérale amyotrophique (Brody, 1990). Si la destruction des forêts humides se poursuit au même rythme en Amérique centrale et du Sud, ces grenouilles d’une grande valeur vont disparaître.

Les ours

Dans de nombreuses régions du monde, des populations d’ours sont menacées d’extinction parce que certaines parties de cet animal sont de plus en plus recherchées sur le marché noir en Asie — la vésicule biliaire pour ses qualités médicinales réputées (elle vaut dix-huit fois son pesant d’or), et les pattes pour des repas fins (Montgomery, l992), — et parce que la chasse à l’ours et la destruction de son habitat se poursuivent. Or, tous nous aurons à perdre de l’extinction d’espèces d’ours, non seulement parce que ce sont des créatures superbes et fascinantes qui occupent une place importante dans la nature, mais aussi parce que certaines espèces présentent plusieurs caractéristiques physiologiques particulières qui peuvent nous apporter des indications utiles pour le traitement de diverses maladies humaines. Pendant qu’ils «hibernent» (ou, plus exactement, lorsqu’ils sont dans leur tanière), les ours noirs, par exemple, demeurent immobiles jusqu’à 5 mois en hiver, sans pour autant perdre de leur masse osseuse (Rosenthal, 1993) (les vrais animaux hibernants, comme la marmotte, la marmotte d’Amérique et le spermophile, voient leur température corporelle baisser fortement pendant l’hibernation et sont pro-fondément assoupis. L’ours noir, en revanche, conserve une température corporelle presque normale et réagit instantanément lorsqu’il doit se défendre). Contrairement à l’être humain, qui perdrait presque un quart de sa masse osseuse pendant une immobilisation de cette durée (faute de porter son propre poids), l’ours continue de produire de l’os, en puisant dans le calcium qui circule dans son sang (Floyd, Nelson et Wynne, 1990). Une fois que l’on aura compris comment il réussit ce tour de force, on trouvera peut-être des moyens efficaces de prévenir et de traiter l’ostéoporose chez les personnes âgées (problème très important qui entraîne fractures, souffrances et invalidités), chez les individus longtemps confinés au lit et chez les astronautes placés d’une façon prolongée dans un état d’apesanteur.

D’autre part, les ours qui «hibernent» se passent d’uriner pendant des mois. Les êtres humains qui ne peuvent éliminer pendant plusieurs jours les déchets contenus dans leurs urines accumulent de l’urée dans leur sang et meurent d’intoxication. D’une certaine manière, l’ours recycle l’urée pour en faire de nouvelles protéines, y compris celles des muscles (Nelson, 1973). Si l’on pouvait trouver le mécanisme qui régit cette transformation, on parviendrait peut-être à mettre au point des traitements efficaces et durables pour les personnes atteintes d’une insuffisance rénale, qui doivent être régulièrement sous dialyse pour éliminer leurs toxines ou qui doivent subir une transplantation.

Les requins

Comme les ours, de nombreuses espèces de requins sont en voie de disparition à cause de la demande dont leur chair fait l’objet, notamment en Asie, où les ailerons que l’on sert dans les potages se vendent jusqu’à 100 dollars E.-U. la livre (Stevens, 1992). Etant donné que les requins ont peu de petits, qu’ils grossissent lentement et qu’ils atteignent leur maturité après plusieurs années, ils risquent tout particulièrement d’être décimés par une pêche excessive.

Les requins, qui existent depuis presque 400 millions d’années, ont acquis des organes extrêmement spécialisés et des fonctions physiologiques qui les protègent contre presque toutes les menaces, à l’exception des massacres perpétrés par les humains. L’élimination de populations et l’extinction de certaines des 350 espèces connues pourraient se solder par une immense catastrophe pour le genre humain.

Il semble que le système immunitaire des requins (et des poissons qui leur sont apparentés, les raies) ait évolué à tel point que ces animaux sont aujourd’hui presque à l’abri des cancers et des infections. Des tumeurs peuvent apparaître chez d’autres poissons et mollusques (Tucker, 1985), mais rarement chez les requins. Cela est confirmé par les premières recherches effectuées. Il s’avère impossible, par exemple, de produire une tumeur chez un requin dormeur en faisant des injections répétées de substances cancérogènes réputées puissantes (Stevens, 1992). Des chercheurs de l’Institut de technologie du Massachusetts (Massachusetts Institute of Technology (MIT)) ont isolé dans le cartilage du requin-pèlerin (Lee et Langer, 1983) une substance, présente en grande quantité, qui inhibe le développement de nouveaux vaisseaux sanguins alimentant les tumeurs et, donc, la croissance de ces tumeurs.

Les requins peuvent aussi servir de modèles extrêmement précieux pour la mise au point de nouveaux médicaments qui permettent de traiter des infections, ce qui est aujourd’hui d’autant plus important que les agents infectieux acquièrent une résistance accrue aux antibiotiques actuellement sur le marché.

Autres modèles

Les exemples ne manquent pas de végétaux, d’animaux et de micro-organismes détenant les secrets de milliards d’expériences vécues au cours de l’évolution, qui sont de plus en plus menacés par l’activité humaine et que le corps médical risque de voir disparaître à jamais.

La perte de nouveaux médicaments

Diverses espèces végétales, animales et microbiennes sont en soi à l’origine de certains des médicaments actuellement les plus importants et comptent pour une part non négligeable de toute la pharmacopée. Farnsworth (1990), par exemple, a découvert que 25% des médicaments vendus sur ordonnance par les pharmacies de quartier aux Etats-Unis entre 1959 et 1980 renfermaient des ingrédients actifs extraits de plantes évoluées. La proportion est beaucoup plus forte dans les pays en développement. En effet, 80% de leurs habitants, soit approximativement les deux tiers de la population mondiale, recourent presque exclusivement à des médicaments traditionnels composés de substances naturelles, dont la plupart proviennent de plantes.

Les connaissances détenues par les guérisseurs, souvent transmises oralement au travers des siècles, ont permis de découvrir beaucoup de médicaments aujourd’hui largement employés — la quinine, la physostigmine, la d-tubocurarine, la pilocarpine et l’éphédrine, pour n’en citer que quelques-uns (Farnsworth et coll., 1986). Mais ces connaissances se perdent rapidement, surtout en Amazonie, car, à leur mort, les guérisseurs autochtones sont remplacés par des gens qui pratiquent une médecine plus moderne. Botanistes et pharmacologues se livrent à une course de vitesse pour apprendre ces méthodes anciennes, qui, comme les plantes forestières qu’ils utilisent, sont aussi menacées de disparition (Farnsworth, 1990; Schultes, 1991; Balick, 1990).

Les scientifiques ont analysé la composition chimique de moins de 1% des plantes connues des forêts humides répertoriées qui pourraient renfermer des substances biologiquement actives (Gottlieb et Mors, 1980) , ainsi qu’une proportion comparable de plantes des régions tempérées (Schultes, 1992) et une quantité encore inférieure d’animaux, de champignons et de microbes connus. Or, il existe peut-être des dizaines de millions d’espèces à découvrir dans les forêts, les sols, les lacs et les océans. En procédant à l’élimination massive d’espèces comme on le fait aujourd’hui, on est peut-être en train de détruire des remèdes inconnus de cancers actuellement incurables, du sida, de la cardiopathie artérioscléreuse et d’autres maladies à l’origine d’immenses souffrances humaines.

La perturbation de l’équilibre des écosystèmes

Enfin, la disparition d’espèces et la destruction d’habitats peuvent perturber le fragile équilibre d’écosystèmes dont dépendent toutes les formes de vie, y compris la nôtre.

Les réserves alimentaires

Les réserves alimentaires, pour leur part, sont peut-être gravement menacées. Le déboisement, par exemple, peut entraîner une forte réduction des précipitations dans les régions agricoles avoisinantes et même dans des contrées plus éloignées (Wilson, 1988; Shulka, Nobre et Sellers, 1990), diminuant ainsi le rendement des cultures. La perte de sol arable végétal sous l’influence de l’érosion, autre conséquence du déboisement, peut avoir des effets irréversibles sur les cultures dans les régions boisées, en particulier sur les terrains accidentés, comme dans certains secteurs du Népal, de Madagascar et des Philippines.

Chauves-souris et oiseaux, principaux prédateurs des insectes qui infestent ou détruisent les cultures, disparaissent par populations entières (Brody, 1991; Terborgh, 1980), ce qui a des conséquences incalculables pour l’agriculture.

Les maladies infectieuses

Depuis peu au Brésil, le paludisme atteint les proportions d’une épidémie à cause de peuplements massifs et d’une dégradation de l’environnement dans le bassin de l’Amazone. Cette maladie, presque entièrement éliminée du Brésil dans les années soixante, a connu une flambée 20 ans plus tard, 560 000 cas ayant été répertoriés en 1988, dont 500 000 dans la seule Amazonie (Kingman, 1989). Cette épidémie s’est expliquée en grande partie par l’arrivée d’un très grand nombre de personnes qui n’étaient pas immunisées — ou très peu — contre le paludisme, qui vivaient dans des abris de fortune et qui portaient peu de vêtements pour se protéger. Mais elle a également été due au fait que ces populations sont venues bouleverser le milieu naturel des forêts tropicales humides, créant partout sur leur passage des mares d’eau stagnante (construction de routes, terre entraînée par le défrichement, ouverture de mines à ciel ouvert), mares où Anopheles darlingi , principal vecteur du paludisme dans la région, a pu se multiplier à son aise (Kingman, 1989).

L’historique des maladies virales «émergentes» peut nous apporter des renseignements précieux concernant les effets de la destruction de l’habitat sur les êtres humains. La fièvre hémorragique de l’Argentine, par exemple, affection virale douloureuse dont de 3 à 15% des victimes ne réchappent pas (Sanford, 1991), a l’ampleur d’une épidémie depuis 1958 parce qu’on a défriché la pampa à grande échelle au centre de l’Argentine pour y planter du maïs (Kingman, 1989).

Parmi les maladies virales nouvelles, celle qui cause le plus de tort à l’être humain, et qui annonce peut-être l’éclosion d’autres infections virales, est le sida, provoqué par le virus de l’immunodéficience humaine des types 1 (VIH-l) et 2 (VIH-2). On s’entend en général pour dire que l’épidémie actuelle de sida a son origine chez des primates non humains d’Afrique, qui ont joué le rôle de réservoirs naturels et d’hôtes asymptomatiques, pour une famille de virus qui provoque une immunodéficience (Allan, 1992). La preuve génétique existe manifestement d’un lien entre le VIH-l et un virus simien de l’immunodéficience présent chez des chimpanzés africains (Huet et Cheynier, 1990), ainsi qu’entre le VIH-2 et un autre virus simien découvert chez des mangabeys cendrés (Hirsch et Olmsted, 1989; Gao et Yue, 1992). Ces transmissions de virus de primates à notre espèce doivent-elles être attribuées à l’installation d’êtres humains dans des zones forestières dégradées? Si tel est le cas, nous assistons peut-être avec le sida au début d’une série d’épidémies virales nées dans des forêts humides tropicales qui peuvent abriter des milliers de virus susceptibles d’infecter l’humain, dont certains sont peut-être mortels comme le sida (à presque 100%), mais se propagent plus facilement, par exemple dans des gouttelettes transportées par l’air. Ces maladies virales éventuelles pourraient devenir la menace la plus grave qui pèse sur la santé publique à cause d’une détérioration du milieu naturel des forêts tropicales humides.

Autres effets

Il se pourrait bien que la rupture d’autres interactions au sein des organismes, des écosystèmes et de l’environnement planétaire, dont on ne connaît presque rien, s’avère la plus grande catastrophe pour le genre humain. Qu’en sera-t-il du climat planétaire et de la concentration des gaz dans l’atmosphère, par exemple, quand un certain seuil critique de déboisement aura été atteint? Les forêts jouent un rôle primordial dans le maintien des régimes planétaires de précipitations et dans la stabilité des gaz atmosphériques.

Qu’adviendra-t-il de la vie marine si une augmentation du rayonnement ultraviolet entraîne la destruction massive du phytoplancton, notamment dans les eaux riches situées sous le «trou» de la couche d’ozone dans l’Antarctique? Ces organismes, qui sont à la base de toute la chaîne trophique marine, qui produisent une partie importante de l’oxygène mondial et qui absorbent une grande quantité du dioxyde de carbone de la planète, sont très vulnérables aux ultraviolets (Schneider, 1991; Roberts, 1989; Bridigare, 1989).

Qu’en sera-t-il de la croissance des végétaux si les pluies acides et les substances chimiques toxiques empoisonnent des champignons et des bactéries essentiels à la fertilité des sols? L’Europe occidentale a déjà perdu de 40 à 50% de ses espèces de champignons au cours des 60 dernières années, dont beaucoup de champignons mycorhriens symbiotiques (Wilson, 1992), indispensables à l’absorption de nutriments par les plantes. Personne ne sait quel effet aura leur disparition.

Les scientifiques ignorent les réponses à ces interrogations et à d’autres questions d’extrême importance. Mais certains signaux biologiques inquiétants indiquent que les écosystèmes planétaires ont déjà subi de graves dommages. La diminution rapide et simultanée de la population de nombreuses espèces de grenouilles, partout dans le monde, y compris dans des endroits isolés, vierges d’habitants, laisse penser que ces animaux meurent à cause de changements survenus dans l’environnement planétaire (Blakeslee, 1990). Des études récentes (Blaustein, 1994) révèlent que, dans certains cas, la faute en est peut-être à l’augmentation des rayonnements ultraviolets B consécutive à l’appauvrissement de la couche d’ozone.

Plus près de nous, des mammifères marins tels que les dauphins rayés en Méditerranée, les phoques vivant près des côtes de la Scandinavie et de l’Irlande du Nord, et les bélugas du Saint-Laurent meurent aussi dans des proportions jamais vues. Pour ce qui est des dauphins et des phoques, la mort semble parfois attribuable à des virus morbilleux (famille comprenant les virus de la rougeole et de la maladie de Carré) qui provoquent des pneumonies et des encéphalites (Domingo et Ferrer, 1990; Kennedy et Smyth, 1988), conséquence possible d’un système immunitaire affaibli. Dans le cas des bélugas, des polluants chimiques comme le DDT, l’insecticide Mirex, les BPC, le plomb et le mercure semblent être en cause, rendant ces animaux infertiles et entraînant au bout du compte leur mort à la suite de tumeurs et de pneumonies (Dold, 1992). On trouve de telles quantités de ces polluants dans les carcasses de bélugas que l’on pourrait ranger ces dernières parmi les déchets dangereux.

Est-ce que les «espèces indicatrices», comme les canaris qui meurent asphyxiés par les gaz nocifs dans les mines de charbon, nous avertissent que nous sommes en train de bouleverser l’équilibre fragile d’écosystèmes qui préside à toutes les formes de vie, y compris la nôtre? La réduction de moitié, entre 1938 et 1990, du nombre de spermatozoïdes chez les hommes en bonne santé partout dans le monde (Carlsen et coll., 1992), l’augmentation prononcée de la proportion de malformations congénitales au niveau des organes génitaux externes chez les hommes en Angleterre et au pays de Galles entre 1964 et 1983 (Matlai et Beral, 1985), la forte poussée de l’incidence de certains cancers chez les enfants de race blanche de 1973 à 1988 (Angier, 1991) et chez les adultes de race blanche de 1973 à 1987 (Davis, Dinse et Hoel, 1994) aux Etats-Unis, ainsi que la progression régulière, depuis trois ou quatre décennies, des taux de mortalité attribuables à plusieurs cancers dans le monde entier (Kurihara, Aoki et Tominaga, 1984; Davis et Hoel, 1990a, 1990b; Hoel, 1992) laissent à penser que la dégradation de l’environnement commence peut-être à menacer non seulement la survie des grenouilles, des mammifères marins et autres espèces animales, végétales et microbiennes, mais aussi celle de l’espèce humaine.

Résumé

L’activité humaine provoque l’extinction d’animaux, de végétaux et d’organismes microbiens à un rythme qui risque fort d’éliminer dans les 50 prochaines années un quart des espèces vivant sur terre. Cette destruction a des conséquences incalculables sur la santé humaine:

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