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Chapitre 2 - Le cancer

INTRODUCTION

Neil Pearce, Paolo Boffetta et Manolis Kogevinas

L’ampleur du problème

La première cause de cancer formellement établie était un cancérogène professionnel (Checkoway, Pearce et Crawford-Brown, 1989). Percival Pott (1775) a identifié la suie comme cause de cancer du scrotum chez les ramoneurs londoniens et a décrit les conditions de travail très dures des enfants qui devaient grimper à l’intérieur d’étroites cheminées encore brûlantes. Malgré ces indications, les rapports selon lesquels il fallait éviter les incendies de cheminée ont été employés pour ralentir la législation réglementant le travail des enfants dans cette industrie jusqu’en 1840 (Waldron, 1983). Un modèle expérimental de la cancérogenèse de la suie a été établi pour la première fois dans les années vingt (Decoufle, 1982), cent cinquante ans après la première observation épidémiologique.

Par la suite, un certain nombre d’autres causes professionnelles de cancer ont été identifiées grâce à des études épidémiologiques (bien que le lien avec le cancer ait le plus souvent été noté d’abord par des médecins du travail ou par les travailleurs eux-mêmes). Il s’agit, entre autres, de l’arsenic, de l’amiante, du benzène, du cadmium, du chrome, du nickel et du chlorure de vinyle. L’identification de ces cancérogènes professionnels est très importante en termes de santé publique, car elle rend possible la prévention grâce à la réglementation et à l’amélioration des pratiques d’hygiène industrielle (Pearce et Matos, 1994). Dans la plupart des cas, il s’agit d’expositions qui accroissent considérablement le risque relatif d’un ou de plusieurs types particuliers de cancer. Il est possible que d’autres cancérogènes professionnels restent inaperçus, soit qu’ils ne provoquent qu’une faible augmentation du risque, soit qu’ils n’aient tout simplement pas été étudiés (Doll et Peto, 1981). Certains faits d’importance clé figurent au tableau 2.1.

Tableau 2.1 Cancers professionnels: quelques notions de base

  • Quelque vingt agents et mélanges d’agents sont des cancérogènes professionnels avérés; un nombre équivalent de produits chimiques sont très probablement eux aussi des cancérogènes professionnels.
  • Dans les pays industriels, la profession est liée, par une relation de cause à effet, à 2 à 8% de tous les cancers; chez les travailleurs exposés, cette proportion est toutefois supérieure.
  • On ne dispose d’estimations fiables ni sur le fardeau des cancers professionnels, ni sur l’ampleur des expositions à des cancérogènes sur le lieu de travail dans les pays en développement.
  • La charge globale relativement faible des cancers professionnels dans les pays industriels est le résultat de réglementations strictes en ce qui concerne plusieurs cancérogènes connus; l’exposition à d’autres agents connus ou présumés est toutefois encore autorisée.
  • Bien que plusieurs cancers professionnels soient classés comme des maladies professionnelles dans de nombreux pays, seul un très petit nombre de cas sont en fait reconnus et donnent lieu à réparation.
  • Les cancers professionnels sont, dans une très large mesure, des maladies évitables.

Les causes professionnelles de cancer ont fait l’objet de multiples études épidémiologiques par le passé. Le nombre de cancers imputables aux expositions professionnelles demeure cependant très controversé, les estimations allant de 4 à 40% (Higginson, 1969; Higginson et Muir, 1976; Wynder et Gori, 1977; Higginson et Muir, 1979; Doll et Peto, 1981; Hogan et Hoel, 1981; Vineis et Simonato, 1991; Aitio et Kauppinen, 1991). Le risque de cancer «attribuable» est le nombre total de cancers survenant dans une population donnée qui ne seraient pas apparus si les effets associés aux expositions professionnelles en cause avaient été absents. Ce risque «attribuable» peut se calculer pour la population exposée ou pour une population plus large. Le tableau 2.2 récapitule les estimations existantes. C’est l’application universelle de la Classification internationale des maladies (CIM) qui rend ce type de présentation possible (voir encadré).

Tableau 2.2 Proportions estimées de cancers attribuables aux profession dans certaines études

Etude

Population

Proportion et localisation du cancer

Observations

Higginson, 1969

non spécifiée

1% cancer buccal
1-2% cancer du poumon
10% cancer de la vessie
2% cancer cutané

Pas de présentation détaillée des niveaux d’exposition ou d’autres hypothèses

Higginson et Muir, 1976

non spécifiée

1-3% de tous les cancers

Pas de présentation détaillée des hypothèses

Wynder et Gori, 1977

non spécifiée

4% de tous les cancers
chez les hommes
2% chez les femmes

Basées sur une seule proportion pour le cancer de la vessie et deux communications personnelles

Higginson et Muir, 1979

West Midland,
Royaume-Uni

6% de tous les cancers
chez les hommes
2% de tous les cancers

Basées sur 10% de cancers du poumon non liés au tabac, le mésothéliome, le cancer de la vessie (30%), et la leucémie chez les femmes (30%)

Doll et Peto, 1981

Etats-Unis, début 1980

4% (de 2 à 8%) de tous les cancers

Basées sur toutes les localisations de cancer étudiées; signalées comme estimation «provisoire»

Hogan et Hoel, 1981

Etats-Unis

3% (de 1,4 à 4%) de tous les cancers

Risque associé à l’exposition professionnelle à l’amiante

Vineis et Simonato, 1991

diverses

1 à 5% des cancers du poumon
16 à 24% des cancers de la vessie

Calculs réalisés sur la base des données d’études cas-témoins. Le pourcentage concernant le cancer du poumon ne considère que l’exposition à l’amiante. Dans une étude où un grand nombre de sujets étaient exposés aux rayonnements ionisants, la proportion estimée était de 40%. Les estimations de proportions dans certaines études sur le cancer de la vessie allaient de 0 à 3%

La Classification internationale des maladies (CIM)

Les maladies humaines sont classées selon la Classification internationale des maladies (CIM), un système qui a débuté en 1893 et qui est régulièrement mis à jour en coordination avec l’Organisation mondiale de la santé. La CIM est utilisée dans presque tous les pays pour la rédaction des certificats de décès, l’enregistrement des cas de cancer et les diagnostics de sortie d’hôpital. La dixième révision (CIM-10), qui a été approuvée en 1989 (Organisation mondiale de la santé, 1993), diffère considérablement des trois précédentes qui étaient semblables les unes aux autres et qui étaient utilisées depuis les années cinquante. Il est donc probable que la neuvième révision (CIM-9, Organisation mondiale de la santé, 1979), ou même des versions antérieures, sont et seront encore utilisées dans de nombreux pays pendant les années à venir.

La grande variabilité qui caractérise les estimations découle des différences entre les ensembles de données utilisés et les postulats appliqués. La plupart des estimations publiées portant sur le pourcentage des cancers imputés à des facteurs de risque professionnels se fondent sur des postulats assez simplifiés. En outre, bien que le cancer soit une maladie relativement moins fréquente dans les pays en développement en raison d’une pyramide des âges plus jeune (Pisani et Parkin, 1994), la proportion des cancers professionnels peut être plus importante dans les pays en développement du fait des expositions relativement élevées que l’on y rencontre (Kogevinas, Boffetta et Pearce, 1994).

Les estimations les plus largement acceptées des cancers professionnels sont celles qui ont été présentées dans un rapport détaillé sur les causes du cancer dans la population aux Etats-Unis en 1980 (Doll et Peto, 1981). Doll et Peto concluaient alors qu’environ 4% des décès par cancer peuvent être provoqués par des cancérogènes à l’intérieur de «limites acceptables» (encore plausibles selon toutes les indications dont nous disposons) de 2 à 8%. Ces estimations étant des proportions, elles dépendent de la part que jouent dans le cancer les causes autres que les expositions professionnelles. Par exemple, cette proportion serait plus élevée dans une population de non-fumeurs sur la vie entière (les Adventistes du Septième Jour, par exemple) et plus faible dans une population où 90% des personnes fumeraient. De même, les estimations ne s’appliquent pas uniformément aux deux sexes et aux différentes classes sociales. En outre, si on ne considère pas la totalité de la population (à laquelle les estimations s’appliquent), mais les tranches de la population adulte dans lesquelles se trouve presque exclusivement l’exposition aux cancérogènes professionnels (travailleurs manuels des mines, de l’agriculture et de l’industrie qui représentaient, en gros, 31 millions de personnes à la fin des années quatre-vingt, sur une population totale de 158 millions de personnes âgées de plus de vingt ans), la proportion de 4% de la population globale passe à environ 20% chez les personnes exposées.

Vineis et Simonato (1991) ont publié des estimations du nombre de cas de cancers du poumon et de la vessie d’origine professionnelle. Ces estimations ont été tirées de l’analyse détaillée d’études cas-témoins et montrent que, dans certaines populations situées dans des régions industrielles, la proportion de cancers du poumon et de la vessie provoqués par des expositions professionnelles peut atteindre 40% (ces estimations dépendant non seulement des expositions prédominantes localement, mais aussi, dans une certaine mesure, de la méthode permettant de définir et d’évaluer l’exposition).

Les mécanismes et les théories de la cancérogenèse

Les études des cancers professionnels sont compliquées parce qu’il n’existe pas de cancérogène «complet»; c’est-à-dire que les expositions professionnelles augmentent le risque de développer un cancer, mais ce développement futur d’un cancer n’est en aucun cas certain. En outre, il peut se passer vingt à trente ans (et au minimum cinq ans) entre une exposition professionnelle et la survenue effective d’un cancer; il peut aussi se passer encore plusieurs années avant que ce cancer soit décelable au plan clinique et que le décès survienne (Moolgavkar et coll., 1993). Cette situation, qui s’applique aussi aux cancérogènes non professionnels, est conforme aux théories actuelles sur les causes du cancer.

Plusieurs modèles mathématiques du processus causal du cancer ont été avancés (par exemple, Armitage et Doll, 1961), mais le modèle le plus simple et le plus conforme aux connaissances actuelles en matière de biologie est celui de Moolgavkar (1978). Il suppose que des cellules germinales saines mutent parfois (initiation); si une exposition particulière facilite la prolifération de cellules intermédiaires (promotion), il devient alors plus que probable qu’une cellule au moins subira une mutation, voire davantage, produisant un cancer malin (progression) (Ennever, 1993).

Ainsi, les expositions professionnelles peuvent accroître le risque de cancer soit en provoquant des mutations dans l’ADN, soit par divers mécanismes «épigénétiques» de promotion (qui ne passent pas par des lésions de l’ADN), y compris une prolifération cellulaire accrue. La plupart des cancérogènes professionnels découverts à ce jour sont des mutagènes et semblent donc être des initiateurs du cancer. Cela explique la longue période de «latence» nécessaire pour que surviennent d’autres mutations; bien souvent, ces nouvelles mutations n’ont jamais lieu et le cancer ne se développe donc pas.

Ces dernières années, on s’est de plus en plus intéressé aux expositions professionnelles à des agents (benzène, arsenic, herbicides phénoxyacides) qui ne semblent pas être des mutagènes, mais qui peuvent agir comme des promoteurs. La promotion peut survenir relativement tard au cours du processus cancérogène et la période de latence pour les promoteurs peut donc être plus courte que pour les initiateurs. Il faut toutefois rappeler que les données épidémiologiques sur la promotion cancéreuse restent encore aujourd’hui très limitées (Frumkin et Levy, 1988).

Le transfert des risques

Une des préoccupations majeures de ces dernières décennies a été le transfert d’industries dangereuses vers des pays en développement (Jeyaratnam, 1994). Ces transferts ont eu lieu en partie en raison de la réglementation rigoureuse des cancérogènes et du coût croissant de la main-d’œuvre dans les pays industriels, et en partie en raison des bas salaires, du chômage et de la poussée de l’industrialisation dans les pays en développement. Par exemple, le Canada exporte à présent près de la moitié de son amiante vers les pays en développement et un certain nombre d’industries dont l’activité est basée sur l’amiante ont été délocalisées vers des pays en développement comme le Brésil, la République de Corée, l’Inde, l’Indonésie et le Pakistan (Jeyaratnam, 1994). Ces problèmes se compliquent encore par l’ampleur du secteur informel, le grand nombre de travailleurs qui n’ont que peu de soutien de la part des syndicats ou d’autres organisations de travailleurs, le statut précaire des travailleurs, l’absence de protection légale et/ou la médiocre application des mesures de protection, la faiblesse croissante du contrôle national sur les ressources et l’impact de la dette du tiers monde et des programmes d’ajustement structurel qui lui sont associés (Pearce et coll., 1994).

Par conséquent, on ne peut pas dire que le problème des cancers professionnels ait reculé ces dernières années puisque, dans de nombreux cas, l’exposition a simplement été transférée des pays industriels aux pays en développement. Parfois, l’exposition professionnelle totale a en fait augmenté. Néanmoins, l’histoire récente de la prévention des cancers professionnels dans les pays industriels a montré qu’il est possible de remplacer les composés cancérogènes dans les procédés industriels par des substituts, sans pour autant conduire l’industrie à la ruine; des succès semblables seraient envisageables dans les pays en développement si des dispositifs adéquats de réglementation et de contrôle des cancérogènes étaient mis en place.

La prévention des cancers professionnels

Swerdlow (1990) a présenté une série de possibilités permettant de prévenir l’exposition aux causes professionnelles du cancer. La forme la plus efficace de prévention consiste à éviter l’utilisation de cancérogènes connus sur le lieu de travail. Cela a rarement été possible dans les pays industriels, la plupart des cancérogènes professionnels ayant été mis en évidence par des études épidémiologiques de populations déjà exposées dans le cadre professionnel. Toutefois, et du moins en théorie, les pays en développement pourraient mettre à profit l’expérience des pays industriels et empêcher l’introduction de produits chimiques et de procédés de production dont il a été démontré qu’ils étaient dangereux pour la santé des travailleurs.

Ensuite, la meilleure démarche pour éviter l’exposition à des cancérogènes reconnus consiste à les soustraire au contact une fois leur cancérogénicité démontrée, voire seulement présumée. On prendra pour exemples la fermeture, au Royaume-Uni, des usines fabriquant la 2-naphtylamine et la benzidine, deux cancérogènes de la vessie (anonyme, 1965); l’abandon de la production britannique de gaz par carbonisation du charbon; la fermeture des fabriques japonaises et britanniques de gaz moutarde après la fin de la seconde guerre mondiale (Swerdlow, 1990) et l’élimination progressive de l’emploi du benzène dans l’industrie de la chaussure à Istanbul (Aksoy, 1985).

Toutefois, dans de nombreux cas, l’élimination totale du cancérogène (sans avoir à supprimer l’industrie elle-même) n’est pas possible (inexistence ou indisponibilité des produits de substitution) ou n’est pas considérée comme politiquement ou économiquement acceptable. Les niveaux d’exposition doivent donc être réduits par des modifications des procédés de production et par des pratiques d’hygiène industrielle. Par exemple, l’exposition à des cancérogènes reconnus comme l’amiante, le nickel, l’arsenic, le benzène, les pesticides et les rayonnements ionisants a été progressivement réduite dans les pays industriels ces dernières années (Pearce et Matos, 1994).

Une démarche voisine consiste à réduire, voire à éliminer les activités qui comportent les expositions les plus fortes. C’est ainsi que, après qu’une loi eut été votée en 1840 au Royaume-Uni et au pays de Galles, qui interdisait d’envoyer les ramoneurs à l’intérieur des conduits de cheminée, le nombre de cas de cancer du scrotum a diminué (Waldron, 1983). L’exposition elle-même peut être réduite au minimum grâce à l’emploi d’équipements de protection, tels que des masques et des vêtements, ou à l’imposition de mesures d’hygiène industrielle plus strictes.

Une stratégie globale efficace en matière de lutte et de prévention contre l’exposition aux cancérogènes professionnels combine généralement plusieurs approches. Un exemple réussi est l’expérience d’un registre du cancer finlandais dont les objectifs sont de développer la sensibilisation aux cancérogènes, d’évaluer l’exposition dans différents lieux de travail et de stimuler les mesures de prévention (Kerva et Partanen, 1981). Ce registre contient des informations sur les lieux de travail et sur les travailleurs exposés et tous les employeurs ont l’obligation de tenir des dossiers à jour et de fournir des renseignements au registre. Ce système semble avoir au moins partiellement réussi à réduire les expositions cancérogènes sur le lieu de travail (Ahlo, Kauppinen et Sundquist, 1988).

LES CANCÉROGÈNES PROFESSIONNELS

Paolo Boffetta, Rodolfo Saracci, Manolis Kogevinas, Julian Wilbourn et Harri Vainio

La lutte contre les cancérogènes professionnels s’appuie sur l’examen critique des enquêtes scientifiques portant à la fois sur l’humain et sur des systèmes expérimentaux. Il existe plusieurs programmes d’étude dans différents pays dont le but est de lutter contre les expositions qui peuvent être cancérogènes pour l’humain. Les critères utilisés dans ces différents programmes ne sont pas toujours cohérents entre eux, ce qui donne parfois lieu à des différences dans le contrôle des agents dans divers pays. Par exemple, la 4,4’-méthylènebis(2-chloroaniline) (MOCA) a été classée comme cancérogène professionnel au Danemark en 1976 et aux Pays-Bas en 1988, mais ce n’est qu’en 1992 que la mention «présumée cancérogène pour l’humain» a été proposée par l’American Conference of Governmental Industrial Hygienists aux Etats-Unis.

Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), à Lyon (France), a établi, dans le cadre de son programme de monographies, un ensemble de critères permettant d’évaluer les indications de la cancérogénicité d’agents particuliers. Ce programme constitue l’une des initiatives les plus complètes qui aient été entreprises pour passer systématiquement en revue et de façon cohérente les données sur le cancer; il jouit d’un grand crédit auprès de la communauté scientifique et sert de référence à cet article. Il a aussi un impact considérable sur les activités de lutte contre les cancers professionnels, aux niveaux national et international. Les critères d’évaluation sont décrits au tableau 2.3. Les agents, les mélanges et les circonstances d’exposition sont évalués dans le cadre du programme de monographies du CIRC si on dispose d’indications d’une exposition humaine et de données sur la cancérogénicité (soit chez l’humain, soit chez l’animal de laboratoire). Les groupes de classification du CIRC sont décrits au tableau 2.4.

Tableau 2.3 Evaluation des indications de cancérogénicité d'agents sélectionnés dans
le cadre du programme de monographies du CIRC

1. Les indications d’une induction du cancer chez l’humain, qui jouent à l’évidence un rôle important dans l’identification des cancérogènes humains, sont prises en considération. Trois types d’études épidémiologiques contribuent à l’évaluation de la cancérogénicité chez l’humain: les études de cohorte, les études cas-témoins et les études de corrélation (ou écologiques). Peuvent également être examinées les séries cliniques de cas. Les indications qui présentent un intérêt pour la cancérogénicité provenant d’études sur l’humain sont classées selon l’une des catégories suivantes:

  • Indications de cancérogénicité suffisantes: un rapport de cause à effet a été établi entre l’exposition à l’agent, au mélange ou la circonstance d’exposition et le cancer chez l’humain. En d’autres termes, un rapport positif a été observé entre l’exposition et le cancer dans des études où le hasard, le biais et les facteurs confondants ont pu être écartés avec un degré de confiance raisonnable.
  • Indications de cancérogénicité limitées: une association positive a été observée entre l’exposition à l’agent, au mélange ou la circonstance d’exposition et le cancer, pour laquelle une interprétation causale est considérée comme crédible, mais le hasard, le biais ou les facteurs confondants n’ont pas pu être écartés avec un degré de confiance raisonnable.
  • Indications de cancérogénicité insuffisantes: les études disponibles sont d’une qualité, d’une concordance de résultats et d’une puissance statistique insuffisantes pour permettre de conclure à la présence ou à l’absence d’une association causale, ou on ne dispose pas de données sur le cancer chez l’humain.
  • Indications d’une absence de cancérogénicité: il existe plusieurs études satisfaisantes, couvrant tous les niveaux d’exposition rencontrés par l’humain, qui concordent entre elles en ce qu’elles ne montrent pas d’association positive entre l’exposition à l’agent et le cancer qui fait l’objet de l’étude, quel que soit le niveau d’exposition observé.

2. Les études dans lesquelles des animaux de laboratoire (essentiellement des rongeurs) sont exposés de façon chronique à des cancérogènes potentiels et examinés aux fins de détection des indices de cancer sont passées en revue, et le degré des indications de cancérogénicité est alors classé en catégories semblables à celles qui sont employées dans le cas des données humaines.

3. Les données particulièrement pertinentes portant sur les effets biologiques chez l’humain et chez l’animal de laboratoire sont passées en revue. Il peut s’agir de considérations d’ordre toxicologique, cinétique ou métabolique ou d’indications de liaisons à l’ADN, de la persistance de lésions de l’ADN ou de lésions génétiques chez les humains exposés. Les données toxicologiques, comme celles portant sur la cytotoxicité et la régénération, la liaison aux récepteurs et les effets sur l’activité hormonale et immunologique, ainsi que les données sur les rapports structure-activité sont employées lorsqu’elles sont considérées comme ayant un rapport avec le mécanisme de l’action cancérogène éventuelle de l’agent.

4. Toutes les indications réunies sont alors considérées dans leur ensemble, de façon à aboutir à une évaluation globale de la cancérogénicité pour l’humain d’un agent, d’un mélange ou d’une circonstance d’exposition (voir tableau 2.4).

Tableau 2.4 Groupes de classification du programme de monographies du CIRC

L’agent, le mélange ou la circonstance d’exposition sont décrits selon la formulation d’une des catégories suivantes:

Groupe 1 —

L’agent (le mélange) est cancérogène pour l’humain. Les circonstances d’exposition entraînent des expositions qui sont cancérogènes pour l’humain.

Groupe 2A —

L’agent (le mélange) est probablement cancérogène pour l’humain. Les circonstances d’exposition entraînent des expositions qui sont probablement cancérogènes pour l’humain.

Groupe 2B —

L’agent (le mélange) est peut-être cancérogène pour l’humain. Les circonstances d’exposition entraînent des expositions qui sont peut-être cancérogènes pour l’humain.

Groupe 3 —

L’agent (le mélange ou les circonstances d’exposition) est inclassable quant à sa cancérogénicité pour l’humain.

Groupe 4 —

L’agent (le mélange ou les circonstances d’exposition) n’est probablement pas cancérogène pour l’homme.

Les cancérogènes professionnels connus ou présumés

A l’heure actuelle, on compte 22 produits chimiques, groupes de produits chimiques ou mélanges, pour lesquels l’exposition est principalement professionnelle, sans compter les pesticides et les médicaments, qui sont reconnus comme cancérogènes pour l’humain (voir tableau 2.5). Si certains agents, comme l’amiante, le benzène et les métaux lourds sont à l’heure actuelle largement utilisés dans de nombreux pays, d’autres ne présentent plus qu’un intérêt historique, comme le gaz moutarde ou la 2-Naphtylamine.

Tableau 2.5 Produits chimiques, groupes de produits chimiques ou mélanges pour lesquels les
expositions sont essentiellement professionnelles (sauf pesticides et médicaments):
Groupe 1 — Cancérogènes pour l'humain1

Exposition2

Organe(s) cible(s)
chez l’humain

Branche d’activité/utilisation principale

Amiante (1332-21-4)

Poumon, plèvre, péritoine

Isolation, matériaux de filtrage, textiles

4-Aminobiphényle (92-67-1)

Vessie

Fabrication de caoutchouc

Arsenic (7440-38-2)
et composés d’arsenic3

Poumon, peau

Verre, métaux, pesticides

Benzène (71-43-2)

Leucocytes

Solvant, carburants

Benzidine (92-87-5)

Vessie

Fabrication de teintures/pigments, agent employé en laboratoire

Béryllium (7440-41-7)
et composés de béryllium

Poumon

Industrie aérospatiale/métaux

Bis(chlorométhyl)éther (542-88-11)

Poumon

Intermédiaire chimique/dérivé

Brais de houille (65996-93-2)

Peau, poumon, vessie

Matériaux de construction, électrodes

Cadmium (7440-43-9)
et composés de cadmium

Poumon

Fabrication de teintures/pigments

Chlorométhylméthyléther (107-30-2)
(qualité technique)

Poumon

Intermédiaire chimique/dérivé

Chrome hexavalent (CrVI),
composés de

Fosse nasale, poumon

Placage de métaux, fabrication de teintures/pigments

Gaz moutarde (moutarde soufrée)
(505-60-2)

Pharynx, poumon

Gaz de guerre

Goudrons de houille (8007-45-2)

Peau, poumon

Carburants

Huiles minérales, peu ou non raffinées

Peau

Lubrifiants

Huiles de schiste (68308-34-9)

Peau

Lubrifiants, carburants

Nickel, composés de

Fosse nasale, poumon

Métallurgie, alliages, catalyseurs

2-Naphthylamine (91-59-8)

Vessie

Fabrication de teintures/pigments

Oxyde d’éthylène (75-21-8)

Leucocytes

Intermédiaire chimique, stérilisant

Poussière de bois

Fosse nasale

Industrie du bois

Talc contenant des fibres asbestiformes

Poumon

Papier, peintures

Suies

Peau, poumon

Pigments

Vinyle, chlorure de (75-01-4)

Foie, poumon, vaisseaux sanguins

Plastiques, monomère

1 Evalués dans le cadre du programme de monographies du CIRC, vol. 1 à 63 (1972-1995) (sauf pesticides et médicaments).

2 Les numéros de registre du Chemical Abstracts Registry figurent entre parenthèses.

3 Cette évaluation s'applique à l'ensemble du groupe de produits chimiques, mais pas nécessairement à tous les produits pris individuellement dans ce groupe.

Vingt autres agents sont classés comme probablement cancérogènes (groupe 2A); ils sont énumérés au tableau 2.6 et comprennent des substances que l’on trouve aujourd’hui couramment dans de nombreux pays, comme la silice cristalline, le formaldéhyde et le 1,3-butadiène. Un grand nombre d’agents sont classés comme pouvant être cancérogènes pour l’humain (groupe 2B, tableau 2.7), tels que l’acétaldéhyde, le dichlorométhane et les composés inorganiques du plomb. En ce qui concerne la majorité de ces produits chimiques, les indications de cancérogénicité éventuelle proviennent d’études sur des animaux de laboratoire.

Tableau 2.6 Produits chimiques, groupes de produits chimiques ou mélanges pour lesquels les
exposition sont essentiellement professionnelles (sauf pesticides et médicaments):
Groupe 2A — Probablement cancérogènes pour l'humain1

Exposition2

Organe(s) cible(s)
présumé(s) chez l’humain

Branche d’activité/utilisation principale

Acrylonitrile (107-13-1)

Poumon, prostate, système lymphatique

Plastiques, caoutchouc, textiles, monomère

Benzidine, colorants à base de

Papier, cuir, teintures textiles

Biphényles polychlorés (1336-36-3)

Foie, voies biliaires, leucocytes, système lymphatique

Composants électriques

Bromure de vinyle (593-60-2)

Plastiques, textiles, monomère

1,3-Butadiène (106-99-0)

Leucocytes, système lymphatique

Plastiques, caoutchouc, monomère

p-Chloro-o-toluidine [95-69-2] et ses sels d’acides forts

Vessie

Fabrication de teintures/pigments, textiles

Chlorure de diméthylcarbamoyle
(79-44-7)

Intermédiaire chimique

Créosotes (8001-58-9)

Peau

Conservation du bois

Dibromure d’éthylène (106-93-4)

Intermédiaire chimique, fumigant, carburants

Epichlorhydrine (106-89-8)

Plastiques/résines monomères

Fluorure de vinyle (75-02-5)

Intermédiaire chimique

Formaldéhyde (50-0-0)

Rhinopharynx

Plastiques, textiles, agent employé en laboratoire

4,4’-Méthylènebis(2-chloro-aniline) (MOCA) (101-14-4)

Vessie

Fabrication de caoutchouc

Oxyde-7,8 de styrène (96-09-3)

Plastiques, intermédiaire chimique

Phosphate de tris-2,3- dibromopropyle (126-72-7)

Plastiques, textiles, retardant

Silice cristalline (14808-60-7)

Poumon

Taille de pierres, exploitation minière, verre, papier

Sulfate de diéthyle (64-67-5)

Intermédiaire chimique

Sulfate de diméthyle (77-78-1)

Intermédiaire chimique

Tétrachloroéthylène (127-18-4)

Œsophage, système lymphatique

Solvant, nettoyage à sec

Trichloroéthylène (79-01-6)

Foie, système lymphatique

Solvant, nettoyage à sec, métaux

1 Evalués dans le cadre du programme de monographies du CIRC, vol. 1 à 63 (1972-1995) (sauf pesticides et médicaments).

2 Les numéros de registre du Chemical Abstracts Registry figurent entre parenthèses.

Tableau 2.7 Produits chimiques, groupes de produits chimiques ou mélanges pour lesquels les
expositions sont essentiellement professionnelles (sauf pesticides et médicaments):
Groupe 2B — Peut-être cancérogènes pour l'humain1

Exposition2

Branche d’activité/utilisation principale

Acétaldéhyde (75-07-0)

Fabrication de matières plastiques, arômes

Acétamide (60-35-5)

Solvant, intermédiaire chimique

Acétate de vinyle (108-05-4)

Intermédiaire chimique

Acide chlorendique (115-28-6)

Retardant

Acide nitrilotriacétique (139-13-9) et ses sels

Agent chélateur, détergent

Acrylamide (79-06-1)

Plastiques, agent de jointoiement

Acrylate d’éthyle (140-88-5)

Plastiques, adhésifs, monomère

o-Aminoazotoluène (97-56-3)

Teintures/pigments, textiles

p-Aminoazotoluène (60-09-3)

Fabrication de teintures/pigments

o-Anisidine (90-04-0)

Fabrication de teintures/pigments

Auramine (492-80-8)
(qualité technique)

Teintures/pigments

Bitumes (8052-42-4), extraits de, raffinés à la vapeur et raffinés à l’air

Matériaux de construction

Bleu direct CI-15 (2429-74-5)

Teintures/pigments, textiles, papier

Bleu dispersé 1 (2475-45-8)

Teintures/pigments, colorants capillaires

Bleu HC 1 (2784-94-3)

Colorants capillaires

Bleu trypan (72-57-1)

Teintures/pigments

Bromodichlorométhane (75-27-4)

Intermédiaire chimique

beta-Butyrolactone (3068-88-0)

Intermédiaire chimique

Carbone, extraits de noir de

Encres d’imprimerie

Carburant diesel marin

Carburants

p-Chloraniline (106-47-8)

Fabrication de teintures/pigments

Chloroforme (67-66-3)

Solvant

4-Chloro-o-phénylènediamine (95-83-9)

Teintures/pigments, colorants capillaires

Cobalt (7440-48-4) et composés de cobalt

Verre, peintures, alliages

p-Crésidine (120-71-8)

Fabrication de teintures/pigments

N,N’-Diacétylbenzidine (613-35-4)

Fabrication de teintures/pigments

2,4-Diaminoanisole (615-05-4)

Fabrication de teintures/pigments, colorants capillaires

4,4-Diaminodiphényléther (101-80-4)

Fabrication de matières plastiques

2,4-Diaminotoluène (95-80-7)

Fabrication de teintures/pigments, colorants capillaires

p-Dichlorobenzène (106-46-7)

Intermédiaire chimique

3,3-Dichlorobenzidine (91-94-1)

Fabrication de teintures/pigments

3,3’-Dichloro-4,4’-diaminodiphényléther
(28434-86-8)

Non utilisé

1,2-Dichloroéthane (107-06-2)

Solvant, carburants

Dichlorométhane (75-09-2)

Solvant

Diépoxybutane (1464-53-5)

Plastiques/résines

1,2-Diéthylhydrazine (1615-80-1)

Réactif de laboratoire

Diglycidylirésorcinoléther (101-90-6)

Plastiques/résines

3,3-Diméthoxybenzidine (o-Dianisidine)
(119-90-4)

Fabrication de teintures/pigments

p-Diméthylaminoazobenzène (60-11-7)

Teintures/pigments

2,6-Diméthylaniline (2,6-Xylidine) (87-62-7)

Intermédiaire chimique

3,3-Diméthylbenzidine-o-toluidine(119-93-7)

Fabrication de teintures/pigments

Diméthylformamide (68-12-2)

Solvant

1,1-Diméthylhydrazine (57-14-7)

Carburant de fusée

1,2-Diméthylhydrazine (540-73-8)

Produit de recherche

1,4-Dioxane (123-91-1)

Solvant

Essence

Carburants

Ethylènethiourée (96-45-7)

Caoutchouc

Fibres céramiques

Plastiques, textiles, aérospatiale

Fuel résiduel (lourd)

Carburants

Furanne (110-00-9)

Intermédiaire chimique

Glycidaldéhyde (765-34-4)

Textile, fabrication du cuir

Hexaméthylphosphoramide (680-31-9)

Solvant, plastiques

Hydrazine (302-01-2)

Carburant de fusée, intermédiaire chimique

Laine de laitier

Isolation

Laine de roche

Isolation

Laine de verre

Isolation

2-Méthylaziridine (75-55-8)

Teintures, papier, fabrication de matières plastiques

4,4’-Méthylènebis(2-méthylaniline) (838-88-0)

Fabrication de teintures/pigments

4,4-Méthylènedianiline (101-77-9)

Plastiques/résines, fabrication de teintures/pigments

Méthylmercure (composés de)

Fabrication de pesticides

2-Méthyl-1-nitroanthraquinone (129-15-7) (pureté non connue)

Fabrication de teintures/pigments

Nickel, métal (7440-02-0)

Catalyseur

5-Nitroacénaphthène (602-87-9)

Fabrication de teintures/pigments

2-Nitropropane (79-46-9)

Solvant

N-Nitrosodiéthanolamine (1116-54-7)

Liquides de découpage, impureté

Orangé huileux SS (2646-17-5)

Teintures/pigments

Oxyde de propylène (75-56-9)

Intermédiaire chimique

Paraffines chlorées dont la longueur moyenne de la chaîne carbonée est de C12 et le taux moyen de chloration de 60% environ

Retardant

Phénylglycidyléther (122-60-1)

Plastiques/adhésifs/résines

Phtalate de di(2-éthylhexyle) (117-81-7)

Plastiques, textiles

Plomb (7439-92-1) et dérivés inorganiques du plomb

Peintures, carburants

Polybromobiphényles (Firemaster BP-6)
(59536-65-1)

Retardant

Ponceau MX (3761-53-3)

Teintures/pigments, textiles

Ponceau 3R (3564-09-8)

Teintures/pigments, textiles

1,3-Propane sultone (1120-71-4)

Fabrication de teintures/pigments

beta-Propiolactone (57-57-8)

Intermédiaire chimique, fabrication
de matières plastiques

Rouge acide CI-114 (6459-94-5)

Teintures/pigments, textiles, cuir

Rouge basique CI-9 (569-61-9)

Teintures/pigments, encres

Styrène (100-42-5)

Plastiques

Sulfate de diisopropyle (29973-10-6)

Polluant

2,3,7,8-Tétrachlorodibenzo-p-dioxine (TCDD) (1746-01-6)

Polluant

Tétrachlorure de carbone (56-23-5)

Solvant

Thioacétamide (62-55-5)

Fabrication de textiles, de papier, de cuir, de caoutchouc

4,4’-Thiodianiline (139-65-1)

Fabrication de teintures/pigments

beta-Toluènes chlorés

Fabrication de teintures/pigments, intermédiaire chimique

o-Toluidine (95-53-4)

Fabrication de teintures/pigments

Trioxyde d’antimoine (1309-64-4

Retardant, verre, pigments

Vapeurs de soudure

Métallurgie

Violet de benzyle (1694-09-3)

Teintures/pigments

1 Evalués dans le cadre du programme de monographies du CIRC, vol. 1 à 63 (1972-1995) (sauf pesticides et médicaments).

2 Les numéros de registre du Chemical Abstracts Registry figurent entre parenthèses.

Des expositions professionnelles peuvent aussi avoir lieu au cours de la fabrication et de l’utilisation de certains pesticides et médicaments. Le tableau 2.8 présente une évaluation de la cancérogénicité des pesticides; deux d’entre eux, le captafol et le dibromure d’éthylène, sont classés comme probablement cancérogènes pour l’humain, et vingt autres, au nombre desquels le DDT, l’atrazine et les chlorophénols, sont classés comme pouvant être cancérogènes pour l’humain.

Tableau 2.8 Pesticides évalués dans le cadre du programme de monographies du CIRC,
vol. 1 à 63 (1972-1995)

Groupe

Pesticide1

2A — Probablement cancérogènes pour l’humain

Captafol (2425-06-1)
Dibromure d’éthylène (106-93-4)

2B — Peut-être cancérogènes pour l’humain

Amitrole (61-82-5)
Aramite® (140-57-8)
Atrazine (1912-24-9)
Chlordane (57-74-9)
Chlordécone (Képone) (143-50-0)
Chlorophénols
DDT (50-29-3)
1,2-Dibromo-3-chloropropane (96-12-8)
1,3-Dichloropropène (542-75-6)
 (qualité technique)
Dichlorvos (62-73-7)
Heptachlore (76-44-8)
Herbicides chlorophénoxylés
Hexachlorobenzène (118-74-1)
Hexachlorocyclohexane (HCH)
Mirex (2385-85-5)
Nitrofène (1836-75-5)
 (qualité technique)
Pentachlorophénol (87-86-5)
o-Phénylphénate de sodium (132-27-4)
Sulfallate (95-06-7)
Toxaphène (Camphènes polychlorés)  
 (8001-35-2)

1 Les numéros de registre du Chemical Abstracts Registry figurent entre parenthèses.

Plusieurs médicaments sont des cancérogènes pour l’humain (voir tableau 2.9): il s’agit principalement d’agents alcoylants et d’hormones; douze autres médicaments, y compris le chloramphénicol, le cisplatine et la phénacétine, sont classés comme pro-bablement cancérogènes pour l’humain (groupe 2A). Les expositions professionnelles à ces cancérogènes reconnus ou présumés, utilisés principalement en chimiothérapie, peuvent survenir dans les pharmacies et au cours de leur administration par le personnel infirmier.

Tableau 2.9 Médicaments évalués dans le cadre du programme de monographies du CIRC,
vol. 1 à 63 (1972-1995)

Médicament1

Organe(s) cible(s)2

GROUPE 1 — Cancérogènes pour l’humain

Azathioprine (446-86-6)

Système lymphatique, système hépato-biliaire, peau

Chlorambucil (305-03-3)

Leucocytes

1-(2-Chloroéthyl)-3-(4-méthylcyclohexyl)-1-nitrosourée (Méthyl CCNU) (13909-09-6)

Leucocytes

N,N-Bis(2-chloroéthyl)-beta-naphtylamine (Chlornaphazine) (494-03-1)

Vessie

Ciclosporine (79217-60-0)

Système lymphatique, peau

Contraceptifs oraux en association

Foie

Contraceptifs oraux séquentiels

Utérus

Cyclophosphamide (50-18-0) (6055-19-2)

Leucocytes, vessie

Diéthylstilboestrol (56-53-1)

Col utérin, vagin, sein

Diméthanesulfonate de 1,4-butanediol (Myleran) (55-98-1)

Leucocytes

Mélanges analgésiques contenant de la phénacétine

Rein, vessie

Melphalan (148-82-3)

Leucocytes

8-Méthoxypsoralène (Méthoxsalène)
(298-81-7) avec irradiation aux ultraviolets A

Peau

MOPP (traitement associé utilisant moutarde azotée, vincristine, procarbazine et prednisone) et autres chimiothérapies associées utilisant des agents alkylants

Leucémie

Œstrogènes non stéroïdiens

Col utérin, vagin, sein

Œstrogènes stéroïdiens

Utérus

Œstrogénothérapie de substitution

Utérus

Thiotépa (52-24-4)

Leucocytes

Tréosulfan (299-75-2)

Leucocytes

GROUPE 2A — Probablement cancérogènes pour l’humain

Adriamycine (23214-92-8)

Azacitidine (320-67-2)

Bischloroéthyl-nitrosourée (BCNU)
(154-93-8)

(Leucocytes)

Chloramphénicol (56-75-7)

(Leucocytes)

Chlorhydrate de procarbazine (366-70-1)

1-(2-Chloroéthyl)-3-cyclohexyl-1-nitrosourée (CCNU) (13010-47-4)

Chlorozotocine (54749-90-5)

Cisplatine (15663-27-1)

5-Méthoxypsoralène (484-20-8)

Moutarde azotée (51-75-2)

(Peau)

Phénacétine (62-44-2)

(Rein, vessie)

Stéroïdes androgéniques (anabolisants)

(Foie)

1 Les numéros de registre du Chemical Abstracts Registry figurent entre parenthèses.

2 Les organes cibles présumés figurent entre parenthèses.

Plusieurs agents environnementaux, présumés ou connus pour être à l’origine du cancer chez l’humain, sont énumérés au tableau 2.10; bien que l’exposition à ces agents ne soit pas principalement professionnelle, certains groupes d’individus y sont exposés de par leur travail: on peut citer, par exemple, les mineurs d’uranium exposés aux produits de décomposition du radon; les travailleurs en milieu hospitalier exposés au virus de l’hépatite B; les personnes travaillant dans les industries alimentaires exposées aux aflatoxines contenues dans des aliments contaminés; les personnes travaillant à l’air libre exposées au rayonnement ultraviolet ou aux gaz d’échappement de moteurs diesel; et les employés de bars et de restaurants exposés à la fumée de tabac.

Tableau 2.10 Agents et expositions environnementaux dont la cancérogénicité
pour l'humain est connue ou présumée1

Agent/exposition

Organe(s) cible(s)2

Degré d’intensité des indices de cancérogénicité3

Polluants atmosphériques

Erionite

Poumon, plèvre

1

Amiante

Poumon, plèvre

1

Hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP)4

(Poumon, vessie)

P

Polluants hydriques

Arsenic

Peau

1

Sous-produits de chloration

(Vessie)

P

Nitrate et nitrite

(Œsophage, estomac)

P

Rayonnements

Radon et ses produits de filiation

Poumon

1

Radium, thorium

Os

N

Autres irradiations aux rayons X

Leucocytes, sein, thyroïde, autres

N

Rayonnement solaire

Peau

1

Rayonnement ultraviolet A

(Peau)

2A

Rayonnement ultraviolet B

(Peau)

2A

Rayonnement ultraviolet C

(Peau)

2A

Lampes et tables à bronzer (utilisation)

(Peau)

2A

Champs électromagnétiques

(Leucocytes)

P

Agents biologiques

Infection chronique par le virus de l’hépatite B

Foie

1

Infection chronique par le virus de l’hépatite C

Foie

1

Infection par Helicobacter pylori

Estomac

1

Infestation par Opistorchis viverrini

Voies biliaires

1

Infestation par Chlonorchis sinensis

(Foie)

2A

Virus du papillome humain de types 16 et 18

Col utérin

1

Virus du papillome humain de types 31 et 33

(Col utérin)

2A

Types de virus du papillome humain autres que le 16, le 18, le 31 et le 33

(Col utérin)

2B

Infestation par Schistosoma hæmatobium

Vessie

1

Infestation par Schistosoma japonicum

(Foie, côlon)

2B

Tabac, alcool et autres substances apparentées

Boissons alcooliques

Bouche, pharynx, œsophage, foie, larynx

1

Fumée de tabac

Lèvre, bouche, pharynx, œsophage, pancréas, larynx, poumon, rein, vessie, (autres)

1

Produits du tabac non fumé

Bouche

1

Mastication de bétel avec tabac

Bouche

1

Facteurs alimentaires

 

 

Aflatoxines

Foie

1

Aflatoxine M1

(Foie)

2B

Ochratoxine A

(Rein)

2B

Toxines dérivées du Fusarium moniliforme

(Œsophage)

2B

Poisson salé (façon chinoise)

Rhinopharynx

1

Légumes au vinaigre (condiment asiatique traditionnel)

(Œsophage, estomac)

2B

Fougère arborescente

(Œsophage)

2B

Safrol

2B

Café

(Vessie)

2B

Acide caféique

2B

Maté bouillant

(Œsophage)

2A

Fruits et légumes frais (protecteurs)

Bouche, œsophage, estomac, côlon, rectum, larynx, poumon (autres)

N

Graisse

(Côlon, sein, endomètre)

P

Fibres (protectrices)

(Côlon, rectum)

P

Nitrate et nitrite

(Œsophage, estomac)

P

Sel

(Estomac)

P

Vitamine A, beta-carotène (protecteurs)

(Bouche, œsophage, poumon, autres)

P

Vitamine C (protectrice)

(Œsophage, estomac)

P

IQ (Amino-2 méthyl-3 imidazo[4,5-f]quinoléine)

(Estomac, côlon, rectum)

2A

MeIQ (Amino-2 diméthyl-3,4 imidazo[4,5-f] quinoléine)

2B

MeIQx (Amino-2 diméthyl-3,8 imidazo[4,5-b] quinoxaline)

2B

PhIP (Amino-2 méthyl-1 phényl-6 imidazo[4,5-b]pyridine)

2B

Vie reproductive et comportement sexuel

Age tardif à la première grossesse

Sein

N

Faible parité

Sein, ovaire, corps de l’utérus

N

Age précoce au premier rapport

Col utérin

N

Nombre de partenaires sexuels

Col utérin

N

1 Les agents et expositions, de même que les médicaments rencontrés principalement sur le lieu de travail sont exclus.

2 Les organes cibles présumés figurent entre parenthèses.

3 Evaluation du programme de monographies du CIRC signalée le cas échéant (1: cancérogène pour l’humain; 2A: probablement cancérogène pour l’humain; 2B: peut-être cancérogène pour l’humain); dans les autres cas, N: cancérogène notoire; P: cancérogène présumé.

4 L’exposition humaine aux hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) survient dans les mélanges, comme les gaz d’échappement de moteurs, les vapeurs de combustion et les suies. Plusieurs mélanges et certains HAP particuliers ont fait l’objet d’une évaluation du CIRC.

Le programme des monographies du CIRC a couvert la plupart des causes reconnues ou présumées de cancer dans ses évaluations; il reste toutefois certains groupes importants d’agents qui n’ont pas été évalués par le CIRC, à savoir les rayonnements ionisants et les champs électromagnétiques.

Les branches d’activité et les professions

Les connaissances actuelles sur les rapports entre les expositions professionnelles et le cancer sont loin d’être complètes; en fait, seuls 22 agents sont reconnus comme des cancérogènes professionnels (voir tableau 2.5) et, pour de nombreux autres cancérogènes expérimentaux, il n’existe pas d’indications définitives tirées de l’étude de travailleurs exposés. Bien souvent, on dispose de nombreux indices de risques accrus associés à des branches d’activité ou des professions particulières, mais aucun agent particulier ne peut être identifié comme facteur étiologique. On trouvera aux tableaux 2.11 et 2.12 la liste des branches d’activité et des professions associées à des risques cancérogènes excessifs, ainsi que les localisations des cancers correspondants et l’(les) agent(s) responsable(s) connu(s) ou présumé(s).

Tableau 2.11 Branches d’activité, professions et expositions connues pour présenter un risque cancérogène

Branche d’activité (code de la CITI)

Profession/type d’activité

Localisation/type du cancer

Agent causal connu ou présumé

Agriculture, sylviculture et pêche (1)

Viticulteurs utilisant des insecticides à l’arsenic

Poumon, peau

Composés arsenicaux

 

Pêcheurs

Peau, lèvres

Rayonnement ultraviolet

Industries extractives (2)

Extraction d’arsenic

Poumon, peau

Composés arsenicaux

 

Extraction de minerai de fer (hématite)

Poumon

Produits de décomposition du radon

 

Extraction d’amiante

Poumon, mésothéliome pleural et péritonéal

Amiante

 

Extraction d’uranium

Poumon

Produits de décomposition du radon

 

Extraction et bocardage du talc

Poumon

Talc contenant des fibres asbestiformes

Industrie chimique (35)

Travailleurs de la production et utilisateurs de bis(chlorométhyl)éther (BCME) et de chlorométhylméthyléther (CMME)

Poumon (microcytome)

BCME, CMME

 

Production de chlorure de vinyle

Angiosarcome hépatique

Chlorure de vinyle monomère

 

Fabrication d’isopropanol (procédé à l’acide fort)

Fosse nasale

Non identifié

 

Production de chromate et pigments

Poumon, fosse nasale

Composés du chrome VI

 

Fabricants et utilisateurs de teintures

Vessie

Benzidine, 2-naphthylamine, 4-aminobiphényle

 

Fabrication d’auramine

Vessie

Auramine et autres amines aromatiques utilisées au cours de la fabrication

 

Production de p-chloro-o-toluidine

Vessie

p-chloro-o-toluidine et ses sels d’acides forts

Industrie du cuir (324)

Fabrication de chaussures et de bottes

Fosse nasale, leucémie

Poussière de cuir, benzène

Bois et ouvrages en bois (33)

Ebénistes et menuisiers en meubles

Fosse nasale

Poussière de bois

Production de pesticides et d’herbicides (3512)

Production et conditionnement d’insecticides arsenicaux

Poumon

Composés arsenicaux

Industrie du caoutchouc (355)

Fabrication de caoutchouc

Leucémie, vessie

Benzène
Amines aromatiques

 

Calandrage, vulcanisation de pneus, fabrication de pneus

Leucémie

Benzène

 

Broyeurs, mélangeurs

Vessie

Amines aromatiques

 

Production de latex synthétique, vulcanisation de pneus, conducteurs de calandres, régénération du caoutchouc, fabricants de câbles

Vessie

Amines aromatiques

 

Production de feuilles de caoutchouc

Leucémie

Benzène

Production d’amiante (3699)

Production de matériaux d’isolation (tuyaux et conduites, plaques d’amiante, textiles, vêtements, masques, produits amiantés)

Poumon, mésothéliome pleural et péritonéal

Amiante

Métaux (37)

Production d’aluminium

Poumon, vessie

Hydrocarbures aromatiques polycycliques, goudron

 

Fonderie de cuivre

Poumon

Composés arsenicaux

 

Production de chromate, placage de chrome

Poumon, fosse nasale

Composés du chromeVI

 

Métallurgie, aciérie

Poumon

Non identifié

 

Raffinage de nickel

Fosse nasale, poumon

Composés du nickel

 

Opérations de décapage

Larynx, poumon

Brouillards d’acides minéraux forts contenant de l’acide sulfurique

 

Production et raffinage de cadmium; fabrication de piles et batteries nickel-cadmium; fabrication de pigment cadmium; production d’alliages du cadmium; placage par électrolyse; fondeurs de zinc; brasage et composition du poly(chlorure de vinyle)

Poumon

Cadmium et composés du cadmium

 

Raffinage et usinage du béryllium; fabrication de produits contenant du béryllium

Poumon

Béryllium et composés du béryllium

Construction navale, construction de véhicules automobiles et de matériel ferroviaire (385)

Travailleurs des chantiers navals et de la production de véhicules automobiles et de matériel ferroviaire

Poumon, mésothéliome pleural et péritonéal

Amiante

Gaz (4)

Travailleurs des cokeries

Poumon

Benzo(a)pyrène

 

Travailleurs du gaz

Poumon, vessie, scrotum

Produits de la carbonisation du charbon, 2-naphthylamine

 

Personnel travaillant sur les cornues à gaz

Vessie

Amines aromatiques

Bâtiment et travaux publics (5)

Isolateurs et calorifugeurs de tuyaux et conduites

Poumon, mésothéliome pleural et péritonéal

Amiante

 

Couvreurs, travailleurs de l’asphalte

Poumon

Hydrocarbures aromatiques polycycliques

Autres

Personnel médical (9331)

Peau, leucémie

Rayonnements ionisants

 

Peintres (construction, industrie automobile et autres utilisateurs)

Poumon

Non identifié

Tableau 2.12 Branches d'activité, professions et expositions connues pour présenter un excès
de cancers, mais pour lesquelles l'évaluation du risque cancérogène n'est pas définitive

Branche d’activité (code de la CITI)

Profession//type d’activité

Localisation/type du cancer

Agent causal connu ou présumé

Agriculture, sylviculture et pêche (1)

Exploitants et travailleurs agricoles

Système lymphatique et hématopoïétique (leucémie, lymphome)

Non identifié

 

Epandage d’herbicides

Lymphomes malins, sarcomes des tissus mous

Herbicides chlorophénoxylés, chlorophénols (vraisemblablement contaminés par des dibenzodioxines polychlorées)

 

Epandage d’insecticides

Poumon, lymphome

Insecticides non arsenicaux

Industries extractives (2)

Extraction de zinc-plomb

Poumon

Produits de filiation du radon

 

Charbon

Estomac

Poussière de charbon

 

Extraction de métaux

Poumon

Silice cristalline

 

Extraction d’amiante

Tractus gastro-intestinal

Amiante

Industrie alimentaire (3111)

Bouchers et travailleurs de la viande

Poumon

Virus, HAP1

Industrie des boissons (3131)

Brasseurs de bière

Voies aéro-digestives supérieures

Consommation d’alcool

Industrie textile (321)

Teinturiers

Vessie

Teintures

 

Tisserands

Vessie, sinus nasal, bouche

Poussières de fibres et de fils

Industrie du cuir (323)

Tanneurs, peaussiers et mégissiers

Vessie, pancréas, poumon

Poussière de cuir, autres produits chimiques, chrome

 

Fabrication et réparation de chaussures et de bottes

Sinus nasal, estomac, vessie

Non identifié

Bois et ouvrages en bois (33), industrie du papier et de la pâte à papier (341)

Bûcherons et travailleurs des scieries

Fosse nasale, lymphome hodgkinien, peau

Poussières de bois, chlorophénols,
créosotes

 

Travailleurs des fabriques de papier et de pâte à papier

Tissu lymphopoïétique, poumon

Non identifié

 

Charpentiers, menuisiers

Fosse nasale, lymphome hodgkinien

Poussière de bois, solvants

 

Travailleurs du bois, non spécifiés

Lymphomes

Non identifié

 

Production de contreplaqué et de panneaux de particules

Rhinopharynx, sinus nasal

Formaldéhyde

Imprimerie (342)

Travailleurs des rotatives, relieurs, travailleurs des presses d’imprimerie, des salles de machines et autres

Système lymphocytaire et hématopoïétique, cavité buccale, poumon, rein

Huile en brouillard, solvants

Industrie chimique (35)

Production de 1,3-butadiène

Système lymphocytaire et hématopoïétique

1,3-Butadiène

 

Production d’acrylonitrile

Poumon, côlon

Acrylonitrile

 

Production de chlorure de vinylidène

Poumon

Chlorure de vinylidène (exposition combinée à l’acrylonitrile)

 

Fabrication de l’alcool isopropylique (procédé à l’acide fort)

Larynx

Non identifié

 

Production de polychloroprène

Poumon

Chloroprène

 

Production de sulfate de diméthyle

Poumon

Sulfate de diméthyle

 

Production d’épichlorhydrine

Poumon, système lymphatique et hématopoïétique (leucémie)

Epichlorhydrine

 

Production d’oxyde d’éthylène

Système lymphatique et hématopoïétique (leucémie), estomac

Oxyde d’éthylène

 

Production de dibromure d’éthylène

Système digestif

Dibromure d’éthylène

 

Production de formaldéhyde

Rhinopharynx, sinus nasal

Formaldéhyde

 

Utilisation de retardants et de plastifiants

Peau (mélanome)

PCB3

 

Production de chlorure de benzoyle

Poumon

Chlorure de benzoyle

Production d’herbicides (3512)

Production d’herbicides chlorophénoxylés

Sarcome des tissus mous

Herbicides chlorophénoxylés, chlorophénols (contaminés par des dibenzodioxines polychlorées)

Pétrole (353)

Raffinage du pétrole

Peau, leucémie, encéphale

Benzène, HAP, huiles minérales peu ou non raffinées

Caoutchouc (355)

Différentes professions de la production de caoutchouc

Lymphome, myélome multiple, estomac, encéphale, poumon

Benzène, MOCA2, autres non identifiés

 

Production de caoutchouc au styrène-butadiène

Système lymphatique et hématopoïétique

1,3-Butadiène

Céramique, verre et briques réfractaires (36)

Travailleurs de la céramique et des grès

Poumon

Silice cristalline

 

Travailleurs du verre (verrerie d’art, verre creux et verre moulé)

Poumon

Arsenic et autres oxydes métalliques, silice, HAP

Production d’amiante (3699)

Production de matériaux d’isolation (tuyaux et conduites, plaques d’amiante, textiles, vêtements, masques, produits amiantés)

Larynx, tractus gastro-intestinal

Amiante

Métaux (37, 38)

Fonderie de plomb

Voies respiratoires et digestives

Composés de plomb

 

Production et raffinage de cadmium; fabrication de piles et batteries nickel-cadmium; fabrication de pigment cadmium; production d’alliages du cadmium; placage par électrolyse; fonderie de zinc; brasage et composition du poly(chlorure de vinyle)

Prostate

Cadmium et composés du cadmium

 

Métallurgie du fer et de l’acier

Poumon

Silice cristalline

Construction navale (384)

Travailleurs des chantiers navals

Larynx, système digestif

Amiante

Construction de véhicules automobiles (3843, 9513)

Mécaniciens, soudeurs, etc.

Poumon

HAP, vapeurs de soudure, gaz d’échappement de moteurs

Electricité (4101, 9512)

Production, distribution, réparation

Leucémie, tumeurs de l’encéphale

Champs magnétiques de très basse fréquence

 

 

Foie, voies biliaires

BPC3

Construction (5)

Isolateurs et calorifugeurs de tuyaux et conduites

Larynx, tractus gastro-intestinal

Amiante

 

Couvreurs, travailleurs de l’asphalte

Bouche, pharynx, larynx, œsophage, estomac

HAP, goudron et brai de houille

Transport (7)

Cheminots, pompistes, chauffeurs d’autobus et de poids lourds, conducteurs d’engins

Poumon, vessie

Gaz d’échappement de moteurs diesel

 

 

Leucémie

Champs magnétiques de très basse fréquence

Autres

Pompistes (6200)

Leucémie et lymphome

Benzène

 

Chimistes et autres travailleurs de laboratoire (9331)

Leucémie et lymphome, pancréas

Non identifié (virus, produits chimiques)

 

Embaumeurs, personnel médical (9331

Sinus nasal, rhinopharynx

Formaldéhyde

 

Travailleurs de santé (9331)

Foie

Virus de l’hépatite B

 

Blanchisseurs et teinturiers (9520)

Poumon, œsophage, vessie

Tri-et tétrachloroéthylène et tétrachlorure de carbone

 

Coiffeurs (9591)

Vessie, leucémie et lymphome

Teintures capillaires, amines aromatiques

 

Peintres de cadrans au radium

Sein

Radon

1 HAP = Hydrocarbures aromatiques polycycliques.

2 MOCA = 4,4’-Méthylènebis(2-chloroaniline).

3 BPC = Biphényles polychlorés.

Le tableau 2.11 présente les branches d’activité, les professions et les expositions dans lesquelles on estime que le risque cancérogène est établi, et le tableau 2.12 indique les procédés industriels, les professions et les expositions pour lesquels un risque excessif a été signalé, mais pour lesquels les indications n’ont pas été jugées suffisantes ou définitives. On trouvera également au tableau 2.12 un certain nombre de professions et de branches d’activité figurant déjà au tableau 2.11 et pour lesquelles on dispose d’indications suggérant une association à des cancers autres que ceux mentionnés au tableau 2.11, mais qui ne sont pas probantes. Par exemple, l’industrie de production de l’amiante figure au tableau 2.11, en ce qui concerne le cancer du poumon et le mésothéliome pleural et péritonéal, et elle figure aussi au tableau 2.12, en ce qui concerne les tumeurs gastro-intestinales. Un certain nombre de branches d’activité et de professions énumérées aux tableaux 2.11 et 2.12 ont également été évaluées au titre du programme de monographies du CIRC. Par exemple, «l’exposition professionnelle à des brouillards d’acides minéraux forts contenant de l’acide sulfurique» a été classée dans le groupe 1 (cancérogène pour l’humain).

La tâche consistant à établir et à interpréter ces listes d’agents physiques ou chimiques cancérogènes et à les associer à des professions ou à des branches d’activité particulières est compliquée par un certain nombre de facteurs: 1) les informations concernant les procédés industriels et les expositions sont souvent de médiocre qualité et ne permettent pas de procéder à une évaluation complète de l’importance des agents cancérogènes spécifiques dans différentes professions ou branches d’activité; 2) les expositions à des cancérogènes bien connus, comme le chlorure de vinyle et le benzène, ont lieu à des intensités différentes dans des situations professionnelles différentes; 3) l’exposition varie dans le temps dans une situation professionnelle donnée soit parce que des agents cancérogènes reconnus comme tels sont remplacés par d’autres agents, soit (le plus fréquemment) en raison de l’introduction de nouveaux procédés ou matériaux industriels; 4) toute liste d’expositions professionnelles ne peut faire référence qu’à un nombre relativement limité d’expositions chimiques ayant fait l’objet d’études sur la présence d’un risque cancérogène.

Toutes les questions soulevées plus haut mettent en lumière la limite la plus importante de toute classification de ce type et, notamment, sa généralisation à toutes les régions du monde: la présence d’un cancérogène dans une situation professionnelle n’implique pas forcément que les travailleurs y sont exposés et, à l’inverse, l’absence de cancérogènes identifiés comme tels ne peut exclure la présence de causes encore non élucidées de cancer.

Un problème qui touche particulièrement les pays en développement est le fait que la plupart des activités industrielles sont fragmentées et se déroulent dans des lieux de travail isolés. Ces petites industries sont souvent caractérisées par des installations anciennes, des bâtiments en mauvais état, une main-d’œuvre d’une formation et d’un niveau d’instruction limités et des employeurs aux ressources insuffisantes. Les vêtements de protection, les respirateurs, les gants et autres équipements de sécurité sont rarement disponibles ou utilisés.

Les petites entreprises sont en général géographiquement disséminées et souvent inaccessibles pour les équipes d’inspection des organismes chargés de contrôler l’application des règlements de sécurité et de santé.

LES CANCERS ENVIRONNEMENTAUX

Bruce K. Armstrong et Paolo Boffetta

Le cancer est une maladie fréquente dans tous les pays. La probabilité qu’une personne soit atteinte d’un cancer à l’âge de 70 ans, compte tenu de la survie jusqu’à cet âge, varie entre 10 et 40% pour les deux sexes. En moyenne, dans les pays développés, une personne sur cinq décédera d’un cancer. Cette proportion est d’environ une personne sur quinze dans les pays en développement. Dans cet article, les cancers environnementaux sont définis comme des cancers causés (ou prévenus) par des facteurs non génétiques, y compris les comportements humains, les habitudes, le mode de vie et des facteurs extérieurs sur lesquels les individus n’ont aucun contrôle. Une définition plus restrictive des cancers environnementaux est parfois employée, qui ne comprend que les effets de facteurs comme la pollution de l’air et de l’eau et les déchets industriels.

Les variations géographiques

Les variations entre différentes régions des taux d’incidence de types particuliers de cancers peuvent être beaucoup plus grandes que pour le cancer dans son ensemble. Les variations connues de l’incidence des cancers les plus fréquents sont résumées au tableau 2.13. C’est ainsi que l’incidence du carcinome du rhinopharynx, par exemple, est cinq cents fois plus grande en Asie du Sud-Est qu’en Europe. Cette large amplitude de la fréquence des différents cancers a conduit à la conclusion que la majeure partie des cancers humains est imputable à des facteurs environnementaux. Il a été avancé notamment que le taux le plus faible que l’on observe dans une population constitue le taux minimum, et peut-être spontané, de la maladie en l’absence de facteurs causals. Ainsi, la différence entre le taux d’incidence d’un cancer dans une population donnée et le taux minimum observé pour n’importe quelle population constitue une estimation du taux de cancer imputable à des facteurs environnementaux dans la population donnée. A partir de là, on a estimé de façon très approximative que 80 à 90% de tous les cancers humains sont provoqués par des facteurs environnementaux (CIRC, 1990).

Tableau 2.13 Variation de l’incidence de cancers fréquents entre différentes populations
couvertes par un registre du cancer1

Cancer (code de la CIM-9)

Zones d’incidence élevée

TC2

Zones de faible incidence

TC2

Amplitude de la variation

Cavité buccale (143-5)

France, Bas-Rhin

2

Singapour (Malais)

0,02

80

Rhinopharynx (147)

Hong-kong

3

Pologne, Varsovie (ruraux)

0,01

300

Œsophage (150)

France, Calvados

3

Israël (Juifs nés en Israël)

0,02

160

Estomac (151)

Japon, Yamagata

11

Etats-Unis, Los Angeles (Philippins)

0,3

30

Côlon (153)

Etats-Unis, Hawaii (Japonais)

5

Inde, Madras

0,2

30

Rectum (154)

Etats-Unis, Los Angeles (Japonais)

3

Koweït (non-Koweïtiens)

0,1

20

Foie (155)

Thaïlande, Khon Khaen

11

Paraguay, Asunción

0,1

110

Pancréas (157)

Etats-Unis, comté d’Alameda (Californie) (Noirs)

2

Inde, Ahmedabad

0,1

20

Poumon (162)

Nouvelle-Zélande (Maoris)

16

Mali, Bamako

0,5

30

Mélanome cutané (172)

Australie, Territoire de la capitale fédérale

3

Etats-Unis, Bay Area (Californie) (Noirs)

0,01

300

Autres cancers cutanés (173)

Australie, Tasmanie

25

Espagne, Pays basque

0,05

500

Sein (174)

Etats-Unis, Hawaii (Hawaiiens)

12

Chine, Qidong

1,0

10

Col utérin (180)

Pérou, Trujillo

6

Etats-Unis, Hawaii (Chinois)

0,3

20

Corps utérin (182)

Etats-Unis, comté d’Alameda (Californie) (Blancs)

3

Chine, Qidong

0,05

60

Ovaire (183)

Islande

2

Mali, Bamako

0,09

20

Prostate (185)

Etats-Unis, Atlanta (Noirs)

12

Chine, Qidong

0,09

140

Vessie (188)

Italie, Florence

4

Inde, Madras

0,2

20

Rein (189)

France, Bas-Rhin

2

Chine, Qidong

0,08

20

1 Données provenant de registre du cancer collaborant avec le CIRC, 1992. Seules sont indiquées dans les zones d’incidence de cancer dont les taux cumulés sont supérieurs ou égaux à 2%. Ces taux concernent les hommes, sauf pour les cancers du sein, du col et du corps utérins et de l’ovaire.

2 Taux cumulés en % entre 0 et 74 and d’âge.

Source : Parkin et coll., 1992.

Il existe, bien sûr, d’autres explications pour les variations géographiques de l’incidence du cancer. Le sous-enregistrement du cancer dans certaines populations peut exagérer l’amplitude de la variation, mais ne saurait expliquer des différences de l’ordre de celles illustrées au tableau 2.13. Les facteurs génétiques peuvent aussi s’avérer importants. On a cependant observé que lorsque des populations migrent dans un pays avec un taux d’incidence de cancer différent de celui de leur pays d’origine, elles acquièrent souvent un taux de cancer intermédiaire entre le taux de leur pays d’origine et celui du pays d’accueil. Cela donne à penser qu’un changement d’environnement, sans changement génétique, a modifié le taux d’incidence. Par exemple, lorsque des Japonais émigrent aux Etats-Unis, leurs taux de cancers du côlon et du sein, faibles au Japon, augmentent, tandis que leur taux de cancer de l’estomac, élevé au Japon, diminue, et ces trois taux tendent à se rapprocher très étroitement des taux existant aux Etats-Unis. Ces changements peuvent attendre la première génération postimmigration pour se faire sentir, mais ils interviennent quand même en l’absence de changements génétiques. Pour certains cancers, l’émigration n’engendre pas de changements. Par exemple, les Chinois du Sud conservent leur taux élevé de cancer du rhinopharynx quel que soit l’endroit où ils vivent, ce qui semble indiquer que, dans ce cas, des facteurs génétiques, ou certaines coutumes ou habitudes culturelles peu modifiées par la migration, sont responsables de la maladie.

Les variations temporelles

L’observation des tendances temporelles fournit aussi des indications sur le rôle des facteurs environnementaux dans l’incidence du cancer chez l’humain. Le changement le plus notable et le plus spectaculaire que l’on ait observé est l’augmentation des taux de cancer du poumon chez les hommes comme chez les femmes, parallèlement à la consommation de tabac, mais survenant vingt à trente ans après le début de cette consommation, constatation faite dans de nombreuses parties du monde; plus récemment, dans quelques pays comme les Etats-Unis, certaines constatations semblent indiquer une baisse des taux de cancers bronchiques, faisant suite à une réduction de la consommation de tabac. En revanche, ce que l’on comprend moins, ce sont les baisses marquées de l’incidence de cancers, comme ceux de l’estomac, de l’œsophage et du col utérin, observées parallèlement au développement économique de nombreux pays. Il serait toutefois difficile d’expliquer ces diminutions autrement que par une réduction de l’exposition à des facteurs causals dans l’environnement ou, peut-être, par une augmentation de l’exposition à des facteurs protecteurs, environnementaux eux aussi.

Les principaux agents cancérogènes dans l’environnement

L’importance des facteurs environnementaux comme causes du cancer humain a été démontrée en outre par des études épidémiologiques établissant un rapport de cause à effet entre certains agents et certains cancers. Les principaux agents identifiés à ce jour sont énumérés au tableau 2.10. Ce tableau n’indique pas les médicaments pour lesquels un lien de cause à effet a été démontré (comme le diéthylstilboetrol et plusieurs agents alcoylants) ou est présumé (comme le cyclophosphamide) (voir aussi tableau 2.9). Pour ces agents, il faut mettre en balance le risque de cancer et les avantages du traitement. De même, le tableau 2.10 ne mentionne pas les agents auxquels on s’expose principalement en milieu professionnel, comme le chrome, le nickel et les amines aromatiques. Pour une analyse détaillée de ces agents, voir le précédent article «Les cancérogènes professionnels». L’importance relative des agents énumérés au tableau 2.10 varie grandement, selon la puissance de l’agent et le nombre de personnes concernées. Le programme de monographies du CIRC comporte une évaluation des indications de cancérogénicité de plusieurs agents environnementaux (CIRC, 1995) (voir à nouveau «Les cancérogènes professionnels» au sujet du programme de monographies du CIRC); le tableau 2.10 se base essentiellement sur les évaluations du programme de monographies du CIRC. Les agents les plus importants de la liste du tableau 2.10 sont ceux auxquels une partie substantielle de la population est exposée à des quantités relativement grandes. Il s’agit notamment des agents suivants: rayonnement ultraviolet (solaire); fumée de tabac; consommation d’alcool; mastication de bétel; virus de l’hépatite B, de l’hépatite C et du papillome humain; aflatoxines; et, d’une façon moins certaine, les graisses alimentaires, les fibres alimentaires, les carences en vitamines A et C, une première grossesse tardive et l’amiante.

On a tenté de calculer la responsabilité relative de ces facteurs dans les 80 à 90% des cancers que l’on peut imputer à des facteurs environnementaux. La répartition varie évidemment d’une population à une autre suivant les différences dans l’exposition et, peut-être, dans la prédisposition génétique à différents cancers. Dans de nombreux pays industriels, il est cependant probable que le tabagisme et les facteurs alimentaires sont, chacun, responsables d’environ un tiers des cancers d’origine environnementale (Doll et Peto, 1981); par contre, dans les pays en développement, il est probable que les agents biologiques jouent un plus grand rôle et le tabac un rôle relativement faible (quoique en hausse, à la suite de la récente augmentation de la consommation de tabac dans ces populations).

Les interactions entre cancérogènes

Un autre aspect à prendre en considération est la présence d’interactions entre cancérogènes. Ainsi, par exemple, dans le cas du tabac et de l’alcool par rapport au cancer de l’œsophage, il a été établi qu’une consommation accrue d’alcool multiplie le taux de cancer produit par une consommation de tabac donnée. L’alcool lui-même peut faciliter le transport des cancérogènes du tabac, ou d’autres substances, à l’intérieur de cellules ou de tissus qui y sont sensibles. On peut également observer cette interaction multiplicatrice entre des cancérogènes initiateurs, comme entre le radon et ses produits de décomposition et la fumée de tabac chez les mineurs d’uranium. Certains agents environnementaux peuvent agir par la promotion de cancers initiés par un autre agent — il s’agit du mécanisme le plus probable de l’effet supposé de la graisse alimentaire sur le développement du cancer du sein (probablement par une production accrue d’hormones stimulant le sein). L’inverse peut également arriver, par exemple dans le cas de la vitamine A qui a probablement un effet antipromoteur sur le cancer du poumon et peut-être sur d’autres cancers provoqués par le tabac. Des interactions semblables peuvent également avoir lieu entre des facteurs environnementaux et des facteurs constitutionnels. En particulier, le polymorphisme génétique de certaines enzymes intervenant dans le métabolisme d’agents cancérogènes ou dans la réparation de l’ADN entre probablement pour une bonne part dans la sensibilité individuelle aux effets des cancérogènes environnementaux.

L’importance des interactions entre cancérogènes, du point de vue de la lutte contre le cancer, tient à ce que l’élimination de l’exposition à l’un des deux (ou plusieurs) facteurs dont l’interaction est cancérogène peut aboutir à une réduction plus grande de l’incidence du cancer que ce que l’on pourrait prédire en ne considérant que l’effet de l’agent agissant seul. Ainsi, par exemple, la suppression des cigarettes peut éliminer presque entièrement les taux excessifs de cancers du poumon chez les travailleurs de l’amiante (mais les taux de mésothéliome ne seraient pas affectés).

Les conséquences pour la prévention

La constatation que les facteurs environnementaux sont respon-sables d’un pourcentage important des cancers humains a permis de fonder la prévention primaire du cancer sur une modification de l’exposition aux facteurs identifiés. Cette modification peut comporter l’élimination d’un cancérogène majeur; la réduction, comme mentionné plus haut, de l’exposition à l’un des cancérogènes agissant ensemble; l’augmentation de l’exposition à des agents protecteurs; ou une combinaison de ces approches. Si une partie de ces interventions peut se faire par la régulation de l’environnement à l’échelle de la communauté concernée, par exemple au moyen de la législation sur l’environnement, l’importance apparente des facteurs liés au mode de vie donne à penser qu’une large part de la prévention primaire demeurera du ressort de la responsabilité individuelle. Les gouvernements peuvent, bien sûr, créer un climat dans lequel il sera plus facile aux individus de prendre la bonne décision.

LA PRÉVENTION

Per Gustavsson

Les expositions professionnelles ne représentent qu’une faible proportion du nombre total des cancers dans l’ensemble de la population. Il a été estimé que 4% de tous les cancers peuvent être imputés aux expositions professionnelles, d’après des chiffres en provenance des Etats-Unis, avec une fourchette d’incertitude de 2 à 8%. Cela signifie que même une prévention totale des cancers liés aux expositions professionnelles ne se traduirait que par une réduction marginale des taux de cancer au niveau national.

Cependant, pour diverses raisons, cela ne doit pas décourager les efforts déployés pour prévenir les cancers d’origine professionnelle. Premièrement, cette estimation de 4% est un chiffre moyen pour la population entière, incluant des personnes non exposées. Parmi les personnes effectivement exposées à des cancérogènes professionnels, la proportion des tumeurs imputables à l’exposition professionnelle est beaucoup plus élevée. Deuxièmement, les expositions professionnelles sont des dangers évitables auxquels les individus s’exposent de façon involontaire. Un individu ne devrait pas être obligé d’accepter de courir un risque de cancer supérieur à la normale, quelle que soit sa profession, et spécialement si la cause est connue. Troisièmement, les cancers d’origine professionnelle peuvent être prévenus par la réglementation, ce qui n’est pas le cas pour les cancers liés à des facteurs relevant du mode de vie.

La prévention des cancers d’origine professionnelle passe par deux étapes au moins: tout d’abord, l’identification d’un composé ou d’un environnement professionnel particuliers comme étant cancérogènes; ensuite, l’imposition de contrôles réglementaires appropriés. Les principes et l’application pratique des contrôles réglementaires des risques cancérogènes présumés ou connus dans le milieu de travail varient considérablement, non seulement selon les régions du monde, développées ou non, mais aussi entre pays de développement socio-économique comparable.

Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) procède à la compilation et à l’évaluation systématiques des données épidémiologiques et expérimentales sur les cancérogènes reconnus ou présumés. Ces évaluations sont ensuite présentées dans une série de monographies qui servent de base pour d’éventuelles décisions quant aux réglementations nationales régissant la production et l’emploi de composés cancérogènes (voir «Les cancérogènes professionnels» ci-dessus).

Historique

L’histoire des cancers professionnels remonte au moins à 1775, année où Percival Pott publia son rapport désormais classique sur le cancer du scrotum chez les ramoneurs londoniens, liant exposition à la suie et incidence du cancer. Cette découverte eut un impact immédiat; en l’occurrence, les ramoneurs d’un certain nombre de pays eurent le droit de prendre un bain à la fin de leur journée de travail. Des études contemporaines indiquent que les cancers du scrotum et de la peau sont aujourd’hui maîtrisés, même si les ramoneurs demeurent à risque accru pour plusieurs autres cancers.

Dans les années mille huit cent quatre-vingt-dix, une série de cas de cancers de la vessie ont été signalés dans une fabrique allemande de teinture par un chirurgien d’un hôpital voisin. Les composés responsables ont ultérieurement été identifiés comme étant des amines aromatiques, qui figurent aujourd’hui sur les listes de substances cancérogènes dans la plupart des pays. Parmi d’autres exemples plus récents, on peut noter le cancer de la peau chez les peintres de cadrans d’horloges employant du radium; le cancer du nez et des sinus chez les travailleurs du bois, provoqué par l’inhalation des poussières de bois; et la «maladie des muletiers» chez les travailleurs de l’industrie du coton, c’est-à-dire le cancer du scrotum provoqué par l’exposition aux brouillards d’huiles minérales. La leucémie induite par exposition au benzène dans l’industrie de fabrication et de réparation des chaussures est un danger qui a été réduit après l’identification de cancérogènes sur le lieu de travail.

S’agissant du lien établi entre l’exposition à l’amiante et le cancer, cet historique illustre une situation où il y a eu un retard considérable entre l’identification du risque et les mesures de réglementation. Les résultats épidémiologiques indiquant une association entre l’exposition à l’amiante et un risque accru de cancer du poumon s’accumulaient déjà dans les années trente. Des indications plus convaincantes sont apparues vers 1955, mais ce n’est que vers le milieu des années soixante-dix que des mesures ont commencé à être prises en vue d’une réglementation.

L’identification des dangers associés au chlorure de vinyle est un exemple différent, où des mesures de réglementation ont rapidement été prises à la suite de l’identification du cancérogène. Dans les années soixante, la plupart des pays avaient adopté une valeur limite d’exposition au chlorure de vinyle de 500 parties par million (ppm). En 1974, les premières informations faisant état d’une fréquence accrue du cancer hépatique rare appelé angiosarcome chez les travailleurs exposés au chlorure de vinyle ont été suivies peu après d’études concordantes sur des animaux de laboratoire. Après que le chlorure de vinyle eut été identifié comme cancérogène, des mesures de réglementation furent prises pour abaisser rapidement la limite d’exposition au niveau actuel de 1 à 5 ppm.

Les méthodes employées pour l’identification des cancérogènes professionnels

Les méthodes employées dans les exemples décrits plus haut vont de l’observation par des médecins perspicaces de séries de cas de maladie à des études épidémiologiques plus formelles, c’est-à-dire à la recherche du taux de maladie (cancer) chez l’humain. Les résultats des études épidémiologiques sont particulièrement importants pour l’évaluation des risques pour l’humain. Un inconvénient majeur de telles études est qu’une longue période, le plus souvent au moins quinze ans, est nécessaire pour être en mesure de démontrer et d’évaluer les effets de l’exposition à un cancérogène potentiel. Cela est insatisfaisant pour des fins de surveillance et d’autres méthodes doivent être appliquées pour obtenir une évaluation plus rapide des substances nouvellement introduites. A cet effet, depuis le début du siècle, on utilise les études de cancérogénicité chez l’animal. L’extrapolation des résultats de l’animal à l’humain introduit toutefois un degré considérable d’incertitude. Ces méthodes ont en outre, elles aussi, des limites liées au nombre important d’animaux qu’il faut suivre sur plusieurs années.

Le besoin de disposer de méthodes donnant des résultats plus rapides a été en partie comblé en 1971, grâce au test d’Ames (test de mutagénicité à court terme). Ce test utilise des bactéries pour mesurer l’activité mutagène d’une substance donnée (sa capacité à provoquer des mutations irréparables dans le matériel génétique cellulaire, l’ADN). Une des difficultés de l’interprétation de ce test bactérien réside dans le fait que les substances qui provoquent le cancer chez l’humain ne sont pas toutes mutagènes et que l’on ne considère pas tous les mutagènes bactériens comme présentant un risque de cancer chez l’humain. Il n’en demeure pas moins que la découverte qu’une substance est mutagène est le plus souvent considérée comme une indication qu’elle pourrait être cancérogène pour l’humain.

De nouvelles méthodes ont été mises au point en génétique et en biologie moléculaire ces quinze dernières années dans le but de déceler des risques de cancer pour l’humain. Cette discipline est dénommée «épidémiologie moléculaire». On y étudie les événements génétiques et moléculaires pour clarifier le processus de formation cancéreuse et élaborer ainsi des méthodes de détection précoce du cancer, ou des indications d’un risque accru de cancer. Ces méthodes comprennent l’analyse des lésions subies par le matériel génétique et la formation de liens chimiques (des adduits) entre les polluants et le matériel génétique. La présence d’aberrations chromosomiques est un indicateur clair d’effets sur le matériel génétique qui peuvent être associés au développement can- céreux. Il reste toutefois à établir le rôle que jouent les découvertes faites en épidémiologie moléculaire dans l’évaluation du risque de cancer pour l’humain; des recherches sont en cours pour déterminer plus nettement la façon précise dont il faut interpréter les résultats de ces analyses.

La surveillance et le dépistage

Les stratégies de prévention des cancers d’origine professionnelle sont différentes de celles que l’on applique aux cancers liés aux modes de vie ou aux expositions environnementales. Dans le domaine professionnel, la principale stratégie de lutte anticancéreuse consiste à réduire ou à éliminer totalement l’exposition aux agents cancérogènes. Les méthodes fondées sur la détection précoce grâce aux programmes de dépistage, comme ceux que l’on applique au cancer du col utérin ou à celui du sein, n’ont qu’une importance très limitée en médecine du travail.

La surveillance

Pour surveiller la fréquence du cancer dans différentes professions, on peut utiliser les données des registres de population portant sur les taux de cancer et les différentes professions. Plusieurs méthodes ont été employées pour obtenir ce type d’informations, selon les registres disponibles. Les limites et les pos- sibilités dépendent en grande partie de la qualité des informations des registres. Les informations sur le taux de maladie (la fréquence du cancer) s’obtiennent le plus souvent dans les registres locaux ou nationaux du cancer (voir ci-dessous), ou à partir des certificats de décès, tandis que les informations concernant la composition par âge et la taille des groupes professionnels sont tirées des registres de population.

L’exemple classique de ce type d’informations est la publication régulière, au Royaume-Uni, des Decennial Supplements on Occupational Mortality depuis la fin du XIXe siècle. Ces publications utilisent les informations mentionnées sur les certificats de décès concernant les causes du décès et la profession, ainsi que les données de recensement sur la fréquence des professions dans la population totale pour calculer les taux de décès par cause spécifique dans différentes professions. Ce type de statistiques est un outil utile pour surveiller la fréquence du cancer dans les professions associées à un risque connu, mais leur utilité pour détecter des risques jusque-là inconnus est limitée. Ce genre d’approche peut aussi pâtir de difficultés liées aux différences systématiques dans le codage des professions employé sur les certificats de décès et dans les données de recensement.

L’utilisation de numéros d’identification personnelle dans les pays nordiques a permis de relier les données de recensement sur les professions aux données d’enregistrement du cancer et de calculer directement les taux de cancer dans différentes professions. En Suède, un lien permanent entre les recensements de 1960 et de 1970 et les chiffres d’incidence du cancer dans les années qui ont suivi a été mis à la disposition des chercheurs et a été utilisé dans un grand nombre d’études. Le registre suédois cancer-environnement a été utilisé pour une enquête générale sur certains cancers tabulés par profession. Cette enquête a été lancée par une commission gouvernementale étudiant les dangers liés au milieu de travail. Des liens de même type entre bases de données ont été établis dans les autres pays nordiques.

Généralement, les statistiques basées sur des données de recensement et d’incidence de cancer recueillies systématiquement présentent l’avantage de fournir facilement des informations en grande quantité. Cette source d’information fournit des données sur la fréquence du cancer en fonction de la profession seulement, et non des expositions particulières. Cela tempère considérablement les associations, puisque l’exposition peut grandement varier entre individus exerçant la même profession. Les études épidémiologiques menées sur des cohortes (où on compare la survenue de cancers dans un groupe de travailleurs exposés à celle d’un groupe de travailleurs non exposés, appariés pour l’âge, le sexe et d’autres facteurs) ou de type cas-témoins (ou on compare l’expérience d’exposition d’un groupe de personnes atteintes d’un cancer à celle d’un échantillon de la population générale) offrent de meilleures possibilités d’obtenir des descriptions détaillées de l’exposition et, donc, de meilleures possibilités d’étudier la cohérence et la concordance de données d’observation indiquant une augmentation du risque, en permettant d’examiner, par exemple, les données concernant les tendances exposition-réponse éventuelles.

La possibilité d’obtenir des données d’exposition plus précises et des notifications de cancer réunies systématiquement a fait l’objet d’une étude cas-témoins prospective au Canada. Elle a été mise sur pied dans l’agglomération de Montréal en 1979. Les antécédents professionnels de travailleurs de sexe masculin ont été recueillis, tandis qu’ils étaient inscrits au registre du cancer local; ces antécédents ont ensuite été codés selon l’exposition à différents produits chimiques par des hygiénistes du travail. Plus tard, on a pu calculer et publier les risques de cancer concernant un certain nombre de substances (Siemiatycki, 1991).

En conclusion, la production continue de données de surveillance fondées sur des informations enregistrées fournit un moyen efficace et relativement facile de surveiller la fréquence du cancer par profession. Si le principal objectif recherché est de surveiller des facteurs de risque connus, la possibilité d’identification de risques nouveaux est, par contre, limitée. Ces études ne devraient pas servir à établir des conclusions concernant l’absence de risque dans une profession, à moins de connaître précisément la proportion des individus fortement exposés. Il arrive très fréquemment que seul un pourcentage relativement faible des membres d’une profession soit effectivement exposé; pour ces in- dividus, le produit en question peut représenter un risque substantiel, mais qui ne sera pas observable (c’est-à-dire qui sera statistiquement dilué) lorsqu’on analysera le groupe professionnel dans son ensemble comme groupe unique.

Le dépistage

Le dépistage des cancers professionnels dans des populations exposées aux fins de diagnostic précoce est rarement mis en œuvre, mais a été testé dans des secteurs où l’exposition s’est avérée difficile à éliminer. C’est ainsi que l’on s’est beaucoup intéressé aux méthodes de détection précoce du cancer du poumon chez les personnes exposées à l’amiante. Avec les expositions à l’amiante, un risque accru persiste pendant longtemps, même après la cessation de l’exposition. Aussi l’évaluation constante de l’état de santé des individus exposés est-elle justifiée. On utilise pour ce faire des radiographies thoraciques et l’examen cytologique des expectorations. Malheureusement, dans des conditions comparables de test, ni l’une ni l’autre de ces méthodes ne réduit la mortalité de façon importante, même si elles permettent de déceler plus tôt certains cas. L’une des raisons en est que le pronostic du cancer du poumon est peu affecté par un diagnostic précoce. Un autre problème vient du fait que les radiographies thoraciques elles-mêmes constituent un risque de cancer qui, s’il demeure faible pour l’individu, peut se révéler important lorsqu’il est appliqué à un grand nombre de personnes (c’est-à-dire à tous les individus soumis à un dépistage).

Le dépistage a aussi été proposé pour le cancer de la vessie dans certaines professions, comme dans l’industrie du caoutchouc. Des recherches sur les altérations cellulaires dans l’urine des travailleurs, ainsi que sur sa mutagénicité, ont été signalées. Cependant, l’utilité de suivre les altérations cytologiques aux fins de dépistage dans la population a été remise en question et l’utilité des tests de mutagénicité demande une évaluation scientifique plus poussée, la valeur pronostique d’une mutagénicité urinaire accrue n’étant pas connue.

Les jugements portés sur la valeur du dépistage dépendent aussi de l’intensité de l’exposition et, donc, de l’ampleur du risque de cancer prévu. Le dépistage pourrait être davantage justifié dans des petits groupes de population exposés à des niveaux élevés de cancérogènes que dans des groupes plus nombreux exposés à des niveaux plus faibles.

Pour résumer, on ne peut recommander aucune méthode particulière de dépistage des cancers professionnels sur la base des connaissances actuelles. Le développement de nouvelles techniques en épidémiologie moléculaire peut améliorer les perspectives de détection précoce du cancer, mais il faut réunir davantage d’informations avant de pouvoir tirer des conclusions dans ce domaine.

L’enregistrement du cancer

Tout au long de ce siècle, des registres du cancer ont été mis en place dans de nombreuses régions du monde. Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) (1992) a rassemblé des données portant sur l’incidence du cancer dans différentes régions du monde dans une série de publications intitulée Cancer Incidence in Five Continents. Le volume 6 de cette série présente 131 registres répartis dans 48 pays.

Deux caractéristiques principales déterminent l’utilité potentielle d’un registre du cancer: un périmètre d’observation bien défini (délimitant la zone géographique couverte) et la qualité et l’exhaustivité des informations enregistrées. Nombre des registres établis il y a longtemps ne couvrent pas de zone géographique bien définie, mais sont limités au secteur desservi par un hôpital.

En matière de prévention des cancers professionnels, les registres présentent plusieurs avantages potentiels. Un registre complet, de couverture nationale et dont les informations recueillies sont de haute qualité, peut être un excellent moyen de surveiller l’incidence du cancer dans la population. Cela nécessite l’accès aux données démographiques pour calculer les taux de cancer standardisés pour l’âge. Certains registres renferment aussi des informations sur la profession, ce qui facilite la surveillance des risques de cancer dans différentes professions.

Les registres peuvent également servir de source d’identification des cas pour des études épidémiologiques de type cas-témoins ou de cohorte. Dans les études de cohorte, les données personnelles d’identification de la cohorte sont couplées au registre pour obtenir des informations sur le type de cancer (comme dans les études couplées aux fichiers). Cela suppose l’existence d’un système d’identification fiable (comme les numéros personnels d’identification dans les pays nordiques) et que les lois sur la confidentialité n’interdisent pas l’utilisation du registre de cette façon. Dans les études cas-témoins, on peut utiliser le registre comme source de cas, bien que cette méthode ne soit pas exempte de difficultés. En premier lieu, les registres du cancer ne peuvent pas, pour des raisons méthodologiques, être tout à fait à jour quant aux cas récemment diagnostiqués. Le système de notification et les vérifications et corrections nécessaires des informations obtenues prennent un certain temps. Dans le cas des études cas-témoins prospectives ou concomitantes où il est souhaitable de contacter les individus eux-mêmes peu de temps après que le diagnostic de cancer a été établi, il est le plus souvent nécessaire de mettre au point un second mode d’identification des cas, par exemple au moyen des dossiers hospitaliers. En deuxième lieu, les lois sur la confidentialité de certains pays interdisent l’identification de participants potentiels à l’étude et il faut alors les contacter personnellement.

Les registres sont aussi une excellente source permettant de calculer les taux de cancers dans la population générale afin de les comparer à ceux relevés dans les études de cohorte dans certaines professions ou branches d’activité.

Pour l’étude du cancer, les registres d’oncologie présentent plusieurs avantages par rapport aux registres de mortalité que l’on trouve fréquemment dans de nombreux pays. La précision des diagnostics de cancer est souvent meilleure dans les registres du cancer que dans les registres de mortalité qui s’appuient généralement sur les certificats de décès. Un autre avantage est que les registres du cancer renferment souvent des informations sur le type histologique de la tumeur, permettent l’étude de personnes vivant avec un cancer, sans se limiter aux personnes décédées. Enfin, et surtout, les registres contiennent des données de morbidité cancéreuse permettant l’étude de cancers qui ne sont pas rapidement mortels et/ou pas du tout mortels.

Le contrôle du milieu de travail

Il existe trois stratégies principales permettant de réduire les expositions professionnelles à des cancérogènes connus ou présumés: l’élimination de la substance, la réduction de l’exposition par la réduction des émissions ou par une meilleure ventilation et la protection individuelle des travailleurs.

On a longuement débattu du point de savoir s’il existe un réel seuil d’exposition cancérogène au-dessous duquel il n’y a aucun risque. On suppose souvent que l’on doit extrapoler le risque de façon linéaire en descendant jusqu’à un risque zéro à une exposition zéro. Si tel est bien le cas, aucune limite d’exposition, si basse soit-elle, ne sera jamais sans aucun risque. Malgré cela, de nombreux pays ont défini des limites d’exposition pour certaines substances cancérogènes, tandis que d’autres n’en ont fixé aucune.

L’élimination d’un composé peut poser certains problèmes lors de sa substitution par d’autres produits, dont la toxicité doit être inférieure à celle des substances qu’ils remplacent.

Réduire l’exposition à la source peut être relativement facile à accomplir en ce qui concerne les produits chimiques intermédiaires, par encapsulation et ventilation. Par exemple, lorsqu’on a découvert les propriétés cancérogènes du chlorure de vinyle, la limite d’exposition a été divisée par cent et parfois au-delà dans certains pays. Bien que cette nouvelle norme ait été tout d’abord considérée comme impossible à mettre en œuvre par l’industrie, des techniques mises au point ultérieurement ont permis de la respecter. La réduction de l’exposition à la source peut être difficile à appliquer à des substances utilisées dans des conditions moins contrôlées, ou qui se forment au cours du déroulement même du travail (par exemple, les gaz d’échappement des moteurs). Le respect des limites d’exposition demande une surveillance régulière des taux contenus dans l’air ambiant respiré par les travailleurs.

Lorsqu’on ne peut contrôler l’exposition ni par élimination, ni par réduction, il ne reste plus que l’emploi d’équipements de protection individuelle pour la minimiser. Ces équipements vont des masques à filtre aux casques à alimentation d’air et aux vêtements de protection. Selon l’exposition, on décidera de la protection appropriée. Toutefois, de nombreux équipements de protection individuelle entraînent un inconfort certain pour l’utilisateur et les masques à filtre engendrent une résistance respiratoire qui peut être très importante dans les emplois exigeant un gros effort physique. L’effet protecteur des appareils respiratoires est généralement imprévisible et dépend de plusieurs facteurs, tels que la façon dont le masque est posé et adapté au visage de l’utilisateur ou la fréquence de changement des filtres. Il faut considérer les vêtements de protection comme un pis-aller, à n’utiliser que lorsque des formes plus efficaces de réduction de l’exposition font défaut.

Les approches de recherche

Il est frappant de constater le peu de recherches qui ont été entreprises pour évaluer l’impact des programmes ou des stratégies de réduction des risques pour les travailleurs des expositions professionnelles connues pour être cancérogènes. A l’exception peut-être de l’amiante, peu d’évaluations de ce genre ont été réalisées. L’élaboration de meilleures méthodes de lutte contre les cancers professionnels doit comporter une évaluation de la façon dont sont effectivement exploitées les connaissances actuelles.

Un meilleur contrôle des cancérogènes professionnels sur le lieu de travail exige le développement d’un certain nombre de secteurs de la sécurité et de la santé au travail. Le processus d’identification des risques constitue un préalable essentiel à la réduction des expositions aux cancérogènes sur le lieu de travail. A l’avenir, l’identification des risques doit s’attacher à résoudre certains problèmes méthodologiques. Des méthodes épidémiologiques plus affinées sont nécessaires si on veut déceler des risques plus faibles. Il faudra disposer de données d’exposition plus précises à la fois sur la substance concernée et sur d’éventuelles expositions constituant autant de facteurs potentiels de confusion. Des méthodes plus précises qui permettent de déterminer la dose exacte de cancérogène ayant atteint l’organe cible spécifique augmenteront également la puissance des calculs exposition-réponse. Il n’est pas rare, aujourd’hui, d’employer des substituts très grossiers de la mesure réelle de la dose reçue par l’organe cible, tels que le nombre d’années d’emploi dans la branche d’activité. Il est parfaitement clair que de telles estimations de dose sont grandement erronées lorsqu’elles sont substituées aux doses elles-mêmes. L’existence d’un rapport exposition-réponse est le plus souvent considérée comme une forte indication d’un rapport étiologique. Or, l’inverse, c’est-à-dire l’absence de démonstration d’un rapport exposition-réponse, ne constitue pas nécessairement l’indication d’une absence de risque, et d’autant moins lorsqu’on utilise des mesures grossières de la dose reçue par l’organe cible. Si l’on pouvait déterminer cette dose, les tendances réelles des rapports dose-réponse auraient d’autant plus de poids comme indication d’un rapport étiologique.

L’épidémiologie moléculaire est un domaine de recherche en pleine expansion. Les progrès dans ce domaine laissent espérer une meilleure compréhension des mécanismes de développement du cancer, et la possibilité d’une détection précoce des effets cancérogènes conduira à la mise en place d’un traitement également précoce. En outre, les indicateurs d’une exposition cancérogène permettront une meilleure identification des risques nouveaux.

L’élaboration de méthodes de supervision et le contrôle réglementaire du milieu de travail sont aussi nécessaires que les méthodes d’identification des risques. Les méthodes de contrôle réglementaire varient considérablement selon les pays et même parmi les pays occidentaux. Les systèmes de réglementation appliqués dans les différents pays dépendent en grande partie de facteurs sociopolitiques et de l’état de la législation du travail. La réglementation des expositions toxiques est, à l’évidence, une décision politique. Cependant, une étude objective des effets de différents types de systèmes réglementaires pourrait servir de guide aux politiques et autres décideurs.

Un certain nombre de questions de recherche spécifiques doivent aussi être traitées. Des méthodes permettant de décrire les effets escomptés du retrait d’une substance cancérogène donnée, ou ceux de la réduction de l’exposition à cette substance, doivent être élaborées (en d’autres termes, il faut évaluer l’impact des interventions). Le calcul de l’effet préventif de la réduction du risque suscite certaines difficultés lorsqu’on étudie des substances qui interagissent entre elles (l’amiante et le tabac, par exemple). L’effet préventif du retrait de l’une des deux substances en interaction est relativement plus grand que le simple effet additif de ces deux substances.

Les conséquences de la théorie de la cancérogenèse pluriétapes sur l’effet escompté du retrait d’un cancérogène compliquent encore plus la situation. Cette théorie soutient que le développement du cancer est un processus faisant intervenir plusieurs événements cellulaires (étapes). Les substances cancérogènes peuvent agir à une étape précoce, ou tardive, ou aux deux. Par exemple, on pense que les rayonnements ionisants ont une action principalement précoce dans l’induction de certains types de cancers, tandis que l’arsenic intervient principalement à des étapes tardives du développement du cancer du poumon. La fumée de tabac agit aux étapes précoces et tardives du processus cancérogène. L’effet du retrait d’une substance intervenant à une étape précoce ne se traduirait que bien plus tard par une réduction du taux de cancer dans la population, alors que l’élimination d’un cancérogène d’action tardive se traduirait par une réduction du taux de cancer au bout de quelques années seulement. Il s’agit là d’un point important à prendre en considération lorsqu’on procède à l’évaluation des effets de programmes d’intervention visant la réduction des risques cancérogènes.

Enfin, les effets de nouveaux facteurs de prévention ont récemment suscité beaucoup d’intérêt. Ces dernières années, un grand nombre de rapports ont fait état de l’effet préventif de la consommation de fruits et de légumes en ce qui concerne le cancer du poumon. Cet effet semble très constant et fort. Par exemple, il a été signalé que le risque de cancer du poumon chez les personnes consommant peu de fruits et de légumes était le double de celui des personnes qui en font une grande consommation. Ainsi, les futures études du cancer du poumon d’origine professionnelle auraient une précision et une validité plus grandes si on incluait dans l’analyse des informations concernant la consommation de fruits et de légumes.

En conclusion, améliorer la prévention des cancers professionnels passe, d’une part, par de meilleures méthodes d’identification des risques et, d’autre part, par davantage de recherches sur les effets des contrôles réglementaires. En ce qui concerne l’identification des risques, les travaux épidémiologiques doivent s’orienter vers une meilleure qualité des informations concernant l’exposition et, dans le domaine expérimental, les résultats obtenus par les méthodes d’épidémiologie moléculaire concernant les risques de cancer doivent être confirmés.

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