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Chapitre 56 - La prévention des accidents

INTRODUCTION

Jorma Saari

D’après les statistiques du Bureau international du Travail (BIT), il se produit chaque année dans le monde 120 millions d’accidents du travail, dont 210 000 sont mortels. Chaque jour, plus de 500 hommes et femmes ne rentrent pas chez eux parce qu’ils ont été tués dans un accident du travail. Ces chiffres, spectaculaires, retiennent fort peu l’attention du public. Malgré les pertes économiques qu’ils infligent aux Etats, aux entreprises et aux particuliers, les accidents du travail ne font guère parler d’eux.

Il y a, heureusement, des chercheurs qui, souvent dans l’ombre, s’emploient méthodiquement à mieux comprendre et mieux gérer la sécurité et la prévention des accidents. Grâce à leurs efforts, nous avons atteint dans ce domaine un niveau de connaissances sans précédent. De nombreux théoriciens et praticiens de stature internationale nous font profiter de ce nouveau savoir dans les articles qu’ils ont rédigés pour cette Encyclopédie. Au cours des vingt dernières années, la science des accidents, ou accidentologie, a fait des progrès considérables. Le modèle simpliste de type binaire, selon lequel les comportements et les conditions objectives ne peuvent être que sûrs ou dangereux, a été délaissé. La conception rigide, qui conduit à classer obligatoirement toute activité dans l’une ou l’autre de ces deux catégories, a été abandonnée avec l’avènement de modèles systémiques plus évolués, qui ont fait la preuve de leur efficacité pour la gestion de la sécurité.

L’important est d’avoir compris que deux conditions, intrinsèquement sûres séparément, peuvent ne pas l’être lorsqu’elles sont interdépendantes, c’est-à-dire lorsqu’un lien est établi entre elles par le travailleur, dont la conduite change en fonction de l’environnement et du cadre physique. Par exemple, l’apparition des scies à moteur, dans les années soixante, a été à l’origine de nombreux accidents en raison du phénomène dit de «rebond», qui surprend l’utilisateur lorsque les maillons coupants de la chaîne rencontrent une branche, un nœud ou une partie plus dure du bois. Il y eut ainsi des centaines de morts et de blessés, jusqu’à ce que l’on invente un dispositif de protection. Lorsque la Suède eut rendu obligatoire la pose d’un tel dispositif antirebond, le nombre de lésions dues à l’utilisation de cet outil est tombé de 2 600 en 1971 à 1 700 en 1972. Ce fut un important pas en avant dans la prévention des accidents de scie à moteur.

Quiconque s’est servi d’une scie à moteur sait par expérience que cet outil bruyant, vibrant et bien entendu très tranchant paraît a priori dangereux, et le néophyte se montre donc très prudent. Mais plusieurs heures de pratique font oublier le risque et l’on commence à manier l’engin avec moins de précaution. La même chose peut se produire avec le dispositif antirebond. L’utilisateur qui sait qu’un rebond est possible essaie de l’éviter, mais il fait moins attention s’il sait qu’il existe un dispositif de protection. Des études portant sur l’utilisation de scies à moteur pour l’exploitation forestière ont montré que lorsqu’ils portent des jambières, les bûcherons sont moins vigilants et s’exposent plus souvent à des rebonds, précisément parce qu’ils s’estiment protégés. Bien que les dispositifs antirebond aient contribué à éviter des accidents, le lien de causalité n’est pas évident; ils se sont certes révélés efficaces, mais en dernière analyse, il n’y a pas de relation linéaire entre leurs effets et la sécurité. Deux conditions sûres — le dispositif antirebond et le système de protection des jambes — ne doublent pas le niveau de sécurité. L’arithmétique usuelle, où un plus un égale deux (1 + 1 = 2), ne s’applique pas ici, car le résultat obtenu est inférieur à deux. Dans certains cas, heureusement, il est supérieur à zéro, mais dans d’autres, il peut être négatif.

Ce sont là des phénomènes qui commencent à être mieux compris des praticiens de la sécurité. La répartition binaire des comportements et conditions en sûrs/dangereux ne mène pas très loin pour ce qui est de la prévention. C’est à la gestion des systèmes que l’on doit les progrès enregistrés dans ce domaine. Lorsqu’on a compris que les humains, leurs tâches, le matériel et leur environnement formaient un système dynamique, les progrès sur la voie d’une prévention plus efficace des accidents ont été considérables. Les exemples qui suivent illustrent le lien dynamique entre les travailleurs et leur activité. Si une seule composante est modifiée, les autres changent aussi, et il devient difficile de prédire quel sera l’effet ultime sur la sécurité.

On a constaté, dans l’aviation et dans d’autres secteurs faisant appel à des systèmes hautement perfectionnés et automatisés, qu’un surcroît d’automatisation ne se traduisait pas nécessairement par une amélioration de la sécurité, par exemple parce que les opérateurs n’acquièrent pas toujours une pratique suffisante pour maintenir leur niveau de qualification, si bien que lorsqu’ils doivent intervenir, ils n’ont ni les compétences ni les capacités requises.

Certains industriels du papier ont observé que les travailleurs jeunes ne comprenaient pas les fonctions des machines aussi bien que leurs aînés. Ces derniers ont connu des machines qui n’étaient pas automatisées et ont vu comment elles fonctionnaient. Les nouvelles machines automatiques sont pilotées à partir de salles de commande, par l’intermédiaire d’écrans et de claviers d’ordinateurs, et les opérateurs ignorent l’emplacement exact de leurs composantes. De ce fait, ils risquent de modifier l’état d’une composante et de mettre ainsi en péril le personnel d’entretien qui se trouve à proximité. Un perfectionnement technique des machines et des commandes, sans mise à niveau parallèle des qualifications, des connaissances et des valeurs des opérateurs, n’aboutit pas nécessairement à une amélioration de la sécurité.

La démarche classique, en matière de prévention, consiste à tirer des enseignements des accidents et des quasi-accidents (accidents évités de peu) observés. En enquêtant sur chaque incident, on en comprend mieux les causes et on peut alors intervenir pour les atténuer ou pour les supprimer. Le problème est que nous n’avons pas été capables, faute de théories suffisamment solides, de mettre au point des méthodes d’analyse permettant de connaître tous les facteurs à prendre en compte pour la prévention. Une enquête peut donner un tableau assez juste des causes, mais en général, il n’est valable que pour l’accident analysé. Il se peut que des conditions objectives et certains facteurs aient joué un rôle, mais que les experts ne perçoivent pas ou ne comprennent pas leur lien avec l’accident. Il est quelque peu aléatoire, à partir d’un accident particulier, d’extrapoler à d’autres situations.

Cela dit, des progrès considérables ont été réalisés dans le domaine de la gestion prévisionnelle de la sécurité. Un certain nombre de techniques ont été mises au point et sont aujourd’hui utilisées couramment pour analyser la sécurité et les risques sur le lieu de travail. Elles nous permettent d’étudier systématiquement les unités de production industrielle afin d’identifier les risques potentiels et de prendre des mesures préventives appropriées.

Dans le monde entier, ce sont les industries chimique et pétrochimique qui, en la matière, ont donné l’exemple, des catastrophes comme celles de Bhopal et de Tchernobyl ayant provoqué un recours accru aux nouveaux outils de prévision. Des progrès remarquables ont été accomplis depuis le milieu des années soixante-dix sur le front de la sécurité. De nombreux pays ont également fait œuvre de pionnier en rendant obligatoire l’analyse de la sécurité. En vingt ans, la Suède, la Finlande, le Japon et la République fédérale d’Allemagne ont tous réduit de 60 à 70% le nombre des accidents du travail mortels, et beaucoup d’autres pays affichent des résultats comparables. Reste maintenant à passer de la recherche aux applications pratiques et à améliorer encore nos actions de prévention.

L’un des nouveaux éléments de progrès, en matière de gestion de la sécurité, est la notion de «culture de sûreté», qui peut être difficile à cerner, car elle ne correspond à rien de tangible. C’est une notion abstraite, propre à une entreprise ou à une collectivité, et il n’y a aucun moyen d’agir directement sur elle. Elle n’en est pas moins indispensable si l’on veut comprendre les possibilités de prévention. L’un des objectifs du présent ouvrage est d’explorer cette nouvelle notion.

Cette nouvelle édition de l’Encyclopédie présente un exposé complet des théories et des modèles de prévention des accidents pour permettre d’élaborer des stratégies de prévention mieux conçues et plus efficaces. Prévenir les accidents du travail est possible. Rien ne nous oblige à tolérer ce tribut inutile imposé à notre bien-être et à notre économie.

LES CONCEPTS DE L’ANALYSE DES ACCIDENTS

Kirsten Jørgensen

Notre propos est ici d’exposer une méthode permettant d’évaluer l’ampleur du problème des accidents; il s’agit de présenter une démarche, et non de dresser un état des lieux. Pour les accidents du travail, on peut procéder de diverses manières, selon que l’on a besoin d’estimer l’importance du problème dans le passé ou que l’on essaie de savoir ce qu’il en sera à l’avenir (certains jugeront peut-être cette distinction inutile, arguant que si l’on connaît l’étendue du problème aujourd’hui, l’on devrait avoir une idée de ce qui nous attendra demain). L’ampleur du problème et ses différents aspects varient selon les pays, les secteurs d’activité et les entreprises.

Un accident peut être défini comme la résultante d’une séquence d’événements dans laquelle se produit une anomalie aboutissant à des effets indésirables. Il a été montré que l’intervention de l’humain pouvait empêcher un tel résultat, mais elle peut aussi déclencher des séquences d’événements potentiellement beaucoup plus dangereuses que celles qui entraînent des dommages corporels ou matériels. Il faut tenir compte de cette possibilité pour évaluer de façon complète l’étendue des risques sur le lieu de travail. Si l’on prend pour hypothèse que c’est à cause de facteurs inhérents au lieu de travail que certains événements peuvent provoquer des dommages corporels ou matériels, on est amené à conclure que l’ampleur du problème doit être déterminée en fonction de l’existence et de la fréquence de ces facteurs.

On peut adopter une approche rétrospective, en comparant le nombre des accidents (taux de fréquence) et leur gravité (nombre de journées de travail perdues), ou prospective, en évaluant l’existence des facteurs de risque — c’est-à-dire des facteurs susceptibles de provoquer des accidents.

Il est possible d’obtenir un tableau suffisamment complet et précis de la situation en utilisant un système de rapports et de dossiers d’accidents. L’analyse des rapports d’accidents établis avec soin permet de se faire une idée des relations fondamentales qui sont essentielles à la compréhension des causes des accidents. Pour évaluer avec précision l’ampleur du problème, il est indispensable de déterminer les facteurs de risque. A cette fin, il faut analyser les informations détaillées contenues dans chaque dossier d’accident pour savoir où se trouvaient les travailleurs et les opérateurs au moment critique, ce qu’ils faisaient ou manipulaient, et avec quoi, quels dommages corporels ou matériels ont été subis et les autres circonstances de l’accident.

Le risque

Pour mesurer le risque, il faut disposer d’informations sur le nombre et la gravité des accidents survenus dans le passé, ce qui donne une mesure rétrospective. Le risque d’accident pour un employé peut être appréhendé par deux types de données:

Beaucoup de risques sont connus par simple bon sens: quand on travaille en hauteur, on risque de tomber; si le sol est glissant, on risque de faire une chute; s’il y a des objets tranchants à proximité, on risque de se couper. Mais beaucoup d’autres, non évidents, échappent au bon sens, et il faut alors y sensibiliser le travailleur en lui apprenant, par exemple, que le bruit provoque des troubles de l’audition, que certains solvants entraînent des lésions cérébrales et certains produits chimiques de graves empoisonnements par inhalation. Que nous l’ayons acquise empiriquement ou grâce à des travaux de recherche, notre connaissance des différents types de risques — de ceux qui sont les plus évidents à ceux qui le sont le moins — repose sur des événements passés. Or, connaître l’histoire est une chose, prédire l’avenir en est une autre. Il faut observer que la connaissance même des sources d’exposition et des autres facteurs potentiellement nocifs susceptibles d’entraîner des dommages corporels ou matériels lors de l’exécution de diverses tâches, ainsi que la connaissance des facteurs qui peuvent soit renforcer, soit réduire les facteurs de risque qui influent sur la mesure des risques, peuvent servir de base à la reconnaissance du risque.

Les facteurs déterminant le risque

Les facteurs les plus importants dans la détermination du risque sont:

Pour connaître le premier type de facteurs, il faut identifier les causes de l’accident — à savoir les sources d’exposition et les autres facteurs nocifs; les deux autres types de facteurs sont ceux qui influent sur la mesure du risque.

Dans le milieu de travail, les principaux facteurs qui sont les causes directes d’un préjudice, prenant la forme de maladies professionnelles ou d’accidents du travail, sont les suivants:

Les sources d’exposition et les troubles d’origine professionnelle

La notion de dommage corporel dû à une source d’exposition est souvent liée à celle de maladie (ou de trouble), car une maladie peut être considérée comme résultant de l’exposition à un ou à plusieurs agents pendant une période brève (exposition aiguë) ou longue (exposition chronique). Les agents d’exposition chronique, en général, ne sont pas directement nocifs, mais leur effet se fait sentir après une durée d’exposition relativement constante et prolongée, alors que les expositions aiguës ont presque instantanément un effet nocif. L’intensité, la nocivité et la durée d’action jouent un rôle important dans l’apparition d’une lésion qui peut souvent résulter d’une combinaison des effets de plusieurs agents. Il est alors difficile de déterminer les sources d’exposition, entre autres parce que l’on ne trouve pratiquement jamais de corrélation monocausale entre des troubles particuliers et une source d’exposition particulière.

Parmi les sources d’exposition pouvant provoquer des lésions prenant une forme quasi morbide, on peut citer:

Les facteurs nocifs et les accidents du travail

La notion de facteurs nocifs (en dehors des sources d’exposition) est pertinente pour les accidents du travail, car c’est là que se produisent des dommages et que les travailleurs sont exposés aux actions qui provoquent instantanément des lésions. Ces actions sont aisément identifiables puisqu’on reconnaît immédiatement les dommages matériels ou corporels auxquels elles donnent lieu. La difficulté réside dans la rencontre inattendue avec le facteur nocif.

Les facteurs nocifs à cause desquels les victimes d’un accident peuvent subir des lésions sont souvent liés à différentes formes, sources ou utilisations d’énergie, par exemple:

Agir sur les expositions

Les sources d’exposition ou autres facteurs nocifs dépendent dans une large mesure de la nature des procédés, technologies, produits et équipements mis en œuvre sur le lieu de travail, mais aussi de l’organisation du travail. Pour ce qui est de la mesurabilité du risque, il faudrait reconnaître que la possibilité d’agir sur la probabilité des expositions et la gravité des accidents dépend souvent des trois facteurs suivants:

Agir sur le comportement humain

Les mesures ci-dessus permettent rarement d’isoler tous les risques. On pense généralement que l’analyse de la prévention des accidents s’arrête là, parce qu’on estime que les travailleurs seront alors capables de se protéger eux-mêmes en se comportant «selon les règles». Cela signifie qu’à partir d’un certain moment, la sécurité et le risque dépendent des facteurs qui influent sur le comportement humain, à savoir les connaissances, les capacités, la possibilité et la volonté d’agir de façon que la sécurité soit assurée sur le lieu de travail. Examinons à présent le rôle de ces facteurs:

L’information sur les causes des accidents a plusieurs objectifs:

On peut obtenir des informations générales grâce à une analyse approfondie des dommages matériels ou corporels et des circonstances dans lesquelles ils se sont produits. Les informations provenant d’autres accidents similaires peuvent révéler des facteurs plus généraux jouant un rôle important, et mettre ainsi en évidence des relations causales moins immédiatement visibles. Toutefois, du fait que l’analyse des accidents spécifiques peut fournir des informations très détaillées et très précises, celles-ci peuvent aider à découvrir des circonstances particulières à prendre en considération. Souvent, l’analyse d’un accident particulier permet de recueillir des informations qu’il n’est pas possible d’obtenir à partir de l’analyse générale; inversement, l’analyse générale met en lumière des facteurs que l’analyse spécifique ne peut élucider. Les données que procurent ces deux types d’analyse jouent un rôle important dans la mise au jour des relations causales évidentes et directes au niveau individuel.

L’analyse d’accidents particuliers

L’analyse d’accidents particuliers a deux objectifs principaux:

Le premier est de déterminer la cause d’un accident et les facteurs propres au travail qui y ont contribué. Elle permet d’évaluer, a posteriori, la mesure dans laquelle le risque a été reconnu. On peut aussi en déduire quelles mesures de sécurité techniques et organisationnelles et jusqu’à quel point une plus grande expérience professionnelle auraient pu réduire le risque. En outre, elle peut donner une idée plus précise de ce qui aurait pu être fait pour éviter le risque, et de la motivation que doit avoir un travailleur pour le faire.

Le deuxième est d’acquérir des connaissances qui pourront servir dans l’analyse de nombreux accidents similaires tant à l’échelon de l’entreprise que dans des ensembles plus vastes (par exemple, au niveau de toute une organisation ou dans tout le pays). A cet égard, il est important de recueillir les informations suivantes:

Les types d’analyses

Il existe cinq grands types d’analyse des accidents, dont chacun a un objectif distinct:

Ces types d’analyses peuvent être effectués à différents niveaux, de celui de l’entreprise à celui du pays. Pour les mesures de prévention, il sera nécessaire d’en faire à plusieurs niveaux. Celles qui visent à déterminer les taux généraux de fréquence des accidents, à en suivre l’évolution et à établir des priorités seront essentiellement réalisées aux niveaux les plus élevés, tandis que celles qui recherchent les causes directes et les causes profondes des accidents le seront à des niveaux inférieurs. Les résultats seront par conséquent plus précis au niveau individuel et plus généraux au niveau plus élevé.

Les étapes d’une analyse

Quel que soit le niveau auquel elle commence, l’analyse se déroule en plusieurs étapes:

On trouvera des exemples des différents niveaux d’analyse à la figure 56.1.

Figure 56.1 Différents niveaux d'analyse des accidents

Figure 56.1

Résumé

L’identification des accidents à l’échelle d’un pays peut aider à savoir dans quels secteurs d’activité, groupes de professions et avec quels procédés et technologies se produisent des accidents entraînant des dommages matériels et corporels. L’objectif est seulement de déterminer où sont survenus les accidents. La mesure de la fréquence et de la gravité des accidents permet en partie de voir où sont les points faibles et en partie où le risque a changé.

On établit le type de risque sur le lieu de travail par des descriptions des types d’accidents qui se produisent et de leur genèse dans chaque cas particulier. On peut ainsi connaître les sources d’exposition et les autres facteurs nocifs présents sur le lieu de travail si les mesures de prévention — respect des conditions de sécurité, conscience du risque, possibilité d’agir, appel à la volonté des travailleurs — n’ont pas été suffisantes pour éviter l’accident.

L’identification, la mesure et la description des risques permettent d’établir ce qu’il faut faire pour réduire le risque — et qui doit le faire. Si, par exemple, il est possible de relier des sources d’exposition particulières à des technologies particulières, on pourra plus facilement décider quelles mesures spéciales de sécurité sont nécessaires pour agir sur le risque. On pourra aussi intervenir auprès des fabricants et des fournisseurs de ces technologies. S’il peut être prouvé que certains procédés causent fréquemment des accidents très graves, on pourra essayer d’adapter les équipements, les machines et les opérations ou les méthodes de travail qui leur sont associées. Malheureusement, pour prendre les mesures et procéder aux adaptations nécessaires, il faut pouvoir établir une corrélation entre une cause unique non ambiguë et l’accident, ce qui est rarement possible.

On peut aussi analyser les accidents qui se produisent dans une entreprise en passant d’un niveau général à un niveau particulier. Mais le problème est alors souvent qu’il faut disposer d’une base de données suffisamment vaste. Si l’on recueille des données sur les accidents (y compris les lésions mineures et les quasi-accidents) survenus pendant un certain nombre d’années, on peut alors constituer une base de données utile même à ce niveau. L’analyse globale de l’entreprise montrera s’il y a des problèmes spéciaux dans des secteurs particuliers, ou liés à des tâches particulières ou à l’utilisation de certaines technologies. L’analyse détaillée montrera ensuite ce qui ne va pas et conduira à une évaluation des mesures de prévention.

Si l’on veut influer sur le comportement des travailleurs dans un secteur d’activité, un groupe professionnel ou une entreprise, ou sur le comportement d’un individu, il faut avoir des connaissances sur de nombreux accidents afin de sensibiliser les intéressés. Il faut aussi informer quant aux facteurs qui augmentent la probabilité d’accidents et aux actions possibles qui pourraient limiter le risque de dommages corporels ou matériels. La sécurité devient alors une question de motivation de ceux qui sont responsables du comportement des individus au niveau d’un secteur d’activité, d’une entreprise industrielle ou commerciale, de l’employeur ou du travailleur.

LA THÉORIE DES CAUSES DES ACCIDENTS

Abdul Raouf

Les accidents sont définis comme des événements imprévus qui occasionnent des traumatismes, des décès, une perte de production ou des dommages aux biens et aux avoirs. Il est extrêmement difficile de les prévenir si l’on ne comprend pas leurs causes. De nombreuses tentatives ont été faites par des chercheurs de différentes disciplines pour élaborer une théorie des causes des accidents afin d’identifier, d’isoler et, en fin de compte, de supprimer les facteurs proches ou lointains des accidents, mais jusqu’ici, aucune ne s’est universellement imposée. Nous présenterons brièvement ci-après diverses théories des causes des accidents, ainsi qu’une structure des accidents.

Les théories des causes des accidents

La théorie des dominos

Selon W.H. Heinrich (1931), qui a élaboré la théorie dite des dominos, 88% des accidents sont provoqués par des gestes humains dangereux, 10% par des actes dangereux, et 2% par le hasard. Heinrich a proposé une «séquence accidentelle à cinq facteurs», dans laquelle chaque facteur déclenche le suivant, de la même manière que, dans une rangée de dominos, le déséquilibre d’un domino entraîne la chute de tous les autres. Cette séquence est la suivante:

  1. antécédents et environnement social;
  2. faute du travailleur;
  3. geste dangereux associé à un risque mécanique ou physique;
  4. accident;
  5. dommages matériels ou corporels.

Selon Heinrich, de même qu’il suffit d’enlever un seul domino de la rangée pour interrompre la succession de chutes, de même la suppression de l’un des cinq facteurs empêcherait l’accident et ses conséquences, le domino clé à enlever étant le troisième. Bien que Heinrich n’ait présenté aucune statistique à l’appui de sa théorie, celle-ci n’en constitue pas moins un point de départ utile pour la discussion et les recherches futures.

La théorie des causes multiples

La théorie des causes multiples est un dérivé de la théorie des dominos, mais elle part du principe que de nombreux facteurs, causes et causes secondaires peuvent être à l’origine d’un accident qui résulte de certaines de leurs combinaisons. Elle distingue deux catégories de facteurs contributifs:

Les facteurs liés au comportement de l’opérateur: attitude inadéquate, manque de connaissances, insuffisance des qualifications ou état physique ou mental inadapté.

Les facteurs liés à l’environnement: les insuffisances de la protection contre des éléments dangereux existant sur le lieu de travail, et la dégradation de l’équipement par l’usage ou du fait de méthodes dangereuses.

Le principal apport de cette théorie est qu’elle met l’accent sur le fait qu’un accident est rarement — sinon jamais — le résultat d’une seule cause ou d’un seul acte.

La théorie du pur hasard

Selon la théorie du pur hasard, la probabilité, dans un ensemble donné de travailleurs, d’être victime d’un accident, est la même pour tous, et il est impossible de discerner un schéma unique d’événements conduisant à un accident. Tous les accidents sont considérés comme ce qui, dans la théorie de Heinrich, relève du pur hasard, et l’on part du principe qu’aucune intervention ne saurait les empêcher.

La théorie de la probabilité faussée

L’idée sur laquelle repose cette théorie est que lorsqu’un travailleur a été victime d’un accident, la probabilité qu’il le soit de nouveau est augmentée ou diminuée par rapport à celle des autres travailleurs. Cette théorie n’aide guère, voire pas du tout, à trouver des mesures de prévention.

La théorie de la prédisposition aux accidents

On considère ici que, dans un ensemble donné de travailleurs, il existe un sous-ensemble dont les éléments sont plus enclins que les autres à être victimes d’accidents. Les chercheurs n’ont pas été en mesure d’apporter des preuves convaincantes, car la plupart des travaux n’ont pas été conduits de manière satisfaisante et les résultats sont le plus souvent contradictoires et peu concluants. Cette théorie n’est pas acceptée par tous Même si les données d’expérience viennent l’appuyer, elle ne rend probablement compte que d’une très faible proportion d’accidents, sans signification statistique.

La théorie du transfert d’énergie

Pour les tenants de cette théorie, c’est un transfert d’énergie qui provoque des dommages corporels ou matériels, et tout transfert d’énergie implique une source, une voie de transfert et un récepteur. Cette théorie est utile pour la détermination des causes des lésions et l’évaluation des risques liés au transfert d’énergie ainsi que des méthodes de contrôle. On peut mettre au point des stratégies de prévention, de limitation ou d’amélioration.

On peut agir sur le transfert d’énergie à la source par les moyens suivants:

On peut modifier la voie de transfert par les moyens suivants:

On peut aider le récepteur du transfert d’énergie en adoptant les mesures suivantes:

La théorie des «symptômes»

La théorie des «symptômes» n’est pas tant une théorie qu’un avertissement dont il faut tenir compte si l’on veut comprendre les causes des accidents. Le plus souvent, lorsqu’on analyse un accident, on tend à privilégier les causes les plus évidentes et à négliger les causes profondes. Or, les conditions ou les actes dangereux sont les causes proches — les symptômes — et non profondes de l’accident.

La structure des accidents

Si l’on considère que les accidents ont des causes et qu’on peut les prévenir, il est impératif d’étudier les facteurs favorisants. On peut ainsi isoler les causes profondes et prendre les mesures nécessaires pour éviter les récidives. Les causes profondes peuvent être subdivisées en causes «immédiates» et causes «contributives». Les premières sont les actes dangereux et les conditions de travail dangereuses. Les secondes sont les facteurs liés à la gestion, à l’environnement et à l’état physique et mental de l’opérateur. Il faut que plusieurs causes convergent pour que se produise un accident.

La figure 56.2 montre la structure des accidents, avec les causes immédiates, les causes contributives, les types d’accidents et leurs conséquences. Cette représentation ne prétend pas à l’exhaustivité. Il n’en est pas moins impératif de comprendre les relations entre les causes et leurs effets avant de pouvoir entreprendre une amélioration durable des procédures de sécurité.

Figure 56.2 Structure des accidents

Figure 56.2

Résumé

Les causes des accidents sont très complexes et il faut bien les comprendre si l’on veut améliorer la prévention. La sécurité, faute de base théorique, ne peut encore être considérée comme une science, mais il ne faut pas se décourager pour autant, car la plupart des disciplines scientifiques — mathématiques, statistiques, etc. — ont connu, elles aussi, à un moment ou à un autre, une phase empirique. L’étiologie des accidents est une piste de recherche très prometteuse. Les théories actuelles sont de nature conceptuelle et, de ce fait, elles n’ont qu’une utilité limitée pour la prévention et la maîtrise des accidents. Leur diversité même illustre le fait qu’aucune, pour le moment, n’est considérée comme exacte ou correcte et, de ce fait, universellement acceptée. Ces théories n’en sont pas moins nécessaires, à défaut d’être suffisantes, pour la mise au point d’un cadre de référence permettant de comprendre comment se produisent les accidents.

LES FACTEURS HUMAINS DANS LA MODÉLISATION DES ACCIDENTS

Anne-Marie Feyer et Ann M. Williamson

Les facteurs humains sont une composante majeure des causes des accidents du travail. Les estimations de leur rôle réel sont très variables, mais une étude réalisée au début des années quatre-vingt sur les causes de tous les accidents mortels liés à la profession survenus en Australie sur une période de trois ans a révélé que des facteurs comportementaux intervenaient dans plus de 90% des cas. Il est donc important, au vu de ces chiffres, de comprendre la part revenant aux facteurs humains. Les modèles explicatifs traditionnels ne leur attribuaient qu’une place modeste. Lorsqu’ils les prenaient en compte, c’était pour les relier à une erreur reproduisant la séquence des événements immédiats conduisant à l’accident. Mieux comprendre comment, pourquoi et quand les facteurs humains sont impliqués dans les accidents, c’est avoir les moyens de mieux prévoir leur rôle et d’être plus efficace au niveau de la prévention. Plusieurs modèles ont été mis au point à cet effet.

Les modèles d’étiologie des accidents

Des modèles récents ont étendu le rôle des facteurs humains au-delà des événements qui sont les causes immédiates de l’accident, en prenant en compte des facteurs supplémentaires dans les circonstances plus générales de l’accident. La figure 56.3 illustre cette approche: on peut considérer, par exemple, que les méthodes de travail et la supervision sont à la fois des sources d’erreur dans l’enchaînement des événements conduisant immédiatement à l’accident et des facteurs préexistants contribuant à cet enchaînement. Il faudrait considérer que les deux principales composantes de ce modèle (les facteurs contributifs et l’enchaînement des événements) se produisent sur un axe temporel théorique selon un ordre de succession qui est invariant — les premiers précédant toujours les seconds — mais où le référentiel temporel ne l’est pas. Ces composantes sont toutes les deux des éléments essentiels de la genèse des accidents.

Figure 56.3 Modèle des causes d'accidents

Figure 56.3

La nature de l’erreur

Il est donc fondamental, pour la prévention, de comprendre la nature de l’erreur, le moment où elle intervient et ses causes. Une particularité de l’erreur, qui la distingue des autres facteurs, est qu’elle est inhérente au comportement. Elle joue un rôle crucial dans l’acquisition et le maintien de nouvelles compétences et de nouveaux comportements. En testant les limites de son interaction avec l’environnement et, par conséquent, en commettant des erreurs, l’être humain apprend à connaître ces limites. Ce processus est essentiel non seulement pour l’acquisition de nouvelles compétences, mais aussi pour l’actualisation et le maintien de l’acquis. Le point jusqu’où un individu pousse l’expérience dépend du niveau de risque qu’il est prêt à accepter.

Il semble que l’erreur soit une constante de tout comportement. Les études montrent qu’elle joue un rôle dans près des deux tiers des accidents du travail mortels. Il est donc indispensable d’essayer de savoir quelle forme elle est susceptible de prendre, quand elle risque de se produire et pourquoi. Si de nombreux aspects de l’erreur humaine nous échappent encore, le niveau actuel de nos connaissances nous permet de prévoir différents types d’erreurs. La connaissance de ces types d’erreurs devrait nous montrer où porter nos efforts pour les éviter ou, du moins, pour en modifier les conséquences néfastes.

L’une des caractéristiques les plus importantes de l’erreur est que celle-ci n’est pas un phénomène unitaire. Bien que l’analyse traditionnelle des accidents la traite souvent comme une entité singulière, rebelle à une analyse plus poussée, l’erreur peut se produire de plusieurs façons. Elle prend des formes diverses selon la fonction de traitement de l’information sollicitée: fausses sensations dues à une stimulation insuffisante ou affaiblie des organes sensoriels, défaut d’attention dû aux exigences d’une stimulation prolongée ou très complexe provenant de l’environnement, trous de mémoire, erreurs de jugement, erreurs de raisonnement, etc. Tous ces types d’erreurs se distinguent par les caractéristiques du contexte ou des tâches où on les observe. Ils résultent d’une défaillance de fonctions de traitement de l’information différentes, et il faudrait donc des approches différentes pour remédier à chacun d’entre eux.

On peut également faire une distinction suivant que l’on est en présence d’un comportement éduqué ou non. On dit souvent que la formation règle les problèmes d’erreur humaine du fait qu’un comportement éduqué permet d’accomplir la série d’actes requis sans nécessiter une attention consciente et constante ni une rétroaction, mais un simple contrôle conscient, de temps à autre, pour vérifier que tout va bien. L’avantage est qu’un tel comportement, une fois le processus engagé, demande peu d’efforts de la part de l’opérateur qui peut faire autre chose en même temps (par exemple, parler en conduisant) et planifier les aspects suivants de sa tâche. En outre, le comportement éduqué est généralement prévisible. Malheureusement, si de meilleures compétences rendent de nombreux types d’erreurs moins probables, elles en rendent d’autres plus probables. Les erreurs commises dans le cadre d’un comportement éduqué sont dues à la distraction, à des gestes involontaires ou à des défaillances, et sont généralement associées à un changement de nature de l’attention. Elles peuvent se produire en mode de contrôle conscient ou résulter de la conclusion de schémas similaires de comportement éduqué.

Une seconde caractéristique des erreurs est qu’elles ne sont ni originales ni aléatoires. Elles revêtent des formes limitées, similaires dans tous les types de fonctions. Par exemple, on peut «perdre le fil» dans un discours ou dans une tâche perceptive, mais aussi dans l’exécution de tâches basées sur les connaissances ou de tâches de résolution de problème. De même, le moment et la place de l’erreur dans le processus accidentel ne semblent pas aléatoires. Une caractéristique importante du traitement de l’information est qu’il revêt une expression identique quel que soit l’environnement. Cela signifie, par exemple, que les erreurs se produisent de la même façon dans l’environnement domestique que dans les industries à très haut risque. Les conséquences, en revanche, sont très différentes; elles sont déterminées par l’environnement où se produit l’erreur et non par la nature de cette dernière.

Les modèles d’erreurs humaines

Pour établir une typologie des erreurs et construire des modèles d’erreurs humaines, il est important de prendre en compte, dans la mesure du possible, tous les aspects de l’erreur. Il faut cependant que la typologie obtenue soit utilisable dans la pratique, ce qui est peut-être la principale contrainte, car une théorie des causes d’accidents peut aboutir à des résultats, mais l’application de ces derniers peut se révéler très difficile dans la pratique. Lorsqu’on essaie d’analyser les causes d’un accident, ou de prévoir le rôle des facteurs humains dans un processus, il est impossible de comprendre tous les aspects du traitement de l’information par l’humain qui sont intervenus ou sont susceptibles d’intervenir. On risque, par exemple, de ne jamais connaître le rôle de l’intention avant que se produise un accident. Même a posteriori, le fait que l’accident a eu lieu peut modifier le souvenir que l’intéressé garde des événements. C’est pourquoi les typologisations des erreurs qui se sont révélées les plus utiles ont été axées sur la nature du comportement au moment où l’erreur a été commise, ce qui permet une analyse relativement objective et aussi reproductible que possible.

Elles distinguent les erreurs commises pendant un comportement éduqué (ratés, lapsus ou actes involontaires) et celles commises pendant un comportement non éduqué ou ayant pour but de résoudre un problème (fautes).

Les ratés ou les erreurs par oubli du savoir-faire sont définis comme des erreurs qui interviennent alors que le comportement est automatisé.

Les fautes sont de deux types:

Autrement dit, les erreurs par manque de connaissances résultent d’un défaut de compétence; les erreurs dues au non-respect des règles d’une mauvaise application des compétences; et les erreurs par oubli du savoir-faire d’anomalies dans l’exécution du programme d’actions, généralement imputables à une altération du niveau d’attention (Rasmussen, 1982).

Une étude consacrée à des accidents du travail mortels a montré que ces catégories pouvaient être utilisées de façon fiable. Les résultats ont indiqué que, dans l’ensemble, les erreurs par oubli du savoir-faire étaient les plus fréquentes et que la distribution des occurrences des trois types d’erreurs était inégale dans la séquence des événements. Les erreurs par oubli du savoir-faire, par exemple, étaient le plus souvent le dernier événement précédant immédiatement l’accident (79% des cas mortels). Comme, à ce stade, il reste peu de temps pour redresser la situation, leurs conséquences peuvent être plus graves. Les fautes, en revanche, semblent intervenir plus tôt dans le processus accidentel.

Les facteurs humains dans les circonstances plus générales des accidents

La prise en compte de facteurs humains autres que l’erreur dans les circonstances qui entourent immédiatement l’accident représente un important pas en avant dans la compréhension de la genèse des accidents. S’il est indubitable que l’erreur joue un rôle dans la plupart des séquences accidentelles, les facteurs humains, au sens plus large, interviennent eux aussi, qu’il s’agisse, par exemple, de modes opératoires normalisés ou des influences qui en déterminent la nature et l’acceptabilité, comme les décisions prises très tôt par la direction. Les modes opératoires et les décisions fautifs ont évidemment un lien avec l’erreur, puisqu’ils sont entachés d’erreurs de jugement et de raisonnement. Mais la différence, dans le cas des modes opératoires, est qu’on a laissé les erreurs de jugement et de raisonnement devenir des modes de fonctionnement normaux, puisque, n’ayant pas de conséquences immédiates, on ne s’aperçoit pas tout de suite qu’ils sont fautifs. Pourtant, ils sont dangereux, et comportent des vulnérabilités fondamentales qui peuvent donner lieu, ultérieurement, et involontairement, à des interactions avec l’humain et conduire directement à des accidents.

Dans ce contexte, le terme facteurs humains s’applique à un large éventail d’éléments entrant en jeu dans l’interaction entre les individus et leur milieu de travail. Certains sont des aspects directs et observables de la façon dont des modes de travail fonctionnent sans avoir de conséquences néfastes immédiates. La conception, l’utilisation et l’entretien de l’équipement, la fourniture, l’utilisation et l’entretien d’équipement de protection individuelle et d’autres équipements de sécurité et les modes opératoires normalisés, à l’initiative des cadres ou des employés, ou bien des deux, sont autant d’exemples de ces pratiques courantes.

Ces aspects observables des facteurs humains dans le fonctionnement d’un système sont dans une large mesure les manifestations du cadre organisationnel général, c’est-à-dire d’un élément humain encore plus éloigné de l’implication directe dans les accidents. Pour désigner les caractéristiques des organisations, collectivement, on parle de leur culture ou de leur climat . On entend par là l’ensemble des objectifs et des croyances d’un individu et l’impact des objectifs et croyances de l’organisation sur ceux de l’individu. Au total, les valeurs collectives ou normatives, qui reflètent les caractéristiques de l’organisation, ont toutes les chances d’être des déterminants importants de l’attitude à l’égard de la sécurité et de l’adoption d’un comportement sécuritaire à tous les niveaux. Ce sont ces valeurs qui déterminent, par exemple, le niveau de risque toléré sur le lieu de travail. La culture d’une organisation, qui imprègne son système de travail et les modes opératoires normalisés de ses employés, est donc un aspect crucial du rôle des facteurs humains dans la genèse des accidents.

Le fait de voir dans un accident un événement fâcheux arrivant subitement à un moment et en un lieu donnés concentre l’attention sur l’événement mesurable dont on est témoin. En réalité, des erreurs sont commises dans un contexte qui permet à un geste dangereux ou à une erreur de produire ses conséquences. Pour connaître les causes qui ont leur origine dans les conditions préexistantes des systèmes de travail, il faut tenir compte de toutes les manières dont l’élément humain peut contribuer à l’accident. C’est peut-être là la conséquence la plus importante de l’adoption d’une large perspective quant au rôle des facteurs humains dans la survenue des accidents. De mauvaises décisions et des pratiques fautives, sans avoir d’impact immédiat, créent des conditions propices à l’erreur — ou contribuent à faire en sorte que la fausse manœuvre ait des conséquences — au moment de l’accident.

Traditionnellement, les aspects organisationnels ont été le parent pauvre de l’analyse des accidents et de la collecte des données. Du fait de leur éloignement temporel par rapport au moment de l’accident, la relation de cause à effet avec ce dernier n’est souvent pas évidente. Des théories récentes ont permis de structurer l’analyse et les systèmes de collecte des données de manière qu’ils prennent en compte les éléments organisationnels des accidents. Selon Feyer et Williamson (1991), qui ont utilisé l’un des premiers systèmes conçus pour intégrer spécifiquement la contribution des paramètres organisationnels aux accidents, une forte proportion des accidents du travail mortels en Australie (42,0%) comptait parmi leurs causes des méthodes de travail dangereuses préexistantes ou encore en vigueur. Waganaar, Hudson et Reason (1990), qui ont appliqué un cadre conceptuel semblable, soutenaient que les facteurs tenant à l’organisation et à la gestion constituaient des sources latentes de dysfonctionnement, à l’image des pathogènes résidents des systèmes biologiques. Les déficiences organisationnelles interagissent avec les événements et les circonstances qui déclenchent l’accident tout comme les pathogènes dans l’organisme se combinent à des agents déclencheurs, tels que des facteurs toxiques, pour provoquer la maladie.

L’idée centrale de cette approche est que les carences d’organisation et de gestion sont présentes bien avant le déclenchement de la séquence accidentelle. Autrement dit, ce sont des facteurs qui ont un effet retard. C’est pourquoi, si l’on veut mieux comprendre comment se produisent les accidents, comment les individus y contribuent et pourquoi ils se comportent comme ils le font, il est nécessaire de faire en sorte que l’analyse ne se limite pas aux circonstances qui conduisent le plus directement et le plus immédiatement au préjudice.

Le rôle des facteurs humains dans les accidents et leur prévention

Pour mieux reconnaître l’importance étiologique potentielle des circonstances générales de l’accident, le modèle qui décrit le mieux les causes de l’accident doit prendre en compte la chronologie relative et les interrelations des différents éléments.

Premièrement, les facteurs causatifs n’ont pas tous la même importance dans la causalité et dans le temps. De plus, ces deux dimensions peuvent varier de façon indépendante: certaines causes peuvent être importantes parce qu’elles sont très proches du moment de l’accident et fournissent donc des indications sur ce moment, ou bien parce qu’elles sont une cause première, ou les deux à la fois. En examinant l’importance aussi bien temporelle que causale des facteurs impliqués dans les circonstances générales de l’accident, ainsi que les circonstances immédiates, l’analyse s’intéresse aux raisons de l’accident et non à la seule description de son déroulement.

Deuxièmement, on admet généralement que les accidents ont des causes multiples. Il peut y avoir, entre les composantes humaines, techniques et environnementales du système de travail des interactions critiques. Traditionnellement, les cadres d’analyse s’en sont tenus à un nombre limité de catégories définies, ce qui limite l’information obtenue et, de ce fait, l’éventail des choix possibles pour la prévention. Lorsqu’on prend en considération les circonstances plus générales de l’accident, le modèle doit inclure bien plus de facteurs encore. Les facteurs humains peuvent fort bien interagir avec d’autres facteurs humains, mais aussi avec des facteurs autres qu’humains. Le schéma des occurrences, co-occurrences et interrelations d’un grand nombre d’éléments différents au sein du réseau des causes donne l’image la plus complète et, par conséquent, la plus informative, de la genèse de l’accident.

Troisièmement, ces deux considérations — la nature de l’événement et la nature de sa contribution — influent l’une sur l’autre. S’il y a toujours des causes multiples, elles n’ont pas un rôle équivalent. Il est essentiel de bien connaître le rôle des différents facteurs pour comprendre pourquoi un accident s’est produit et éviter une récidive. Par exemple, des causes liées à l’environnement immédiat peuvent avoir un impact en raison de facteurs comportementaux antérieurs qui en ont fait des modes opératoires normalisés. De même, les aspects préexistants des systèmes de travail peuvent être le cadre dans lequel des erreurs courantes commises pendant un comportement basé sur des connaissances peuvent précipiter un accident lourd de conséquences, alors qu’elles n’auraient normalement qu’un effet mineur. La prévention serait plus efficace si elle ciblait les causes sous-jacentes latentes et non les facteurs immédiats. On ne peut atteindre ce niveau de compréhension du réseau de causalité et de son incidence qu’en tenant compte de tous les types de facteurs, en examinant leur chronologie et en déterminant leur importance relative.

Bien que les modalités selon lesquelles l’action humaine peut contribuer directement à des accidents soient théoriquement d’une diversité quasi infinie, la majorité des accidents répondent à des schémas causatifs relativement peu nombreux. En particulier, l’éventail des conditions latentes sous-jacentes permettant aux facteurs humains et autres de produire leurs effets se limite pour l’essentiel à un petit nombre d’aspects des systèmes de travail. Feyer et Williamson (1991) ont relevé que quatre combinaisons de facteurs seulement intervenaient dans les causes d’environ les deux tiers de tous les accidents du travail mortels survenus en Australie pendant une période de trois ans. Dans presque tous les cas, des facteurs humains entraient en jeu à un moment ou à un autre.

Résumé

Les modalités et le moment d’implication de l’humain dans les accidents sont variables, comme est variable son importance en tant que facteur causatif (Williamson et Feyer, 1990). La plupart du temps, ce sont des facteurs humains se traduisant par des systèmes de travail fautifs en nombre limité qui sont à l’origine des causes premières des accidents mortels. Ces facteurs se conjuguent à des erreurs ultérieures dans l’exécution qualifiée d’un travail ou à des dangers inhérents aux conditions environnementales pour provoquer l’accident. Ce schéma illustre la présence des facteurs humains à plusieurs niveaux dans la genèse des accidents. Mais pour élaborer une stratégie de prévention, il ne suffit pas de décrire les différents modes d’implication de l’élément humain; encore faut-il déterminer où et comment il est possible d’intervenir le plus efficacement. Cela suppose que l’on dispose d’un modèle capable d’identifier de façon précise et complète le réseau complexe de facteurs interdépendants qui jouent un rôle dans la genèse de l’accident (nature, moment où ils interviennent et importance relative).

LES MODÈLES D’ACCIDENTS: L’HOMÉOSTASIE DES RISQUES

Gerald J.S. Wilde

Donnez-moi une échelle deux fois plus stable, et je grimperai deux fois plus haut. Mais donnez-moi une bonne raison d’être prudent, et je serai deux fois plus timoré . Considérons le scénario suivant: On invente une cigarette qui provoque deux fois moins de décès liés à la consommation de tabac par cigarette fumée que les cigarettes actuelles, mais qu’il est impossible de distinguer de ces dernières. Est-ce un progrès? Quand la nouvelle cigarette remplacera l’actuelle, étant donné qu’il n’y aura pas eu de changement dans le désir d’être en bonne santé (seule motivation pour ne pas fumer), les fumeurs réagiront en fumant deux fois plus. Autrement dit, bien que le taux de mortalité par cigarette fumée soit divisé par deux, le risque de décès dû au tabac reste le même par fumeur. Mais les choses ne s’arrêtent pas là: les cigarettes étant «plus sûres», moins de fumeurs essaieront de s’arrêter et plus de non-fumeurs céderont à la tentation de fumer. En conséquence, le taux de mortalité lié au tabac augmentera. Toutefois, comme les individus ne souhaitent pas prendre plus de risques avec leur santé et avec leur vie que ce qu’ils considèrent comme justifié en échange de la satisfaction d’autres désirs, ils renonceront à d’autres habitudes dangereuses ou malsaines, moins attrayantes. Le résultat final sera que le taux de mortalité lié au mode de vie restera à peu près identique.

Ce scénario illustre les principes de base de la théorie de l’homéostasie des risques (THR) (Wilde, 1988, 1994), qui sont les suivants:

Le premier est que les individus ont un niveau de risque cible — c’est-à-dire un niveau de risque qu’ils acceptent, tolèrent, préfèrent, souhaitent ou choisissent. Ce niveau dépend des avantages et des inconvénients qu’ils attribuent aux comportements sécuritaires et aux comportements dangereux, et il détermine dans quelle mesure ils s’exposeront à des risques pour leur sécurité et leur santé.

Le deuxième principe est que la fréquence réelle des décès, maladies et dommages liés au mode de vie est maintenue constante dans le temps, par un processus d’autocontrôle en boucle. Autrement dit, les fluctuations du degré de prudence dont font preuve les individus dans leur comportement déterminent les variations des atteintes à leur sécurité et à leur santé, et ces variations déterminent à leur tour les fluctuations du degré de prudence dont ils font preuve dans leur comportement.

Le troisième principe, enfin, est qu’il est possible de réduire l’ampleur des atteintes à la sécurité et à la santé, dans la mesure où celles-ci sont dues au comportement humain, par des interventions qui réussissent à faire baisser le niveau de risque que les individus sont prêts à assumer — c’est-à-dire non par des mesures comme la «cigarette sans danger» ou des «bricolages technologiques», mais par des programmes renforçant le désir d’être en vie et en bonne santé.

La théorie homéostatique de l’étiologie et de la prévention des accidents

Parmi les nombreux travaux de recherche psychologique sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, les accidents de la circulation et les affections liées au mode de vie, relativement peu s’intéressent au rôle des facteurs motivationnels dans la genèse de ces problèmes et dans leur prévention. La plupart des publications analysent des variables telles que des caractéristiques permanentes ou semi-permanentes (comme le sexe, la personnalité ou l’expérience), des états transitoires (fatigue, taux d’alcoolémie), l’excès ou l’insuffisance d’information (stress ou ennui), la formation et les qualifications, les facteurs environnementaux et l’ergonomie du poste de travail. Or, on peut soutenir que toutes les variables qui ne sont pas liées à la motivation (c’est-à-dire celles qui ont un effet sur le niveau de risque cible) n’ont qu’une incidence marginale sur la fréquence des accidents par heure de travail de l’opérateur. Certaines peuvent même influer positivement sur le nombre d’accidents par unité de productivité ou par unité de distance par rapport au matériel.

Appliquée, par exemple, à la circulation routière, la théorie de l’homéostasie des risques pose que le nombre d’accidents de la circulation par unité de temps d’exposition de l’usager est le résultat d’un processus de contrôle en boucle dans lequel le niveau de risque cible est l’unique variable déterminante. Ainsi, contrairement aux fluctuations temporaires, le risque moyen d’accident par rapport au temps est considéré comme indépendant de facteurs tels que les caractéristiques physiques du véhicule et de l’environnement routier, et la compétence du conducteur. Il dépend, en définitive, du niveau de risque d’accident accepté par la population des usagers de la route en échange des avantages qu’elle estime retirer de la mobilité des véhicules à moteur en général (par exemple, beaucoup conduire), et d’actes risqués particuliers associés à cette mobilité (par exemple, conduire à une vitesse nettement supérieure à la moyenne).

L’idée est donc qu’à tout moment, le conducteur d’un véhicule perçoit un certain niveau de risque d’accident et le compare à celui qu’il est prêt à accepter, et qui est déterminé par le schéma des arbitrages entre les coûts et les avantages attendus qui accompagnent les autres choix possibles. C’est donc le niveau de risque auquel l’utilité globale du type et de l’ampleur de la mobilité est jugée être maximisée. Les coûts et avantages attendus sont fonction de variables économiques, culturelles et personnelles, ainsi que de leurs fluctuations momentanées, à court et à long terme. Ces variables déterminent à tout moment le niveau de risque cible.

Lorsqu’un usager de la route perçoit un écart — dans un sens ou dans l’autre — entre le risque cible et le risque effectif, il essaie de rétablir l’équilibre en modifiant son comportement. Le succès ou l’échec de son entreprise dépend de ses capacités psychomotrices et décisionnelles. Mais toute action comporte une certaine probabilité de risque d’accident. La somme de toutes les actions des usagers de la route dans un secteur donné au cours d’une période donnée (par exemple, une année) fournit la fréquence et la gravité des accidents de la circulation de ce secteur. On postule que ce taux d’accidents influe (par rétroaction) sur le niveau de risque d’accident perçu par les survivants et, par conséquent, sur leurs actions futures et sur les accidents futurs, et ainsi de suite. Ainsi, tant que le niveau de risque cible ne change pas, le poids des accidents et la prudence des comportements entretiennent une relation causale réciproque circulaire.

Le processus de l’homéostasie des risques

Ce processus homéostatique, par lequel le taux d’accidents est à la fois la conséquence et la cause de changements dans le comportement du conducteur, est modélisé à la figure 56.4. Le caractère autocorrecteur du mécanisme homéostatique est représenté par la boucle reliant les cases a à b, b à c, c à d, qui se referme à la case e. Il faut parfois un certain temps pour que les conducteurs se rendent compte qu’il y a eu un changement dans le taux d’accidents (la rétroaction peut être retardée, ce qui est symbolisé par f ). On notera que la case a est en dehors de la boucle, ce qui signifie que les interventions qui réduisent le niveau de risque cible peuvent se traduire par une baisse durable du taux d’accidents (case e).

Figure 56.4 Modèle homéostatique reliant les variations des taux d'accidents à
des changements de comportement de l'opérateur et vice versa, le niveau de
risque cible étant la variable déterminante

Figure 56.4

Ce processus peut encore être illustré, de façon très claire, par un autre exemple de régulation homéostatique: le contrôle thermostatique de la température dans une maison. La température fixée (comparable à la case a) sur le thermostat est à tout moment comparée à la température réelle (case b). Dès qu’il y a une différence entre les deux, il faut procéder à un ajustement (case c), ce qui déclenche une action (par exemple, un apport d’air plus froid ou plus chaud, case d). L’air distribué dans la maison se refroidit (grâce à la climatisation) ou se réchauffe (grâce au chauffage, case e). Après un certain temps (symbolisé par f), l’air qui se trouve à la nouvelle température atteint la valeur fixée sur le thermostat et donne lieu à un nouveau relevé de température, qui est comparé à la valeur sur le thermostat (case a), et ainsi de suite.

La température de la maison subira d’importantes fluctuations si le thermomètre n’est pas très sensible, mais également si l’ajustement se fait lentement, en raison de l’inertie du mécanisme de commutation ou de la capacité limitée du système de climatisation-chauffage. On notera cependant que ces déficiences ne modifient en rien la température moyenne dans le temps de la maison. A noter aussi que la température souhaitée (analogue à la case a dans la figure 56.4) est le seul facteur extérieur à la boucle. Le réglage du thermostat sur une nouvelle température cible modifiera de façon durable la moyenne de la température dans le temps. De même qu’un individu choisit un niveau de risque cible en fonction des coûts et avantages comparés qu’il perçoit dans un comportement sécuritaire et un comportement dangereux, de même la température cible est choisie en fonction des coûts et avantages attendus d’une température plus élevée ou plus basse (disons les dépenses d’énergie et le confort). Il ne peut y avoir d’écart durable entre le risque cible et le risque effectif qu’en cas de sous-estimation ou de surestimation persistante du risque, tout comme un thermomètre donnant un relevé de température constamment trop élevé ou trop faible entraînera systématiquement un écart entre la température réelle et la température cible.

Les chiffres à l’appui du modèle

On peut déduire du modèle ci-dessus que, lorsque sont adoptées des mesures antiaccident qui ne modifient pas le niveau de risque cible, les usagers de la route évaluent leur effet intrinsèque sur la sécurité — c’est-à-dire leur effet sur le taux d’accidents en l’absence de tout changement de comportement. Cette évaluation entrera en ligne de compte dans la comparaison entre le niveau de risque perçu et le niveau accepté et influera donc sur l’adaptation ultérieure du comportement. Si l’évaluation initiale est fausse en moyenne, le taux d’accidents présentera une anomalie, mais celle-ci sera temporaire, en raison de l’effet correcteur du processus de rétroaction.

Ce phénomène a été étudié dans un rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Les possibilités accrues de sécurité et l’amélioration du niveau de compétence ne servent pas nécessairement à améliorer la sécurité, mais les performances: «Les adaptations du comportement qui peuvent apparaître suite à l’introduction de mesures de sécurité routière dans le système de transport sont particulièrement préoccupantes pour les autorités routières, les organismes réglementaires et les fabricants de véhicules à moteur, surtout lorsque de telles adaptations risquent de faire diminuer l’avantage escompté en matière de sécurité» (OCDE, 1990). Ce rapport donne de nombreux exemples:

En Allemagne, les taxis équipés de systèmes de freinage de type ABS n’ont pas été impliqués dans moins d’accidents que les autres, et leurs conducteurs se montraient moins prudents. En Nouvelle-Galles du Sud, en Australie, l’élargissement des voies sur les autoroutes à deux voies a entraîné un accroissement de la vitesse moyenne des voitures particulières de 3,2 km/h pour chaque 30 cm d’élargissement, contre 1,7 km/h pour les camions. Aux Etats-Unis, une étude sur les effets de la diminution de la largeur des voies a montré que les automobilistes habitués à la route en question avaient réduit leur vitesse moyenne de 4,6 km/h, et les autres de 6,7 km/h. En Ontario, au Canada, les vitesses en un point donné diminuent d’environ 1,7 km/h pour 30 cm de rétrécissement. Au Texas, la vitesse des automobilistes était plus élevée de 10% sur les routes à accotements stabilisés que sur les routes à accotements non stabilisés. D’une manière générale, les automobilistes conduisaient plus vite lorsqu’ils roulaient de nuit sur des routes au marquage latéral peint en clair.

Dernièrement, des chercheurs finlandais ont étudié les effets de l’installation de réflecteurs le long des routes à grande circulation où la vitesse est limitée à 80 km/h. Des tronçons de route choisis au hasard, totalisant 548 km, ont été équipés de réflecteurs et comparés à 586 km de tronçons qui en étaient dépourvus. Les réflecteurs ont permis aux automobilistes de rouler plus vite dans l’obscurité. Rien ne permet de conclure qu’ils ont fait baisser le nombre d’accidents par kilomètre parcouru; c’est même plutôt l’inverse qui s’est produit (Kallberg, 1992).

On pourrait citer bien d’autres exemples. Il n’apparaît pas que la législation relative au port de la ceinture ait fait diminuer le nombre des accidents mortels (Adams, 1985). Les conducteurs qui ne bouclaient pas leur ceinture et qui y ont été contraints ont roulé plus vite et plus près des véhicules qui les précédaient (Janssen, 1994). En Suède et en Islande, après l’adoption de la conduite à droite, la fréquence des accidents graves a d’abord considérablement diminué, mais les taux ont retrouvé leurs niveaux antérieurs lorsque les usagers se sont rendu compte que les routes n’étaient pas devenues aussi dangereuses qu’ils l’avaient pensé (Wilde, 1982). Le taux d’accidents par kilomètre parcouru a beaucoup diminué au cours du siècle; mais par habitant, il n’a pas montré de tendance à la baisse (si l’on prend en compte les périodes de fort chômage où le niveau de risque cible est réduit; Wilde, 1991).

La motivation pour la prévention des accidents

Il est intéressant de constater que la plupart des données illustrant les phénomènes postulés par la théorie de l’homéostasie des risques viennent du domaine de la circulation routière, alors que ses promesses en matière de prévention des accidents ont été en grande partie confirmées dans des environnements de travail. En principe, il existe quatre façons de motiver les travailleurs et les automobilistes pour qu’ils réduisent leur niveau de risque cible:

Si certaines de ces approches se sont révélées plus efficaces que d’autres, l’idée que l’on peut améliorer la sécurité en agissant sur la motivation n’est pas nouvelle, comme le prouve l’existence universelle d’une législation répressive.

Les sanctions

Bien que la répression soit l’un des instruments traditionnels de la société pour motiver à la sécurité, la preuve de son efficacité n’a pas été faite. Elle pose aussi plusieurs autres problèmes, dont certains ont été identifiés dans le cadre de la psychologie des organisations (Arnold, 1989).

Il y a d’abord un effet d’autoréalisation des prédictions. En attribuant aux individus des caractéristiques négatives, on risque de les inciter à se comporter comme s’ils les possédaient effectivement ou, encore, à force de s’entendre dire qu’elles sont irresponsables, certaines personnes risquent de se conduire comme si elles l’étaient vraiment.

Ensuite, l’accent est mis davantage sur les moyens — par exemple, respect de la vitesse limite — que sur la fin, c’est-à-dire la sécurité. Les moyens sont d’une conception et d’une application lourdes et difficiles, et ils ne parviennent jamais à englober l’ensemble des comportements non souhaitables de tous à tout moment.

Enfin, les sanctions ont des effets secondaires négatifs. Elles créent dans l’organisation un climat de dysfonctionnement caractérisé par la rancœur, le manque de coopération, l’antagonisme, voire le sabotage. Le résultat est que l’on risque d’encourager le comportement même que l’on voulait éviter.

L’encouragement

Contrairement aux sanctions, les mesures d’incitation permettent d’obtenir le résultat escompté, et elles ont pour effet secondaire positif de créer un climat social favorable (Steers et Porter, 1991). La contribution des mesures d’incitation et de la reconnaissance au renforcement de la sécurité a été clairement établie. Une analyse de plus de 120 évaluations de différents types de prévention des accidents du travail a montré que les incitations et la reconnaissance faisaient généralement plus pour la sécurité que les améliorations techniques, la sélection du personnel et d’autres interventions, tels les mesures disciplinaires, l’obligation de posséder un permis spécial, les exercices et les programmes de réduction du stress (Guastello, 1991).

L’adaptation des comportements

Selon la théorie de l’homéostasie des risques, le taux d’accidents par heure de travail et par personne ou le taux annuel d’accidents par habitant ne dépendent pas en premier lieu d’une aptitude à la sécurité ni de la possibilité d’être en sécurité, mais de la volonté de l’être. Cela signifie que, si l’éducation et la technique permettent, l’une d’acquérir cette aptitude, l’autre de procurer la possibilité d’améliorer la sécurité, elles ne réussiront pas à réduire le taux d’accidents par heure, parce qu’elles n’abaissent pas le niveau de risque que les individus sont disposés à prendre. Elles se traduiront, en général, par une adaptation du comportement où l’avantage potentiel pour la sécurité est neutralisé du fait d’une augmentation de la performance en termes de productivité, de mobilité ou de vitesse de déplacement.

L’explication est que l’on est en présence d’un processus de contrôle homéostatique où le degré de prudence détermine le taux d’accidents, lequel détermine à son tour le degré de prudence. Dans ce processus en boucle, le niveau de risque cible est la seule variable indépendante qui influe, en définitive, sur le taux d’accidents. Ce niveau dépend de la perception par l’intéressé des avantages et des inconvénients de plusieurs comportements possibles. Prétendre que la sécurité est la récompense, c’est ignorer le fait que l’individu prend sciemment des risques pour faire face à différentes éventualités susceptibles d’être modifiées.

En conclusion, parmi toutes les mesures actuelles visant à réduire le nombre des accidents, celles qui renforcent la motivation pour la sécurité semblent les plus prometteuses. En outre, parmi toutes les mesures influant sur la motivation, celles qui récompensent une performance sans accident semblent les plus efficaces. Selon l’analyse documentaire de McAfee et Winn (1989), «la principale conclusion est que toutes les études, sans exception, constatent que les incitations ou les rétroactions améliorent la sécurité ou réduisent le nombre des accidents sur le lieu de travail, du moins à court terme. Peu d’analyses de ce type parviennent à des résultats aussi homogènes».

Résumé

Parmi tous les systèmes de récompense possibles d’une performance sans accident, certains promettent de meilleurs résultats que d’autres parce qu’ils comportent des éléments qui paraissent renforcer la motivation pour la sécurité. Les exemples illustrant le processus d’homéostasie des risques sont tirés d’une vaste base de données (Wilde, 1994), et les ingrédients des programmes d’incitation efficaces ont été examinés de façon plus détaillée au chapitre 60, «Les programmes de sécurité». Seule la sous-déclaration des accidents a été signalée comme effet secondaire négatif identifié des systèmes d’incitation. Mais ce phénomène reste circonscrit aux accidents mineurs. On peut dissimuler un doigt cassé, il est plus difficile de cacher un cadavre.

LA MODÉLISATION DES ACCIDENTS

Andrew R. Hale

L’individu joue un rôle important dans la plupart des processus accidentels et des mesures de prévention. Il est donc crucial que les modèles d’accidents donnent une idée claire des liens entre les actions humaines et les accidents. C’est ensuite seulement qu’il sera possible de faire des analyses systématiques des accidents afin de comprendre ces liens et de prévoir les effets de modifications de la conception et de la configuration des postes de travail, de la formation, de la sélection et de la motivation des employés et des cadres, de l’organisation du travail et des systèmes de gestion de la sécurité.

Les premiers modèles

Jusqu’aux années soixante, la modélisation des facteurs humains et organisationnels des accidents du travail est restée relativement simple. Les facteurs humains étaient grossièrement répartis entre les compétences, traits de la personnalité, éléments de motivation et fatigue. Les accidents étaient considérés comme des problèmes indifférenciés pour lesquels on cherchait des solutions indifférenciées (tout comme les médecins, il y a deux siècles, essayaient de soigner de nombreuses maladies alors indifférenciées en saignant les patients).

Les analyses des travaux de recherche sur l’accidentologie, publiées par Surry (1969) et par Hale et Hale (1972), ont été parmi les premières tentatives d’aller plus loin et de proposer une base pour la typologisation des accidents en fonction d’étiologies différenciées, elles-mêmes liées à des dysfonctionnements du système humain-technologie-environnement. Les auteurs de ces deux analyses ont fait appel aux nouveaux acquis de la psychologie cognitive pour mettre au point des modèles présentant l’individu comme un système de traitement de l’information réagissant à son environnement et aux dangers qu’il comporte en essayant de percevoir et de maîtriser les risques existants. Les accidents étaient considérés comme des défaillances de différentes parties de ce processus, qui se produisent lorsqu’une ou plusieurs étapes ne se déroulent pas de façon satisfaisante. Ces modèles, abandonnant l’approche qui incriminait une faute ou une erreur humaine, ont mis l’accent sur l’inadéquation entre les exigences imposées par la tâche ou le système en termes de comportement et les possibilités inhérentes à la genèse ou à l’organisation du comportement.

Le comportement humain

Hale et Glendon (1987) ont perfectionné ces modèles en les reliant aux travaux de Rasmussen et Reason (Reason, 1990), qui voyaient dans le comportement humain les trois niveaux suivants:

Les dysfonctionnements diffèrent selon le niveau de comportement, comme diffèrent les types d’accidents et les mesures de sécurité prises pour les éviter. Le modèle de Hale et Glendon, mis à jour par des travaux plus récents, est schématisé à la figure 56.5. Il comprend un certain nombre de compartiments, examinés successivement ci-après.

Figure 56.5 Résolution de problème selon l'individu en présence d'un danger

Figure 56.5

Le lien avec les modèles fondés sur les écarts observés

Le point de départ du modèle de Hale et Glendon est la façon dont le danger évolue sur un lieu de travail ou dans un système donné. On considère qu’il y a toujours des facteurs potentiels d’accidents, mais qu’ils sont maîtrisés grâce à de nombreuses mesures de prévention liées au matériel (par exemple, conception des équipements et dispositifs de protection), à l’humain (par exemple, opérateurs qualifiés), aux procédures (par exemple, maintenance préventive) et à l’organisation (par exemple, attribution des responsabilités pour les tâches critiques de sécurité). Sous réserve que tous les dangers et risques potentiels aient été prévus et que les mesures de prévention aient été correctement conçues et choisies, il n’y aura aucun dommage. C’est seulement s’il se produit un écart par rapport à cette situation normale souhaitée que peut s’engager le processus accidentel (ces modèles fondés sur les écarts sont traités plus en détail dans l’article «Les modèles d’accidents fondés sur l’observation d’écarts»).

L’individu a pour tâche d’assurer le bon fonctionnement des mesures de prévention de manière à éviter les écarts, en appliquant les procédures prévues pour chaque éventualité, en manipulant avec soin les équipements de sécurité et en effectuant les contrôles et ajustements nécessaires. Il doit aussi détecter et corriger de nombreux écarts susceptibles de se produire et adapter le système et les mesures de prévention prévues aux nouvelles exigences, aux nouveaux dangers et aux nouvelles idées. Toutes ces actions sont modélisées par Hale et Glendon comme des tâches de détection et de maîtrise liées à un danger.

La résolution de problème

Le modèle de Hale et Glendon conceptualise le rôle de l’action humaine dans la maîtrise du danger comme démarche de résolution de problème. Les étapes qu’implique cette démarche sont illustrées de façon générique à la figure 56.6.

Figure 56.6 Cycle de résolution de problème

Figure 56.6

Cette tâche est un processus de recherche d’objectifs régi par les normes définies à la première étape de cette figure. Ce sont des normes de sécurité que les travailleurs se fixent à eux-mêmes, ou qui sont fixées par les employeurs, les fabricants ou le législateur. Le modèle a l’avantage d’être applicable non seulement à chaque travailleur confronté à un danger imminent ou futur, mais aussi à des groupes de travailleurs, des services ou des organisations qui cherchent à maîtriser, au stade de la conception, à la fois la dangerosité actuelle d’un procédé ou d’un secteur d’activité et la dangerosité future de nouvelles technologies ou de nouveaux produits. Les systèmes de gestion de la sécurité peuvent ainsi être modélisés de façon cohérente pour ce qui est du comportement humain, ce qui permet au concepteur ou à l’évaluateur de la gestion de la sécurité d’avoir une vision ciblée ou, au contraire, générale des tâches imbriquées de différents niveaux d’une organisation (Hale et coll., 1994).

En appliquant ces étapes au comportement individuel en présence d’un danger, on obtient la figure 56.7. Des exemples de chaque étape permettent de se faire une idée plus claire de ce que doit être la tâche de chacun. Comme il est dit plus haut, on considère que toute situation, à tout moment, a une certaine dangerosité. La question est de savoir si un travailleur donné va réagir au danger potentiel. La réponse dépend en partie de l’insistance des signaux de danger, et en partie de la conscience qu’a le travailleur du danger et des normes de niveau de risque acceptable. Lorsqu’une pièce d’équipement devient brusquement incandescente, lorsqu’un chariot élévateur approche à toute vitesse ou que de la fumée commence à apparaître sous une porte, le travailleur se rend compte tout de suite qu’il lui faut réagir, ou même décide comment lui-même ou quelqu’un d’autre peut intervenir.

Figure 56.7 Comportement en présence d'un danger

Figure 56.7

Dans la plupart des secteurs, ces situations de danger imminent sont rares et il est souhaitable, en principe, d’inciter les travailleurs à maîtriser le danger lorsque celui-ci est beaucoup moins imminent. Par exemple, les opérateurs devraient détecter une usure légère du protecteur d’une machine et la signaler; ils devraient se rendre compte qu’un certain niveau de bruit les rendra sourds s’ils y sont continuellement exposés pendant des années. Les concepteurs devraient prévoir qu’un travailleur novice risque d’utiliser de nouveaux produits qu’ils proposent de façon dangereuse.

Pour qu’ils agissent de cette façon, il faut d’abord que tous les responsables de la sécurité pensent qu’il y a ou qu’il y aura une possibilité de danger. La prise en compte du danger est en partie une question de personnalité, et en partie une question d’expérience. On peut aussi l’encourager par la formation, et la garantir en l’intégrant explicitement aux tâches et aux procédures aux stades de la conception et de l’exécution d’un processus, où elle peut être confirmée et encouragée par les collègues et les supérieurs. Il faut ensuite que les travailleurs et leurs supérieurs sachent comment anticiper et reconnaître les signes du danger. Pour avoir la qualité d’attention voulue, ils doivent s’habituer à reconnaître des scénarios d’accidents potentiels — c’est-à-dire les indices et séries d’indices susceptibles d’entraîner une perte de contrôle et, de ce fait, des dommages. Il s’agit entre autres de comprendre le réseau des causes et des effets, par exemple la manière dont un processus peut échapper à tout contrôle, dont le bruit endommage l’ouïe ou comment et quand une tranchée peut s’effondrer.

Tout aussi importante est l’attitude de méfiance créative. On entend par là le fait de penser que les outils, les machines et les systèmes peuvent être mal utilisés, mal fonctionner ou présenter des propriétés ou s’accompagner d’interactions non voulues par leurs concepteurs. Cela revient à appliquer de façon créative la «loi de Murphy» (tout ce qui peut aller mal ira mal), en anticipant les dysfonctionnements possibles et en se donnant la possibilité de les supprimer ou de les maîtriser. Cette attitude, avec la connaissance et la compréhension, est également utile à l’étape suivante, qui est de décider qu’un danger est suffisamment probable ou grave pour justifier une intervention.

Cette décision dépend, là encore, de la personnalité de chacun, par exemple d’une attitude optimiste ou pessimiste à l’égard de la technologie, mais surtout, et c’est là le plus important, de l’expérience qui amène le travailleur à se poser des questions telles que «La même situation a-t-elle déjà dégénéré dans le passé?» ou «Les choses ont-elles fonctionné pendant des années avec le même degré de risque sans qu’il y ait d’accident?». Les résultats des recherches sur la perception des risques et sur les tentatives d’agir sur elle par la communication ou par la rétro-information sur l’expérience en matière d’accidents et d’incidents sont examinés de façon détaillée dans d’autres articles.

Même lorsqu’ils se rendent compte de la nécessité d’agir, les travailleurs peuvent ne pas intervenir, pour diverses raisons, par exemple parce qu’ils estiment qu’ils n’ont pas à se mêler du travail d’un autre; qu’ils ne savent pas ce qu’il faut faire; qu’ils considèrent que les choses ne changeront pas («cela fait partie du travail»); ou bien qu’ils craignent des représailles s’ils signalent un problème potentiel. Les idées et les connaissances sur les causes et les effets et sur l’attribution de la responsabilité des accidents et de leur prévention jouent ici un rôle très important. Par exemple, un contremaître convaincu que les accidents sont causés avant tout par des travailleurs imprudents et prédisposés aux catastrophes ne verra pas pourquoi lui-même devrait intervenir, si ce n’est peut-être pour se débarrasser de ces travailleurs. Des communications efficaces pour mobiliser ceux qui peuvent et doivent agir et coordonner leur action sont également cruciales à cette étape.

Les étapes restantes ont à voir avec la connaissance de ce qu’il faut faire pour maîtriser le danger, et avec les compétences nécessaires pour prendre les mesures appropriées. La connaissance s’acquiert par la formation et l’expérience, mais une bonne conception du matériel peut être extrêmement utile si elle rend évidentes les mesures à prendre pour éviter un danger ou s’en protéger — par exemple, grâce à un mécanisme d’arrêt ou de fermeture d’urgence, ou une mesure d’évitement. De bonnes ressources informationnelles, telles que des manuels des opérations ou des systèmes auxiliaires informatisés, peuvent aider les superviseurs et les opérateurs à accéder à des connaissances qu’ils ne peuvent acquérir dans le cadre de leur activité quotidienne. Enfin, les compétences et la pratique détermineront si la réaction requise peut avoir lieu de manière suffisamment précise et au moment voulu pour réussir. On constate à cet égard l’existence d’un curieux paradoxe: plus les individus sont attentifs et préparés et plus le matériel est fiable, moins le recours aux procédures d’urgence sera nécessaire, et plus il sera difficile de maintenir le niveau de compétence indispensable pour mettre en œuvre ces procédures lorsqu’elles seront nécessaires.

Les liens avec le comportement basé sur les compétences, les règles et les connaissances

L’élément final, dans le modèle de Hale et Glendon, qui fait de la figure 56.7 la figure 56.5, est l’addition du lien avec les travaux de Reason et Rasmussen. Ces travaux mettent l’accent sur le fait que le comportement peut se manifester à trois niveaux de fonctionnement conscient — fonctionnement basé sur les compétences, sur les règles et sur les connaissances — qui mettent en jeu des aspects différents du fonctionnement humain et sont sujets à des types et des degrés différents d’anomalie ou d’erreur dus à des signaux externes ou à des dysfonctionnements internes.

Le niveau basé sur les compétences . Ce niveau est extrêmement fiable, mais il peut donner lieu à des ratés ou des dérapages lorsqu’il est perturbé ou lorsqu’un autre comportement automatisé similaire prend le pas sur le premier. Il concerne en particulier les comportements de routine qui supposent des réactions automatiques à des signaux connus indiquant un danger imminent ou plus éloigné. Les réactions sont des gestes connus et pratiqués, par exemple laisser les doigts le plus loin possible d’une meule lorsqu’on aiguise un ciseau, conduire une automobile de manière qu’elle reste sur la route, ou se baisser pour éviter un objet en mouvement. Les réactions sont tellement automatiques que les travailleurs peuvent même ne pas avoir conscience du fait qu’ils maîtrisent activement un danger qui les menace.

Le niveau basé sur les règles . Il s’agit de choisir, parmi une série de mesures de routine ou de règles, celle qui est adaptée à la situation. On peut penser ici au fait de choisir la séquence qui permet d’arrêter un réacteur pour éviter une surpression, à celui de choisir les lunettes de protection appropriées pour manipuler de l’acide (et non celles qu’on met pour travailler dans la poussière), ou encore au fait de décider, pour un cadre, de procéder à un examen de sécurité complet dans une nouvelle usine au lieu d’un simple contrôle informel. Souvent, ici, les erreurs se produisent parce que l’on n’a pas pris assez de temps pour retenir la procédure adaptée à la situation, que l’on s’en remet plus à des anticipations qu’à des observations pour comprendre la situation, ou que l’on est conduit, par des informations extérieures trompeuses, à faire un mauvais diagnostic. Dans le modèle de Hale et Glendon, ce niveau intervient en particulier dans la détection des risques et le choix de la bonne procédure dans des situations familières.

Le niveau basé sur les connaissances . Ce niveau n’intervient que lorsqu’aucune procédure ni aucun plan n’est prévu pour faire face à une situation, comme c’est le cas, par exemple, s’il s’agit de prendre en compte de nouveaux risques au stade de la conception, de détecter des problèmes insoupçonnés pendant une inspection de sécurité, ou de faire face à des situations d’urgence imprévues. Ce niveau est prédominant aux étapes indiquées dans la partie supérieure de la figure 56.5. C’est le mode de fonctionnement le moins prévisible et le moins fiable, mais aussi celui où aucune machine ni aucun ordinateur ne peuvent remplacer l’individu pour détecter un danger potentiel et rétablir une situation.

Le regroupement de tous ces éléments aboutit à la figure 56.5, qui fournit un cadre permettant de déterminer où se sont produites des anomalies dans le comportement humain lors d’accidents passés et d’analyser la conduite à tenir pour optimiser ce comportement afin de maîtriser un danger avant l’accident.

LES MODÈLES SÉQUENTIELS D’ACCIDENTS

Ragnar Andersson

Nous examinons ici un groupe de modèles d’accidents qui présentent tous les mêmes caractéristiques de base. L’interaction humain-machine-environnement et son évolution en risques, dangers, dommages matériels et corporels potentiels sont envisagées sous forme d’une succession de questions découlant les unes des autres et classées par ordre logique. Cette séquence est ensuite appliquée de la même manière à différents niveaux d’analyse faisant appel à des modèles. Le premier de ces modèles a été présenté par Surry (1969). En 1983, le Fonds suédois du milieu de travail (Swedish Work Environment Fund (WEF)) en a présenté une version modifiée baptisée WEF. Une équipe de recherche suédoise l’a ensuite évalué et a proposé un certain nombre d’améliorations qui ont débouché sur un troisième modèle.

On trouvera ci-après une description de ces modèles, des observations sur les raisons des changements et perfectionnements qui leur ont été apportés, et une tentative de les synthétiser. Ce sont donc au total quatre modèles comportant de nombreuses similitudes qui sont présentés et examinés. Si la situation peut paraître complexe, elle illustre le fait qu’aucun modèle ne s’est universellement imposé comme modèle idéal, l’un des problèmes étant qu’il y a un antagonisme évident entre simplicité et exhaustivité des modèles d’accidents.

Le modèle de Surry

En 1969, Jean Surry a publié un ouvrage intitulé Industrial Accident Research: A Human Engineering Appraisal , qui passe en revue les principaux modèles et approches utilisés dans la recherche sur les accidents. L’auteur répartit les cadres théoriques et conceptuels qu’elle a identifiés en cinq grandes catégories: 1) modèles d’enchaînement d’événements multiples; 2) modèles épidémiologiques; 3) modèles d’échanges d’énergie; 4) modèles comportementaux; et 5) modèles systémiques. Elle conclut qu’aucun de ces modèles n’est compatible avec l’un quelconque des autres, chacun mettant simplement l’accent sur des aspects différents, ce qui lui a donné l’idée de combiner les divers cadres en un seul modèle complet et général. Elle précise toutefois que son modèle doit être considéré comme essentiellement provisoire.

Selon Surry, un accident peut être décrit par une série de questions formant une hiérarchie séquentielle de niveaux, où les réponses à chaque question déterminent si un événement dégénère ou non en accident. Le modèle (voir figure 56.8) reflète les principes du traitement de l’information par l’humain, et repose sur l’idée qu’un accident est un écart par rapport à un processus attendu. Il comporte trois phases principales, reliées par deux cycles similaires.

Figure 56.8 Le modèle de Surry

Figure 56.8

La première phase considère l’ensemble êtres humains-environnement, c’est-à-dire la totalité des paramètres humains et environnementaux. Elle intègre aussi la source potentielle de dommages. L’hypothèse de départ est que, par suite de l’intervention (ou de la non-intervention) de l’être humain, cet environnement est cindynogène. Aux fins de l’analyse, la première séquence de questions constitue une phase de «montée du danger». En cas de réponses négatives à une ou plusieurs de ces questions, l’imminence du danger augmente.

La seconde séquence de questions, la phase de «concrétisation du danger», relie le niveau de danger aux différents résultats possibles une fois ce cycle engagé. Il convient de relever qu’en suivant des voies différentes tout au long de l’application du modèle, il est possible de faire une distinction entre les dangers consentis (ou consciemment acceptés) et les résultats négatifs non voulus. Les différences entre actes dangereux quasi accidentels, «mésaventures» (etc.) et accidents accomplis sont précisées par le modèle.

Le modèle du Work Environment Fund (WEF)

En 1973, une commission créée par le WEF pour faire le point de la recherche sur les accidents du travail en Suède a lancé un «nouveau» modèle et l’a promu comme un instrument universel qu’il faudrait utiliser pour tous les travaux de recherche dans ce domaine. Elle l’a présenté comme une synthèse des modèles comportementaux, épidémiologiques et systémiques existants, et a déclaré qu’il englobait tous les aspects importants de la prévention. Elle faisait référence à Surry, entre autres, mais sans dire que le modèle du WEF était presque identique au sien. Seules quelques modifications lui avaient été apportées pour l’améliorer.

Comme c’est souvent le cas lorsque des modèles et idées scientifiques sont recommandés par des entités et des administrations centrales, le modèle n’a été ensuite adopté que dans quelques projets. Le rapport publié par le WEF a cependant contribué à susciter rapidement de l’intérêt pour la modélisation et l’élaboration de théories parmi les accidentologues suédois et scandinaves, et plusieurs nouveaux modèles d’accidents ont vu le jour en l’espace d’une courte période.

Le modèle du WEF (contrairement à celui de Surry qui part du niveau «humain et environnement») repose sur la notion de danger, limitée en l’occurrence au «danger objectif» par opposition à la perception subjective du danger. Le danger objectif est défini comme faisant partie intégrante d’un système donné, et il est déterminé essentiellement par le volume des ressources pouvant être investies dans la sécurité. Un moyen de réduire le danger consiste à augmenter la tolérance d’un système à la variabilité de l’individu.

Lorsqu’une personne entre en contact avec un certain système et ses dangers, un processus s’engage. Les caractéristiques du système et le comportement de l’individu peuvent engendrer une situation à risque. Selon les auteurs, le plus important (pour ce qui est des propriétés du système) est la manière dont les dangers sont signalés. L’imminence du risque dépend de la perception et de la compréhension de ces signaux par l’individu, ainsi que de sa réaction.

La séquence suivante, qui est en principe identique à celle de Surry, est directement liée à l’événement et à la question de savoir s’il va provoquer ou non un accident. Si le danger est déclenché, peut-il être observé? Est-il perçu par l’intéressé? Ce dernier peut-il éviter les dommages matériels ou corporels? Les réponses à ces questions expliquent la nature et le degré des résultats nocifs découlant de la période critique.

On voyait dans le modèle du WEF (voir figure 56.9) quatre avantages:

Figure 56.9 Le modèle du WEF

Figure 56.9

L’évaluation et le perfectionnement du modèle

Au moment où le rapport du WEF a été publié, une étude épidémiologique sur les accidents du travail était en cours dans la ville de Malmö, en Suède. Cette étude s’appuyait sur une version modifiée de la matrice dite de Haddon, qui présente dans des tableaux à double entrée des variables selon deux dimensions: le temps écoulé avant, pendant et après l’accident, et la trichotomie épidémiologique hôte-agent (ou moyen/vecteur)-environnement. Bien que cette matrice constitue une bonne base pour la collecte des données, l’équipe de recherche a estimé qu’elle ne suffisait pas pour comprendre et expliquer les mécanismes à l’origine des accidents et des dommages corporels. Le modèle du WEF paraissait représenter une nouvelle approche, et il a donc été accueilli avec grand intérêt. Il fut décidé de le mettre immédiatement à l’épreuve, avec un échantillon aléatoire de 60 cas réels d’accidents du travail qui avaient fait l’objet d’une enquête et d’une documentation approfondies de la part du groupe de Malmö dans le cadre de son étude.

Les résultats de cette évaluation ont été résumés en quatre points:

Le groupe de Malmö, compte tenu de ces observations, a perfectionné le modèle du WEF. Son innovation la plus importante a consisté à ajouter une troisième séquence de questions destinées à analyser et expliquer l’existence et la nature du «danger» en tant que trait inhérent au système humain-machine. Il a appliqué les principes généraux de la systémique et de la technologie de contrôle.

Ainsi interprété comme une interaction humain-machine-environnement, il fallait aussi envisager le processus de travail en tenant compte des contextes organisationnel et structurel au niveau de l’entreprise et de la société. La nécessité de prendre en considération les caractéristiques personnelles et le pourquoi de l’activité en cause et de son exécution étaient également indiqués (voir figure 56.10).

Figure 56.10 Le modèle du WEF perfectionné par introduction d'une nouvelle
première séquence

Figure 56.10

Résumé

Malgré les progrès des théories et des modèles de recherche sur les accidents, ces premiers modèles nous paraissent encore, des années après, étonnamment actuels et compétitifs.

L’hypothèse fondamentale, selon laquelle il faut voir dans les accidents, ainsi que dans leurs causes, des écarts par rapport à des processus prévus, est toujours une idée dominante (voir, entre autres, Benner, 1975; Kjellén et Larsson, 1981).

Les modèles font une nette distinction entre le concept de dommage corporel en tant que résultat sur le plan de la santé et le concept d’accident en tant que fait survenant antérieurement. Ils montrent en outre qu’un accident n’est pas seulement un «événement», mais aussi un processus qui peut être analysé comme une succession d’étapes (Andersson, 1991).

De nombreux modèles ultérieurs ont été conçus sous la forme d’un ensemble de «cases», organisées selon un ordre chronologique ou hiérarchique et comprenant diverses étapes temporelles ou divers niveaux d’analyses. Il y a par exemple le modèle ISA (Andersson et Lagerlöf, 1983), le modèle d’écart (Kjellén et Larsson, 1981) et le modèle dit finlandais (Tuominen et Saari, 1982). Ces différents niveaux d’analyse sont également au cœur des modèles séquentiels décrits ici, mais ceux-ci proposent en outre un instrument théorique pour analyser les mécanismes reliant ces niveaux entre eux. D’importantes contributions ont été apportées à cet égard par des auteurs tels que Hale et Glendon (1987), pour ce qui est de l’intégration des facteurs humains, et Benner (1975), pour l’approche systémique.

Comme le montre clairement une comparaison de ces modèles, Surry n’a pas attribué une place centrale à la notion de danger, comme le fait le modèle du WEF. Elle est partie de l’interaction humain-environnement, ce qui témoigne d’une démarche plus vaste, comparable à celle proposée par le groupe de Malmö. D’un autre côté, pas plus que la commission du WEF, elle ne pousse l’analyse à des niveaux situés au-delà de ceux de l’opérateur et de l’environnement, comme l’organisation et la société. En outre, les observations de l’étude de Malmö citée ici à propos du modèle du WEF semblent également valables pour le modèle de Surry.

Une synthèse moderne des trois modèles présentés ci-dessus pourrait comprendre moins de détails sur le traitement de l’information par l’être humain, et plus d’informations sur les conditions «en amont» (plus loin dans l’enchaînement causal) au niveau de l’organisation et de la société. On pourrait déduire les éléments clés d’une séquence de questions conçue pour essayer de mieux comprendre la relation entre le niveau organisationnel et le niveau humain-machine des principes modernes de gestion de la sécurité, qui font appel aux méthodes de l’assurance de la qualité (contrôle interne, etc.). De même, on pourrait établir une séquence de questions visant à déterminer le lien entre les niveaux sociétal et organisationnel en s’inspirant des principes modernes de contrôle et de vérification orientés vers les systèmes. La figure 56.11 présente un modèle global indicatif basé sur le modèle original de Surry, et intégrant ces éléments supplémentaires.

Figure 56.11 Modèle global indicatif de la genèse d'un accident (basé se le modèle
de Surry (1969) et ses successeurs)

Figure 56.11

LES MODÈLES D’ACCIDENTS FONDÉS SUR L’OBSERVATION D’ÉCARTS

Urban Kjellén

Un accident du travail peut être considéré comme un effet anormal ou non voulu des processus en jeu dans un système industriel ou comme un dysfonctionnement imprévu. Il peut y avoir des effets non voulus autres que des dommages corporels, par exemple des dommages matériels, un rejet accidentel de polluants dans l’environnement, des retards de production ou une baisse de qualité des produits. Le modèle d’écart est ancré dans la théorie des systèmes et analyse les accidents en termes d’écarts.

Les écarts

La définition d’un écart par rapport à des conditions spécifiées coïncide avec la définition des non-conformités (ISO, 1994) qui figure dans la série de normes ISO 9000 pour le management de la qualité publiée par l’Organisation internationale de normalisation (ISO). La valeur d’une variable systémique est considérée comme un écart lorsqu’elle n’est pas conforme à une norme. Les variables systémiques sont des caractéristiques mesurables d’un système, et elles peuvent prendre différentes valeurs.

Les normes

On distingue quatre types de normes, qui ont trait: 1) aux conditions spécifiées; 2) à ce qui a été planifié; 3) à ce qui est normal ou habituel; et 4) à ce qui est accepté. Chaque type de norme est caractérisé par la façon dont il a été établi et par son degré de formalisation.

Les règlements, règles et procédures de sécurité sont des exemples de conditions spécifiées. Un exemple type d’écart par rapport à une condition spécifiée est l’«erreur humaine», définie comme la transgression d’une règle. Les normes liées à ce qui est «normal ou habituel» et à ce qui est «accepté» sont moins formalisées. Elles sont en général appliquées dans un environnement industriel, où la planification est orientée vers les résultats et où l’exécution des tâches est laissée à la discrétion des opérateurs. Un exemple d’écart par rapport à une norme «acceptée» est le «facteur incidentel», qui est un événement inhabituel susceptible (ou non) de provoquer un accident (Leplat, 1978). Un autre exemple est l’«acte dangereux», traditionnellement défini comme une action personnelle enfreignant une procédure de sécurité communément acceptée (ANSI, 1962).

Les variables systémiques

Dans le modèle d’écart, l’ensemble des valeurs des variables systémiques est réparti en deux catégories: les valeurs normales et les valeurs aberrantes. La distinction entre ces deux catégories est parfois problématique. Il peut y avoir des avis divergents sur ce qui est normal parmi les travailleurs, les cadres, la direction et les concepteurs des systèmes. Un autre problème tient à l’absence de normes dans des situations qui n’ont pas été rencontrées auparavant (Rasmussen, Duncan et Leplat, 1987). Ces divergences d’opinion et l’absence de normes peuvent contribuer à accroître le risque.

La dimension temporelle

Le temps est une dimension fondamentale dans le modèle d’écart. Un accident est analysé comme un processus et non comme un événement isolé ou une chaîne de facteurs causatifs. Le processus se déroule en des phases successives, de sorte qu’il y a passage des conditions normales du système à des conditions anormales ou à un état d’absence de maîtrise. Il se produit ensuite une perte de maîtrise des énergies, et des dommages matériels ou corporels apparaissent. La figure 56.12 montre un exemple d’analyse d’un accident basée sur un modèle mis au point par l’Unité de recherche sur les accidents du travail (Occupational Accident Research Unit (OARU)), à Stockholm, à l’occasion de ces phases de transition.

Figure 56.12 Analyse d'un accident sur un chantier de construction sur la base
du modèle du l'OARU

Figure 56.12

La focalisation sur la maîtrise de la situation préaccidentelle

Chaque modèle d’accident privilégie un élément particulier, en rapport avec une stratégie de prévention. Dans le cas du modèle d’écart, c’est la phase initiale de la séquence accidentelle, qui se caractérise par des conditions anormales ou une situation de non-maîtrise. La prévention se fait par rétro-information lorsqu’il existe des systèmes d’information établis pour la planification et le contrôle de la production et pour la gestion de la sécurité. L’objectif est d’assurer un fonctionnement sans heurt, avec aussi peu d’anomalies et d’improvisations que possible, afin de ne pas accroître le risque d’accidents.

On distingue les actions correctrices et les actions préventives. La correction des écarts coïncide avec le premier niveau de rétro-information dans la hiérarchie mise au point par Van Court Hare, et elle ne conduit pas l’organisation à tirer des enseignements des accidents passés (Hare, 1967). La prévention se situe à des niveaux supérieurs de rétro-information, qui supposent un apprentissage. Ce sera, par exemple, la mise au point de nouvelles instructions de travail basées sur des normes de sécurité acceptées par tous. En général, les actions préventives ont trois objectifs distincts: 1) réduire la probabilité d’écart; 2) réduire les conséquences des écarts; et 3) réduire le temps qui s’écoule entre le moment où se produit un écart et celui où il est constaté et corrigé.

Pour illustrer les caractéristiques du modèle d’écart, on peut faire une comparaison avec le modèle d’énergie (Haddon, 1980) qui focalise la prévention sur les phases ultérieures du processus accidentel — à savoir la perte de la maîtrise des énergies et les dommages qui en résultent. La prévention se fait généralement par la limitation ou la maîtrise des énergies dans le système ou par l’interposition de barrières entre les énergies et la victime.

Les taxinomies des écarts

Il existe différentes taxinomies des écarts. Elles ont été mises au point pour faciliter la collecte, le traitement et la rétro-information des données sur les écarts. Le tableau 56.1 en donne un aperçu.

Tableau 56.1 Exemples de taxinomies pour la classification des écarts

Théorie ou modèle et variable

Catégories

Modèle de processus

Durée

Evénement/acte, condition

Phase de la séquence accidentelle

Phase initiale, phase finale, phase des lésions

Théorie des systèmes

Sujet-objet

(Acte d’une) personne, condition mécanique/physique

Ergonomie des systèmes

Individu, tâches, équipement, environnement

Génie industriel

Matériaux, force humaine, information, activités techniques, humaines, concomitantes/parallèles, protections fixes, équipement de protection individuelle

Erreurs humaines

Actions humaines

Omission, commission, acte inadapté aux circonstances, erreur séquentielle, erreur chronologique

Modèle d’énergie

Type d’énergie

Thermique, rayonnante, mécanique, électrique, chimique

Type de système de maîtrise de l’énergie

Technique, humain

Conséquences

Type de perte

Pas de perte de temps importante, dégradation de la qualité de la production, endommagement de l’équipement, perte matérielle, pollution de l’environnement, lésions corporelles

Etendue de la perte

Négligeable, marginale, critique, catastrophique

Source: Kjellén, 1984.

Une taxinomie classique des écarts consiste à faire une distinction entre les «actes dangereux des personnes» et les «conditions mécaniques/physiques dangereuses» (ANSI, 1962). Cette taxinomie est la combinaison d’une classification par rapport à la durée et d’une division sujet-objet. Le modèle de l’OARU est basé sur la prise en compte des systèmes industriels (Kjellén et Hovden, 1993), où chaque classe d’écarts est liée à un système particulier de contrôle de la production. Il en résulte, par exemple, que les écarts sur les matériaux sont surveillés par un contrôle des matériaux, et que les écarts techniques sont contrôlés dans le cadre de programmes d’inspection et d’entretien. Une inspection de sécurité vérifiera par exemple, de façon à peu près systématique, les équipements de protection fixes. Les écarts dus à une perte de maîtrise des énergies sont caractérisés par le type d’énergie en cause (Haddon, 1980). Une distinction est faite également entre les dysfonctionnements des systèmes humains et techniques de maîtrise des énergies (Kjellén et Hovden, 1993).

La validité du concept d’écart

Il n’existe pas de relation générale entre les écarts et le risque d’accident. Les résultats des travaux de recherche laissent penser, cependant, que dans quelques systèmes industriels, certains types d’écarts sont associés à un risque accru d’accidents (Kjellén, 1984) — équipement défectueux, perturbations dans la production, irrégularité de la charge de travail et utilisation des outils à des fins inhabituelles. Le type et la quantité d’énergie impliqués dans le flux d’énergie non maîtrisé sont d’assez bons prédicteurs des conséquences.

L’application du modèle d’écart

Les données sur les écarts sont recueillies lors des inspections de sécurité, des contrôles de sécurité par échantillonnage, des déclarations de quasi-accidents et des enquêtes sur les accidents (voir figure 56.13).

Figure 56.13 Couverture des diférents outils utilisés dans la pratique de la sécurité

Figure 56.13

Le contrôle par échantillonnage , par exemple, est une méthode de contrôle des écarts par rapport aux règles de sécurité par rétro-information aux opérateurs sur leur performance. Les effets positifs de cette méthode sur la performance en matière de sécurité, mesurée par le risque d’accident, ont été observés (Saari, 1992).

Le modèle d’écart a été appliqué à la mise au point d’instruments permettant d’enquêter sur les accidents. Dans l’analyse des facteurs incidentels , les écarts observés dans la séquence accidentelle sont identifiés et organisés en structure arborescente (Leplat, 1978). Le modèle de l’OARU a servi de base à la mise au point d’un formulaire et de listes de pointage pour les enquêtes sur les accidents et la structuration de la procédure d’enquête. Ces méthodes permettent une représentation et une évaluation détaillées et fiables des écarts (voir Kjellén et Hovden, 1993 pour un examen critique). Le modèle d’écart a également inspiré l’élaboration de méthodes d’analyse des risques.

L’analyse des écarts est une méthode d’analyse des risques qui comprend trois phases: 1) la récapitulation des fonctions des systèmes et des activités de l’opérateur, et leur classification en sous-sections; 2) l’examen de chaque activité afin d’identifier les écarts éventuels et d’en évaluer les conséquences potentielles; et 3) la mise au point de mesures correctrices (Harms-Ringdahl, 1993). Le processus accidentel est modélisé comme le montre la figure 56.12, et l’analyse des risques couvre les trois phases. On utilise des listes de pointage semblables à celles qui servent dans les enquêtes sur les accidents. Il est possible d’intégrer cette méthode à des tâches de conception, ce qui permet d’identifier les besoins d’actions correctrices.

Résumé

Les modèles d’écart sont essentiellement axés sur les premières phases du processus accidentel, au cours desquelles il y a perturbation du fonctionnement. La prévention s’effectue par contrôle de la rétro-information, de manière à assurer un fonctionnement sans heurts, avec peu de perturbations et d’improvisations susceptibles de provoquer un accident.

LE «MAIM»: MERSEYSIDE ACCIDENT INFORMATION MODEL

Harry S. Shannon et John Davies

De manière générale, on emploie le terme accident pour désigner des événements qui entraînent des dommages corporels ou matériels non voulus ou non prévus; un modèle d’accident est un schéma théorique appliqué à l’analyse de ces événements (certains modèles prennent parfois expressément en compte les «quasi-accidents», mais cette distinction n’est pas importante ici). Les modèles d’accidents peuvent avoir différents objectifs: permettre de mieux comprendre, sur le plan théorique, comment se produisent les accidents; enregistrer et stocker des informations sur les accidents; servir de mécanisme d’enquête sur les accidents. Ces trois objectifs ne sont pas entièrement distincts, mais sont utiles à des fins de classification.

Le modèle MAIM présenté ici (Merseyside Accident Information Model) correspond au deuxième objectif, c’est-à-dire la collecte et le stockage d’informations sur les accidents. Après avoir donné une idée des principes de base du MAIM, nous décrirons un certain nombre d’études qui ont permis d’évaluer ce modèle. L’article se termine par un compte rendu des derniers progrès du MAIM, au nombre desquels figure l’utilisation d’un «logiciel intelligent» pour recueillir et analyser les informations sur les accidents provoquant des traumatismes.

Les premiers modèles d’accidents

Dans le modèle de Heinrich (1931), la chaîne causale conduisant à un accident était comparée à la chute successive de cinq dominos — chacun des quatre premiers devant tomber pour que le cinquième tombe. Dans le modèle précurseur du MAIM, Manning (1971) concluait que «la survenue d’un accident suppose la rencontre d’un hôte (par exemple un travailleur) et d’un objet de l’environnement, l’un des deux au moins étant en mouvement». Kjellén et Larsson (1981) ont mis au point leur propre modèle, qui pose qu’il y a deux niveaux: la séquence accidentelle et les facteurs déterminants sous-jacents. Dans un autre article écrit plus tard (1993), Kjellén et Hovden rendaient compte des progrès signalés par d’autres publications et notaient qu’il était nécessaire d’exploiter efficacement les informations fournies par les rapports courants sur les accidents et les quasi-accidents à l’aide d’un puissant système d’extraction de l’information. C’est ce qu’a réalisé le MAIM.

La raison d’être du MAIM

Il semble y avoir un assez large consensus sur le fait que les informations utiles sur les accidents ne devraient pas se limiter aux circonstances immédiates des dommages corporels ou matériels, mais aller jusqu’à la compréhension de la chaîne d’événements et des facteurs ayant déclenché le processus accidentel. Certains des premiers systèmes de classification ne permettaient pas d’atteindre cet objectif. On mélangeait alors souvent la compréhension des objets, des mouvements (des personnes ou des objets) et des événements, et on ne faisait pas de distinction entre les événements successifs.

Le problème peut être illustré à l’aide d’un exemple simple. Un travailleur glisse sur une flaque d’huile, fait une chute, sa tête heurte une machine et il souffre d’une commotion cérébrale. Il est facile de distinguer la cause (immédiate) de l’accident (le glissement) et la cause des lésions (heurt de la tête contre une machine). Certains systèmes de classification, cependant, comprennent les catégories «chute de personnes» et «heurt contre des objets». L’accident pourrait être attribué à l’une ou l’autre, bien qu’aucune ne décrive ne serait-ce que la cause immédiate de l’accident (glissement sur de l’huile) ou les facteurs causatifs (par exemple, pourquoi y avait-il de l’huile).

Le problème, pour l’essentiel, tient au fait que l’on prend en considération un seul facteur dans une situation multifactorielle. Un accident ne consiste pas toujours en un événement unique; il peut y en avoir beaucoup. C’est le raisonnement qu’a tenu un médecin du travail, Derek Manning, qui a mis au point le MAIM.

Description du MAIM

L’élément central de l’accident est le premier événement imprévu (non souhaité ou non planifié) impliquant l’équipement endommagé ou la personne blessée (voir figure 56.14). Ce ne sera pas toujours le premier événement du processus accidentel, qui est appelé événement précédent . Dans l’exemple ci-dessus, c’est le glissement qui est le premier événement imprévu de l’accident (du fait de la présence d’une flaque d’huile sur le sol, il n’est pas imprévisible que quelqu’un puisse glisser et faire une chute, mais le marcheur ne le prévoit pas).

Figure 56.14 Le modèle MAIM des accidents

Figure 56.14

Le comportement de l’équipement ou de la personne est caractérisé par l’activité générale au moment de l’accident, précisé par le type de mouvement du corps lorsque le premier événement s’est produit. Les objets impliqués sont décrits, et pour ceux qui ont un lien avec l’événement, les caractéristiques prises en compte sont la position , le mouvement et l’état . Il y a parfois un second objet, qui interagit avec le premier (par exemple, un ciseau à bois frappé avec un marteau).

Comme on l’a expliqué plus haut, il peut y avoir plus d’un événement, et un objet (éventuellement différent) peut être impliqué dans un second événement . Qui plus est, la personne peut faire un mouvement supplémentaire, par exemple projeter une main en avant pour éviter ou interrompre une chute. Tous ces éléments peuvent être inclus dans le modèle. Un troisième, quatrième ou énième événements peuvent se produire avant que la séquence accidentelle n’aboutisse à une lésion. On peut étendre le modèle dans toutes les directions en enregistrant des facteurs liés à chaque composante. Par exemple, les composantes «activité» et «mouvement du corps» enregistreraient les traits psychologiques d’un opérateur, les médicaments qu’il prend ou ses limitations physiques.

En général, il est facile de distinguer intuitivement des événements séparés, mais une définition plus rigoureuse n’est pas inutile: un événement est une modification ou absence de modification , inattendues, de l’état énergétique de la situation (le terme énergie recouvre à la fois l’énergie cinétique et l’énergie potentielle). Le premier événement est toujours inattendu. Les événements suivants peuvent être attendus, voire inévitables, après la survenue du premier, mais ils sont toujours inattendus avant l’accident. Comme exemple d’absence inattendue de modification de la situation énergétique, on peut prendre celui d’un coup de marteau qui manque le clou à enfoncer. Le cas du travailleur qui glisse sur une flaque d’huile, fait une chute et se cogne la tête est là aussi un bon exemple: le premier événement est «le pied a glissé» — au lieu d’être au repos, il acquiert de l’énergie cinétique. Le second événement est «a fait une chute», ce qui augmente l’énergie cinétique. Cette énergie est absorbée par le choc de la tête du travailleur contre la machine lorsque se produit la lésion et que la séquence se termine. Dans le modèle, ce qui précède peut être indiqué comme suit:

  1. 1er événement: le pied a glissé sur de l’huile;
  2. 2e événement: la personne a fait une chute;
  3. 3e événement: la tête a heurté une machine.

Le MAIM dans la pratique

Une version antérieure du modèle MAIM a été utilisée dans une étude portant sur la totalité des 2 428 accidents signalés en 1973 dans une usine de fabrication de boîtes de vitesses d’un constructeur automobile (pour de plus amples détails, voir Shannon, 1978). Les opérations comprenaient la découpe des engrenages, un traitement thermique et le montage des boîtes. La découpe produisait des copeaux et des éclats métalliques acérés, et de l’huile était utilisée comme liquide de refroidissement. Les informations ont été consignées sur des formulaires spécialement conçus. Chaque accident a été enregistré séparément dans le modèle par deux personnes et, en cas de désaccord, une discussion permettait de trancher. Des codes numériques ont été attribués aux composantes, pour stocker les données sur un ordinateur et faire des analyses. On trouvera ci-après quelques-uns des principaux résultats obtenus ainsi qu’un examen des enseignements tirés de l’utilisation du modèle.

Le taux d’accidents a sensiblement diminué (de près de 40%), du fait apparemment de l’exécution de l’étude. Les chercheurs ont appris qu’en raison des questions supplémentaires exigées par l’étude (et du temps nécessaire pour y répondre), de nombreux travailleurs «ne pouvaient pas s’embêter» à signaler les lésions mineures. Cela fut confirmé par plusieurs constatations:

  1. Le taux d’accidents a de nouveau augmenté en 1975, une fois l’étude terminée.
  2. Le taux de lésions entraînant une perte de temps n’a pas varié.
  3. Le nombre des visites au centre médical pour des demandes non liées à l’activité professionnelle n’a pas varié.
  4. Le taux d’accidents sur le reste du site n’a pas varié.

La diminution du taux d’accidents avait donc été un artefact de la déclaration.

Une autre constatation intéressante a été que, pour 217 lésions (8% du total), les travailleurs concernés ne savaient pas trop où et comment elles s’étaient produites. On s’en est aperçu parce qu’il leur était expressément demandé s’ils étaient sûrs de ce qui s’était passé. En général, les lésions en question étaient des coupures ou des esquilles, relativement courantes étant donné la nature du travail.

Près de la moitié (1 102) des autres accidents consistaient en un seul événement. Les accidents à deux événements étaient plus rares, à trois encore plus, et 58 seulement impliquaient quatre événements ou plus. La proportion des accidents se traduisant par des journées de travail perdues augmentait nettement en fonction du nombre d’événements. Une explication possible est qu’il se produisait une augmentation d’énergie cinétique avec chaque événement, de sorte que, plus les événements étaient nombreux, plus il y avait d’énergie à dissiper lorsque survenait un choc entre le travailleur et l’objet incriminé.

Un examen plus poussé des différences entre les accidents selon qu’il y avait ou non journées de travail perdues a fait apparaître des distributions très différentes suivant les composantes du modèle. Par exemple, lorsque le premier événement était «la personne a glissé», près d’un quart des accidents se traduisaient par des journées de travail perdues, contre 1% si le premier événement était «corps perforé par». Avec plusieurs composantes, les différences s’accentuaient. Par exemple, si l’on considère l’événement final et l’objet impliqué, aucun des 132 accidents dont la cause était «perforé par» ou des «esquilles» ne s’est traduit par des journées de travail perdues, alors que lorsque l’événement final était «entorse/foulure», «sans objet impliqué», 40% des lésions ont entraîné une absence du travail.

Ces résultats contredisaient l’idée que la gravité des lésions était en grande partie une question de chance et que la prévention de tous les types d’accidents ferait reculer le nombre de lésions graves. Cela signifie que l’analyse de tous les accidents pour essayer de prévenir les types les plus courants n’aurait pas automatiquement de répercussions sur ceux qui provoquent des lésions sérieuses.

Une étude subsidiaire a été faite pour évaluer l’utilité des informations contenues dans le modèle. Elle a identifié plusieurs utilisations potentielles des données sur les accidents:

Trois techniciens de sécurité (préventeurs) ont évalué l’utilité des descriptions écrites reportées dans le modèle pour une série d’accidents. Ils ont attribué une note, sur une échelle allant de 0 («aucune information utile») à 5 («tout à fait utilisable») à au moins 75 accidents. Dans la majorité des cas, les notes étaient identiques — c’est-à-dire qu’il n’y avait eu aucune perte d’information dans le transfert des descriptions écrites au modèle. Lorsqu’on a noté une perte, celle-ci correspondait le plus souvent à un seul point sur l’échelle de 0 à 5, ce qui est minime.

En revanche, les informations disponibles étaient rarement «tout à fait utilisables», en partie parce que les techniciens de sécurité avaient l’habitude de faire des enquêtes détaillées in situ, ce qui n’avait pas été le cas dans cette étude, car elle englobait tous les accidents signalés, mineurs ou graves. Il ne faut cependant pas oublier que les informations incorporées aux modèles ont été tirées directement des descriptions écrites. Comme il y a eu relativement peu de perte d’information, on a pensé qu’il serait possible de supprimer la phase intermédiaire. L’utilisation désormais plus courante des ordinateurs individuels et l’existence de logiciels améliorés permettent aujourd’hui une collecte automatisée des données et l’utilisation de listes de pointage pour vérifier que toutes les informations pertinentes sont recueillies. Un programme a été mis au point à cet effet et a été soumis à de premiers essais.

Le logiciel intelligent du MAIM

Le modèle MAIM a été utilisé par Troup, Davies et Manning (1988) pour l’analyse d’accidents provoquant des lésions du dos. Une base de données a été créée sur un ordinateur IBM grâce au codage des résultats d’entretiens avec les patients conduits par un enquêteur connaissant bien le modèle MAIM. L’enquêteur a analysé les entretiens pour établir la description par le MAIM (voir figure 56.14) et les données ont alors été introduites dans la base. Cette méthode était tout à fait satisfaisante, mais il n’était pas sûr qu’elle puisse être accessible à tous. Elle exigeait en particulier que l’on soit capable de mener les entretiens et de faire l’analyse nécessaire pour établir la description MAIM de l’accident.

Davies et Manning (1994a) ont mis au point un logiciel répondant à ces deux impératifs. En fait, le logiciel MAIM est un logiciel qui sert de «point d’entrée intelligent» dans la base de données et, en 1991, il était suffisamment au point pour pouvoir être testé dans un environnement clinique. Il était conçu pour interagir avec le patient au moyen de «menus» — le patient choisit des options sur des listes, en utilisant simplement les flèches de direction et la touche «entrée». Le choix d’une option guidait le déroulement et enregistrait les informations à chaque étape de la description de l’accident. Cette méthode de collecte de données ne nécessitait plus de connaissances en orthographe et en dactylographie, et elle permettait l’obtention d’un type d’entretien cohérent, que l’on pouvait corriger à volonté.

Pour décrire les événements, le modèle emploie des verbes et des objets pour former des phrases simples. Les verbes peuvent être associés à différents scénarios d’accidents, et cette propriété est à la base de la construction d’une série de questions liées entre elles qui constituent l’entretien. Les questions sont présentées de manière qu’il suffit, à n’importe quelle étape, de faire des choix simples, ce qui permet de décomposer le compte rendu complexe de l’accident en une série de descriptions simples. Lorsqu’un verbe correspondant à un événement a été identifié, on peut trouver les substantifs associés en localisant les objets de manière à former une phrase décrivant en détail un événement particulier. Il est clair que cette stratégie nécessite le recours à un très important dictionnaire d’objets pouvant être consulté rapidement et efficacement.

Un tel dictionnaire a été constitué à partir d’une liste établie par le Système de surveillance des accidents à domicile (Home Accident Surveillance System (HASS)) (Department of Trade and Industry, 1987) qui enregistre les objets impliqués dans des accidents, et à laquelle ont été ajoutés des objets que l’on trouve sur les lieux de travail. Les objets peuvent être regroupés en catégories, ce qui permet de définir un menu hiérarchique — les catégories d’objets formant des couches qui correspondent aux listes du menu. On peut ainsi utiliser les listes d’objets associés pour localiser l’objet recherché. Par exemple, pour trouver l’objet marteau , on sélectionne, dans l’ordre: 1) «outils»; 2) «outils manuels»; 3) «marteau», dans trois listes successives. Du fait qu’un objet donné pourrait appartenir à plusieurs groupes — par exemple, un couteau peut être associé aux objets de cuisine, aux outils ou aux objets tranchants, des liens redondants ont été établis dans le dictionnaire, ce qui permet d’emprunter des chemins différents pour trouver l’objet recherché. Le dictionnaire d’objets contient aujourd’hui quelque 2 000 entrées couvrant aussi bien le secteur des loisirs que le milieu de travail.

Pendant l’entretien, des informations sont également recueillies sur les activités au moment de l’accident, les mouvements du corps, le lieu de l’accident, les facteurs contributifs, les dommages corporels et l’incapacité. Tous ces éléments peuvent intervenir plusieurs fois dans un accident, et la structure de la base de données relationnelle utilisée pour enregistrer l’accident en tient compte.

A la fin de l’entretien, plusieurs phrases décrivant les événements survenus dans le processus accidentel auront été enregistrées et le patient est invité à les mettre dans le bon ordre. Il lui est demandé en outre de relier les dommages corporels aux événements enregistrés. Un résumé des informations recueillies lui est ensuite présenté sur l’écran de l’ordinateur pour information.

La figure 56.15 montre un résumé de l’accident tel que le voit le patient. Cet accident a été surimposé sur le diagramme du MAIM à la figure 56.15. Les détails relatifs aux facteurs et au lieu de l’accident ont été omis.

Figure 56.15 Résumé du déroulement de l'accident tel qu'il est enregistré lors de
l'entretien avec le patient

Figure 56.15

Le premier événement imprévu ou inattendu (premier événement) impliquant la victime est généralement le premier événement de la séquence accidentelle. Par exemple, si quelqu’un glisse et fait une chute, le glissement est normalement le premier événement de la séquence. En revanche, si quelqu’un est blessé par une machine parce que quelqu’un d’autre met celle-ci en marche avant que l’intéressé soit hors de portée, le premier événement impliquant la victime est «coincé par la machine», mais le premier événement de la séquence accidentelle est «quelqu’un d’autre a mis en marche la machine trop tôt». Dans le logiciel MAIM, c’est le premier événement de la séquence accidentelle qui est enregistré, et il peut résulter soit du premier événement impliquant la victime, soit d’un événement précédent (voir figure 56.14). Il se peut que, sur le plan théorique, cette façon de voir les choses ne soit pas satisfaisante, mais du point de vue de la prévention des accidents, l’important est qu’elle permet de repérer le début de la séquence accidentelle, que l’on peut ensuite cibler pour empêcher que des accidents semblables ne se reproduisent (certains organismes parlent d’«acte d’écart» pour décrire le début de la séquence accidentelle, mais l’on n’est pas encore sûr que cela corresponde toujours au premier événement survenant dans l’accident).

Lorsque le logiciel MAIM a été utilisé pour la première fois dans un environnement clinique, il est apparu clairement que certains types d’accidents d’«objets au sol» étaient difficiles à apprécier correctement. Le modèle MAIM identifie le premier événement imprévu comme point de départ de la séquence accidentelle. Considérons deux accidents similaires, l’un dans lequel un travailleur marche intentionnellement sur un objet qui, de ce fait, se brise, et l’autre dans lequel un travailleur marche involontairement sur un objet qui se brise. Dans le premier cas, le fait de marcher sur l’objet est un mouvement du corps et le premier événement imprévu est le fait que l’objet se brise. Dans le second cas, le fait de marcher sur l’objet est le premier événement imprévu dans l’accident. La question à poser, pour trancher entre ces deux scénarios, est: «Avez-vous marché accidentellement sur quelque chose?» Autrement dit, il est extrêmement important de préparer l’entretien avec soin si l’on veut obtenir des données précises. L’analyse de ces deux accidents permet de faire les recommandations suivantes: à des fins de prévention, le premier accident aurait pu être évité si l’on avait attiré l’attention du patient sur le fait que l’objet se briserait. Le second accident aurait pu être évité si l’on avait attiré l’attention du patient sur le fait que l’objet était une source de danger.

Le logiciel MAIM a été testé avec succès dans trois établissements hospitaliers et notamment dans le cadre d’un projet d’un an au Service de traumatologie et des urgences du Royal Liverpool University Hospital. Les entretiens avec les patients ont duré entre 5 et 15 minutes, et deux patients en moyenne étaient interrogés par heure. Au total, 2 500 accidents ont été enregistrés. Des publications analysant ces données ont été préparées.

LES PRINCIPES DE PRÉVENTION: L’APPROCHE «SANTÉ PUBLIQUE» DE LA RÉDUCTION DU NOMBRE DES LÉSIONS CORPORELLES SUR LE LIEU DE TRAVAIL

Gordon S. Smith et Mark A. Veazie

Aborder la prévention des accidents du travail sous l’angle de la «santé publique», c’est partir du principe que les accidents de ce type sont un problème de santé et que, par conséquent, il est possible soit de les prévenir, soit d’en atténuer les conséquences (Occupational Injury Prevention Panel, 1992; Smith et Falk, 1987; Waller, 1985). Lorsqu’un travailleur tombe d’un échafaudage, les dommages tissulaires, les hémorragies internes, les chocs et le décès qui s’ensuivent sont, par définition, un processus morbide et, également par définition, l’affaire des professionnels de la santé. De même que le paludisme est défini comme une maladie dont l’agent causal est un protozoaire particulier, de même les lésions corporelles sont une famille d’affections causées par l’exposition à une forme particulière d’énergie (cinétique, électrique, thermale, rayonnante ou chimique) (National Commitee for Injury Prevention and Control, 1989). La noyade, l’asphyxie et l’intoxication sont également considérées comme des lésions corporelles, car elles représentent un écart relativement rapide par rapport à la norme structurelle ou fonctionnelle de l’organisme, tout comme un traumatisme aigu.

En tant que problème de santé, les lésions corporelles sont la principale cause de décès prématurés (c’est-à-dire avant l’âge de 65 ans) dans la plupart des pays (Smith et Falk, 1987; Baker et coll., 1992; Smith et Barss, 1991). Aux Etats-Unis, par exemple, elles viennent au troisième rang après les maladies cardio-vasculaires et le cancer, qui est en première place pour les causes d’hospitalisation des moins de 45 ans; en 1985, elles ont représenté pour l’économie une charge de 158 milliards de dollars en coûts directs et indirects (Rice et coll., 1989). Dans ce pays, une lésion corporelle non mortelle sur trois et une sur six chez les individus en âge de travailler se produisent sur le lieu de travail (Baker et coll., 1992). La situation est comparable dans la plupart des pays développés (Smith et Barss, 1991). Dans les pays à revenu moyen ou faible, une industrialisation rapide et relativement anarchique risque de provoquer une pandémie quasi mondiale de lésions corporelles.

Les modèles de santé publique utilisés pour la lutte contre les lésions corporelles

La pratique traditionnelle, en matière de sécurité au travail, met généralement l’accent sur la limitation des risques et des pertes au niveau de l’entreprise. Les spécialistes de la santé publique chargés de lutter contre les lésions corporelles d’origine professionnelle s’intéressent non seulement aux lieux de travail, mais aussi à l’amélioration de l’état sanitaire des populations vivant dans des zones géographiques où elles risquent d’être exposées aux dangers associés à de multiples secteurs d’activité et professions. Certains événements, tels que les décès sur le lieu de travail, peuvent être rares dans une usine donnée, mais l’étude de l’ensemble des décès survenus dans une collectivité peut faire apparaître des schémas de risques et permettre l’élaboration d’une politique de prévention.

La plupart des modèles de pratique de la santé publique reposent sur trois éléments: 1) évaluation préalable; 2) élaboration de stratégies de prévention; et 3) évaluation a posteriori. La pratique de la santé publique est habituellement multidisciplinaire et fondée sur une science appliquée, l’épidémiologie. L’épidémiologie est l’étude de la distribution et des facteurs étiologiques des maladies et lésions corporelles dans une population. Les trois principales applications de l’épidémiologie sont la surveillance, la recherche étiologique et l’évaluation (a posteriori).

La surveillance est «la collecte, l’analyse et l’interprétation continues et systématiques des données sur la santé dans le processus de description et de suivi d’un événement de santé. Ces données sont mises à profit pour planifier, mettre en œuvre et évaluer les interventions et les programmes de santé publique» (CDC, 1988).

La recherche étiologique teste les hypothèses relatives aux facteurs étiologiques de la maladie et des lésions corporelles, sur la base d’études contrôlées, habituellement fondées sur des observations.

L’évaluation a posteriori, en sciences sociales appliquées et en épidémiologie, est «un processus visant à déterminer aussi systématiquement et objectivement que possible la pertinence, l’efficacité et l’impact des activités en fonction de leurs objectifs» (Last, 1988). L’évaluation épidémiologique suppose normalement des études contrôlées pour mesurer les effets d’une intervention sur l’occurrence d’événements liés à la santé dans une population.

Le modèle de base de la pratique de santé publique est décrit par un cycle surveillance épidémiologique-recherche des causes-interventions (ciblées sur les populations à haut risque et sur des affections sévères)-évaluation épidémiologique. Les changements importants apportés à ce modèle comprennent les soins de santé primaires axés sur la collectivité (Tollman, 1991), l’éducation sanitaire et la promotion de la santé dans la collectivité (Green et Kreuter, 1991), le développement de la santé communautaire (Steckler et coll., 1993), la recherche sur la participation (Hugentobler, Israel et Schurman, 1992) et d’autres formes de pratiques de la santé publique axées sur la collectivité, qui reposent toutes sur une plus grande participation de la collectivité et des travailleurs — par opposition aux pouvoirs publics et aux dirigeants d’entreprises — pour définir les problèmes, trouver des solutions et évaluer leur efficacité. L’agriculture familiale, la pêche, la chasse, le travail indépendant ou dans l’économie non structurée, la petite entreprise, sont autant d’activités influencées principalement par les systèmes familiaux et communautaires, qui se développent en dehors de tout système de gestion des activités professionnelles. Les pratiques de santé publique orientées vers la collectivité sont une approche particulièrement fiable de la prévention des lésions corporelles d’origine professionnelle.

Les principaux résultats

L’approche «santé publique» de la sécurité au travail abandonne le concept de prévention des accidents au profit d’une approche plus large de la lutte contre les lésions corporelles, dont les résultats les plus intéressants concernent à la fois leur fréquence et leur gravité. Une lésion corporelle est par définition un dommage que subit l’organisme par suite d’un transfert d’énergie. Un transfert d’énergie mécanique peut provoquer un choc, comme lors d’une chute ou d’un accident de la circulation. Les énergies thermique, chimique, électrique ou rayonnante peuvent provoquer des brûlures et d’autres lésions (Robertson, 1992). Pour les praticiens de la santé publique, l’important n’est pas seulement la fréquence de la lésion corporelle, mais aussi sa gravité et son issue à long terme. La gravité d’une lésion corporelle peut être mesurée selon plusieurs critères, par exemple anatomique (quantité et nature des dommages tissulaires dans différentes régions du corps), physiologique (proximité de la mort, d’après les signes vitaux), l’invalidité, l’atteinte à la qualité de la vie, et les coûts directs et indirects. La gravité sur le plan anatomique est particulièrement importante pour les épidémiologistes, qui la mesurent souvent sur le Tableau de gravité abrégé (Abbreviated Injury Score) ou sur l’Echelle de gravité des lésions corporelles (Injury Severity Scale) (MacKenzie, Steinwachs et Shankar, 1989). Ces mesures permettent de prévoir la survie et sont un indicateur utile de l’énergie transférée lors d’événements graves; toutefois, elles ne sont pas assez sensibles pour faire la distinction entre les différents niveaux de gravité de lésions corporelles relativement moins graves, mais beaucoup plus fréquentes, telles que les entorses ou les foulures.

L’une des mesures les moins utiles, mais très courante, de la gravité, est le nombre de journées de travail perdues après la lésion corporelle. Du point de vue épidémiologique, ce critère est souvent difficile à interpréter parce qu’il est fonction d’une combinaison inconnue de facteurs — incapacité, exigences du poste, possibilité de choisir un emploi plus facile, politique de l’entreprise concernant les congés de maladie et la reconnaissance de l’incapacité, tolérance individuelle à la douleur, propension à travailler malgré la douleur —, et probablement aussi de facteurs identiques à ceux qui motivent la présence au travail. Des nouvelles recherches doivent être menées pour élaborer et valider des mesures interprétables de la gravité des lésions corporelles liées à l’activité, notamment des échelles anatomiques, des échelles d’incapacité et des mesures des atteintes aux divers aspects de la qualité de la vie.

Contrairement à l’approche traditionnelle de la sécurité, les praticiens de la santé publique ne s’intéressent pas uniquement aux lésions corporelles «accidentelles» et aux événements qui les provoquent. En examinant les différentes causes des accidents du travail mortels, on a découvert par exemple qu’aux Etats-Unis les homicides (c’est-à-dire les lésions corporelles provoquées intentionnellement) étaient la principale cause de décès sur le lieu de travail chez les femmes et la troisième chez les hommes (Baker et coll., 1992; Jenkins et coll., 1993). Ces décès sont des événements très rares au niveau de chaque entreprise, et c’est pourquoi on sous-estime souvent leur importance, tout comme on sous-estime le fait que les lésions corporelles dues à des accidents de véhicules à moteur sont la première cause d’accidents mortels sur le lieu de travail (voir figure 56.16). Compte tenu de ces données, les lésions corporelles et les décès dus à la violence sur le lieu de travail et aux accidents de véhicules à moteur sont les cibles prioritaires de la prévention des accidents aux Etats-Unis.

Figure 56.16 Principales causes de décès par accident du travail, Etats-Unis, 1980-1989

Figure 56.16

L’évaluation préalable en santé publique

L’évaluation préalable en santé publique est une démarche multidisciplinaire qui comprend des activités de surveillance, de recherche étiologique et d’évaluation des besoins des collectivités et des entreprises. La surveillance a pour but d’identifier les populations à haut risque, de rechercher les lésions corporelles qui ont un impact significatif sur la santé publique, de déceler et de suivre les tendances et de formuler des hypothèses. Les programmes de surveillance permettent de recueillir des données sur les décès consécutifs à des accidents, les lésions corporelles non mortelles, les incidents susceptibles de provoquer de telles lésions, et l’exposition aux risques. Les sources d’information sont les dispensateurs de soins de santé (hôpitaux et médecins), les certificats de décès, les examens médicaux et rapports d’autopsie, les rapports des employeurs aux ministères du travail ou de la santé, les organismes de réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles, les enquêtes périodiques auprès des employeurs ou des ménages, et les livres tenus par les entreprises. Nombre de ces rapports et livres sont exigés par la loi, mais les informations qu’ils contiennent sont incomplètes, car ils ne couvrent pas tous les travailleurs; il y a des incitations à la sous-déclaration, et les lésions corporelles ne sont pas décrites de façon suffisamment détaillée.

Les enquêtes approfondies, après un accident, font appel à des approches diverses permettant aux experts de tirer des conclusions sur les causes de l’événement et sur la façon dont on aurait pu l’éviter (Ferry, 1988). L’action préventive s’appuie souvent sur les enseignements tirés d’un seul incident. La surveillance fondée sur les taux de fréquence, d’un autre côté, est plus significative qu’un incident isolé.

Il est vrai que certaines informations tirées des enquêtes traditionnelles sur des accidents ne peuvent guère donner lieu à une interprétation épidémiologique lorsqu’elles sont regroupées. Dans la tradition de Heinrich (1959), elles produisent souvent des statistiques indiquant, par exemple, que plus de 80% des lésions corporelles sur le lieu de travail sont dues uniquement à des actes dangereux. Du point de vue épidémiologique, de telles statistiques sont difficiles à interpréter, si ce n’est qu’elles permettent de faire le point sur les jugements de valeur, et elles sont rarement incluses dans la surveillance des taux. Beaucoup d’autres facteurs de risque, tels que le travail posté, le stress professionnel, un environnement de travail mal conçu, etc., sont souvent omis dans les formulaires d’enquête et ne sont donc pas pris en considération lorsqu’on examine les statistiques sur les causes des lésions corporelles.

L’un des premiers objectifs de la surveillance est d’identifier les groupes à haut risque afin de mieux cibler les recherches et la prévention. Les lésions corporelles, comme les maladies infectieuses et les maladies chroniques, répondent à des schémas de risques distincts selon l’âge, le sexe, la race, la région géographique, le secteur d’activité et la profession (Baker et coll., 1992). Aux Etats-Unis, par exemple, dans les années quatre-vingt, la surveillance exercée par l’Institut national de sécurité et de santé au travail (National Institute for Occupational Safety and Health (NIOSH)) a révélé que les groupes à haut risque d’accidents du travail mortels étaient les suivants: les hommes; les travailleurs âgés; les Noirs; les travailleurs des Etats ruraux de l’Ouest; les professions du secteur des transports — en particulier du transport des matériaux —, les professions des secteurs de l’agriculture, de la foresterie et de la pêche; et les ouvriers non spécialisés (Jenkins et coll., 1993). Un autre aspect important de la surveillance est l’identification des types de lésions corporelles dont la fréquence et la gravité sont les plus élevées, comme cela a été fait, par exemple, aux Etats-Unis, en déterminant les principales causes externes des décès consécutifs à une lésion corporelle liée à la profession (voir figure 56.16). Au niveau de l’entreprise, des problèmes tels que les homicides et les accidents impliquant un véhicule à moteur sont des événements rares et, par conséquent, peu pris en compte par les programmes de sécurité traditionnels. Or, la surveillance a révélé qu’ils figuraient parmi les trois principales causes de décès consécutifs à une lésion corporelle. Pour évaluer l’impact des lésions corporelles non mortelles, il faut mesurer leur gravité si l’on veut interpréter les données de façon significative. Les lésions du dos, par exemple, sont une cause courante d’arrêt de travail, mais rarement une cause d’hospitalisation pour accident du travail.

Les données obtenues grâce à la surveillance ne donnent pas une évaluation complète dans la tradition de la santé publique. Dans les pratiques de la santé publique axée sur la collectivité, en particulier, l’évaluation des besoins et le diagnostic de la collectivité au moyen d’enquêtes, de groupes cibles et d’autres techniques jouent un rôle majeur pour déterminer quels problèmes les collectivités et les travailleurs perçoivent comme importants, quels sont les attitudes, les intentions et les obstacles dominants à l’égard de l’adoption de mesures de prévention, et comment fonctionne réellement une organisation ou une collectivité. Pour un programme de sécurité agricole dans la collectivité, par exemple, il peut être nécessaire d’établir si les exploitants agricoles considèrent ou non les renversements de tracteurs comme un problème critique, quels obstacles — tels que contraintes financières ou manque de temps — peuvent empêcher l’installation de protecteurs, et qui devrait mettre en œuvre une stratégie d’intervention (par exemple, association professionnelle, organisation de jeunesse, association de femmes d’exploitants agricoles). Outre un diagnostic de la communauté, l’évaluation des besoins organisationnels permet de mieux connaître les capacités, la charge de travail et les contraintes d’une organisation et, par conséquent, d’appliquer intégralement les programmes de prévention déjà existants tels que des activités d’un service du ministère du travail (ou de la santé) ou du service de sécurité d’une grande entreprise.

La recherche de l’étiologie ou des causes des incidents et des accidents est une autre étape de l’approche «santé publique» de la lutte contre les lésions corporelles liées à la profession. Les études sur les maladies professionnelles ont été à la base de l’élaboration de programmes de lutte contre ces maladies sur le lieu de travail. La recherche étiologique fait appel à l’épidémiologie pour identifier les facteurs de risque, et aux sciences sociales appliquées pour établir les déterminants des comportements des organisations et des hommes qui créent des situations dangereuses. La recherche épidémiologique s’emploie à recenser les facteurs de risque modifiables au moyen d’études contrôlées, habituellement fondées sur des observations, telles que des études cas-témoins, des études de cohortes, des études de groupe et des études transversales. Comme pour les études épidémiologiques des autres affections aiguës (par exemple, crise d’asthme, arrêt cardiaque soudain), la recherche étiologique sur les lésions corporelles est confrontée à la nécessité d’étudier des événements rares ou récurrents qui sont fortement influencés par des expositions à des situations intervenant immédiatement avant l’événement lui-même (par exemple, une distraction due à un bruit d’impact) et par des constructions sociales et comportementales difficiles à mesurer (par exemple, climat de sécurité, tension professionnelle) (Veazie et coll., 1994). Ce n’est que récemment qu’ont été mises au point des méthodes épidémiologiques et statistiques permettant d’étudier ces types d’événements de santé.

Les études épidémiologiques axées sur l’occurrence des lésions corporelles sont coûteuses et parfois inutiles. C’est le cas, par exemple, lorsqu’on veut connaître l’impact de l’absence de dispositif de protection sur les amputations dues à une machine particulière. Il suffira de faire des enquêtes sur une série de cas. De même, si un comportement individuel facilement mesurable, comme le non-bouclage d’une ceinture de sécurité, est déjà un facteur de risque connu, il est plus utile d’étudier les déterminants du comportement et les moyens d’encourager le port de la ceinture que les lésions corporelles. Cela dit, des études épidémiologiques contrôlées des lésions corporelles et de leur gravité sont nécessaires si l’on veut comprendre divers mécanismes entraînant des baisses difficiles à mesurer des performances de l’individu et des techniques. L’effet de l’exposition au bruit ou du travail posté, par exemple, sur le risque et la gravité des lésions corporelles ne pourra guère être quantifié par l’analyse des cas ou par l’étude de comportements plus faciles à mesurer.

Un examen récent des études sur les facteurs de risque des lésions corporelles a montré que l’on s’intéressait essentiellement à l’être humain (âge, nature de l’emploi, caractéristiques physiques, handicaps et expérience) (Veazie et coll., 1994), les seuls facteurs environnementaux pris en compte étant généralement les caractéristiques de conception ou des risques matériels reconnus. Certaines études examinaient le cadre organisationnel et social. Quelques-unes prenaient en compte des facteurs physiques de contrainte tels que l’exposition à la chaleur et au bruit. Beaucoup de ces études étaient d’une qualité épidémiologique médiocre, et peu ont été répliquées dans des populations différentes. En dehors des causes immédiates les plus évidentes des lésions professionnelles, on sait donc peu de chose sur les facteurs de risque. Il serait utile que les futurs travaux de recherche examinent l’impact, sur les taux de traumatismes, des facteurs de risque prévus par les théories sur l’ergonomie, le stress professionnel, les facteurs humains et le comportement des organisations. Ces facteurs peuvent inclure la conception et l’établissement du programme des tâches, les facteurs psychologiques (par exemple, la surveillance du travailleur, le soutien social, les exigences psychologiques), la structure organisationnelle et le changement (par exemple, l’amélioration continue de la qualité et l’intérêt de la direction pour la sécurité).

L’approche «santé publique» intègre également l’épidémiologie des lésions corporelles aux sciences comportementales appliquées (notamment la promotion de la santé, le comportement en matière de santé et la recherche sur la politique de santé), afin d’identifier, dans l’environnement, les éléments modifiables qui expliquent le comportement dangereux du travailleur et, surtout, les comportements des employeurs et des cadres qui conduisent à la création ou à la persistance de risques. Dans les grandes organisations, il faut également faire des recherches sur le comportement organisationnel et la psychologie industrielle. La phase d’évaluation en santé publique comprend donc une surveillance épidémiologique, des enquêtes approfondies, une évaluation des besoins des collectivités et des organisations, et une recherche étiologique fondée sur l’application de l’épidémiologie et des sciences comportementales.

Les stratégies de prévention

Le choix et la mise en œuvre de mesures de prévention dans une approche «santé publique» de la lutte contre les lésions corporelles s’inspire d’un certain nombre de principes:

1) La nécessité de fonder les mesures de prévention sur une évaluation préalable et sur une évaluation a posteriori . Ce premier principe reconnaît qu’il est important de choisir des interventions destinées à avoir une forte incidence sur la situation sanitaire de la collectivité et qui sont susceptibles d’être appliquées avec succès. Ainsi, les interventions sélectionnées sur la base d’une évaluation approfondie, et non seulement sur le bon sens, auront plus de chances d’être efficaces. Les interventions qui ont fait leurs preuves dans le passé sont encore plus prometteuses. Malheureusement, très peu d’interventions dans le domaine des lésions corporelles liées à la profession ont été évaluées scientifiquement (Goldenhar et Schulte, 1994).

2) L’importance relative des mesures qui protègent automatiquement le travailleur . Le deuxième principe met l’accent sur le continuum protection active-protection passive. La protection active nécessite une action individuelle, répétitive et constante; la protection passive assure une protection relativement automatique. Par exemple, la ceinture de sécurité exige de chaque automobiliste un geste qui met en place la protection toutes les fois qu’il prend son véhicule. Un coussin gonflable, en revanche, protège automatiquement l’occupant d’un véhicule, sans qu’aucun geste soit nécessaire. Les interventions actives exigent une modification durable du comportement individuel; c’est la stratégie de prévention qui a le moins bien réussi jusqu’à présent. Ce principe est semblable à la hiérarchie traditionnelle des contrôles applicables en matière de sécurité au travail, qui met l’accent sur la primauté des moyens de prévention technique sur les mesures organisationnelles de prévention, les équipements de protection individuelle et la formation.

3) La modification du comportement est plus importante que l’éducation . Ce troisième principe reconnaît qu’il est important de modifier les comportements et que tous les risques ne peuvent être éliminés du milieu de travail au stade de la fabrication. La modification du comportement des employeurs, des cadres et des travailleurs est essentielle, non seulement pour la mise en place et le maintien d’une protection passive, mais aussi pour la mise en œuvre de la plupart des autres stratégies de lutte contre les lésions corporelles. Un autre aspect important de ce principe est que l’éducation — instruction traditionnelle, brochures, affiches ou autres formes de sensibilisation — qui a pour unique objectif d’accroître les connaissances, a généralement peu d’effet, à elle seule, sur le comportement. La plupart des théories du comportement appliquées en promotion de la santé mettent l’accent sur divers facteurs autres que la prise de conscience d’un risque physique ou de la nécessité d’adopter un comportement sûr. Le modèle de «croyance en la santé», par exemple, souligne qu’un comportement autoprotecteur est essentiellement influencé par la perception, que ce soit celle du risque, de la gravité des conséquences ou encore celle des avantages et des inconvénients d’une action de protection (Green et Kreuter, 1991).

Si des messages éducatifs crédibles peuvent modifier certaines de ces perceptions, le moyen le plus efficace d’y parvenir est parfois d’agir sur l’environnement physique et social. Par exemple, on peut revoir la conception de l’équipement et de l’environnement physique de manière à rendre les comportements sûrs plus faciles, plus rapides, plus confortables ou plus souhaitables que les comportements dangereux ou accidentogènes. Si, dans un atelier, on dispose les machines de façon qu’il soit difficile et inutile de passer par des zones dangereuses, on réduira ce type de comportement à risque. De même, des casques de chantier confortables et valorisant l’image des travailleurs du bâtiment auront des chances d’être portés plus souvent.

On peut aussi agir sur l’environnement social pour changer les comportements. Par exemple, l’application de la loi est une autre stratégie ambitieuse qui influe sur les comportements et qui va au-delà de la seule éducation. Ainsi, les lois imposant le port de la ceinture de sécurité et l’utilisation de sièges de sécurité pour les enfants en bas âge ont fait baisser considérablement le nombre de tués dans des accidents de la circulation aux Etats-Unis. On connaît moins bien les effets de la législation sur la sécurité du travail, à l’exception notable de la forte diminution attestée des accidents mortels dans l’industrie minière aux Etats-Unis, à la suite de l’entrée en vigueur de la loi fédérale de 1969 sur la sécurité et la santé dans les mines de charbon (Federal Coal Mine Health and Safety Act) (voir figure 56.17). Il est vrai que les ressources et les moyens administratifs mis en œuvre pour faire respecter cette loi sont beaucoup plus importants que ceux dont disposent la plupart des autres organismes (Weeks, 1991).

Figure 56.17 Les effets de la réglementation applicable à l'extraction de charbon sur les
taux de mortalité dans les mines souterraines, Etats-Unis, 1950-1990

Figure 56.17

Une formation à la sécurité au travail bien conçue comporte souvent une modification de l’environnement social au moyen d’une modélisation des rôles, d’incitations et d’un retour d’information sur la performance en matière de sécurité (Johnston, Cattledge et Collins, 1994). Un autre type de formation, l’éducation de la main-d’œuvre, représente un environnement social modifié (Wallerstein et Baker, 1994), qui donne aux travailleurs le pouvoir de reconnaître les risques et de modifier le comportement de leur employeur pour qu’il les réduise. Si, en général, la formation des employeurs et des travailleurs n’est pas suffisante à elle seule, elle constitue le plus souvent une composante indispensable de tout programme de prévention des lésions corporelles (Gielen, 1992). Il est important aussi d’éduquer le législateur, les décideurs, les dispensateurs de soins de santé et d’autres spécialistes pour engager de façon durable des actions de prévention des accidents à l’échelle d’une collectivité. Les interventions ont en effet le plus de chances de réussir si elles procèdent d’une approche multiforme associant modifications de l’environnement, changement de politique et éducation (National Committee for Injury Prevention and Control, 1989).

4) L’examen systématique de toutes les options disponibles, y compris de celles qui permettent de réduire non seulement la fréquence des lésions corporelles, mais aussi leur gravité et leurs conséquences à long terme . Le quatrième principe est que le processus de sélection des interventions devrait prendre systématiquement en considération un large éventail d’options. C’est non pas en fonction de l’importance relative ou de la précocité des facteurs causatifs dans la séquence des événements qu’on devrait choisir les mesures, mais en fonction de leur efficacité en matière de prévention des lésions corporelles. Haddon (1972) a proposé une matrice pour prendre systématiquement en compte les différentes options. Cette matrice montre que les interventions axées sur l’être humain, sur les véhicules susceptibles de transférer une énergie préjudiciable (par exemple, une automobile, une machine) ou sur l’environnement physique ou psychosocial peuvent empêcher des lésions corporelles avant, pendant et après l’événement. Le tableau 56.2 illustre comment on peut appliquer la matrice de Haddon au problème de la prévention des accidents dus à des véhicules à moteur, qui sont dans de nombreux pays la principale cause de décès liés à la profession.

Tableau 56.2 La matrice de Haddon appliquée aux accidents de véhicules à moteur

Phases

Facteurs

 

Humains

Véhicules et équipement

Environnement

Avant l’événement

Eduquer la population afin de l’inciter à utiliser les ceintures de sécurité et les dispositifs de protection des enfants

Freins et pneus en bon état

Amélioration de la conception des routes; restrictions sur la publicité pour les boissons alcoolisées et interdiction de la vente de ces boissons dans les stations-service

Pendant l’événement

Prévention de l’ostéoporose afin de réduire les risques de fracture

Coussins gonflables et systèmes permettant de rendre le véhicule plus résistant en cas de collision

Poteaux électriques escamotables et glissières de sécurité

Après l’événement

Traitement de l’hémophilie et des autres troubles susceptibles de nuire à la guérison

Conception sûre du réservoir à essence afin d’empêcher sa rupture et un incendie

Soins médicaux d’urgence bien adaptés à la situation et soins de réadaptation de qualité

Source: National Committee for Injury Prevention and Control, 1989.

Les interventions traditionnelles, en matière de sécurité au travail, ont lieu le plus souvent au cours de la phase préévénementielle pour prévenir le déclenchement d’un incident susceptible de provoquer une lésion corporelle (par exemple, un accident). Les interventions pendant la phase événementielle, comme la construction de véhicules plus résistants aux collisions ou l’utilisation de harnais de sécurité pour les travaux en hauteur, n’empêchent pas les accidents, mais réduisent la probabilité des lésions corporelles et leur gravité. Après l’événement — les voitures entrées en collision se sont immobilisées ou le travailleur a cessé de tomber —, les interventions telles que les premiers secours et l’acheminement rapide vers un établissement chirurgical cherchent à limiter les conséquences de la lésion corporelle pour la santé (c’est-à-dire la probabilité de décès ou d’incapacité de longue durée).

Dans l’approche «santé publique», il est important de ne pas s’enfermer dans l’une des phases de la matrice. De même qu’une lésion corporelle a des causes multiples, de même les stratégies de prévention devraient viser autant de phases et d’aspects de la lésion que possible (mais pas nécessairement tous). La matrice de Haddon, par exemple, met l’accent sur le fait que la lutte contre les lésions corporelles ne se limite pas à la prévention des accidents. En fait, nombre de nos stratégies de lutte les plus efficaces n’empêchent pas les accidents, ni même les lésions corporelles, mais elles peuvent réduire considérablement leur gravité. Les ceintures de sécurité et les coussins gonflables dans une voiture, les casques sur les chantiers, les dispositifs antichute dans la construction, les structures de protection contre le renversement des machines agricoles et les fontaines de lavage d’urgence des yeux dans les laboratoires ne sont que quelques-uns des exemples de stratégies applicables pendant la phase événementielle qui ne concourent en rien à empêcher un accident de se produire. En revanche, elles réduisent la gravité des lésions corporelles une fois l’accident déclenché. Même après des lésions anatomiques, on peut encore faire beaucoup pour réduire le risque de décès et d’incapacité de longue durée. Aux Etats-Unis, on a estimé que de nombreux décès consécutifs à une lésion corporelle majeure pourraient être évités grâce à des systèmes réduisant au minimum le temps qui s’écoule entre le traumatisme et les soins chirurgicaux définitifs. Ce cadre plus large est celui de la «lutte contre les lésions corporelles», qui va bien au-delà de la prévention traditionnelle des accidents, ce qu’illustre la formule courante «les lésions corporelles n’arrivent pas par accident». Elles peuvent être prévues et leur impact sur la société peut être maîtrisé.

Un autre schéma utile souvent appliqué pour examiner systématiquement les options de lutte contre les lésions corporelles est représenté par les dix contre-mesures de Haddon (Haddon, 1973), dont le tableau 56.3 donne une illustration en prenant comme exemple les chutes dans le secteur du bâtiment. Il apparaît que toutes ne seront pas applicables à certains problèmes.

Tableau 56.3 Stratégie des dix contre-mesures de Haddon appliquée aux lésions dues à
des chutes dans le secteur du bâtiment

Contre-mesure

Intervention (et observations correspondantes)

Empêcher la formation du risque

En cas de doute, ne pas construire — option généralement impraticable

Réduire la probabilité de matérialisation du risque

Réduire la hauteur du projet de construction et la ramener au-dessous des niveaux critiques — option habituellement impraticable, quoique possible dans certaines zones de travail

Empêcher que le risque se matérialise

Installer des surfaces antidérapantes sur les toits et autres parties situées en hauteur

Modifier le niveau de matérialisation du risque en s’attaquant à ses sources

Utiliser des rampes et filets de sécurité

Séparer le risque du travailleur, à la fois dans le temps et dans l’espace

Ne pas prévoir ni organiser un passage de personnel (à pied) dans des endroits où il existe des risques de chute jusqu’à ce que ces risques aient été éliminés

Séparer le risque du travailleur par des obstacles physiques

Installer des rails de sécurité sur les surfaces en hauteur

Modifier les propriétés fondamentales du risque

Enlever les pièces ou projections coupantes ou anguleuses des sols sur lesquels les travailleurs risquent de tomber — faisable seulement pour les très faibles hauteurs

Rendre le travailleur aussi résistant que possible aux lésions

Fournir, par exemple, des casques de sécurité

Commencer à lutter contre les dommages dus à la matérialisation du risque

Dispenser les premiers secours

Stabiliser, traiter et réadapter le travailleur

Mettre au point un système régionalisé de traumatologie; assurer une réadaptation et un recyclage efficaces

5) L’implication de la collectivité, des travailleurs et de l’encadrement . Le cinquième principe est l’importance de l’implication de la population cible (collectivité, travailleurs, cadres) dans le choix et la mise en œuvre des stratégies d’intervention. Le coût, la faisabilité, la commodité et l’acceptabilité peuvent constituer autant d’obstacles à la mise au point de stratégies de prévention efficaces (Schelp, 1988).

L’évaluation a posteriori en santé publique

L’évaluation a posteriori, en sciences sociales appliquées et en épidémiologie, est «un processus visant à déterminer aussi systématiquement et objectivement que possible la pertinence, l’efficacité et l’impact des activités en fonction de leurs objectifs» (Last, 1988). L’évaluation (a posteriori) est une composante essentielle de la pratique de la santé publique. Elle s’effectue à deux niveaux. Le premier niveau repose sur des systèmes de surveillance permettant de déterminer si des collectivités entières ont ou non atteint leurs objectifs en matière de réduction des maladies et des accidents, sans essayer de déterminer les causes des changements observés. Aux Etats-Unis, par exemple, les administrations au niveau fédéral, au niveau des Etats et au niveau local s’étaient fixé des objectifs pour l’an 2000. L’un de ces objectifs était de ramener à 6 cas pour 100 travailleurs à plein temps et par an le nombre des lésions corporelles liées à la profession qui entraînent un traitement médical, un arrêt de travail ou une activité professionnelle réduite. Les progrès enregistrés dans ce sens seront suivis par les systèmes de surveillance nationaux existants.

Le second niveau de l’évaluation est axé sur la détermination de l’efficacité des politiques, programmes et interventions spécifiques à laquelle on procède idéalement par des études expérimentales ou quasi expérimentales contrôlées. Mohr et Clemmer (1989), par exemple, ont comparé des séries chronologiques de taux de lésions corporelles sur les plates-formes de forage pétrolier en mer qui avaient adopté une nouvelle technologie pour aider les travailleurs à relier les tiges de forage entre elles, et sur les plates-formes qui n’en disposaient pas. S’il est vrai que les taux de lésions corporelles étaient en baisse pendant la période d’installation du nouvel équipement, les auteurs ont été en mesure d’attribuer au nouvel équipement de sécurité une diminution annuelle de 6 accidents pour 100 travailleurs et de démontrer que les économies résultant de la prévention permettaient de récupérer entièrement le capital initial et les frais d’installation en 5,7 ans. Malheureusement, ce type d’évaluation scientifique des programmes et des interventions dans le domaine de la sécurité et de la santé au travail est rare et la méthodologie est souvent défaillante (Goldenhar et Schulte, 1994).

Résumé

Le programme susmentionné montre bien les différentes composantes de l’approche «santé publique» de la réduction des lésions corporelles sur le lieu de travail. L’appréciation du problème et la mise sur pied d’un système de surveillance continue ont constitué une partie essentielle de cette étude et des études antérieures consacrées par les auteurs aux accidents sur les plates-formes de forage pétrolier. L’élaboration ultérieure d’une stratégie simple de prévention par des moyens techniques a été suivie d’une stratégie d’évaluation rigoureuse comprenant une évaluation des économies de coûts. Ces études ont été le pivot de l’approche «santé publique» de la prévention d’autres maladies professionnelles. A l’avenir, l’intégration de la prévention des accidents du travail dans les phases d’évaluation préalable, d’intervention et d’évaluation a posteriori de la pratique de santé publique pourra contribuer de façon importante à accroître l’efficacité de la protection et de la promotion de la santé dans la collectivité.

LES PRINCIPES THÉORIQUES DE LA SÉCURITÉ AU TRAVAIL

Reinald Skiba

Cet article traite des principes théoriques de la sécurité au travail et des principes généraux de la prévention des accidents. Il ne couvre pas les maladies professionnelles qui, bien qu’ayant un rapport avec les accidents, en sont différentes à de nombreux égards.

La théorie de la sécurité au travail

La sécurité au travail fait intervenir un réseau de relations entre des individus et leur travail; des matériaux, des équipements et des machines; l’environnement; et des considérations économiques telles que la productivité. Dans l’idéal, le travail devrait être salubre et non dangereux, et ne pas présenter de difficulté déraisonnable. Pour des raisons économiques, il faut atteindre un niveau de productivité aussi élevé que possible.

La sécurité au travail devrait commencer dès le stade de la planification et se poursuivre tout au long des différentes étapes de la production. Autrement dit, les conditions qu’elle requiert doivent être énoncées avant que le travail commence et être appliquées pendant tout le cycle de travail, de façon que les résultats puissent être évalués, notamment à des fins de rétro-information. La responsabilité qui revient aux cadres de préserver la sécurité et la santé de ceux qui sont engagés dans le processus de production devrait également être prise en compte au stade de la planification. Dans le processus de fabrication, il y a interaction entre des êtres humains et des objets (le terme objet étant employé ici au sens large, comme élément du «système humain-(machine)-environnement». Il comprend non seulement les instruments de travail techniques, les machines et les matériaux, mais aussi tous les éléments environnants, tels que les sols, les escaliers, le courant électrique, le gaz, les poussières, l’atmosphère, etc.).

Les relations entre le travailleur et son travail

Les trois types de relations possibles suivantes entrant en jeu dans le processus de fabrication montrent comment les incidents (et plus particulièrement des accidents) entraînant des dommages corporels et des conditions de travail dangereuses sont des effets fortuits de la mise en présence d’individus et d’un environnement de travail objectif à des fins de production.

  1. La relation entre le travailleur et l’environnement de travail objectif est optimale. Cela signifie bien-être, sécurité au travail et des méthodes économisant le travail pour les travailleurs, et fiabilité des parties objectives du système, telles que les machines. Cela signifie aussi absence de défauts, d’accidents, d’incidents, de quasi-accidents (incidents potentiels), de lésions corporelles. Le résultat est une meilleure productivité.
  2. Le travailleur et l’environnement de travail objectif sont incompatibles . Cette situation peut être due au fait que l’intéressé n’est pas qualifié, que les équipements ou les matériaux ne sont pas adaptés à la tâche ou que l’opération est mal organisée. En conséquence, le travailleur est, sans que cela soit voulu, surchargé de travail ou sous-utilisé. Les parties objectives du système, telles que les machines, risquent de devenir peu fiables. Il en résulte de mauvaises conditions de sécurité et des situations dangereuses susceptibles de provoquer des quasi-accidents et des incidents mineurs entraînant des retards et une baisse de la production.
  3. La relation entre le travailleur et l’environnement de travail objectif est totalement interrompue et il s’ensuit une perturbation qui entraîne des dommages matériels ou corporels empêchant de poursuivre la production . Cette relation se rattache spécifiquement à la question de la sécurité au travail comprise au sens où il s’agit d’éviter des accidents.

Les principes de la sécurité au travail

Compte tenu du fait évident que les problèmes liés à la prévention des accidents ne peuvent être résolus de façon isolée, mais seulement si l’on considère leur relation avec la production et l’environnement de travail, on peut déduire les principes suivants pour la prévention des accidents:

  1. La prévention des accidents doit être intégrée à la planification de la production, le but étant d’éviter des perturbations.
  2. L’objectif ultime est d’assurer une production rencontrant aussi peu d’obstacles que possible, ce qui se traduit non seulement par la fiabilité et l’élimination des défauts, mais aussi par le bien-être des travailleurs, des méthodes économisant le travail, et la sécurité au travail.

Voici quelques-unes des pratiques, parmi beaucoup d’autres, auxquelles on fait souvent appel sur les lieux de travail pour assurer la sécurité et qui sont nécessaires pour une production dépourvue de perturbation:

Les principes suivants sont importants si l’on veut comprendre comment les concepts de la prévention des accidents sont associés à une production non perturbée:

  1. La prévention des accidents est parfois considérée comme un fardeau social et non comme une composante essentielle de la prévention des perturbations. Or, cette dernière est une meilleure motivation, car on en attend une amélioration de la production.
  2. Les mesures destinées à assurer la sécurité au travail doivent être intégrées aux mesures appliquées pour assurer une production non perturbée. Par exemple, les instructions relatives aux risques encourus doivent faire partie intégrante des consignes générales concernant le flux de production sur le lieu de travail.

La théorie des accidents

Un accident (y compris ceux qui provoquent des lésions corporelles) est un événement subit et inopportun, dû à une influence externe, qui cause des dommages aux personnes et résulte de l’interaction entre des personnes et des objets.

On associe souvent la notion d’accident sur le lieu de travail à celle de dommages corporels. Lorsqu’une machine subit des dégâts, on a tendance à parler de dommages matériels ou de perturbation, mais pas d’accident. Les atteintes à l’environnement sont fréquemment qualifiées d’incidents. Les accidents, incidents et perturbations qui ne provoquent pas de dommages corporels ou matériels sont appelés «quasi-accidents». Ainsi, bien que l’on puisse juger légitime de parler d’accident lorsqu’il y a dommage corporel, et de définir séparément les termes incident, perturbation et dommage matériel quand on a affaire à des objets et à l’environnement, tous ces événements seront désignés ci-après comme étant des accidents.

Le modèle conceptuel qui correspond à cette définition du terme accident indique que les accidents du travail résultent d’une interaction travailleurs-objets qui libère de l’énergie. La cause d’un accident peut tenir aux caractéristiques de la victime (par exemple, incapacité à exécuter le travail de façon sûre) ou de l’objet (par exemple, équipement dangereux ou inadapté). La cause peut également être un autre travailleur (qui fournit une information erronée), un supérieur hiérarchique (qui donne des instructions incomplètes) ou un formateur (qui dispense une formation incomplète ou inexacte). On peut déduire ce qui suit pour la prévention des accidents.

Si l’on prend pour hypothèse que les travailleurs et leur environnement objectif peuvent être porteurs de risques ou de dangers, la prévention des accidents, pour l’essentiel, consiste à éliminer ces risques ou dangers, ou à en éviter les conséquences en en éloignant les travailleurs ou en limitant au minimum les effets de l’énergie.

Les dangers et les risques potentiels

Bien qu’un objet puisse présenter des dangers ou des risques, si le travailleur et l’objet sont si éloignés l’un de l’autre qu’ils ne peuvent entrer en contact, il n’y a pas d’accident possible. Par exemple, si une charge présente un danger parce qu’elle est suspendue à une grue qui la déplace, elle ne peut pas provoquer d’accident tant que personne ne se trouve pas sous la grue. Ce n’est que si un travailleur pénètre dans la zone surplombée par la charge qu’il s’expose à un risque ou à un danger réel, car une interaction entre le travailleur et l’objet devient alors possible. Il faut noter que des objets peuvent également être dangereux pour d’autres objets, par exemple pour les véhicules garés sous la grue. Le risque , défini comme un moyen de quantifier le danger, est le produit de la fréquence attendue du dommage et de son ampleur attendue. Le risque d’accident est donc le produit de la fréquence attendue des accidents (fréquence relative des accidents) et de leur gravité attendue. La fréquence relative des accidents est le nombre d’accidents par risque-temps (nombre d’accidents pour 1 million d’heures de travail ou nombre de lésions corporelles par année de travail). La gravité d’un accident peut être exprimée quantitativement par le temps perdu (par exemple, le nombre de journées de travail perdues), la catégorie de lésions corporelles (accident mineur ou ne nécessitant que les premiers secours, accident devant faire l’objet d’une déclaration, lésions entraînant un arrêt de travail et accident mortel), le type de lésions et son coût. Les données sur les risques devraient être enregistrées empiriquement et en termes de pronostic théorique.

Les risques d’accidents diffèrent selon les lieux de travail et les conditions dans lesquelles ils existent. Par exemple, les risques associés aux forages pétroliers, pour les mêmes travailleurs utilisant le même matériel, diffèrent considérablement en fonction du lieu (forage à terre ou en mer) et du climat (prospection dans l’Arctique ou dans le désert). Le niveau de risque d’accident dépend de plusieurs facteurs:

L’acceptation des risques d’accidents varie elle aussi considérablement. Un risque élevé paraît être acceptable pour la circulation routière, alors que l’on constate une tolérance zéro dans le domaine de l’énergie nucléaire. Pour les besoins de la prévention des accidents, il en découle que l’élément moteur est l’acceptation la plus faible possible du risque d’accident.

Les causes des accidents

L’occurrence d’un accident exige une classification sur une échelle allant de la cause à l’effet. Il faut distinguer trois niveaux:

La cause est ce qui produit l’accident. Presque tous les accidents ont de multiples causes, telles que conditions dangereuses, conjonction de facteurs, enchaînement d’événements, omissions, etc. Par exemple, l’explosion d’une chaudière peut avoir l’une ou plusieurs des causes suivantes: matériaux de la cuve défectueux, insuffisance de la formation nécessaire pour assurer un fonctionnement sûr, défaillance d’une soupape de surpression, ou non-respect d’un mode opératoire tel que la surchauffe. En l’absence de l’une ou de plusieurs de ces déficiences, il n’y aurait peut-être pas eu d’accident. D’autres conditions, qui n’ont pas de rôle causal, devraient être considérées séparément. Dans l’ensemble pris ici, il peut s’agir d’informations sur le moment, la température ambiante et les dimensions de la salle des chaudières.

Il est important de faire une distinction entre les facteurs liés au processus de production, les causes de l’accident liées au travailleur (conduite de l’opérateur), à l’organisation (procédures ou politiques de sécurité) et les causes techniques (modification de l’environnement et dysfonctionnement des objets). En dernière analyse, cependant, tout accident est dû à la conduite fautive de l’individu, car ce sont toujours des êtres humains qui se trouvent au bout de la chaîne causale. S’il s’avère par hypothèse que la chaudière a explosé parce que ses matériaux étaient défectueux, il y a eu conduite fautive de la part de l’entrepreneur, du fabricant, du constructeur, de l’installateur ou du propriétaire (par exemple, corrosion due à un entretien insuffisant). A strictement parler, il n’existe pas de «défaillance technique» ou de «cause technique» d’un accident. La technique n’est qu’un intermédiaire entre une conduite inadaptée et ses conséquences. Néanmoins, la classification usuelle des causes en comportementales, techniques et organisationnelles est utile, car elle permet de déterminer quel groupe de personnes a eu une conduite fautive et de choisir les mesures correctrices qui s’imposent.

Comme on l’a dit plus haut, la plupart des accidents résultent d’une combinaison de causes.

Prenons le cas d’une personne qui glisse sur une flaque d’huile dans un passage sombre, non éclairé, et heurte le bord coupant d’une pièce de rechange posée là, se blessant à la tête. Les causes immédiates de l’accident sont l’éclairage insuffisant du passage, le sol dangereux (flaque d’huile), des semelles de chaussures à trop grande glissance, l’absence de protection de la tête, et l’emplacement fautif de la pièce de rechange. Il n’y aurait pas eu d’accident si la combinaison de toutes ces causes avait été éliminée ou si la chaîne causale avait été rompue. Une prévention efficace des accidents suppose donc la reconnaissance de la chaîne causale et sa rupture, pour que l’accident ne puisse plus se produire.

Les effets des contraintes et des tensions

La mécanisation et l’automatisation des procédés de production ont considérablement progressé ces dernières années. Il semblerait que les causes de nombreux accidents soient désormais moins liées à l’erreur humaine qu’à des problèmes de maintenance et d’interface avec les processus automatisés. Ces conséquences positives de la technologie sont cependant contrebalancées par d’autres, négatives, en particulier l’augmentation des tensions psychologiques et les contraintes physiques — ergonomiques — qui les accompagnent, du fait de l’attention et des responsabilités accrues qu’exigent la surveillance des processus automatisés, un environnement de travail impersonnel et la monotonie des tâches. Ces tensions et contraintes augmentent la fréquence des accidents et peuvent être préjudiciables à la santé.

  1. Les contraintes sont des effets qui ont leur origine sur le lieu de travail; elles peuvent être dues à l’environnement (température, chaleur, humidité, lumière, bruit et pollution de l’air), ou être statiques ou dynamiques et résulter directement du processus (levage, escalade, exposition à des produits chimiques, etc.). Les niveaux de contrainte peuvent être mesurés physiquement (bruit, force, expositions atmosphériques, etc.), mais les facteurs de contrainte (fatigue, stress psychologique, relations travailleurs-cadres, etc.) ne peuvent l’être.
  2. Les tensions imposées dépendent de leur nature et de leur intensité, ainsi que de la capacité de chacun à les supporter. Leurs effets se manifestent sur les plans physique et psychologique. Ils peuvent être souhaitables ou non, selon leur type et leur degré. Les effets non souhaitables, tels que l’épuisement physique et psychologique, l’irritation au travail, la maladie, le manque de coordination et de concentration, et un comportement dangereux entraînent un risque accru d’accident.

Du point de vue de la prévention des accidents, il s’ensuit que des employés compétents, capables et volontaires, devraient être en mesure, physiquement et psychologiquement, de travailler dans des conditions de sécurité, à condition que n’intervienne aucun facteur extérieur tel qu’un équipement mal adapté, un environnement ou des conditions de travail insatisfaisantes. On peut améliorer la sécurité en organisant le processus de travail de façon à y inclure des stimulants efficaces, par exemple des changements programmés d’emploi, un élargissement des responsabilités et un enrichissement des tâches.

Les quasi-accidents

Une bonne partie des pertes de production est due à des perturbations prenant la forme de quasi-accidents, qui forment la base de l’occurrence des accidents. Toutes les perturbations n’ont pas de répercussions sur la sécurité au travail. Les quasi-accidents sont des événements ou incidents n’ayant pas provoqué de dommages corporels ou matériels, mais qui, s’ils en avaient provoqué, seraient classés comme accidents. Par exemple, l’arrêt intempestif d’une machine sans conséquence pour l’équipement ou le travail est considéré comme un quasi-accident. En outre, la perturbation peut provoquer un autre quasi-accident si la machine se remet brusquement en marche alors qu’un travailleur se trouve à l’intérieur pour essayer de déterminer la cause de l’arrêt, mais n’est pas blessé.

La pyramide des accidents

Les accidents sont des événements relativement rares et, en général, plus ils sont graves et moins ils sont fréquents. Les quasi-accidents forment la base de la pyramide des accidents et les accidents mortels en sont le sommet. Si l’on retient le temps perdu comme critère de gravité, on observe une concordance assez étroite avec la pyramide des accidents (il peut y avoir un léger écart dû aux critères de déclaration dans les différents pays, entreprises et juridictions).

La pyramide peut être très différente selon le type ou la classification des accidents. Par exemple, les accidents impliquant l’électricité sont d’une gravité disproportionnelle. Un classement par profession montre que certains types d’activité donnent lieu à beaucoup plus d’accidents graves que d’autres. Dans les deux cas, le sommet de la pyramide est massif en raison de la proportion relativement élevée d’accidents graves et mortels.

Pour ce qui est de la prévention, il découle de la pyramide:

  1. qu’il faut commencer par éviter les quasi-accidents;
  2. que l’élimination des accidents mineurs a généralement un effet positif sur l’élimination des accidents graves.

La prévention des accidents

Les différentes voies de la prévention des accidents, pour assurer la sécurité au travail, sont les suivantes:

  1. Eliminer le risque ou le danger de manière qu’il n’y ait plus de dommages corporels ou matériels possibles.
  2. Séparer le travailleur (ou l’équipement) et le risque (ce qui revient à éliminer le risque). Le danger subsiste, mais il n’y a plus de dommages corporels (ou matériels) possibles, puisqu’on a fait en sorte qu’il n’y ait pas d’intersection entre les zones d’influence naturelles des travailleurs (de l’équipement) et de l’objet (risque ou danger).
  3. Fournir une protection, par exemple un système anti-incendie, des vêtements de protection et des masques à gaz, afin de limiter le risque au minimum. Le risque existe toujours, mais la possibilité de dommages corporels ou matériels est réduite, car la protection limite au minimum la probabilité de concrétisation.
  4. S’adapter au risque en prévoyant des mesures telles que des systèmes d’alerte, des équipements de surveillance, une information sur les dangers, la motivation pour un comportement sécuritaire, la formation et l’éducation.

Résumé

En 1914, Max Planck (physicien allemand, 1858-1947) a dit: «Dans toute science, l’objectif le plus élevé est de chercher l’ordre et la continuité à partir de l’abondance des expériences et des faits individuels, de manière, en comblant les lacunes, à les intégrer dans une vision cohérente.» Ce principe s’applique également aux questions scientifiques et pratiques complexes de la sécurité au travail, non seulement parce qu’elles touchent à de multiples disciplines, mais aussi parce qu’elles ont elles-mêmes de multiples aspects. Bien qu’il soit difficile, pour cette raison, de systématiser les nombreux problèmes que pose la sécurité au travail, il est nécessaire d’organiser comme il convient les différentes questions en fonction de leur importance et de leur contexte, et de présenter des options efficaces pour améliorer la sécurité au travail.

LES PRINCIPES DE LA PRÉVENTION: L’INFORMATION SUR LA SÉCURITÉ

Mark R. Lehto et James M. Miller

Les sources d’information sur la sécurité

Dans le monde entier, les fabricants et les employeurs fournissent aux travailleurs un volume considérable d’informations sur la sécurité, à la fois pour encourager les comportements sécuritaires et pour décourager les comportements dangereux. Ces informations ont des sources diverses — règlements, codes et normes, pratiques industrielles, cours de formation, fiches de données de sécurité (FDS), procédures écrites, panneaux de mise en garde, étiquetage des produits et manuels d’instruction — qui diffèrent par leurs objectifs en matière de comportement, leurs destinataires, leur contenu, leur niveau de détail, leur format et leur mode de présentation. Chaque source peut également concevoir son information de manière que celle-ci corresponde aux différentes phases de l’exécution d’une tâche au sein d’une séquence accidentelle potentielle.

Les quatre phases de la séquence accidentelle

Les objectifs visés, en matière de comportement, par les différentes sources d’information sur la sécurité correspondent naturellement aux quatre phases de la séquence accidentelle (voir tableau 56.4).

Tableau 56.4 Objectifs et exemples de sources d'information sur la sécurité,
correspondant à la séquence accidentelle

 

Avant l’exécution de la tâche

Etape dans la séquence de l’accident

   

Exécution de tâches courantes

Exécution de tâches dans une situation anormale

Conditions de l’accident

Objectifs
(comportementaux)

Eduquer et convaincre le travailleur du type et du niveau de risque, des précautions à prendre, des mesures correctrices et des procédures d’urgence

Enjoindre les travailleurs ou leur rappeler de suivre les procédures de sécurité ou de prendre des précautions

Alerter le travailleur sur le caractère anormal de la situation. Préciser les actions spécifiques indispensables

Indiquer les emplacements de l’équipement de sécurité et de premiers secours, les issues de secours et les procédures d’urgence

Exemples de sources

Manuels, vidéos ou programmes à vocation didactique, programmes de communication sur les risques, fiches de données de sécurité (FDS), campagnes de sensibilisation, rétro-information sur la performance en matière de sécurité

Manuels d’instruction, aides à l’exécution des tâches, listes de contrôle, procédures écrites, panneaux et étiquettes de mise en garde

Signaux d’avertissement visuels, sonores ou olfactifs. Etiquettes temporaires, panneaux, barrières ou interdictions d’accès

Panneaux d’information sur la sécurité, étiquettes et marquages, fiches de données de sécurité

Première phase . Dans la première phase, avant l’exécution de la tâche, les sources d’information utilisées, telles que manuels de formation à la sécurité, programmes d’information sur les risques et divers types de moyens d’enseignement de sécurité (y compris affiches et campagnes de sensibilisation) ont un objectif d’éducation (apprendre quels sont les risques) et de persuasion (adopter un comportement sécuritaire). Il s’agit non seulement de limiter les erreurs en améliorant les connaissances et les compétences des travailleurs, mais aussi de réduire les violations volontaires des règles de sécurité en modifiant les attitudes dangereuses. Ce sont souvent des travailleurs inexpérimentés qui sont visés dans cette première phase, et c’est pourquoi l’information sur la sécurité est beaucoup plus détaillée que dans les autres phases. Il est indispensable de pouvoir compter sur une main-d’œuvre suffisamment qualifiée et motivée si l’on veut que l’information sur la sécurité soit efficace dans les trois phases suivantes de la séquence accidentelle.

Deuxième phase . Pendant la deuxième phase, des sources telles que les procédures écrites, les listes de contrôle, les instructions, les panneaux avertisseurs et l’étiquetage des produits peuvent fournir des informations cruciales pour la sécurité dans l’exécution des tâches courantes. Il s’agit généralement d’énoncés brefs qui enseignent aux travailleurs moins qualifiés ou rappellent aux travailleurs qualifiés de prendre les précautions nécessaires. De tels rappels peuvent aider les travailleurs à ne pas oublier de prendre des précautions ou d’accomplir certains gestes dans l’exécution d’une tâche. Des panneaux avertisseurs bien placés peuvent jouer un rôle similaire, par exemple, à l’entrée d’un chantier, un panneau indiquant que le port du casque est obligatoire.

Troisième phase . Dans la troisième phase, des sources d’information bien visibles et faciles à percevoir alertent les travailleurs sur une situation anormale ou particulièrement dangereuse. Ce sont par exemple des signaux d’avertissement, des marquages de sécurité, des étiquettes, des panneaux, des barrières ou des interdictions d’accès. Les signaux d’avertissement peuvent être visuels (témoins lumineux, mouvements, etc.), sonores (vibreurs, sirènes, Klaxons, etc.), olfactifs (odeurs), tactiles (vibrations) ou kinesthésiques. Certains sont inhérents aux produits lorsque ceux-ci sont dans des états dangereux (par exemple, l’odeur dégagée à l’ouverture d’un conteneur d’acétone). D’autres, comme le signal de recul des chariots élévateurs, sont intégrés aux machines ou au milieu de travail. Les marquages de sécurité sont des méthodes non verbales d’identification ou de mise en relief des éléments dangereux dans l’environnement (par exemple, peindre en jaune les coins des marches d’escalier ou en rouge les arrêts d’urgence). Les étiquettes de sécurité, les barrières, les panneaux ou les interdictions d’accès sont placés là où existe un risque et sont souvent utilisés pour empêcher les travailleurs de pénétrer dans un secteur ou de mettre en marche une machine en cours d’entretien ou de réparation, ou dans d’autres conditions anormales.

Quatrième phase . Dans la quatrième phase, l’accent est mis sur l’exécution par le travailleur des procédures d’urgence quand se produit l’accident, ou l’application de mesures correctrices immédiatement après l’accident. Des panneaux et marquages de sécurité indiquent de façon visible les informations nécessaires pour la bonne exécution des procédures d’urgence (emplacement des sorties, des extincteurs, des postes de premiers secours, des douches d’urgence, des fontaines de lavage des yeux ou des dispositifs d’urgence). Les étiquettes de sécurité des produits et les fiches de données de sécurité (FDS) peuvent préciser les mesures correctrices et les procédures d’urgence à appliquer.

Cependant, si l’on veut que l’information sur la sécurité soit efficace à toutes les étapes de la séquence accidentelle, il faut d’abord qu’elle soit remarquée et comprise, et si elle a été préalablement apprise, il faut qu’elle revienne en mémoire. Le travailleur doit alors à la fois décider de se conformer au message transmis et être physiquement capable de le faire. Il peut être difficile de remplir toutes ces conditions; c’est pourquoi des directives concernant la conception de l’information sur la sécurité peuvent être utiles.

Les directives et obligations applicables

Traditionnellement, les organismes de normalisation, ceux de réglementation et les tribunaux, par leurs décisions, ont à la fois institué des directives et imposé des obligations en ce qui concerne le moment et le lieu où doit être fournie l’information sur la sécurité. Plus récemment, il y a eu une tendance à élaborer des directives fondées sur des recherches scientifiques concernant les facteurs qui influent sur l’efficacité de l’information de sécurité.

Les obligations légales

Dans la plupart des pays industriels, des règlements officiels rendent obligatoires certaines formes d’information sur la sécurité. Aux Etats-Unis, par exemple, l’Agence pour la protection de l’environnement (Environmental Protection Agency (EPA)) a imposé plusieurs obligations pour l’étiquetage des produits chimiques. Le ministère des Transports a des prescriptions précises concernant l’étiquetage des matières dangereuses pendant le transport. L’Administration de la sécurité et de la santé au travail (Occupational Safety and Health Administration (OSHA)) a promulgué une norme pour les lieux de travail où sont manipulées des matières toxiques ou dangereuses; elle exige une formation, l’étiquetage des conteneurs, des fiches de données de sécurité (FDS) et d’autres mises en garde.

Aux Etats-Unis, le défaut de mise en garde peut également donner matière à poursuites contre les fabricants, les employeurs et autres personnes responsables des lésions subies par les travailleurs. Pour l’établissement des responsabilités, la théorie de la faute examine si le défaut de mise en garde suffisante est considéré comme un comportement déraisonnable, compte tenu: 1) de la prévisibilité du danger par le fabricant; 2) du caractère raisonnable de l’hypothèse selon laquelle l’utilisateur se rendrait compte du danger; 3) du soin avec lequel le fabricant a informé l’utilisateur du danger. La théorie de la responsabilité objective exige seulement que le défaut de mise en garde ait été la cause d’un dommage corporel ou matériel.

Les normes librement acceptées

Il existe de nombreuses normes fournissant des recommandations d’application volontaire concernant la conception et l’utilisation de l’information sur la sécurité. Ces normes ont été mises au point par des groupes ou organismes multilatéraux tels que l’Organisation des Nations Unies (ONU), la Communauté économique européenne (EURONORM), l’Organisation internationale de normalisation (ISO) et la Commission électrotechnique internationale (CEI), et par des groupes nationaux tels que l’Institut américain de normalisation (American National Standards Institute (ANSI)), son homologue britannique, le British Standards Institute (BSI), l’Association canadienne de normalisation, le Deutsches Institut für Normung (DIN) et la Commission japonaise des normes industrielles.

Parmi les normes consensuelles, celles de l’ANSI, aux Etats-Unis, revêtent une importance particulière. Depuis le milieu des années quatre-vingt, l’ANSI a mis au point cinq nouvelles normes relatives aux panneaux et étiquettes de sécurité, et révisé une norme importante. Les nouvelles normes sont: 1) ANSI Z535.1 (1993a); 2) ANSI Z535.2 (1993b); 3) ANSI 535.3 (1993c); 4) ANSI Z535.4 (1993d); et 5) ANSI Z535.5 (1993e). La norme révisée est la norme ANSI Z129.1(1988). L’ANSI a en outre publié le Guide for Developing User Product Information (1990).

Les impératifs de conception

Les normes de sécurité consensuelles et officielles comportent des impératifs de conception pour les éléments suivants:

  1. Fiches de données de sécurité (FDS). La norme de l’OSHA relative à l’information sur les dangers précise que les employeurs doivent disposer sur le lieu de travail d’une FDS pour chaque produit chimique dangereux utilisé. Chaque fiche doit être rédigée en anglais, indiquer la date à laquelle elle a été établie et donner les dénominations commune et scientifique du produit chimique dangereux mentionné. Elle doit en outre préciser: 1) les caractéristiques physiques et chimiques du produit; 2) les risques physiques, y compris les risques d’inflammation, d’explosion et de réaction; 3) les risques pour la santé, y compris les signes et les symptômes d’exposition, et les affections susceptibles d’être aggravées par le produit; 4) la principale voie d’absorption; 5) la limite d’exposition admissible établie par l’OSHA, la valeur seuil fixée par la Conférence américaine des hygiénistes gouvernementaux du travail (American Conference of Governmental Industrial Hygienists (ACGIH)) ou d’autres limites recommandées; 6) les propriétés cancérogènes; 7) les précautions généralement applicables; 8) les mesures de prévention généralement applicables; 9) les procédures d’urgence et de premiers secours; et 10) le nom, l’adresse et le numéro de téléphone d’une personne capable de fournir, le cas échéant, des informations supplémentaires sur le produit chimique dangereux et sur les procédures d’urgence.
  2. Etiquettes et manuels d’instruction . Peu de normes consensuelles précisent actuellement comment concevoir les étiquettes et manuels d’instruction. Les choses changent toutefois rapidement. Le guide susmentionné de la mise au point de l’information sur les produits, de l’ANSI, a été publié en 1990, et plusieurs autres organisations consensuelles sont en train de préparer des projets de documents. Sans trop entrer dans les détails scientifiques, le Conseil de l’ANSI pour la protection des intérêts des consommateurs, qui est responsable de ce guide, a donné aux fabricants des indications raisonnables sur ce qu’il convient de prendre en considération pour l’élaboration de manuels d’instruction ou d’utilisation. Le guide comprend des chapitres intitulés: «Eléments organisationnels», «Illustrations», «Instructions», «Mises en garde», «Normes», «Les mots-clés» et «Liste de contrôle pour la mise au point d’instructions». Bien qu’il soit bref, ce document constitue une première importante.
  3. Symboles de sécurité . Dans le monde entier, de nombreuses normes contiennent des dispositions relatives aux symboles de sécurité. La norme ANSI Z535.3 (1993c), par exemple, concerne en particulier les utilisateurs industriels. Elle présente un choix de symboles dont il a été montré, dans des études antérieures, qu’ils étaient bien compris des travailleurs. Ce qui est peut-être plus important, elle indique les méthodes à suivre pour mettre au point et évaluer les symboles de sécurité. Ses principales dispositions sont les suivantes: 1) les nouveaux symboles doivent être correctement identifiés à l’occasion de tests par au moins 85% des membres d’un groupe d’au moins 50 sujets représentatifs; 2) les symboles qui ne satisfont pas à cette condition ne devraient être utilisés que lorsqu’ils sont accompagnés de messages écrits équivalents; et 3) les employeurs et les fabricants de produits devraient apprendre aux travailleurs et aux utilisateurs la signification des symboles. Il est aussi prévu que les nouveaux symboles mis au point conformément au guide pourront être pris en considération pour une éventuelle inclusion dans les futures révisions de la norme.
  4. Panneaux et étiquettes de mise en garde. Les normes de l’ANSI et d’autres normes contiennent des recommandations très précises concernant la conception des panneaux, des étiquettes de mise en garde et, notamment, les mots-clés et le texte, le codage des couleurs, la typographie, les symboles, l’agencement des différents éléments et l’identification des risques (voir tableau 56.5). Les mots-clés les plus courants recommandés sont: DANGER , pour indiquer le niveau de risque le plus élevé; ATTENTION , pour signaler un risque intermédiaire; PRUDENCE, pour indiquer le niveau de risque le plus faible. Un codage des couleurs doit être utilisé pour associer systématiquement des couleurs à des niveaux de risque particuliers. Par exemple, toutes les normes indiquées au tableau 56.5 utilisent le rouge pour DANGER, le niveau de risque le plus élevé. Presque tous les systèmes font des recommandations expresses concernant la typographie. La recommandation que l’on retrouve le plus souvent dans les différents systèmes est l’utilisation de caractères en linéale. Diverses recommandations sont faites quant à l’utilisation de symboles et de pictogrammes. FMC Corporation et Westinghouse Electric Corporation sont partisans de l’utilisation des symboles pour définir le risque et indiquer son niveau (FMC Corporation, 1985; Westinghouse Electric Corporation, 1981). D’autres normes recommandent l’emploi de symboles uniquement comme compléments. L’agencement des étiquettes donne également lieu à des variations importantes, comme le montre le tableau 56.5. La plupart des normes proposent d’inclure les éléments examinés ci-dessus et fournissent des indications précises sur l’image (contenu graphique ou couleur), le fond (forme, couleur), le cadre (forme, couleur) et le pourtour (forme, couleur). De nombreux systèmes décrivent en outre avec précision la disposition du texte et sont accompagnés de conseils concernant les méthodes d’identification des risques.

Tableau 56.5 Résumé des recommandations de quelques systèmes de mise en garde

Système

Mot-clé

Codage des couleurs

Typographie

Symboles

Dispositions

ANSI Z129.1
Produits chimiques industriels dangereux: étiquetage de précaution (1988)

Danger
Attention
Prudence
Poison
Mots au choix pour les risques «différés»

Non spécifié

Non spécifiée

Tête de mort en complément du texte. Symboles acceptables pour 3 autres types de risques

Agencement de l’étiquette non spécifié; exemples donnés

ANSI Z535.2
Panneaux de sécurité dans l’environnement et dans les entreprises (1993b)

Danger
Attention
Prudence
Avis
[sécurité générale]
[flèches]

Rouge
Orange
Jaune
Bleu
Vert
Comme ci-dessus; sinon noir et blanc selon ANSI Z535.1 (1993a)

Linéale, haut de casse, types de caractères acceptables, hauteur des caractères

Symboles et pictogrammes selon ANSI Z535.1 (1993a)

Définit les mots-clés, le texte, les panneaux de symboles:
1 à 3 modèles,
4 formes pour des utilisations spéciales. Possibilité d’appliquer la norme ANSI Z535.4 (1993d) pour uniformiser

ANSI Z535.4
Panneaux et étiquettes de sécurité pour les produits (1993d)

Danger
Attention
Prudence

Rouge
Orange
Jaune
selon ANSI Z535.1 (1993a)

Linéale, haut de casse, types de caractères suggérés, hauteur des caractères

Symboles et pictogrammes selon ANSI Z535.3 (1993c); également symboles d’avertissement et de sécurité SAE J284

Définit le mot-clé, le message, les pictogrammes, du général au particulier. Possibilité d’appliquer la norme ANSI Z535.2 (1993b) pour uniformiser. Appliquer la norme ANSI Z129.1 (1988) pour les risques chimiques

Directives NEMA:
NEMA 260 (1982)

Danger
Attention

Rouge
Rouge

Non spécifiée

Symbole du choc électrique

Définit le mot-clé, le risque, ses conséquences, les instructions, le symbole. Pas d’ordre spécifié

Panneaux de sécurité SAE J115 (1979)

Danger
Attention
Prudence

Rouge
Jaune
Jaune

Linéale, haut de casse

Présentation permettant la présence de symboles; symboles pictogrammes spécifiques non prescrits

Définit 3 domaines: panneaux contenant le mot-clé, pictogrammes et message. Agencement du général au particulier

Norme ISO R557 (1967), remplacée par ISO 3864 (1984)

Aucun. 3 types d’étiquettes:
Stop/interdiction
Obligation
Attention



Rouge
Bleu
Jaune

Message ajouté au-dessous si nécessaire

Symboles et pictogrammes

Le pictogramme ou le symbole est placé à l’intérieur du cadre approprié, avec un message en dessous le cas échéant

OSHA 1910.145 Spécifications pour les panneaux et étiquettes mobiles de prévention des accidents (1985a)

Danger
Attention (étiquettes seulement)
Prudence
Risque biologique, BIORISQUE, ou symbole
[instruction de sécurité]
[véhicule lent]

Rouge
Jaune


Jaune
Fluorescent
Orange/rouge-orange
Vert

Fluorescent
Jaune-orange et rouge foncé selon ANSI Z535.1 (1993a)

Lisible à 1,50 m
ou dans les conditions de l’exercice des tâches

Symbole de risque biologique. Le message principal peut être communiqué par un pictogramme (étiquettes mobiles seulement). Véhicule lent (SAE J943)

Mots-clés des signaux et message principal (étiquettes seulement)

OSHA 1910.1200
[Chimique] Communication du risque (1985b)

Selon les critères applicables de l’Environmental Protection Agency (EPA), de la Food and Drug Administration (FDA), du Bureau of Alcohol, Tobacco and Firearms (BATF) et de la Consumer Product Safety Commission (CPSC); non spécifié par ailleurs

 

En anglais

 

Seulement sous forme de fiches de données de sécurité (FDS)

Manuel Westinghouse (1981); Directives FMC (1985)

Danger
Attention
Prudence
Avis

Rouge
Orange
Jaune
Bleu

Helvetica gras, poids normal, haut/bas de casse

Symboles et pictogrammes

Recommande 5 éléments: mot-clé, symbole/ pictogramme, risque, conséquence du non-respect de la mise en garde, évitement du risque

Source: d’après Lehto et Miller, 1986; Lehro et Clark, 1990.

Certaines normes renferment également des indications assez détaillées sur le contenu et le texte des panneaux ou étiquettes. La norme ANSI Z129.1 (1988), par exemple, précise que les étiquettes de mise en garde concernant les produits chimiques doivent comporter: 1) l’identification du produit chimique ou de ses composants dangereux; 2) un mot-clé; 3) l’indication du ou des risques; 4) les mesures de précaution; 5) des instructions en cas de contact ou d’exposition; 6) les antidotes; 7) des notes à l’intention des médecins; 8) des instructions en cas d’incendie, de déversement ou de fuite; et 9) des instructions pour la manipulation et le stockage du conteneur. Elle précise en outre l’agencement général des étiquettes devant contenir ces informations. Elle comporte enfin des recommandations détaillées et précises sur les termes à employer pour des messages particuliers.

Les directives cognitives

Les impératifs de conception dont il vient d’être question peuvent être utiles aux responsables de l’information sur la sécurité, mais de nombreux produits et situations ne sont pas visés directement par les normes ou les règlements. Certains impératifs peuvent ne pas être étayés scientifiquement et, dans des cas extrêmes, le respect des normes et règlements peut même réduire l’efficacité de l’information sur la sécurité. Pour assurer cette efficacité, il est donc parfois nécessaire d’aller au-delà des normes de sécurité. Conscientes de ce problème, l’Association internationale d’ergonomie (International Ergonomics Association (IEA)) et la Fondation internationale pour l’ergonomie industrielle et la sécurité au travail (International Foundation for Industrial Ergonomics and Safety Research (IFIESR)) ont apporté leur appui à une initiative visant à mettre au point des directives pour les panneaux et les étiquettes de mise en garde (Lehto, 1992), qui tiennent compte des études publiées et non publiées sur l’efficacité et qui ont des incidences sur la conception de presque toutes les formes d’information sur la sécurité. Six d’entre elles sont présentées ci-après sous une forme légèrement modifiée.

  1. Faire correspondre les sources d’information au niveau de performance auquel se produisent des erreurs critiques pour une population donnée. En spécifiant l’information à fournir et comment la fournir, cette directive met l’accent sur la nécessité de se concentrer: 1) sur les erreurs critiques susceptibles de provoquer des dommages significatifs; et 2) sur le niveau de performance de l’opérateur au moment où l’erreur est commise. Cet objectif sera souvent atteint si les sources des informations sur la sécurité correspondent aux objectifs de comportement indiqués au tableau 56.4 et précédemment examinés.
  2. Intégrer l’information sur la sécurité à la tâche et au contexte lié au risque . L’information sur la sécurité devrait être communiquée de manière à pouvoir être remarquée au moment où elle est le plus utile, qui est presque toujours le moment où il faut agir. Des recherches récentes ont confirmé que ce principe était valable à la fois pour l’emplacement des messages de sécurité dans les instructions et pour l’emplacement des sources d’information (par exemple, des panneaux de mise en garde) dans l’environnement physique. Une étude a montré que les précautions de sécurité avaient beaucoup plus de chances d’être remarquées et observées lorsqu’elles constituaient une instruction parmi d’autres que lorsqu’elles en étaient distinctes et faisaient l’objet d’un chapitre spécial. Il est intéressant de remarquer à ce propos que de nombreuses normes de sécurité recommandent ou exigent au contraire que les mises en garde et l’information sur les précautions à prendre figurent dans un chapitre séparé.
  3. Etre sélectif. Un excès d’information de sécurité augmente le temps et l’effort nécessaires pour trouver une réponse au besoin émergent. En conséquence, les sources devraient fournir des informations pertinentes n’allant pas au-delà des données nécessaires dans l’immédiat. Ce sont les programmes de formation qui devraient fournir les informations les plus détaillées. Les manuels d’instruction, les fiches de données de sécurité (FDS) et les autres sources de référence devraient être plus détaillés que les panneaux de mise en garde, les étiquettes ou la signalisation.
  4. Maintenir le coût du respect des consignes de sécurité à un niveau raisonnable . De nombreuses études ont montré que les individus deviennent moins enclins à observer les précautions nécessaires lorsqu’ils ont l’impression que cela implique un coût important. L’information sur la sécurité devrait donc être communiquée de manière qu’il soit aussi facile que possible de respecter son message. Il arrive que l’on atteigne cet objectif en fournissant l’information à un moment et en un lieu opportuns.
  5. Avoir des symboles et un texte aussi concrets que possible . Les recherches ont montré que les mots et les symboles utilisés pour l’information sur la sécurité étaient mieux compris lorsqu’ils étaient concrets plutôt qu’abstraits. La qualification et l’expérience, en la matière, jouent cependant un rôle important. Il n’est pas rare que des travailleurs hautement qualifiés préfèrent et comprennent mieux une terminologie abstraite.
  6. Simplifier la syntaxe et la grammaire et les combinaisons de symboles . Il n’est pas aisé de rédiger des textes faciles à comprendre par des personnes peu habituées à lire, voire par des lecteurs normaux. De nombreuses directives ont été mises au point pour surmonter ces difficultés. En voici les principes fondamentaux: 1) employer des mots et des symboles compris par le groupe cible; 2) utiliser une terminologie cohérente; 3) construire des phrases simples et courtes sur le modèle sujet-verbe-complément; 4) éviter les négations et les phrases conditionnelles complexes; 5) employer la voix active plutôt que la voix passive; 6) éviter d’utiliser des pictogrammes complexes pour décrire des actions; et 7) éviter de combiner plusieurs significations dans une même figure.

Pour pouvoir respecter ces directives, il faut prendre en considération un assez grand nombre de points précis, comme le montrent les paragraphes qui suivent.

L’élaboration de l’information sur la sécurité

L’élaboration de l’information sur la sécurité destinée à accompagner le produit, telle que mises en garde, étiquettes et instructions, nécessite souvent des activités approfondies de recherche-développement qui demandent beaucoup de ressources et de temps. L’idéal est que ces activités: 1) coordonnent l’élaboration de l’information avec la conception du produit lui-même; 2) analysent les caractéristiques du produit qui influent sur les attentes et les comportements des utilisateurs; 3) identifient les risques associés à l’utilisation et à un éventuel usage impropre du produit; 4) étudient les perceptions et les attentes des utilisateurs en ce qui concerne la fonction et les caractéristiques de risque du produit; et 5) évaluent l’information sur le produit en appliquant des méthodes et des critères compatibles avec les objectifs de chaque élément constitutif de cette information. Les activités permettant d’atteindre ces objectifs peuvent être regroupées en plusieurs niveaux. Si beaucoup des tâches indiquées peuvent être exécutées par les concepteurs de produits des fabricants, certaines exigent des méthodes que connaissent mieux les spécialistes des facteurs humains, de l’ingénierie de la sécurité, de la conception de documents et des sciences de la communication. Les tâches relevant de ces niveaux, schématisées à la figure 56.18, sont résumées ci-après:

Figure 56.18 Modèle de conception et d'évaluation de l'information sur un produit

Figure 56.18

Niveau 0: état de la conception de l’information sur le produit

Le niveau 0 est le point de départ du projet d’information sur le produit. C’est également le point où arrivera le retour d’information sur les variantes possibles et où seront transmises les nouvelles propositions (itérations) au niveau du modèle de base. Au moment du lancement du projet, le chercheur commence avec un modèle particulier, qui peut être à l’état de concept ou de prototype, ou au contraire un modèle commercialisé et utilisé. Une raison importante de désigner un niveau 0 est la reconnaissance du fait que l’élaboration de l’information sur le produit doit être organisée. De tels projets exigent des budgets, des ressources, une planification et une justification en bonne et due forme. C’est lorsque le produit se présente au stade de la préproduction ou à l’état de prototype que l’on peut tirer le plus d’avantages d’une conception systématique de l’information. L’application de cette méthode à des produits et à une information existante est cependant parfaitement légitime et extrêmement utile.

Niveau 1: recherches sur le type de produit

Le niveau 1 devrait comporter l’exécution d’au moins sept tâches: 1) documenter les caractéristiques du produit existant (par exemple, éléments constitutifs, fonctionnement, assemblage et conditionnement); 2) étudier les caractéristiques de conception de produits similaires ou concurrents, ainsi que l’information qui les accompagne; 3) recueillir des données sur les accidents à la fois pour le produit concerné et pour les produits similaires ou concurrents; 4) identifier les recherches sur les facteurs humains et sur la sécurité concernant ce type de produit; 5) rechercher les normes et règlements applicables; 6) analyser l’attention portée par les médias publics et privés à ce type de produit (information sur le rappel); et 7) étudier les réclamations auxquelles ont donné lieu ce produit ou des produits similaires.

Niveau 2: recherches sur l’utilisation du produit et sur les catégories d’utilisateurs

Le niveau 2 devrait comporter l’exécution d’au moins sept tâches: 1) préciser les méthodes d’utilisation appropriées du produit (y compris l’assemblage, l’installation, l’utilisation et l’entretien); 2) identifier les catégories d’utilisateurs existantes et potentielles; 3) étudier l’utilisation correcte ou impropre du produit par le consommateur et la connaissance qu’a ce dernier du produit ou de produits similaires; 4) étudier la perception qu’a le consommateur des risques liés au produit; 5) déterminer les risques associés à l’utilisation prévue et à des utilisations impropres prévisibles du produit; 6) analyser les exigences cognitives et comportementales pendant l’utilisation du produit; et 7) identifier les erreurs possibles de l’utilisateur, leurs conséquences et les mesures correctrices possibles.

Une fois effectuées les analyses aux niveaux 1 et 2, il faudra, avant d’aller plus loin, examiner les éventuelles modifications à apporter à la conception du produit. Dans l’ingénierie traditionnelle de la sécurité, c’est ce que l’on pourrait appeler «l’élimination technique des risques du produit». Certaines modifications auront pour but de protéger la santé des consommateurs, d’autres seront faites dans l’intérêt de l’entreprise qui essaie d’obtenir un succès commercial.

Niveau 3: critères de conception de l’information et prototypes

Le niveau 3 comporte l’exécution d’au moins neuf tâches: 1) établir, sur la base des normes et conditions applicables au produit, si certaines imposent des critères de conception ou de performance à cette partie de la conception de l’information; 2) déterminer pour quels types de tâches des informations doivent être fournies aux utilisateurs (par exemple, fonctionnement, assemblage, maintenance, évacuation); 3) pour chaque type d’information sur ces tâches, déterminer les messages à transmettre à l’utilisateur; 4) définir, pour chaque message, le mode de communication approprié (par exemple, texte, symboles, signaux ou caractéristiques du produit); 5) déterminer la localisation temporelle et spatiale de chaque message; 6) mettre au point les caractéristiques souhaitées de l’information sur la base des messages, modes de communication et localisations définies au cours des étapes précédentes; 7) élaborer des prototypes des éléments constitutifs du système d’information sur le produit (par exemple, manuels, étiquettes, mises en garde, annonces publicitaires, conditionnement et panneaux); 8) s’assurer de la cohérence des différents types d’information (par exemple, manuels, annonces, étiquettes et conditionnement); et 9) vérifier la cohérence de l’information sur le produit avec celle qui accompagne les produits semblables d’autres marques ou les produits similaires existants de la même entreprise.

Après avoir exécuté les tâches des niveaux 1, 2 et 3, le chercheur aura défini la présentation et le contenu de l’information jugée satisfaisante. Il peut alors souhaiter faire de premières recommandations visant à revoir la conception de l’information sur des produits existants avant de passer au niveau 4.

Niveau 4: évaluation et révision

Le niveau 4 comporte l’exécution d’au moins six tâches: 1) définir des paramètres d’évaluation pour les prototypes de chaque élément constitutif du système d’information sur le produit; 2) mettre au point un plan d’évaluation pour chacun de ces prototypes; 3) sélectionner des utilisateurs, installateurs, etc. représentatifs qui participeront à l’évaluation; 4) exécuter le plan d’évaluation; 5) modifier les prototypes d’information sur le produit ou la conception du produit en fonction des résultats obtenus au cours de l’évaluation (plusieurs essais — itérations — seront probablement nécessaires); et 6) décider du texte final et de la maquette.

Niveau 5: publication

Au niveau 5, l’information est révisée, approuvée et publiée comme prévu. Il s’agit de confirmer que les spécifications concernant la conception de l’information, y compris les groupements logiques du contenu, l’emplacement et la qualité des illustrations, ainsi que les caractéristiques spécifiques de la communication, ont été rigoureusement suivies, et n’ont pas été modifiées involontairement par l’imprimeur. Bien qu’en principe le processus de publication ne relève pas à proprement parler du concepteur, il paraît nécessaire de s’assurer que le modèle est rigoureusement suivi, car les imprimeurs prennent parfois beaucoup de liberté avec sa présentation.

Niveau 6: évaluation après-vente

Le dernier niveau est celui de l’évaluation après-vente, qui est une ultime vérification destinée à s’assurer que l’information atteint bien les objectifs pour lesquels elle est conçue. Elle fournit au concepteur et au fabricant des enseignements et une rétro-information précieuse. Elle peut comprendre: 1) un retour d’information grâce à des programmes de satisfaction des consommateurs; 2) une possibilité de récapitulation des données grâce à l’exécution de la garantie et aux cartes d’enregistrement de la garantie; 3) le recueil d’informations à la suite d’enquêtes sur des accidents impliquant des produits identiques ou similaires; 4) le suivi des normes consensuelles et des activités de réglementation; 5) le suivi des rappels de sécurité et de l’attention portée par les médias à des produits similaires.

LE COÛT DES ACCIDENTS DU TRAVAIL

Diego Andreoni

Les victimes d’accidents du travail subissent des conséquences matérielles — dépenses, perte de revenus — et des conséquences intangibles — douleur et souffrance — qui peuvent, les unes comme les autres, être de courte ou de longue durée. Ces conséquences sont les suivantes:

Les victimes d’accidents du travail perçoivent souvent des indemnités ou des allocations en espèces et en nature qui, si elles ne modifient en rien les conséquences intangibles de l’accident (sauf dans des circonstances exceptionnelles), constituent une part plus ou moins importante des conséquences matérielles, dans la mesure où elles ont un impact sur le revenu qui remplacera le salaire. Il ne fait pas de doute qu’une partie des frais généraux occasionnés par un accident doivent, sauf dans des circonstances très favorables, être assumés par les victimes.

Au niveau national, il faut admettre, du fait de l’interdépendance de tous les agents économiques, que les conséquences d’un accident faisant une seule victime auront un impact négatif sur le niveau de vie général, pour les raisons suivantes:

L’une des fonctions de la société est de protéger la santé et le revenu de ses membres. A cette fin, elle crée des institutions de sécurité sociale, des programmes de santé (dans certains pays les soins médicaux sont gratuits ou très bon marché), des systèmes de réparation des accidents du travail et des systèmes de sécurité (législation, inspection, assistance, recherche, etc.); tous ces coûts sont à la charge de la société.

Le montant des prestations et celui des ressources que les gouvernements affectent à la prévention des accidents sont limités pour deux raisons: ils dépendent, d’une part, de la valeur attribuée à la vie et à la souffrance humaines, qui varie selon les pays et les époques; d’autre part, des ressources disponibles et des priorités assignées aux autres services fournis pour la protection de la population.

Il en résulte qu’un important volume de capitaux ne peut plus être consacré à l’investissement productif. Cela dit, les sommes consacrées à la prévention procurent des avantages économiques considérables, du fait qu’elles permettent de réduire le nombre total et le coût des accidents. La plupart des mesures de prévention, telles que l’incorporation de normes de sécurité plus élevées dans les équipements et les machines et l’éducation générale de la population avant qu’elle atteigne l’âge de travailler, sont tout aussi utiles sur le lieu de travail qu’à l’extérieur. Cet aspect prend une importance croissante, car le nombre et le coût des accidents domestiques, des accidents de la circulation et des autres accidents sans rapport avec l’activité professionnelle ne cesse d’augmenter. On peut dire que le coût total des accidents est la somme des coûts de la prévention et des coûts des changements qui en découlent. Il ne semble pas déraisonnable de considérer que le coût sociétal des changements pouvant résulter de l’application d’une mesure de prévention est probablement plusieurs fois supérieur au coût effectif de cette mesure. Les ressources financières nécessaires sont prélevées sur la fraction économiquement active de la population — travailleurs, employeurs et autres contribuables — par des régimes financés soit par des cotisations versées aux institutions qui servent les prestations, soit par l’impôt, soit encore par les deux. Au niveau de l’entreprise, le coût des accidents englobe des dépenses et des pertes qui comprennent:

Outre leurs effets sur le lieu où s’est produit l’accident, les pertes peuvent en entraîner d’autres en d’autres endroits de l’usine ou dans des usines associées; en plus des pertes économiques résultant des arrêts de travail dus à l’accident et aux lésions corporelles, il faut tenir compte des manques à gagner découlant des arrêts de travail volontaires ou des grèves pendant les conflits consécutifs à des accidents graves, collectifs ou répétés.

Le total de ces coûts et pertes diffère considérablement selon les entreprises. Les différences les plus évidentes dépendent des risques particuliers inhérents à chaque secteur d’activité ou type de profession, et du respect ou non-respect des précautions qui s’imposent. Au lieu d’essayer d’estimer les coûts initiaux intégrant les mesures de prévention des accidents aux tout premiers stades du processus, de nombreux auteurs se sont attachés aux coûts secondaires. Heinrich, par exemple, a proposé une répartition entre «coûts directs» (en particulier l’assurance) et «coûts indirects» (dépenses prises en charge par le fabricant); Simonds a proposé une répartition entre coûts assurés et coûts non assurés; Wallach a proposé une répartition correspondant aux rubriques utilisées pour l’analyse des coûts de production, à savoir la main-d’œuvre, les machines, l’entretien et le temps; Compes, enfin, a proposé de définir des coûts généraux et des coûts individuels. Dans tous ces exemples (à l’exception de Wallach), il y a deux catégories de coûts qui, bien que définies différemment, ont de nombreux points communs.

Compte tenu de la difficulté d’estimer des coûts globaux, on a essayé d’obtenir une valeur acceptable en exprimant les coûts indirects (coûts assurés ou individuels) comme multiple des coûts directs (coûts assurés ou coûts généraux). Heinrich, qui a été le premier à le faire, a proposé des coûts indirects égaux à quatre fois les coûts directs — soit des coûts globaux égaux à cinq fois les coûts directs. Cette méthode est valable pour le groupe d’entreprises étudiées par Heinrich, mais elle ne l’est pas pour d’autres, et elle l’est encore moins pour des usines prises séparément. On a constaté, dans un certain nombre de pays industriels, que dans de nombreux secteurs, le rapport était plutôt de l’ordre de 1 à 7 (4 ± 75%), mais certaines études ont montré qu’il pouvait être beaucoup plus élevé (jusqu’à vingt fois) et pouvait même varier au cours du temps dans une même entreprise.

Il n’y a pas de doute que les sommes dépensées pour intégrer les mesures de prévention dans le processus dès les phases initiales d’un projet de fabrication auront pour contrepartie une réduction des pertes et des dépenses qu’il aurait fallu faire autrement. Mais l’économie réalisée n’obéit à aucune loi et ne représente pas une proportion fixe: elle varie selon les cas. Il peut arriver qu’une dépense modeste permette de réaliser des économies très substantielles, et qu’une dépense beaucoup plus élevée se traduise par un très faible gain apparent. Lorsqu’on fait de tels calculs, il faut toujours tenir compte du facteur temps, qui joue dans les deux sens: on peut réduire les dépenses courantes en amortissant la dépense initiale sur plusieurs années, mais la probabilité d’accident, si faible soit-elle, augmente avec le temps.

Dans une industrie, quelle qu’elle soit, lorsque les facteurs sociétaux le permettent, il peut n’y avoir aucune incitation financière à réduire le nombre des accidents, le raisonnement étant que leur coût s’ajoute au coût de la production et est donc répercuté sur le consommateur. Il en va tout autrement au niveau de l’entreprise. Une entreprise peut être fortement incitée à prendre des mesures pour éviter les graves conséquences économiques d’accidents impliquant du personnel clé ou des équipements essentiels. Cette constatation est vraie en particulier des petites usines qui n’ont pas de réserve de personnel qualifié, ou des entreprises ayant des activités très spécialisées, mais aussi des grandes installations complexes, comme dans le secteur de la transformation, où les coûts de remplacement pourraient dépasser la capacité de mobilisation de capitaux. Il peut également arriver qu’une grande entreprise soit plus compétitive et accroisse par conséquent ses bénéfices en prenant des mesures pour limiter les accidents. Qui plus est, aucune entreprise ne peut se permettre d’ignorer les avantages financiers découlant du maintien de bonnes relations avec les travailleurs et leurs syndicats.

Pour terminer, lorsqu’on passe de la notion abstraite d’entreprise à la réalité concrète de ceux qui occupent des postes de responsabilité (l’employeur ou les cadres supérieurs), il y a une incitation personnelle, qui n’est pas seulement financière, découlant du désir ou de la nécessité de poursuivre leur carrière et d’éviter les sanctions, juridiques ou autres, auxquelles ils seraient exposés si certains types d’accidents devaient se produire dans leur établissement. Le coût des accidents du travail a donc des répercussions à la fois sur l’économie nationale et sur la situation financière de chaque individu. Il y a donc pour chacun une incitation générale et individuelle à jouer un rôle pour réduire ce coût.

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