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Chapitre 51 - La violence

LA VIOLENCE AU TRAVAIL

Leon J. Warshaw

Dans la société moderne, la violence est omniprésente et semble s’aggraver. Indépendamment de la répression, des guerres et du terrorisme, la violence que les êtres humains exercent contre leurs semblables, tant dans les collectivités dites «civilisées» que dans les sociétés plus «primitives», fait tous les jours la une des journaux. Il est difficile de dire si l’on assiste vraiment à une dégradation de la situation ou si les journalistes prêtent simplement une plus grande attention au phénomène. Après tout, la violence a de tout temps caractérisé les relations entre les êtres humains. Néanmoins, elle constitue aujourd’hui l’une des principales causes de décès dans les sociétés industrielles modernes — c’est même la principale cause de décès dans certains segments de la population — et on la considère de plus en plus comme un problème de santé publique.

Il était inévitable que la violence se manifeste au travail. Entre 1980 et 1989, en Amérique du Nord, l’homicide se classait troisième parmi les causes de décès consécutives à des lésions subies sur le lieu de travail, d’après les données recueillies par le système national de surveillance des lésions traumatiques en milieu de travail (National Traumatic Occupational Facilities Surveillance System), aux Etats-Unis (NIOSH, 1993a). Durant cette période, les homicides au travail ont causé 12% des décès faisant suite à des lésions subies en entreprise; seuls les véhicules automobiles et les machines ont fait plus de victimes. En 1993, ce chiffre avait atteint 17%, soit 0,9 décès par 100 000 travailleurs, prenant la deuxième place après les accidents d’automobile (Toscano et Windau, 1994). Dans le cas des femmes, la violence demeure la principale cause de décès au travail, bien que le taux (0,4 décès par 100 000 travailleuses) soit inférieur à celui des hommes (1,2 décès par 100 000 travailleurs) (Jenkins, 1995).

Ces décès, toutefois, ne représentent que la «partie visible de l’iceberg». En 1992, par exemple, quelque 22 400 travailleurs américains ont dû s’absenter de leur emploi pour se remettre de lésions subies lors d’agressions non mortelles sur leur lieu de travail (Toscano et Windau, 1994). Il n’existe pas de données sûres et complètes, mais on estime que pour chaque décès, il y a vraisemblablement des milliers – peut-être même des centaines de milliers – de cas de violence au travail.

Unison, le grand syndicat britannique des travailleurs de la santé et des services gouvernementaux, déclare dans son bulletin que la violence constitue «le risque le plus grave auquel ses membres sont confrontés au travail. C’est le risque le plus susceptible d’occasionner des lésions, un risque qui peut susciter des niveaux insupportables de stress professionnel, affectant l’estime de soi et compromettant la capacité de continuer à travailler» (Unison, 1992).

Nous présentons ici un aperçu des caractéristiques de la violence au travail, des personnes en cause, des effets de la violence sur les travailleurs et les employeurs et des mesures qu’il est possible de prendre pour prévenir ou atténuer ces effets.

Définition de la violence

Les avis ne sont pas unanimes sur la définition de la violence. Ainsi, celle de Rosenberg et Mercy (1991) recouvre la violence tant mortelle que non mortelle: il s’agit du comportement de quiconque use de sa force physique ou d’autres moyens dans l’intention de faire du mal à une autre personne, de la blesser ou de la tuer. Le Comité pour l’étude et la prévention des comportements violents de l’Académie nationale des sciences des Etats-Unis (US National Academy of Sciences) a opté pour la définition suivante de la violence: comportements de personnes qui portent délibérément atteinte à l’intégrité physique d’autres personnes ou qui menacent ou tentent de le faire (Reiss et Roth, 1993).

Ces définitions ne visent que les menaces ou les atteintes à l’intégrité physique . Elles excluent donc les cas où la victime ne subit que des violences verbales, un harcèlement, des humiliations ou d’autres formes de traumatisme psychologique, qui ne sont peut-être pas moins préjudiciables. Elles excluent également le harcèlement sexuel, qui peut être physique, mais qui, d’ordinaire, ne l’est précisément pas. Dans le cadre d’une enquête nationale sur les travailleurs américains menée par la Northwestern National Life Insurance Company, les chercheurs ont divisé les actes de violence en trois catégories: le harcèlement (fait de créer un environnement hostile par des mots, des actes ou des contacts physiques déplacés n’entraînant pas d’atteinte à l’intégrité physique); les menaces (expressions de l’intention d’attenter à l’intégrité physique); et les attaques physiques (voies de fait avec ou sans recours à une arme) (Lawless, 1993).

Au Royaume-Uni, la Direction de la sécurité et de la santé (Health and Safety Executive (HSE)) a adopté la définition suivante de la violence au travail: tout incident au cours duquel un salarié est maltraité, menacé ou agressé par une personne dans des circonstances liées à son emploi. Le syndicat britannique des industries manufacturières-sciences-finances (Manufacturing-Sciences-Finance Union (MSF)) indique que les agresseurs peuvent être des patients, des clients ou des collègues de travail (MSF, 1993).

Dans le présent article, le terme «violence» sera utilisé dans son acception la plus large, qui recouvre toutes les formes de comportement agressif ou offensant de nature à causer un dommage ou une gêne physiques ou psychologiques à ses victimes, que ces dernières aient été délibérément visées ou qu’elles aient été de simples spectateurs touchés de manière impersonnelle ou fortuite. Bien que les lieux de travail puissent être la cible d’attentats terroristes ou le théâtre de manifestations violentes ou d’émeutes, nous avons exclu les incidents de ce genre.

La prévalence de la violence au travail

On ne dispose pas de données précises sur la prévalence de la violence au travail. En général, les ouvrages existants traitent essentiellement des cas qui font l’objet de rapports officiels: homicides recensés dans les registres obligatoires des décès, cas donnant lieu à des poursuites pénales ou incidents ayant provoqué des absences au travail qui entraînent des demandes de réparation. Or, pour chacun de ces cas, il en existe un nombre incalculable d’autres où des travailleurs sont victimes de comportements agressifs ou offensants. Ainsi, d’après une enquête du Bureau de la statistique judiciaire (Bureau of Justice Statistics) du ministère américain de la Justice, plus de la moitié des incidents de violence au travail ne sont pas portés à la connaissance de la police. Environ 40% des répondants à cette enquête ont expliqué qu’ils n’avaient pas déclaré l’incident parce qu’ils le jugeaient mineur ou le considéraient comme une affaire privée, tandis que 27% ont affirmé avoir signalé l’incident à un supérieur ou à un agent de sécurité de leur entreprise, qui ne l’aurait pas transmis à la police (Bachman, 1994). Outre l’absence d’un consensus sur une taxinomie de la violence, il y a plusieurs autres motifs de sous-déclaration des incidents:

Pour déterminer la prévalence de la violence au travail en l’absence de données fiables, les chercheurs ont tenté de procéder par extrapolation, en partant des statistiques à leur disposition (certificats de décès, rapports d’infractions et données sur les indemnisations, par exemple) et des enquêtes spécialisées. C’est ainsi qu’une enquête nationale sur les actes de violence criminelle menée aux Etats-Unis a permis d’estimer à environ 1 million (sur une population active de 110 millions) le nombre annuel de travailleurs américains victimes de violence au travail (Bachman, 1994). Par ailleurs, un sondage téléphonique réalisé en 1993 auprès d’un échantillon national de 600 travailleurs américains à temps plein (à l’exclusion des travailleurs indépendants et du personnel militaire) a révélé que 1 travailleur sur 4 considérait avoir été victime de violence au travail pendant l’année étudiée: 19% avaient été soumis à un harcèlement, 7% avaient fait l’objet de menaces et 3% avaient subi des agressions physiques. Le sondage a révélé en outre que 68% des victimes de harcèlement, 43% des victimes de menaces et 24% des victimes d’agressions n’avaient pas déclaré l’incident (Lawless, 1993).

Une enquête similaire menée au Royaume-Uni par le Service national de santé (National Health Service) a établi qu’au cours de l’année précédente, 0,5% des travailleurs avaient eu besoin d’un traitement médical à la suite d’une agression au travail, 11% avaient souffert de lésions mineures n’ayant nécessité que des premiers soins, 4 à 6% avaient été menacés par des personnes brandissant une arme mortelle et 17% avaient fait l’objet de menaces verbales. La violence affectait particulièrement le personnel d’urgence des ambulances et des services des accidents, ainsi que les infirmières et les travailleurs chargés de soigner les personnes atteintes de troubles psychologiques (Health Services Advisory Committee, 1987). Dans les services de soins primaires, des accidents et des urgences, le risque de violence contre le personnel sanitaire est considéré comme faisant inéluctablement partie de la routine de travail (Shepherd, 1994).

Les homicides sur le lieu de travail

Même s’ils ne constituent qu’une faible proportion de l’ensemble des homicides, ceux commis sur le lieu de travail méritent une attention spéciale parce qu’ils forment une proportion appréciable des décès liés au travail, du moins aux Etats-Unis, qu’ils présentent des caractéristiques très particulières et qu’ils peuvent faire l’objet de mesures préventives de la part des employeurs. Ainsi, tandis que la plupart des homicides commis dans l’ensemble de la société impliquent des personnes qui se connaissent, souvent des proches parents, et que seuls 13% surviennent lors d’une action criminelle d’une autre nature, c’est l’inverse qui se produit sur le lieu de travail, où plus des trois quarts des homicides sont commis pendant un vol qualifié (NIOSH, 1992). De plus, tandis que, sur l’ensemble de la population, les personnes âgées de 65 ans et plus sont les moins susceptibles d’être victimes d’homicides, elles en sont les victimes les plus nombreuses sur le lieu de travail (Castillo et Jenkins, 1994).

Les secteurs d’activité qui ont, aux Etats-Unis, les taux d’homicides les plus élevés figurent dans le tableau 51.1. Comme on peut le constater, plus de 50% des homicides concernent deux secteurs d’activité, le commerce de détail et les services. Dans ce dernier secteur, les activités les plus touchées sont les services de taxi, où le taux d’homicides au travail est près de 40 fois supérieur à la moyenne, les magasins de vins et de spiritueux, les commerces de proximité et les stations-service, qui constituent des cibles de choix pour les voleurs, ainsi que les services d’investigation et de sécurité (Castillo et Jenkins, 1994).

Tableau 51.1 Etats-Unis: secteurs d'activité ayant les taux les plus élevées
d'homicides au travail, 1980-1989

Secteurs d’activité

Nombre d’homicides

Taux1

Compagnies de taxis

287

26,9

Lieux de vente de vins et spiritueux

115

8,0

Stations-service

304

5,6

Services d’investigation et de sécurité

152

5,0

Etablissements du système judiciaire et pénitentiaire

640

3,4

Epiceries

806

3,2

Bijouteries

56

3,2

Hôtels et motels

153

3,2

Restaurants et bars

754

1,5

1 Nombre par 100 000 travailleurs par an.

Source: NIOSH, 1993b.

Le tableau 51.2 présente les professions ayant les taux les plus élevés d’homicides au travail. Une fois de plus, les chauffeurs de taxi, victimes de prédilection de la criminalité, figurent en tête de liste, suivis par les agents de la force publique, les commis d’hôtel et les travailleurs de divers commerces de détail. Sur la base de données similaires recueillies au Royaume-Uni, Drever (1995) note que la plupart des professions qui ont des taux élevés d’homicides se caractérisent également par des taux élevés de toxicomanie (monteurs d’échafaudages, professions littéraires et artistiques, peintres et décorateurs) et d’alcoolisme (cuisiniers, garçons de cuisine, patrons de débits de boissons, barmen et restaurateurs).

Tableau 51.2 Etats-Unis: professions ayant les taux les plus élevés d'homicides
au travail, 1980-1989

Profession

Nombre d’homicides

Taux1

Chauffeurs de taxi

289

15,1

Agents de la force publique

520

9,3

Commis d’hôtel

40

5,1

Employés de stations-service

164

4,5

Agents de sécurité

253

3,6

Manutentionnaires et aides de magasins

260

3,1

Propriétaires/gérants de magasins

1 065

2,8

Barmen

84

2,1

1 Nombre par 100 000 travailleurs par an.

Source: NIOSH, 1993b.

Comme nous l’avons déjà mentionné, la grande majorité des homicides liés au travail sont commis au cours de vols qualifiés ou d’autres crimes perpétrés par des personnes que la victime ne connaît généralement pas. Les facteurs de risque correspondants sont énumérés dans le tableau 51.3.

Tableau 51.3 Homicides au travail: facteurs de risque

Travailler seul ou en petit nombre

Effectuer des mouvements de fonds en contact direct avec le public

Travailler tard la nuit ou tôt le matin

Travailler dans des secteurs à forte criminalité

Avoir la garde d’objets de valeur

Etre en contact étroit avec le public (par exemple, chauffeur de taxi ou policier)

Source: NIOSH, 1993b.

Environ 4% des homicides au travail se produisent au cours d’affrontements avec des membres de la famille ou des connaissances ayant suivi la victime jusqu’à son lieu de travail. Quelque 21% surviennent au cours d’un affrontement lié au travail: dans cette catégorie, près des deux tiers des homicides sont commis par des travailleurs ou d’anciens salariés ayant des griefs à l’encontre d’un supérieur ou d’un collègue, le tiers restant étant le fait de clients en colère (Toscano et Windau, 1994). Dans ces cas, le supérieur ou le collègue en cause peuvent constituer la cible de l’homicide ou, si l’agresseur a des comptes à régler avec l’établissement même, la cible peut être le lieu de travail ainsi que tout travailleur ou visiteur se trouvant là au moment critique. Il arrive que l’agresseur souffre de troubles caractériels, comme dans le cas de Joseph T. Wesbecker: mis en congé d’invalidité de longue durée par son employeur de Louisville, au Kentucky, pour cause de maladie mentale, il tua 8 de ses collègues et en blessa 12 autres avant de se suicider (Kuzmits, 1990).

Les causes de la violence

La connaissance actuelle des causes et des facteurs de risque des comportements violents est très rudimentaire (Rosenberg et Mercy, 1991). De toute évidence, c’est un problème plurifactoriel dans lequel chaque incident est la résultante des caractéristiques de l’agresseur, des caractéristiques de la (des) victime(s) et de la nature de leur interaction. La complexité du problème a donné lieu à plusieurs théories de causalité. Les théories biologiques, par exemple, sont axées sur des facteurs tels que le sexe (la plupart des agresseurs sont de sexe masculin), l’âge (la participation à des actes de violence dans la population en général diminue avec l’âge, mais, comme nous l’avons noté plus haut, ce n’est pas le cas sur le lieu de travail) et l’influence d’hormones (testostérone), de neuromédiateurs (sérotonine) et d’autres agents biologiques. L’approche psychologique est centrée sur la personnalité et repose sur l’idée que la violence découle d’un manque d’affection et de mauvais traitements subis dans l’enfance, qu’elle est apprise de personnes ayant joué le rôle de modèles de comportement et qu’elle prend racine sous l’effet de récompenses et de punitions reçues dans les premières années de la vie. Les théories sociologiques attribuent la violence à des facteurs culturels et subculturels tels que la pauvreté, la discrimination et le manque de justice économique et sociale. Enfin, les théories interactionnelles mettent en évidence un enchaînement d’actions et de réactions qui aboutissent finalement à la violence (Rosenberg et Mercy, 1991).

Un certain nombre de facteurs de risque ont été associés à la violence parmi lesquels il faut citer:

Les maladies mentales

En grande majorité, les personnes violentes ne souffrent pas de maladies mentales et, inversement, la plupart des malades mentaux ne sont pas violents (APA, 1994). Cependant, les personnes souffrant de troubles mentaux peuvent à certains moments être en proie à la peur, à l’irritation, aux soupçons, à l’exaltation, à la colère ou à une combinaison de ces sentiments (Bullard, 1994). Les comportements qui en résultent font courir des risques particuliers de violence aux médecins, aux infirmières et au personnel des ambulances, des services d’urgence et des services psychiatriques hospitaliers ou externes.

Certains troubles mentaux prédisposent à la violence. Les personnes atteintes de troubles psychopathiques ont généralement une forte propension à la colère et à la frustration, ce qui donne souvent lieu à des comportements violents (Marks, 1992), tandis que les paranoïaques sont soupçonneux et enclins à s’attaquer à des individus ou à des organisations auxquels ils attribuent la responsabilité de leurs difficultés. Toutefois, d’autres formes de maladie mentale peuvent engendrer la violence, sans compter que certains malades mentaux sont sujets à des accès de démence aiguë au cours desquels ils peuvent se livrer à des violences contre eux-mêmes et contre ceux qui tentent de les retenir.

L’alcoolisme et la toxicomanie

La consommation excessive d’alcool est fortement associée à des comportements agressifs et violents. Même si l’ivresse (que ce soit chez l’agresseur, la victime ou les deux) aboutit souvent à la violence, les avis divergent sur la question de savoir si l’alcool est la cause de la violence ou s’il ne constitue qu’un facteur causal parmi d’autres (Pernanen, 1993). Pour Fagan (1993), l’alcool affecte les fonctions neurobiologiques, la perception et la cognition, mais c’est l’environnement immédiat dans lequel se produit la consommation d’alcool qui en canalise les réactions désinhibitrices. Cette hypothèse a été confirmée par une étude réalisée dans le district de Los Angeles, qui a révélé que les incidents violents étaient, à consommation égale d’alcool, beaucoup plus fréquents dans certains bars que dans d’autres. Les auteurs de l’étude en concluent que le comportement violent est lié non pas à la quantité d’alcool absorbée, mais plutôt au type d’individus attirés par un débit de boissons particulier et au genre de règles tacites qui y règnent (Scribner, MacKinnon et Dwyer, 1995).

Une grande partie des observations que nous venons de faire s’applique également à la consommation de drogues illicites. Sauf en ce qui concerne le «crack» et les amphétamines, les toxicomanies sont plus souvent associées à la sédation et au repli sur soi-même qu’aux comportements agressifs violents. La violence liée à la drogue semble, pour l’essentiel, attribuable non à la drogue elle-même, mais aux efforts déployés pour s’en procurer ou pour obtenir l’argent nécessaire ou encore, à la participation à un trafic illicite.

La violence dans le milieu environnant

La violence dans le milieu environnant déborde sur le milieu de travail et présente en outre un risque particulier pour des travailleurs comme les policiers, les sapeurs-pompiers, les employés des postes et autres salariés des services publics, le personnel de réparation et d’entretien, les assistants sociaux et, généralement, pour toute personne devant, dans l’exercice de ses fonctions, se rendre sur des lieux où sévissent la violence et la criminalité. La fréquence de la violence dépend beaucoup, surtout aux Etats-Unis, de facteurs tels que le nombre d’armes à feu détenues par la population et, particulièrement dans le cas des jeunes, des scènes de violence qu’on peut voir au cinéma et à la télévision.

Les facteurs professionnels liés à la violence

Des cas de violence peuvent se produire dans n’importe quel lieu de travail. Certaines professions et circonstances professionnelles sont néanmoins plus susceptibles que d’autres d’engendrer la violence ou d’en faire l’objet, dont les suivantes:

Les actes criminels

Les incidents les plus évidents de violence au travail sont peut-être ceux qui sont associés à la violence criminelle, principale cause des homicides au travail. Ceux-ci se divisent en deux catégories: les homicides commis au cours de vols qualifiés ou d’autres infractions et les homicides liés au trafic de drogue. Les policiers, les agents de sécurité et autres agents de la force publique courent constamment le risque d’être attaqués par des criminels cherchant à s’introduire sur le lieu de travail ou résistant à la détection et à l’arrestation. Les personnes qui travaillent seules, de même que les travailleurs sur le terrain qui doivent, dans l’exercice de leurs fonctions, se rendre dans des milieux à forte criminalité sont souvent victimes de tentatives de vol. Les professionnels de la santé qui effectuent des visites à domicile dans ces milieux courent des risques particuliers parce qu’ils portent souvent dans leur trousse des médicaments et certains accessoires comme des seringues et des aiguilles hypodermiques.

Les travailleurs en contact avec le public

Les travailleurs des organismes gouvernementaux et des organismes privés assurant des services à la collectivité, des banques et des autres établissements servant le public sont souvent victimes d’agressions de la part de personnes que l’on a fait attendre trop longtemps, qui estiment à tort ou à raison avoir été accueillies avec indifférence ou qui n’ont pas obtenu les renseignements ou les services voulus faute de remplir les conditions requises par des procédures ou des formalités bureaucratiques compliquées. Les commis des commerces de détail qui réceptionnent les marchandises retournées, les préposés aux comptoirs de billets dans les aéroports qui ont à faire face à des cas de surréservation, de vols retardés ou annulés, les chauffeurs de transports en commun et tous les autres travailleurs qui doivent traiter avec des clients qu’ils ne peuvent immédiatement satisfaire sont souvent la cible d’attaques verbales et parfois physiques. Il y a aussi ceux qui doivent contenir des foules impatientes et indisciplinées, comme les policiers, les agents de sécurité, les receveurs de billets et les placeurs dans les grandes manifestations sportives et festives.

Le ressentiment et la colère contre des lois et règlements qu’elles ne peuvent accepter peuvent amener certaines personnes à s’attaquer à des agents de l’Etat, surtout si ces derniers sont en uniforme, ou à des immeubles et locaux officiels, blessant ou tuant ainsi sans distinction travailleurs et visiteurs.

Le stress professionnel

Un niveau trop élevé de stress professionnel peut provoquer des comportements violents. En même temps, la violence au travail peut constituer un puissant facteur de stress. Les composantes du stress professionnel sont bien connues (voir chapitre no 34, «Les facteurs psychosociaux et organisationnels»). Leur dénominateur commun est une dévalorisation de l’individu ou du travail accompli, engendrant fatigue, frustration et colère dirigée contre les supérieurs et les collègues considérés comme discourtois, injustes ou grossiers. Plusieurs études de population ont démontré l’existence d’une relation entre violence et perte de l’emploi, l’un des plus puissants facteurs de stress professionnel (Catalano et coll., 1993; Yancey et coll., 1994).

Le climat des relations interpersonnelles au travail

Le climat des relations interpersonnelles au travail peut susciter la violence. La discrimination et le harcèlement qui, d’après notre définition, constituent en soi des formes de violence, peuvent provoquer de violentes représailles. Ainsi, le syndicat britannique mentionné précédemment (MSF) met l’accent sur ce qu’il appelle les brimades au travail (définies comme étant un comportement blessant, injurieux, intimidant, malveillant ou insultant de manière systématique, un abus de pouvoir ou des sanctions injustifiées), qui caractérisent le mode de gestion de certains employeurs (MSF, 1995).

Le harcèlement sexuel est déjà considéré comme une forme d’agression au travail (SEIU, 1995). Il peut s’agir de gestes ou de contacts déplacés, d’agressions physiques, de remarques suggestives ou d’autres excès de langage, de regards insistants ou lubriques, de propositions sexuelles, d’invitations compromettantes ou d’un milieu de travail rendu choquant par des images ou des objets pornographiques. En vertu du titre VII de la loi américaine de 1964 sur les droits civils (Civil Rights Act), le harcèlement sexuel est illégal aux Etats-Unis, étant considéré comme une forme de discrimination sexuelle lorsque le travailleur estime que sa situation professionnelle risque d’être compromise s’il ne tolère pas les avances ou lorsque le harcèlement crée un climat de travail intimidant, hostile ou blessant.

Bien que les femmes constituent les cibles les plus fréquentes, les hommes font eux aussi l’objet de harcèlement sexuel, quoique beaucoup plus rarement. Au cours d’une enquête menée en 1980 auprès de fonctionnaires fédéraux américains, 42% des répondantes et 15% des répondants ont déclaré avoir été victimes de harcèlement sexuel au travail. Une enquête de suivi réalisée en 1987 a donné des résultats semblables (SEIU, 1995). Aux Etats-Unis, l’attention portée par les médias au harcèlement des femmes qui se sont imposées dans des professions et secteurs auparavant réservés aux hommes, ainsi qu’à l’implication de hautes personnalités politiques et publiques dans des affaires de harcèlement, ont entraîné une augmentation des plaintes déposées auprès des organismes fédéraux et locaux chargés de combattre la discrimination, ainsi que des procès intentés au civil.

Le travail dans les secteurs de la santé et des services sociaux

Outre les tentatives de vol mentionnées plus haut, les professionnels de la santé sont souvent la cible d’actes de violence de la part de patients anxieux ou perturbés, surtout dans les services d’urgence et dans les services de consultation externe où les longues attentes et l’accueil impersonnel ne sont pas rares et où l’anxiété et la colère dégénèrent facilement en agressions verbales ou physiques. Ces travailleurs sont également exposés à des attaques de la part de parents ou d’amis des patients attribuant, à tort ou à raison, l’aggravation de l’état du malade à des négligences, à des retards ou à des erreurs dans le traitement. Dans de tels cas, les attaques peuvent être dirigées contre le travailleur incriminé ou contre tout autre membre du personnel de l’établissement.

Les effets de la violence sur la victime

Les traumatismes causés par une agression physique varient selon la nature de l’attaque et l’arme employée. La victime a souvent des coupures et des contusions sur les mains et les avant-bras si elle a essayé de se défendre. Comme le visage et la tête constituent des cibles fréquentes, les lésions et les fractures des os de la face sont courantes. Ces lésions peuvent être psychologiquement traumatisantes parce qu’elles produisent un œdème et des ecchymoses très visibles pouvant persister pendant des semaines (Mezey et Shepherd, 1994).

Les effets psychologiques peuvent être plus pénibles que les traumatismes physiques, surtout dans le cas d’un professionnel de la santé attaqué par un patient. Les victimes risquent de perdre leur sang-froid et leur assurance, douter de leur compétence professionnelle et se sentir coupables d’avoir provoqué l’attaque ou de ne pas avoir su la prévenir. Elles peuvent ressentir longtemps une colère diffuse ou dirigée, par suite de ce qu’elles perçoivent comme un rejet de leurs efforts professionnels, pourtant bien intentionnés, et souffrir d’un manque persistant de confiance tant en elles-mêmes que dans leurs collègues et supérieurs, ce qui peut se répercuter sur leur rendement professionnel. Ces symptômes peuvent s’accompagner d’insomnie, de cauchemars, d’un manque ou d’un excès d’appétit, d’une consommation accrue de tabac, d’alcool ou de drogue, de retrait social et d’absentéisme (Mezey et Shepherd, 1994).

Le syndrome de stress post-traumatique (SSPT) est un syndrome psychologique spécifique qui peut se manifester à la suite de catastrophes ou d’agressions violentes, non seulement chez les personnes directement touchées, mais aussi chez les témoins de l’incident. Bien qu’il soit d’ordinaire associé à des événements mortels ou qui auraient pu l’être, le SSPT peut également survenir à la suite d’une attaque relativement bénigne, mais au cours de laquelle la victime a craint pour sa vie (Foa et Rothbaum, 1992). Les symptômes sont notamment les suivants: retours en arrière et cauchemars répétés faisant revivre l’incident («flash-back»), sentiments persistants d’excitation et d’anxiété, tension musculaire, hyperactivité du système neurovégétatif, perte de concentration et réactivité excessive. La victime cherche souvent, consciemment ou inconsciemment, à éviter les circonstances pouvant lui rappeler l’incident. Elle peut avoir une longue période d’incapacité de travail, mais une psychothérapie de soutien parvient ordinairement à dissiper les symptômes. On peut souvent prévenir ces symptômes en procédant à une séance d’analyse de l’événement le plus tôt possible après l’incident, puis, si nécessaire, en assurant à la victime un soutien psychologique à court terme (Foa et Rothbaum, 1992).

Après l’incident

Après un incident, des mesures d’intervention doivent être prises immédiatement parmi lesquelles il faut citer:

Les soins à donner à la victime

Tous les blessés doivent recevoir les premiers soins et les traitements médicaux nécessaires le plus rapidement possible. A des fins médico-légales éventuelles (par exemple, en cas de poursuites pénales ou civiles contre l’agresseur), il convient de décrire en détail les lésions et, si possible, de les photographier.

Le nettoyage des locaux

Il faut réparer les dommages et débarrasser les lieux de travail de tous débris, vérifier toute pièce d’équipement touchée et, d’une façon générale, veiller à rétablir pleinement la sécurité et la propreté des lieux (SEIU, 1995).

La séance d’analyse après l’incident

Aussitôt que possible après l’incident, tous les intéressés et tous les témoins devraient participer à une séance d’analyse de l’incident ou de psychothérapie post-traumatique dirigée par un membre compétent du personnel ou par un consultant externe. Non seulement de telles réunions offrent un soutien émotionnel aux individus concernés et servent à mettre en évidence ceux qui pourraient avoir besoin d’un soutien psychologique individuel, mais elles permettent aussi de reconstituer tous les détails de l’incident. Si nécessaire, ce type d’intervention peut être renforcé grâce à la création d’un groupe de soutien composé de collègues (CAL/OSHA, 1995).

Présentation d’un rapport sur l’incident

Un formulaire devra être rempli et présenté au représentant compétent de l’entreprise et, s’il y a lieu, à la police locale. Il existe plusieurs modèles de formulaires, adaptables aux besoins particuliers des employeurs (Unison, 1991; MSF, 1993; SEIU, 1995). Le regroupement et l’analyse des rapports sur de tels incidents peuvent servir à recueillir des renseignements épidémiologiques permettant de déterminer les risques potentiels de violence dans un lieu de travail donné et les mesures préventives qui s’imposent.

L’enquête sur l’incident

Tout cas de violence signalé, aussi insignifiant soit-il, doit faire l’objet d’une enquête de la part d’une personne désignée ayant la formation nécessaire (le choix de la personne chargée de l’enquête peut être confié au comité paritaire de sécurité et d’hygiène, s’il y en a un dans l’entreprise). L’enquête devrait viser à déterminer les causes de l’incident, les personnes impliquées, les sanctions disciplinaires à prendre s’il y a lieu et les mesures susceptibles d’empêcher qu’un tel incident ne se reproduise. En l’absence d’une enquête impartiale et efficace, les salariés auront l’impression que la direction est indifférente à leur santé et à leur bien-être.

Le soutien de l’employeur

Il importe de garantir aux victimes et aux témoins de l’incident qu’ils ne seront soumis à aucune discrimination ni à aucune forme de représailles pour l’avoir déclaré. Une telle assurance est particulièrement importante lorsque l’agresseur présumé est le supérieur du travailleur.

Selon la réglementation en vigueur dans le secteur concerné, la nature et l’importance des lésions subies et la durée de l’absence du travail, le salarié peut avoir droit à réparation. Le cas échéant, il convient de remplir les formulaires prescrits au plus tôt.

S’il y a lieu, il faudra faire une déclaration à la police locale. Au besoin, la victime bénéficiera d’une assistance juridique pour porter plainte contre l’agresseur et de conseils pour répondre à d’éventuelles questions des médias.

Le rôle des syndicats

Certains syndicats ont joué un rôle de premier plan dans la lutte contre la violence au travail, tout particulièrement ceux qui représentent les travailleurs des secteurs de la santé et des services, comme le Syndicat international des salariés des services (Service Employees International Union (SEIU)) aux Etats-Unis, ainsi que MSF et Unison au Royaume-Uni. Ces syndicats concentrent leurs efforts sur la sensibilisation des travailleurs, de leurs représentants et de leurs employeurs à l’importance de la violence au travail, aux moyens de l’affronter et de la prévenir, en élaborant des lignes directrices et en publiant des fiches d’information, des bulletins et des brochures. Ils défendent leurs membres victimes de violence pour que les plaintes et allégations de ces derniers soient dûment prises en considération, sans qu’ils aient à craindre des représailles, et pour qu’ils reçoivent toutes les prestations et indemnités auxquelles ils ont droit. Les syndicats défendent en outre, auprès des associations patronales et professionnelles et des organismes gouvernementaux, les politiques, règles et règlements destinés à réduire la violence au travail.

Les menaces de violence

Toute menace de violence doit être prise au sérieux, qu’elle vise des individus en particulier ou l’entreprise dans son ensemble. Il faut tout d’abord protéger les personnes visées. Ensuite, lorsque cela est possible, il faut chercher à identifier l’auteur des menaces. Si ce dernier ne fait pas partie du personnel, il convient de demander l’intervention de la police locale. S’il fait partie de l’entreprise, il peut s’avérer utile de consulter un professionnel de la santé mentale pour qu’il donne des conseils sur la façon de réagir face à la situation ou s’occupe directement de l’agresseur.

Les stratégies de prévention

La prévention de la violence sur le lieu de travail incombe essentiellement à l’employeur. Dans une situation idéale, des directives et un programme en bonne et due forme auront été définis et mis en œuvre avant que ne surviennent des incidents. C’est là un processus auquel devraient participer non seulement les représentants compétents des services du personnel ou des ressources humaines, de la sécurité, des affaires juridiques, ainsi que de la sécurité et de la santé au travail, mais aussi des cadres, des délégués syndicaux ou d’autres représentants des salariés. Il existe des guides détaillés à ce sujet (voir tableau 51.4). Il s’agit de guides de base pouvant être adaptés aux circonstances particulières de tel ou tel secteur d’activité ou lieu de travail. Tous ces guides abordent les sujets suivants:

Tableau 51.4 Guide de prévention de la violence au travail

Date

Titre

Source

1991

Violence in the Workplace: NUPE Guidelines

Unison Health Care
1 Marbledon Place
London WC1H 9AJ, UK

1993

CAL/OSHA Guidelines for the Security and Safety of Health Care and Community Service Workers

Division of Occupational Safety and Health
Department of Industrial Relations
45 Fremont Street
San Francisco, CA 94105, USA

1993

Prevention of Violence at Work: An MSF Guide with Model Agreement and Violence at Work Questionnaire (MSF Health and Safety Information No. 37)

MSF Health and Safety Office Dane
O’Coys Road
Bishops Stortford
Herts, CM23 2JN, UK

1995

Assault on the Job: We Can Do Something About Workplace Violence (2nd Edition)

Service Employees International Union
1313 L Street, NW
Washington, DC 20005, USA

1995

CAL/OSHA: Model Injury and Illness Prevention Program
for Workplace Security

Division of Occupational Safety and Health
Department of Industrial Relations
45 Fremont Street
San Francisco, CA 94105, USA

1996

Guidelines for Preventing Work-place Violence for Health Care and Social Service Workers (OSHA 3148)

OSHA Publications Office
P.O. Box 37535
Washington, DC 20013-7535, USA

La formulation de directives

Toute entreprise doit formuler et édicter des directives interdisant expressément les comportements discriminatoires et agressifs ainsi que le recours à la violence pour régler les conflits, et prévoyant des mesures disciplinaires précises (pouvant aller jusqu’au renvoi) en cas d’infraction.

L’évaluation des risques

Une inspection du lieu de travail, complétée par une analyse des incidents antérieurs ou des résultats de sondages réalisés auprès des salariés, permettra à un expert d’évaluer les risques de violence et de préconiser des interventions préventives. Un examen du style de gestion et de supervision pratiqué, ainsi que de l’organisation du travail, sert parfois à révéler des niveaux élevés de stress professionnel pouvant dégénérer en violence. Quant aux facteurs risquant d’engendrer inutilement de l’anxiété, de la frustration et de la colère et de donner ainsi lieu à des réactions violentes, ils peuvent être mis en lumière par l’étude des interactions avec les clients ou les patients.

Les aménagements du lieu de travail propres à réduire la criminalité

Il est possible de faire d’un lieu de travail une cible moins attrayante pour les malfaiteurs en modifiant les méthodes de travail et la disposition des locaux et du mobilier. L’entreprise peut consulter les experts de la police ou des agences privées de sécurité à cet effet. Aux Etats-Unis, le Département de la justice pénale de la Virginie se sert d’un modèle de prévention de la criminalité par l’aménagement du milieu (Crime Prevention Through Environmental Design (CPTED)), conçu par un groupement d’écoles d’architecture de cet Etat et qui comprend ce qui suit: modification de l’éclairage et de l’aménagement paysager intérieurs et extérieurs, une attention particulière étant portée aux aires de stationnement, aux cages d’escalier et aux toilettes; points de vente et salles d’attente visibles de la rue; utilisation de coffres-forts munis d’une fente de dépôt ou d’un mécanisme d’ouverture à horloge pour garder l’argent liquide; installation de systèmes d’alarme, de systèmes de télévision en circuit fermé et d’autres équipements de sécurité (Malcan, 1993). Ce modèle a été utilisé avec succès dans les commerces de proximité, les banques (surtout celles qui sont équipées de guichets automatiques ouverts 24 heures sur 24), les écoles et les universités, ainsi que dans le métro de Washington.

A New York, où les chauffeurs de taxi sont plus souvent victimes de vol qualifié et de meurtre que dans les autres grandes villes, la Commission des taxis et limousines (Taxi and Limousine Commission (TLC)) a imposé par voie réglementaire l’installation d’une cloison pare-balles transparente entre le chauffeur et les passagers assis à l’arrière, d’une plaque pare-balles derrière le siège du chauffeur et d’un signal de détresse externe qui peut être activé par le chauffeur tout en restant invisible pour les passagers (NYC/TLC, 1994) (signalons que la mise en œuvre de ces mesures a provoqué un nombre incalculable de lésions à la tête et au visage chez les passagers assis à l’arrière qui n’avaient pas bouclé leur ceinture de sécurité et ont été projetés contre la cloison pare-balles lors d’un arrêt brusque du taxi).

Lorsque le travail comporte des relations directes avec des clients ou des patients, il est possible d’améliorer la sécurité des travailleurs en interposant des obstacles tels que comptoirs, bureaux, tables, parois transparentes incassables et portes verrouillées à vitre incassable (CAL/OSHA, 1993). On peut également disposer le mobilier et l’équipement de façon à réduire les chances qu’un travailleur soit pris au piège; lorsqu’il est important de préserver le caractère confidentiel de certains entretiens, ce besoin ne doit pas se faire aux dépens de la sécurité du travailleur, qui ne doit pas se trouver seul dans un local clos ou isolé avec un individu pouvant se montrer agressif ou violent.

Les systèmes de sécurité

Chaque lieu de travail doit être équipé d’un système de sécurité bien conçu. On peut réduire les intrusions en limitant l’accès des personnes extérieures à une aire de réception désignée, où les visiteurs sont soumis à un contrôle d’identité et reçoivent un badge indiquant les zones où ils peuvent se rendre. Dans certains cas, on aura recours à des détecteurs de métal pour repérer les visiteurs armés.

Grâce aux systèmes d’alarme électroniques activés par des boutons d’urgence placés aux endroits stratégiques, il est possible de déclencher des avertisseurs sonores, visuels ou les deux, qui alertent à la fois les autres travailleurs et le poste de sécurité le plus proche. Ces systèmes peuvent également être installés de façon à avertir directement la police locale. De tels systèmes ne servent cependant pas à grand-chose si les gardes et les travailleurs n’ont pas appris à réagir aux avertissements avec célérité et à-propos. La télévision en circuit fermé permet non seulement de surveiller les locaux, mais aussi d’enregistrer tout incident, voire d’identifier l’agresseur. Mais il va sans dire que les systèmes électroniques ne sont vraiment utiles que s’ils font l’objet d’un entretien adéquat et sont soumis à des essais fréquents permettant d’en contrôler le bon fonctionnement.

On peut assurer un certain degré de sécurité au personnel sur le terrain et aux salariés qui travaillent en solitaire en leur fournissant un émetteur-récepteur portatif ou un téléphone cellulaire, qui leur permette de communiquer leur position et d’obtenir au besoin des secours médicaux ou une autre forme d’assistance.

Le contrôle des méthodes de travail

Il est utile de revoir périodiquement les méthodes de travail et de les modifier de façon à éviter l’accumulation de stress. On doit à cet effet porter une attention particulière aux horaires, à la charge de travail, au contenu des tâches et à la surveillance du rendement professionnel. Dans les zones de travail à haut risque, il faut maintenir des effectifs suffisants, tant pour décourager les comportements violents que pour y faire face lorsqu’ils se manifestent. Grâce à une augmentation des effectifs aux heures de pointe, on peut réduire les attentes et les retards irritants, ainsi que l’encombrement des lieux de travail.

La formation du personnel

Les travailleurs et leurs supérieurs doivent apprendre à reconnaître les signes de tension et de colère et à désamorcer les crises par des moyens non violents. Une formation fondée sur des exercices de simulation aidera les salariés à garder leur sang-froid face à des comportements agressifs ou insultants. Il peut être indiqué, dans certains cas, de donner aux salariés des cours d’autodéfense, en prenant garde à ne pas créer chez eux un tel degré d’assurance qu’ils attendront trop longtemps pour appeler à l’aide, si tant est qu’ils le fassent.

Les agents de sécurité, le personnel des établissements psychiatriques ou carcéraux et les autres travailleurs susceptibles d’avoir affaire à des individus violents devraient recevoir une formation leur permettant de maîtriser les éventuels agresseurs, avec un minimum de risques pour les autres et pour eux-mêmes (SEIU, 1995). Toutefois, Unison (1991) estime que la meilleure formation ne saurait se substituer à une bonne organisation du travail et à des mesures de sécurité adéquates.

Les programmes d’assistance aux salariés

Les programmes d’assistance aux salariés (également appelés programmes d’assistance aux adhérents lorsqu’il s’agit de programmes syndicaux) peuvent être particulièrement utiles dans des situations de crise: ils permettent de conseiller et de soutenir les victimes et les témoins d’incidents violents, de les adresser au besoin à des professionnels externes de la santé mentale, de suivre leurs progrès et de superviser les éventuelles mesures de protection prises, le cas échéant, pour faciliter leur retour au travail.

Le personnel de ces programmes conseille en outre les salariés dont la colère et la frustration risquent de dégénérer en actes de violence s’ils sont submergés par des problèmes liés au travail, à la famille ou à l’entourage. Lorsque plusieurs travailleurs du même service font appel à lui, le personnel du programme peut (sans trahir le secret professionnel indispensable au fonctionnement du programme) chercher à convaincre la direction de modifier l’organisation du travail de façon à désamorcer le «baril de poudre» potentiel avant qu’il n’y ait des explosions de violence.

Les recherches

Etant donné la gravité et la complexité du problème et le manque de données fiables, il convient de réaliser des recherches sur l’épidémiologie, les causes, la prévention et la maîtrise de la violence dans la société en général et au travail en particulier. De telles recherches nécessitent un effort pluridisciplinaire auquel doivent être associés (en sus des experts de la sécurité et de la santé au travail) des professionnels de la santé mentale, des assistants sociaux, des architectes et des ingénieurs, des experts de la gestion, des avocats, des juges, des spécialistes de la justice pénale, des autorités de l’ordre public, etc. Il faut d’urgence élargir et améliorer les systèmes de collecte et d’analyse de données et parvenir à un consensus sur une taxinomie de la violence afin de faciliter la transposition des informations et des idées d’une discipline à l’autre.

Conclusion

La violence au travail est un phénomène endémique. Certes, les homicides constituent l’une des principales causes des décès liés au travail, mais sur le plan des répercussions et des coûts, les homicides sont très largement dépassés par la multitude des homicides évités de justesse, des agressions physiques non mortelles, des menaces, des cas de harcèlement et des comportements agressifs ou violents, dont la plupart ne sont pas déclarés et sont mal connus.

Bien que la plupart des homicides et beaucoup d’agressions se produisent au cours d’autres actes criminels, la violence au travail ne saurait être réduite à un simple problème de justice pénale. Elle n’est pas non plus du ressort exclusif des professionnels de la santé mentale et des experts en toxicomanie et autres dépendances, même si elle est très souvent associée à la maladie mentale, à l’alcool et à la drogue. La violence au travail nécessite un effort concerté de la part d’experts de nombreuses disciplines, travaillant sous la direction de professionnels de la sécurité et de la santé au travail en vue d’élaborer, de valider et de mettre en œuvre un ensemble cohérent de stratégies d’intervention et de prévention, sans perdre de vue le fait que la diversité des travailleurs, des fonctions et des secteurs d’activité impose d’adapter ces stratégies aux caractéristiques distinctives de chaque groupe de travailleurs et de l’entreprise qui les emploie.

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RÉFÉRENCES COMPLÉMENTAIRES

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