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Chapitre 50 - Les vibrations

LES VIBRATIONS

Michael J. Griffin

Une vibration est un mouvement oscillatoire. Le présent chapitre étudie les réactions de l’organisme humain aux vibrations transmises à l’ensemble du corps et à celles transmises aux mains, ainsi que les causes du mal des transports.

Les vibrations transmises à l’ensemble du corps se produisent lorsque le corps est soutenu par une surface vibrante, par exemple lorsque le sujet est assis sur un siège vibrant, debout sur un sol vibrant, ou couché sur une surface vibrante. Ce type de vibrations se rencontrent dans tous les moyens de transport et dans les travaux effectués à proximité de certaines installations industrielles.

Vibrations main-bras . Il s’agit des vibrations transmises au corps par la main ou les mains. Elles ont pour origine divers travaux de l’industrie, de l’agriculture, des mines et de la construction mettant en œuvre des pièces ou des machines vibrantes tenues ou guidées avec les doigts ou les mains. L’exposition aux vibrations main-bras peut entraîner l’apparition de nombreuses pathologies.

Le mal des transports désigne les troubles qui peuvent être provoqués par des oscillations du corps à basse fréquence, par certains types de mouvements de rotation du corps, ainsi que par le déplacement relatif d’informations visuelles par rapport à l’observateur.

L’amplitude des vibrations

Le déplacement oscillatoire d’un objet implique alternativement une vitesse dans un sens, suivie d’une vitesse dans l’autre sens. Cette variation de vitesse signifie que l’objet subit une accélération constante, d’abord dans un sens, puis dans le sens opposé. On peut quantifier l’amplitude vibratoire par le déplacement, la vitesse ou l’accélération. Pour des raisons pratiques, on mesure généralement l’accélération avec des accéléromètres. L’unité d’accélération est le mètre par seconde au carré (m/s2). L’accélération due à la pesanteur (gravitation terrestre) est d’environ 9,81 m/s2.

On peut exprimer l’amplitude d’une oscillation grâce à la distance entre les points extrêmes atteints par le mouvement (valeur crête à crête), ou par la distance entre un point central et l’élongation maximale (valeur de crête). On exprime souvent l’amplitude de la vibration par une valeur moyenne de l’accélération du mouvement oscillatoire, généralement la valeur efficace de l’accélération (m/s2 efficace). Pour un mouvement sinusoïdal (fréquence unique), la valeur efficace correspond à la valeur de crête divisée par square root of 2.

Pour un mouvement sinusoïdal, l’accélération a (en m/s2) peut se calculer à partir de la fréquence f (en cycles par seconde) et du déplacement d (en mètres):

a = (2πf)2d

Cette formule permet de convertir des mesures d’accélération en valeurs de déplacement, mais elle n’est précise que si le mouvement est à fréquence unique.

On a parfois recours à des échelles logarithmiques pour quantifier l’amplitude vibratoire en décibels (dB). Si l’on applique la norme internationale 1683 (ISO, 1983), le niveau d’accélération La s’exprime par La = 20 log10(a/a0), où a est l’accélération mesurée (en m/s2 efficace) et a0 le niveau de référence de 10-6 m/s2. Certains pays emploient des niveaux de référence différents.

La fréquence

La fréquence d’une vibration, exprimée en cycles par seconde (hertz, Hz), affecte la façon dont la vibration est transmise au corps (par exemple, par la surface d’un siège ou la poignée d’une machine vibrante), la propagation à l’intérieur du corps (par exemple, du siège à la tête), ainsi que les effets qu’elle provoque dans l’organisme. La relation entre le déplacement et l’accélération dépend également de la fréquence de l’oscillation: un déplacement de 1 millimètre correspond à de très faibles accélérations en basses fréquences, mais à de très fortes accélérations aux fréquences élevées. Le déplacement d’une vibration perçue par l’œil humain n’est pas une indication fiable de son accélération.

Les effets des vibrations transmises à l’ensemble du corps sont généralement les plus marqués aux fréquences les plus basses de la gamme, soit de 0,5 à 100 Hz. Dans le cas des vibrations main-bras, des fréquences de 1 000 Hz ou davantage pourraient avoir des effets nocifs. Quant aux fréquences inférieures à 0,5 Hz environ, elles peuvent induire le mal des transports.

La composition fréquentielle d’une vibration peut être représentée par un spectre. Pour de nombreux types de vibrations transmises à l’ensemble du corps ou au système main-bras, ces spectres de fréquences sont complexes, certains mouvements comprenant toutes les fréquences. On observe cependant souvent des pics, qui correspondent aux fréquences où la vibration est prédominante.

La réponse de l’être humain aux vibrations dépendant de la fréquence de celles-ci, il est nécessaire de pondérer les vibrations mesurées en fonction de la fréquence. Les pondérations fréquentielles reflètent l’importance relative avec laquelle les vibrations considérées induisent un effet non désiré à chaque fréquence. Elles sont nécessaires pour chaque axe de vibration. Les vibrations transmises à l’ensemble du corps ou au système main-bras et le mal des transports appellent des pondérations fréquentielles différentes.

La direction

Les vibrations peuvent se propager selon trois axes de translation et trois axes de rotation. Dans le cas de personnes assises, les axes de translation sont l’axe x (avant-arrière), l’axe y (latéral) et l’axe z (vertical). Les rotations autour des axes x, y et z sont désignées par rx (roulis), ry (tangage) et rz (lacet). Les vibrations sont mesurées d’ordinaire aux interfaces entre le corps et l’élément vibrant. Les principaux systèmes de coordonnées employés pour la mesure des vibrations transmises à l’ensemble du corps et au système main-bras sont présentés dans les deux articles ci-après du présent chapitre.

La durée d’exposition

Les réactions de l’organisme aux vibrations dépendent de la durée totale de l’exposition. Si les caractéristiques de la vibration ne subissent pas de variations dans le temps, la valeur efficace de l’accélération fournit une mesure commode de son amplitude moyenne. Un simple chronomètre suffit dans ce cas pour déterminer la durée de l’exposition. La sévérité de l’amplitude moyenne et la durée totale peuvent être évaluées en se référant aux normes citées dans les articles ci-après.

Si, par contre, les caractéristiques des vibrations varient dans le temps, l’amplitude moyenne mesurée dépendra de la période de mesure. On considère, par ailleurs, que la valeur efficace de l’accélération sous-estime la sévérité des mouvements qui comportent des chocs ou sont transitoires.

De nombreuses expositions professionnelles ont un caractère intermittent, varient en amplitude d’un moment à l’autre ou comportent des chocs occasionnels. La sévérité de ces mouvements complexes peut être cumulée de façon à pondérer de manière appropriée, par exemple, de brèves périodes de vibrations de forte amplitude et de longues périodes de faible amplitude. Il existe différentes méthodes pour calculer les doses vibratoires (voir dans le présent chapitre les articles «Les vibrations transmises à l’ensemble du corps», «Les vibrations main-bras», et «Le mal des transports»).

LES VIBRATIONS TRANSMISES À L’ENSEMBLE DU CORPS

Helmut Seidel et Michael J. Griffin

L’exposition professionnelle

Les expositions professionnelles aux vibrations transmises à l’ensemble du corps se rencontrent surtout dans les transports. Les moyens de transport terrestres, maritimes et aériens peuvent tous engendrer des vibrations susceptibles d’occasionner de l’inconfort, de gêner les activités, voire d’être la cause de pathologies. Le tableau 50.1 recense un certain nombre d’activités particulièrement susceptibles de présenter un risque pour la santé.

Tableau 50.1 Activités pour lesquelles il peut être justifié de prévenir les effets nocifs
des vibrations transmises à l'ensemble du corps

Conduite de tracteurs

Véhicules de combat blindés (par exemple, chars) et véhicules similaires

Autres véhicules tout-terrain:

  • Engins de terrassement: chargeuses, pelles mécaniques, bouteurs, niveleuses, scrapeurs, tombereaux, compacteurs
  • Machines forestières
  • Equipements de mines et de carrières
  • Chariots élévateurs

Conduite de certains camions (articulés ou non)

Conduite de certains autobus et tramways

Vol à bord de certains hélicoptères et appareils à voilure fixe

Certains travaux sur bétonnières

Conduite de certains véhicules ferroviaires

Certaines utilisations de navires rapides

Certaines conditions de conduite de motocyclettes

Certaines conditions de conduite d’automobiles et de fourgons

Certaines activités sportives

Certains autres équipements industriels

Source: d’après Griffin, 1990.

Les expositions les plus courantes aux vibrations et aux chocs de forte amplitude se rencontrent dans les véhicules tout-terrain, tels qu’engins de terrassement, chariots de manutention ou tracteurs agricoles.

La biodynamique

A l’instar de toute structure mécanique, le corps humain possède des fréquences de résonance qui entraînent une réponse mécanique maximale. La réponse humaine aux vibrations ne peut pas s’expliquer seulement en termes de fréquence de résonance unique; il existe de nombreuses résonances dans le corps et les fréquences de résonance varient d’une personne à l’autre et en fonction de la posture. Deux réponses mécaniques du corps sont souvent utilisées pour décrire la manière dont les vibrations provoquent un mouvement du corps: la transmissibilité et l’impédance .

La transmissibilité indique la fraction des vibrations transmises, par exemple, du siège à la tête. La transmissibilité du corps dépend fortement de la fréquence et de l’axe des vibrations, ainsi que de la posture du corps. Des vibrations verticales du siège provoquent des vibrations de la tête suivant plusieurs axes. Dans le cas d’un mouvement vertical de la tête, la transmissibilité tend à être la plus forte dans la plage de 3 à 10 Hz environ.

L’impédance mécanique du corps caractérise la force nécessaire pour provoquer un mouvement du corps à chaque fréquence. Bien que l’impédance dépende de la masse du corps, l’impédance verticale du corps humain présente généralement une résonance à 5 Hz environ. L’impédance mécanique du corps humain, y compris cette résonance, influence fortement la manière dont les vibrations sont transmises par les sièges.

Les effets à court terme

L’inconfort

Le sentiment d’inconfort causé par l’accélération des vibrations dépend de la fréquence et de la direction de celles-ci, du point de contact avec le corps et de la durée de l’exposition. Dans le cas des vibrations verticales transmises à des sujets assis, l’inconfort occasionné par une fréquence quelconque augmente avec l’amplitude vibratoire: une réduction de moitié de l’amplitude réduira l’inconfort dans la même proportion.

Il est possible de prédire le degré d’inconfort lié aux vibrations en ayant recours à des pondérations fréquentielles appropriées (voir ci-après). L’inconfort peut être décrit selon une échelle sémantique. On n’a pas défini de limite utile de l’inconfort dû aux vibrations, car le niveau acceptable varie d’un environnement à l’autre.

Les amplitudes vibratoires acceptables dans les bâtiments sont proches des seuils de perception des vibrations. Les effets de ces vibrations sur l’être humain sont censés dépendre non seulement de leur fréquence, de leur direction et de leur durée, mais également de l’affectation du bâtiment considéré. Plusieurs normes donnent des indications sur l’évaluation des vibrations dans les bâtiments, par exemple la norme britannique 6472 (BSI, 1992), qui définit une procédure d’évaluation des vibrations et des chocs dans les bâtiments.

Les interférences avec certaines activités humaines

Les vibrations peuvent gêner l’acquisition d’informations (par exemple, visuelles), la réponse aux informations reçues (par exemple, par des mouvements de la main ou du pied) ou les processus centraux complexes liant stimulation et réaction (comme l’apprentissage, la mémorisation ou la prise de décisions). Les effets les plus marqués des vibrations transmises à l’ensemble du corps portent sur les processus de stimulation (notamment la vision) et les processus de réaction (l’utilisation continue de commandes manuelles, en particulier).

Les effets des vibrations sur les activités de contrôle visuelles ou manuelles sont liés avant tout aux mouvements de la partie affectée du corps, à savoir l’œil et la main. On peut les atténuer en réduisant la transmission des vibrations à l’œil ou à la main ou encore en rendant la tâche moins sensible aux perturbations, par exemple en augmentant les dimensions d’un écran de visualisation ou en réduisant la sensibilité d’une commande. Il est souvent possible de diminuer considérablement les effets des vibrations sur les activités de contrôle visuelles ou manuelles par un réaménagement des tâches.

Les tâches cognitives simples (telles qu’un temps de réaction simple) ne paraissent pas être affectées par les vibrations, si ce n’est par une modification de l’attention ou de la motivation ou par des effets directs sur les processus de stimulation et de réaction. Il semble que ce soit également le cas pour certaines tâches cognitives complexes. Le petit nombre et la diversité des études expérimentales ne permettent toutefois pas d’exclure la possibilité d’effets cognitifs réels et significatifs. Les vibrations peuvent influer sur la fatigue, mais il existe peu d’indications scientifiques à cet égard et aucune, en tout cas, qui puisse étayer la notion complexe de «limite d’aptitude réduite par la fatigue» proposée dans la norme internationale 2631 (ISO, 1974, 1997).

Les modifications physiologiques

Des modifications des fonctions physiologiques ont été constatées lorsque des sujets sont exposés en laboratoire à un environnement inhabituel de vibrations transmises à l’ensemble du corps. Ces changements caractéristiques d’une «réaction de surprise» (par exemple, accélération du rythme cardiaque) disparaissent rapidement si l’exposition se prolonge, tandis que d’autres réactions subsistent ou s’amplifient. Celles-ci peuvent dépendre de l’ensemble des caractéristiques des vibrations — y compris la direction, l’amplitude de l’accélération et le type de vibrations (sinusoïdales ou aléatoires) — ainsi que d’autres variables comme le rythme circadien et les caractéristiques des sujets (voir Hasan, 1970; Seidel, 1975; Dupuis et Zerlett, 1986). Il est souvent impossible d’établir un lien direct entre les modifications des fonctions physiologiques constatées en conditions réelles et les vibrations, celles-ci agissant souvent en même temps que d’autres facteurs significatifs (par exemple, forte astreinte mentale, bruit, ou exposition à des substances toxiques). Les modifications physiologiques sont souvent moins apparentes que les réactions psychologiques (comme la sensation d’inconfort). Si l’on prend en considération toutes les données disponibles relatives à l’apparition initiale de modifications physiologiques persistantes selon la fréquence et l’amplitude des vibrations transmises à l’ensemble du corps, on peut mettre en évidence une courbe limite qui se situe aux alentours de 0,7 m/s2 efficace entre 1 et 10 Hz et qui atteint 30 m/s2 efficace à 100 Hz. De nombreuses études ont été effectuées sur l’animal, mais la validité de leur transposition à l’être humain n’est pas démontrée.

Les modifications neuromusculaires

Lors d’un mouvement naturel actif, les mécanismes de contrôle moteur agissent comme un contrôle par anticipation constamment ajusté par un retour d’information provenant des capteurs sensitifs des muscles, tendons et articulations. Les vibrations transmises à l’ensemble du corps provoquent un mouvement artificiel passif du corps, situation fondamentalement différente des vibrations auto-induites par la locomotion. L’absence de contrôle par anticipation dans l’exposition aux vibrations transmises à l’ensemble du corps constitue la modification la plus marquée de la fonction physiologique normale du système neuromusculaire. La plage de fréquences large qui caractérise les vibrations transmises à l’ensemble du corps (entre 0,5 et 100 Hz), comparée à celle du mouvement naturel (entre 2 et 8 Hz pour les mouvements volontaires, et moins de 4 Hz pour la locomotion), est une différence supplémentaire qui contribue à expliquer les réactions des mécanismes de contrôle neuromusculaire aux fréquences très basses et aux fréquences élevées.

Les vibrations transmises à l’ensemble du corps et les accélérations transitoires font apparaître, sur l’électromyogramme (EMG) des muscles dorsaux superficiels des personnes assises, une activité alternative liée à l’accélération qui se traduit par une contraction tonique prolongée. On suppose que cette activité s’apparente à un réflexe. Elle disparaît en général complètement lorsque le sujet soumis aux vibrations est assis, détendu, avec le dos arrondi. La synchronisation de l’activité musculaire dépend de la fréquence et de l’amplitude de l’accélération. Les données électromyographiques suggèrent qu’une charge spinale accrue peut survenir en raison d’une moins bonne stabilisation musculaire de la colonne vertébrale aux fréquences de 6,5 à 8 Hz et pendant la phase initiale d’un brusque déplacement vers le haut. Malgré la faible activité EMG causée par les vibrations transmises à l’ensemble du corps, la fatigue des muscles dorsaux pendant l’exposition aux vibrations peut dépasser celle observée dans les postures assises normales en l’absence de vibrations.

Les réflexes tendineux peuvent s’atténuer ou disparaître temporairement au cours de l’exposition à des vibrations sinusoïdales transmises à l’ensemble du corps et de fréquences supérieures à 10 Hz. Les légères modifications du contrôle postural après exposition aux vibrations à l’ensemble du corps sont assez variables; leur mécanisme et leur importance pratique demeurent incertains.

Les modifications cardio-vasculaires, respiratoires, endocriniennes et métaboliques

Les modifications dont on a constaté la persistance dans le cas d’exposition aux vibrations s’apparentent à celles apparaissant au cours d’un effort physique modéré (augmentation du rythme cardiaque, de la pression sanguine et de la consommation d’oxygène), et cela même pour les amplitudes vibratoires proches de la limite de tolérance volontaire. L’accroissement de la ventilation est en partie dû au mouvement oscillatoire de l’air dans l’appareil respiratoire. Les modifications respiratoires et métaboliques peuvent ne pas correspondre, ce qui peut laisser supposer une perturbation des mécanismes de contrôle de la respiration. Diverses observations, partiellement contradictoires, ont été rapportées en ce qui concerne les modifications des hormones adrénocorticotropes (ACTH) et des catécholamines.

Les modifications des systèmes nerveux sensoriel et central

On a fait état de modifications de la fonction vestibulaire lors d’exposition à des vibrations transmises à l’ensemble du corps; elles seraient dues à une incidence sur l’adaptation de la posture, bien que celle-ci soit contrôlée par un système très complexe dans lequel une perturbation de la fonction vestibulaire peut être en grande partie compensée par d’autres mécanismes. Les modifications de la fonction vestibulaire semblent prendre de l’importance dans le cas d’expositions à des vibrations de fréquences très basses ou proches de la fréquence de résonance du corps entier. On suppose que le conflit sensoriel entre les informations vestibulaires, visuelles et proprioceptives (stimuli reçus dans les tissus) est un important mécanisme sous-jacent aux réactions physiologiques à certains environnements artificiels de mouvement.

Les expériences menées sur des expositions combinées de courte et de longue durée au bruit et aux vibrations transmises à l’ensemble du corps semblent indiquer que les vibrations ont un effet synergique mineur sur l’audition. On constate une tendance associant les fortes amplitudes de vibrations transmises à l’ensemble du corps à 4 ou 5 Hz à des variations temporaires plus élevées du seuil temporaire d’audibilité. Il n’a pas été possible de mettre en évidence un rapport entre ces variations et la durée d’exposition. Elles semblent augmenter, par contre, en même temps que les doses vibratoires.

Les vibrations impulsionnelles verticales ou horizontales sollicitent le potentiel cérébral. Des modifications fonctionnelles du système nerveux central ont également été mises en évidence à l’aide de sollicitations auditives du potentiel cérébral (Seidel et coll., 1992). Les effets constatés étaient également influencés par d’autres facteurs de l’environnement (par exemple, bruit), par la difficulté de la tâche et par l’état intérieur du sujet (niveau d’éveil, degré d’attention accordé au stimulus).

Les effets à long terme

Les risques pour la colonne vertébrale

Les études épidémiologiques ont souvent révélé un risque élevé de lésions de la colonne vertébrale chez les travailleurs exposés pendant de longues années à des vibrations de forte amplitude transmises à l’ensemble du corps (par exemple, conduite de tracteurs ou d’engins de terrassement). Seidel et Heide (1986), Dupuis et Zerlett (1986) ainsi que Bongers et Boshuizen (1990) ont réalisé des études critiques de la littérature existante qui concluent que l’exposition à des vibrations de forte amplitude transmises à l’ensemble du corps pendant des périodes prolongées peuvt entraîner des lésions de la colonne vertébrale et faire augmenter le risque de lombalgie; celles-ci pourraient être un effet secondaire des modifications dégénératives primaires des vertèbres et des disques intervertébraux. La région lombaire de la colonne vertébrale est la plus fréquemment touchée, suivie de la région thoracique. Le taux élevé de lésions de la région cervicale signalé par plusieurs auteurs semble avoir pour origine le maintien d’une mauvaise posture plutôt que les vibrations elles-mêmes, encore que cette hypothèse ne soit pas suffisamment étayée. Seuls quelques travaux ont été effectués sur le rôle des muscles du dos et ont mis en évidence une insuffisance musculaire. Certains font état d’un risque nettement plus élevé de déplacement des disques lombaires. Lors de plusieurs études transversales, Bongers et Boshuizen (1990) ont trouvé plus de cas de lombalgie chez les conducteurs de véhicules et les pilotes d’hélicoptères que parmi la population témoin. Ils en ont conclu que la conduite professionnelle de véhicules et le pilotage d’hélicoptères comportent un risque important de lombalgies et de lésions dorsales. Les grutiers et les conducteurs de tracteurs accusent un taux plus élevé de pensions d’invalidité et d’arrêts de travail de longue durée en raison de lésions des disques intervertébraux.

Du fait de l’absence ou du caractère incomplet des données épidémiologiques, il n’a pas été possible d’établir de relation précise entre exposition et effets. Les données existantes ne permettent pas de fixer un niveau d’innocuité, c’est-à-dire une limite permettant d’exclure à coup sûr une atteinte à la colonne vertébrale. Une exposition de plusieurs années à des niveaux inférieurs ou proches de ceux de la norme internationale 2631 (ISO, 1974, 1997) ne va pas sans risques. Certains travaux font état d’un accroissement du risque pour la santé avec la durée de l’exposition, bien que les modes de sélection employés rendent difficile la mise en évidence d’une telle relation dans la plupart des cas. Les études épidémiologiques ne permettent donc pas d’établir à l’heure actuelle une relation dose-effet. Des considérations théoriques suggèrent que des pics de charge élevés agissant sur la colonne vertébrale lors d’expositions comportant des transitoires de forte amplitude entraînent des effets nocifs. Le recours à une méthode fondée sur l’équivalence en énergie pour calculer une dose vibratoire, comme dans la norme internationale 2631 (ISO, 1974, 1997) est, par conséquent, discutable dans le cas d’expositions à des vibrations transmises à l’ensemble du corps comportant des pics d’accélération élevés. Les études épidémiologiques n’ont pas permis de dégager des différences dans les effets à long terme des vibrations transmises à l’ensemble du corps en fonction de la fréquence. Des vibrations transmises à l’ensemble du corps de 40 à 50 Hz, appliquées aux pieds de travailleurs se tenant debout, ont entraîné des modifications dégénératives des os du pied.

En général, les différences entre individus ont été beaucoup négligées, même si les méthodes de sélection laissent penser que ces différences peuvent avoir une grande importance. Il n’existe aucune donnée indiquant clairement si les effets des vibrations transmises à l’ensemble du corps sur la colonne vertébrale varient selon le sexe.

La reconnaissance générale des lésions dégénératives de la colonne vertébrale comme maladie professionnelle fait l’objet de controverses. On ne connaît pas de critère spécifique autorisant un diagnostic fiable de ces lésions en tant qu’effets d’une exposition aux vibrations transmises à l’ensemble du corps. La fréquence élevée des troubles dégénératifs de la colonne vertébrale dans les populations non exposées ne permet pas de conclure à une étiologie à prédominance professionnelle chez les individus exposés aux vibrations transmises à l’ensemble du corps. On ne connaît pas non plus les facteurs de prédisposition individuelle pouvant influer sur les astreintes liées aux vibrations. La définition d’une amplitude vibratoire minimale ou d’une durée minimale d’exposition à des vibrations transmises à l’ensemble du corps comme préalable à leur reconnaissance en tant que maladie professionnelle méconnaîtrait dès lors la variabilité considérable à laquelle on peut s’attendre en matière de sensibilité individuelle.

Les autres risques pour la santé

Les études épidémiologiques tendent à montrer que les vibrations transmises à l’ensemble du corps sont l’un des éléments d’un ensemble de causes d’autres risques pour la santé. On citera ici le bruit, de fortes astreintes mentales et le travail posté qui sont quelques-uns des facteurs concomitants importants jouant un rôle dans ce domaine. Les résultats des études portant sur les troubles d’autres systèmes du corps humain sont souvent divergents ou indiquent une dépendance paradoxale de la prévalence de la pathologie par rapport à l’amplitude des vibrations transmises à l’ensemble du corps (c’est-à-dire une prévalence plus élevée des effets nocifs aux amplitudes moins élevées). Un ensemble caractéristique de symptômes et d’altérations du système nerveux central, de l’appareil locomoteur et de l’appareil circulatoire a été observé chez les travailleurs se tenant debout sur des tables vibrantes pour béton et exposés à des vibrations transmises à l’ensemble du corps d’une amplitude supérieure à la limite d’exposition de la norme ISO 2631, avec des fréquences dépassant 40 Hz (Rumjancev, 1966). Ce syndrome a été appelé «maladie des vibrations». Quoique rejeté par de nombreux spécialistes, ce même terme a parfois été employé pour décrire un tableau clinique plutôt vague résultant d’une exposition de longue durée à des vibrations basse fréquence transmises à l’ensemble du corps. Ce syndrome est censé se manifester initialement par des troubles végéto-vasculaires périphériques et cérébraux de type fonctionnel non spécifique. Les données existantes permettent de conclure que différents systèmes physiologiques réagissent indépendamment les uns des autres. Il n’existe pas de symptôme pouvant servir d’indicateur de la pathologie induite par les vibrations transmises à l’ensemble du corps.

Système nerveux, appareil vestibulaire et audition. Les vibrations de forte amplitude et de fréquences supérieures à 40 Hz transmises à l’ensemble du corps peuvent entraîner des lésions ou des troubles du système nerveux central. Des données contradictoires ont été publiées sur les effets des vibrations transmises à l’ensemble du corps aux fréquences inférieures à 20 Hz. Quelques rares études font état de plaintes non spécifiques telles que des maux de tête ou une irritabilité accrue. Des altérations de l’électroencéphalogramme (EEG) suite à une exposition de longue durée aux vibrations transmises à l’ensemble du corps sont signalées par un auteur, mais contestées par d’autres. Certains résultats publiés font ressortir une diminution de l’excitabilité vestibulaire et une incidence accrue d’autres troubles vestibulaires, notamment des vertiges. On peut toutefois mettre en doute l’existence d’un lien de cause à effet entre les vibrations transmises à l’ensemble du corps et les troubles du système nerveux central ou de l’appareil vestibulaire, en raison des relations paradoxales mises en évidence entre amplitudes vibratoires, d’une part, et effets, d’autre part.

Certaines études font état d’une augmentation accrue des variations permanentes du seuil d’audibilité suite à une exposition combinée de longue durée aux vibrations transmises à l’ensemble du corps et au bruit. Schmidt (1987) a observé des ouvriers agricoles et comparé les augmentations en question après 3 et 25 ans d’activité. Il conclut que les vibrations transmises à l’ensemble du corps peuvent entraîner une variation additionnelle significative du seuil d’audibilité à 3, 4, 6 et 8 kHz si la valeur efficace de l’accélération pondérée selon la norme internationale 2631 (ISO, 1974, 1997) dépasse 1,2 m/s2 et si les sujets sont exposés simultanément à des bruits dont le niveau acoustique équivalent dépasse 80 décibels (dBA).

Appareils circulatoire et digestif. Quatre grandes catégories de troubles circulatoires ont été constatées avec une incidence plus élevée chez les travailleurs exposés à des vibrations transmises à l’ensemble du corps:

  1. troubles périphériques, tels que le syndrome de Raynaud, à proximité du point d’application des vibrations transmises à l’ensemble du corps (pieds des travailleurs debout ou, à un moindre degré, mains des conducteurs);
  2. varices aux jambes, hémorroïdes et varicocèle;
  3. ischémie cardiaque et hypertension;
  4. modifications neurovasculaires.

La morbidité de ces troubles circulatoires n’est pas toujours en corrélation avec l’amplitude ou la durée de l’exposition aux vibrations. Si l’on observe souvent une prévalence élevée de divers troubles du système digestif, la plupart des auteurs considèrent que les vibrations transmises à l’ensemble du corps n’en sont qu’une des causes, et peut-être pas la plus importante.

Organes reproducteurs de la femme, grossesse et système génito-urinaire masculin. On a avancé que l’exposition de longue durée aux vibrations transmises à l’ensemble du corps s’accompagnait de risques accrus d’avortement, de troubles menstruels et d’anomalies positionnelles (par exemple, descente d’utérus) (Seidel et Heide, 1986). Il n’est pas possible de dégager des travaux publiés une limite d’exposition au-dessous de laquelle ces risques ne seraient pas plus élevés. La sensibilité individuelle et ses variations dans le temps contribuent probablement à ces effets biologiques. En effet, ces travaux ne font pas état d’un effet nocif direct des vibrations transmises à l’ensemble du corps sur le fœtus humain, bien que certaines études sur l’animal le laissent penser. L’absence d’un seuil connu pour les effets délétères sur la grossesse invite à limiter l’exposition professionnelle au niveau le plus bas raisonnablement praticable.

Quant aux résultats publiés sur l’apparition d’affections du système génito-urinaire masculin, ils divergent. Certaines études ont fait état d’une incidence de prostatite plus élevée, mais ce constat n’a pas été confirmé dans d’autres.

Les normes

Bien qu’il ne soit pas possible de proposer une limite précise permettant de prévenir les troubles dus aux vibrations transmises à l’ensemble du corps, on trouve dans les normes des méthodes utiles pour quantifier la sévérité des vibrations. La norme internationale 2631 (ISO, 1974, 1997) définit des limites d’exposition (voir figure 50.1) fixées à la moitié environ du niveau considéré comme seuil de la douleur (ou comme limite de la tolérance volontaire) par des sujets humains en bonne santé. La même figure indique également les niveaux d’action des valeurs de dose vibratoire pour les vibrations verticales, tirés de la norme britannique 6841 (BSI, 1987b); celle-ci correspond en partie à un projet de révision de la norme internationale.

Figure 50.1 Réponse de l'organisme humain aux vibrations transmises à l'ensemble
du corps en fonction de la fréquence

Figure 50.1

La valeur de dose vibratoire peut être considérée comme étant l’amplitude d’une vibration agissant durant une seconde et ayant une sévérité équivalente à la vibration mesurée. Cette valeur de dose vibratoire fait intervenir le temps à la quatrième puissance pour cumuler la sévérité des vibrations sur toute la durée de l’exposition, depuis le transitoire le plus court jusqu’à une journée complète d’exposition (par exemple, BS 6841):

Equation

Cette méthode peut servir à évaluer aussi bien la sévérité des vibrations que celle des chocs répétés. Elle est d’une application plus facile que celle proposée par la norme ISO 2631 (voir figure 50.2).

Figure 50.2 Réponse de l'organisme humain aux vibrations transmises à l'ensemble du corps
en fonction du temps

Figure 50.2

La norme britannique 6841 fournit les indications ci-après.

Les valeurs élevées de dose vibratoire provoquent un sérieux inconfort, des douleurs et des lésions. Elles indiquent également, de façon générale, la sévérité des expositions qui en sont responsables. A l’heure actuelle, il n’existe cependant pas de consensus quant à la relation exacte entre les valeurs de dose vibratoire et le risque de lésions. On sait que les amplitudes vibratoires et les durées d’exposition correspondant à des valeurs de l’ordre de 15 m/s1,75 se traduisent en général par un sérieux inconfort. Il est raisonnable de supposer qu’une exposition accrue aux vibrations s’accompagnera d’une augmentation du risque de lésions (BSI, 1987b).

Aux valeurs de dose élevées, il peut être nécessaire de prendre préalablement en compte l’aptitude des personnes exposées et de mettre en place les mesures de sécurité requises. Des contrôles périodiques de la santé des sujets régulièrement exposés doivent également être envisagés.

La valeur de dose vibratoire permet de comparer des expositions très différentes et très complexes. Elle permet aux organismes compétents de spécifier des limites ou des niveaux d’action. Dans certains pays, on utilise, par exemple, une valeur de dose vibratoire de 15 m/s1,75 comme niveau d’action à titre provisoire, mais il peut être justifié de limiter l’exposition aux vibrations ou aux chocs répétés à des valeurs supérieures ou inférieures, en fonction de la situation. Dans l’état actuel des connaissances, un niveau d’action sert simplement à indiquer les valeurs approximatives qui pourraient être excessives. La figure 50.2 illustre les valeurs efficaces de l’accélération correspondant à une valeur de dose vibratoire de 15 m/s1,75 pour des expositions allant d’une seconde à vingt-quatre heures environ. Toute exposition à des vibrations continues ou intermittentes ou à des chocs répétés peut être comparée au niveau d’action en calculant la valeur de dose vibratoire. Il serait déraisonnable de dépasser un niveau d’action approprié (ou la limite d’exposition de la norme ISO 2631) sans envisager les effets potentiels sur la santé de l’exposition aux vibrations ou aux transitoires.

La directive sur la sécurité des machines de la Commission des Communautés européennes stipule que les machines doivent être conçues et construites pour que les risques résultant des vibrations produites soient réduits au niveau le plus bas, compte tenu du progrès technique et de la disponibilité de moyens d’atténuation des vibrations. Elle préconise la réduction des vibrations à la source (CCE, 1989).

La mesure et l’évaluation de l’exposition

Les vibrations transmises à l’ensemble du corps devraient être mesurées à l’interface entre le corps et la source des vibrations. Pour les personnes assises, on place les accéléromètres sur la surface du siège, sous les tubérosités ischiatiques des sujets. On mesure parfois également les vibrations au niveau du dossier du siège (entre le dos et le dossier), ainsi qu’aux pieds et aux mains (voir figure 50.3).

Figure 50.3 Axes de mesure des expositions aux vibrations de personnes assises

Figure 50.3

Les données épidémiologiques ne suffisent pas, à elles seules, pour définir la façon d’évaluer les vibrations transmises à l’ensemble du corps en vue de prédire les risques pour la santé que présentent les différents types d’exposition. L’étude de ces données, en combinaison avec la compréhension des réponses biodynamiques et subjectives, a permis l’élaboration des guides actuels. On utilise de nos jours la même procédure pour évaluer les effets sur la santé d’un mouvement vibratoire en fonction de la fréquence, de la direction et de la durée de ce mouvement que pour évaluer l’inconfort dû aux vibrations. Toutefois, l’exposition totale semble être plus importante que l’exposition moyenne, et une mesure de la dose est dès lors indiquée.

Outre l’évaluation des vibrations mesurées d’après les normes en vigueur, il est recommandé de considérer les spectres de fréquence et les amplitudes suivant les différents axes et les autres caractéristiques de l’exposition, y compris les durées d’exposition quotidienne et sur la vie entière. La présence d’autres facteurs défavorables, notamment une posture assise, devrait être également prise en compte.

La prévention

Chaque fois que la chose est possible, il faut s’employer à privilégier la réduction des vibrations à la source. Pour cela, on peut notamment envisager une égalisation des sols ou une limitation de la vitesse des véhicules. D’autres méthodes de réduction de la transmission des vibrations aux opérateurs exigent que l’on connaisse les caractéristiques de l’environnement vibratoire et la façon dont les vibrations sont transmises à l’ensemble du corps. Ainsi, l’amplitude vibratoire varie souvent avec l’emplacement: on peut rencontrer des amplitudes inférieures en certains endroits. Le tableau 50.2 énumère une série de mesures préventives.

Tableau 50.2 Récapitulatif des mesures de prévention à envisager dans les cas où des
personnes se trouvent exposées à des vibrations transmises à l'ensemble du corps

Catégories

Action

Organisation

Rechercher des conseils techniques

Rechercher des conseils médicaux

Avertir les personnes exposées

Former les personnes exposées

Connaître les durées d’exposition

Instaurer une politique de diminution de l’exposition

Constructeurs de machines

Mesurer les vibrations

Minimiser les vibrations transmises à l’ensemble du corps dès la conception

Optimiser les suspensions

Optimiser les caractéristiques des sièges

Appliquer les concepts de l’ergonomie pour assurer une bonne posture, etc.

Fournir des indications sur la maintenance des machines

Fournir des indications sur la maintenance des sièges

Signaler la présence de vibrations dangereuses

Mesures techniques sur les lieux de travail

Mesurer l’exposition aux vibrations

Choisir des machines appropriées

Choisir des sièges assurant une bonne atténuation

Maintenir les machines en bon état

Informer la direction

Mesures médicales

Procéder à des examens lors de l’embauche

Effectuer des examens médicaux de routine

Tenir un dossier de tous les signes et symptômes signalés

Avertir les travailleurs montrant une prédisposition

Informer sur les conséquences de l’exposition

Informer la direction

Personnel exposé

Utiliser les machines correctement

Eviter toute exposition inutile aux vibrations

Vérifier le bon réglage du siège

Adopter une bonne posture sur le siège

Vérifier l’état de la machine

Informer les agents de maîtrise des problèmes de vibration

Consulter un médecin en cas d’apparition de symptômes

Informer l’employeur de l’apparition de troubles

Source: d’après Griffin, 1990.

Les sièges peuvent être conçus de façon à atténuer les vibrations. La plupart de ces sièges entrent en résonance aux basses fréquences, ce qui se traduit par des valeurs d’accélération verticale plus élevées sur l’assise du siège que sur le plancher. On constate généralement une atténuation des vibrations aux fréquences élevées. Les fréquences de résonance des sièges courants non suspendus se situent dans la région de 4 Hz. L’amplification dans la zone de résonance est en partie déterminée par l’amortissement du siège. Un meilleur amortissement par une sellerie plus rembourrée du siège tend à réduire l’amplification au niveau de la résonance, mais aussi à accroître la transmissibilité aux fréquences élevées. Il existe des écarts de transmissibilité considérables entre les sièges qui sont à l’origine d’importantes différences dans les vibrations perçues par les usagers.

Une indication chiffrée simple de l’efficacité isolante d’un siège pour une application donnée est fournie par le rapport de transmission d’amplitude effective du siège (Griffin, 1990). Une valeur de ce rapport supérieure à 100% indique que, globalement, les vibrations au niveau du siège sont plus fortes que celles du plancher, alors que les valeurs inférieures à 100% signifient que le siège a apporté une certaine atténuation. Un bon siège doit être conçu de façon à donner la valeur la plus faible qui soit compatible avec les autres exigences.

Les sièges suspendus sont dotés sous l’assise d’un mécanisme distinct de suspension. Ces sièges, montés sur certains véhicules tout-terrain, camions et autocars, ont une fréquence de résonance basse (autour de 2 Hz) et sont, par conséquent, capables d’atténuer les vibrations de fréquence supérieure à 3 Hz environ. La fonction de transmission est généralement déterminée par le fabricant, mais leur efficacité varie avec les conditions d’exploitation.

LES VIBRATIONS MAIN-BRAS

Massimo Bovenzi

L’exposition professionnelle

Les vibrations mécaniques émises par des pièces usinées ou des machines et transmises au corps par les doigts ou la paume sont appelées vibrations transmises à la main. On parle aussi parfois de «vibrations du système main-bras» ou de «vibrations locales». Les opérations ou les machines exposant les mains des opérateurs à des vibrations sont très répandues dans de nombreuses activités industrielles. L’exposition professionnelle aux vibrations main-bras est le fait des machines portatives utilisées dans les industries de transformation (machines à percussion pour le travail des métaux, meuleuses et autres machines rotatives, clés à chocs, etc.), dans les carrières, les mines et les chantiers de construction (par exemple, perforateurs, marteaux-piqueurs, défonceuses, brise-béton, meuleuses portatives, vibrocompacteurs), et dans les exploitations agricoles et forestières (tronçonneuses à chaîne, débroussailleuses, écorceuses, etc.). L’opérateur peut aussi subir une exposition aux vibrations main-bras lorsqu’il tient à la main des pièces qui vibrent (meuleuse sur socle) ou des organes de contrôle vibrants comme ceux des tondeuses à gazon ou des machines de compactage. On estime que le nombre de personnes exposées professionnellement aux vibrations main-bras est d’environ 150 000 aux Pays-Bas, 0,5 million en Grande-Bretagne et 1,45 million aux Etats-Unis. Une exposition excessive à ce type de vibrations peut provoquer des altérations des vaisseaux sanguins, des nerfs, des muscles ainsi que des os et articulations des membres supérieurs. On considère qu’entre 1,7 et 3,6% des travailleurs d’Europe et des Etats-Unis sont exposés à des vibrations main-bras potentiellement nocives (Comité international de l’Association internationale de la sécurité sociale (AISS) pour la recherche, 1989). Le terme de syndrome des vibrations main-bras est couramment utilisé pour désigner les signes et symptômes associés aux vibrations transmises par la main. Ce terme recouvre les troubles ci-après:

Les activités de loisirs comme la conduite de motocyclettes ou l’utilisation de machines vibrantes peuvent occasionnellement exposer les mains à des vibrations de forte amplitude, mais seules de longues durées d’exposition quotidienne sont susceptibles de causer des problèmes de santé (Griffin, 1990).

La relation entre l’exposition professionnelle aux vibrations main-bras et ses effets nocifs est loin d’être simple. Le tableau 50.3 énumère quelques-uns des facteurs les plus importants pouvant contribuer à des lésions des membres supérieurs chez les travailleurs exposés aux vibrations.

Tableau 50.3 Quelques facteurs susceptibles d'induire des effets nocifs lors de
l'exposition aux vibrations main-bras

Caractéristiques des vibrations

  • Amplitude (valeur efficace, valeur de crête, pondérée/non pondérée)
  • Fréquence (distribution spectrale, fréquences dominantes)
  • Direction (axes x, y, z)

Machines ou processus

  • Conception de la machine (portative, fixe)
  • Type de machine (percutante, rotative, rotopercutante)
  • Etat
  • Fonctionnement
  • Matériau travaillé

Conditions d’exposition

  • Durée (exposition quotidienne, annuelle)
  • Type d’exposition (continue, intermittente, pauses)
  • Durée d’exposition cumulée

Environnement

  • Température ambiante
  • Circulation d’air
  • Humidité
  • Bruit
  • Réponse dynamique du système doigts-main-bras
  • Impédance mécanique
  • Transmissibilité des vibrations
  • Energie absorbée

Caractéristiques individuelles

  • Façon de travailler (préhension, poussée, position des mains et des bras, posture)
  • Etat de santé
  • Niveau de formation
  • Qualifications
  • Port de gants
  • Prédisposition individuelle aux effets nocifs

La biodynamique

On peut supposer que les paramètres influençant la transmission des vibrations au système doigts-main-bras jouent un rôle non négligeable dans les lésions dues aux vibrations. Cette transmission dépend à la fois des caractéristiques physiques des vibrations (amplitude, fréquence, direction) et de la réponse dynamique de la main (Griffin, 1990).

La transmissibilité et l’impédance

Les résultats expérimentaux indiquent que le comportement mécanique des membres supérieurs de l’être humain est complexe, l’impédance du système main-bras, c’est-à-dire la résistance qu’il oppose aux vibrations, étant sujette à de forts écarts en fonction des variations d’amplitude, de fréquence et de direction des vibrations, des efforts de l’opérateur et de l’orientation de la main et du bras par rapport à l’axe du stimulus. L’impédance est également fonction de la constitution physique et des différences structurelles des diverses parties des membres supérieurs (l’impédance mécanique des doigts est, par exemple, bien inférieure à celle de la paume). En règle générale, aux niveaux vibratoires les plus élevés et aux préhensions les plus fortes correspondent des impédances supérieures. On a toutefois constaté que les modifications d’impédance dépendent dans une large mesure de la fréquence et de la direction du stimulus vibratoire et des différentes sources de variabilité, aussi bien intra- qu’interindividuelle. Plusieurs études font état de résonances du système doigts-main-bras dans la plage de fréquences comprises entre 80 et 300 Hz.

Les mesures de transmission des vibrations le long du bras ont montré qu’une vibration de basse fréquence (<50 Hz) est transmise sans beaucoup d’atténuation le long de la main et de l’avant-bras. L’atténuation au niveau du coude dépend de la posture du bras, le rapport de transmission tendant à diminuer avec l’augmentation de l’angle de flexion de cette articulation. Aux fréquences plus élevées (>50 Hz), la transmission des vibrations diminue progressivement au fur et à mesure que la fréquence augmente; au-dessus de 150 à 200 Hz, la plus grande partie de l’énergie vibratoire est dissipée dans les tissus de la main et des doigts. On déduit des mesures de transmission que, dans le cas de fréquences élevées, les vibrations peuvent être responsables de lésions des tissus mous des doigts et des mains, tandis que les vibrations de basse fréquence de grande amplitude (par exemple, celles des machines percutantes) peuvent être associées à des lésions du poignet, du coude et de l’épaule.

Les paramètres influençant la dynamique des doigts et de la main

On peut supposer que les effets nocifs de l’exposition aux vibrations sont liés à l’énergie dissipée dans les membres supérieurs. L’absorption d’énergie dépend dans une large mesure des paramètres affectant le couplage du système doigts-main à la source des vibrations. Toute variation de la force de préhension, de l’effort statique et de la posture modifie la réponse dynamique des doigts, de la main et du bras et, par voie de conséquence, les quantités d’énergie transmise et absorbée. C’est ainsi que la force de préhension exerce une influence considérable sur l’absorption d’énergie; en règle générale, plus elle est forte, plus grande est la force transmise au système main-bras. Les données concernant la réponse dynamique peuvent fournir des informations intéressantes pour évaluer le potentiel de nocivité des vibrations d’une machine et pour développer des dispositifs antivibratiles tels que poignées et gants.

Les effets à court terme

L’inconfort subjectif

Les vibrations sont détectées par les différents mécanorécepteurs cutanés situés dans les tissus (épi)dermiques et sous-cutanés de la peau lisse et glabre des doigts et des mains, et que l’on classe en deux catégories — à adaptation lente ou rapide — selon leur faculté d’adaptation et les caractéristiques de leur champ de réception. Les disques de Merkel et les corpuscules de Ruffini sont des mécanorécepteurs à adaptation lente; ils réagissent à la pression statique et aux variations de pression lentes et sont excités aux basses fréquences (<16 Hz). Les mécanorécepteurs à adaptation rapide comprennent les corpuscules de Meissner et les corpuscules de Pacini; ils réagissent aux variations rapides du stimulus et sont responsables de la perception vibratoire dans la plage de fréquences de 8 à 400 Hz. Les réponses subjectives aux vibrations transmises par la main ont servi dans différentes études à dégager des valeurs seuils, des courbes d’égale sensation, ainsi que des limites de gêne ou de tolérance pour des stimuli vibratoires de différentes fréquences (Griffin, 1990). Les résultats expérimentaux indiquent que la sensibilité aux vibrations diminue avec l’augmentation de la fréquence, aussi bien pour les niveaux de vibration de confort que de gêne. Les vibrations verticales semblent causer davantage d’inconfort que celles agissant dans d’autres directions. On constate également que la sensation subjective d’inconfort est fonction de la composition spectrale des vibrations et de la force de préhension exercée sur la poignée vibrante.

Les interférences avec les activités

Une exposition aux vibrations main-bras peut provoquer à court terme une augmentation temporaire des seuils vibrotactiles en raison d’un affaiblissement de l’excitabilité des mécanorécepteurs cutanés. L’ampleur de cette élévation temporaire de seuil, ainsi que le temps de récupération sont fonction d’un certain nombre de variables, comme les caractéristiques du stimulus (fréquence, amplitude, durée), la température, l’âge du sujet et son exposition antérieure aux vibrations. L’exposition au froid aggrave la perte de sensibilité tactile causée par les vibrations, les basses températures ayant un effet vasoconstricteur sur la circulation digitale et réduisant la température cutanée au niveau des doigts. Chez les sujets exposés aux vibrations et travaillant souvent dans un environnement froid, des épisodes répétés d’altération momentanée de la sensibilité tactile peuvent conduire à une réduction irréversible de la perception sensorielle et à une perte de dextérité manuelle qui peut, à son tour, entraver la bonne exécution du travail et faire augmenter les risques d’accidents et de lésions.

Les effets non vasculaires

Les effets ostéo-articulaires

Tout le monde n’est pas d’accord quant au rôle que les vibrations jouent dans les lésions des os et des articulations. Plusieurs auteurs considèrent que les troubles de cette nature observés chez les travailleurs exposés aux vibrations de machines portatives n’ont pas un caractère spécifique et sont assimilables à ceux résultant du processus de vieillissement et de travaux manuels pénibles. D’autres chercheurs estiment que des modifications du squelette au niveau des caractéristiques des mains, des poignets et des coudes peuvent avoir pour origine une exposition prolongée aux vibrations transmises par la main. Des études déjà anciennes lors d’examens aux rayons X avaient révélé une fréquence élevée de vacuoles et de kystes osseux au niveau des mains et des poignets des travailleurs exposés aux vibrations, mais des travaux plus récents n’ont pas mis en évidence d’augmentation significative par rapport aux groupes témoins composés de travailleurs manuels. Une fréquence accrue d’ostéo-arthrose du poignet, ainsi que d’arthrose et d’ostéophytose du coude, a été signalée chez les mineurs de charbon, les ouvriers affectés à la construction des routes et les métallurgistes exposés aux chocs et aux vibrations de basse fréquence de forte amplitude des machines pneumatiques à percussion. On trouve, par contre, peu d’indices d’une prévalence accrue de troubles dégénératifs des os et des articulations dans les membres supérieurs des travailleurs exposés aux vibrations de fréquence moyenne ou élevée provenant des tronçonneuses à chaîne ou des meuleuses. Un effort physique intense, une préhension exercée avec force et d’autres facteurs biomécaniques peuvent expliquer la fréquence plus élevée de lésions du squelette constatées chez les travailleurs utilisant des machines percutantes. Les phénomènes de douleur localisée, d’enflure, de raideur et de déformation des articulations peuvent être associés aux constats radiologiques de dégénérescence osseuse et articulaire. Dans certains pays (dont l’Allemagne, la France et l’Italie), les troubles osseux et articulaires survenant chez les travailleurs exposés aux vibrations de machines portatives sont considérés comme maladies professionnelles et ouvrent droit à réparation.

Les effets neurologiques

Les travailleurs qui emploient des machines vibrantes peuvent ressentir des picotements et un engourdissement au niveau des doigts et des mains. Si l’exposition aux vibrations ne cesse pas, ces symptômes vont s’aggraver et iront jusqu’à entraver leur capacité de travail et leurs autres activités courantes. Lors des examens cliniques, on peut détecter chez ces travailleurs un relèvement des seuils de sensibilité vibratoire, thermique et tactile. Il a été avancé qu’une exposition continue aux vibrations peut non seulement affaiblir l’excitabilité des récepteurs cutanés, mais également provoquer des modifications pathologiques dans les nerfs digitaux telles qu’un œdème périneural, suivi de fibrose et d’une perte de fibres nerveuses. Les études épidémiologiques portant sur les travailleurs exposés aux vibrations montrent que la prévalence des troubles neurologiques périphériques varie de quelques pour-cent à plus de 80%, et que la perte de sensibilité s’étend aux utilisateurs d’une large gamme de machines et d’outils. Il semble que les neuropathies liées aux vibrations se développent indépendamment des autres troubles dus aux vibrations. Une échelle a été proposée lors de l’Atelier de Stockholm 86 (Stockholm Workshop 86, 1987) pour la gradation des stades d’atteinte neurologique du système main-bras. Elle comprend trois stades de gravité définis en fonction des symptômes constatés et des résultats des examens cliniques et de tests objectifs (voir tableau 50.4). Seul un diagnostic différentiel soigneux permet de distinguer les neuropathies liées aux vibrations de celles liées à la compression d’un nerf comme le syndrome du canal carpien, affection due à la compression du nerf médian dans le canal anatomique du poignet. Ce syndrome semble assez répandu chez certaines catégories de travailleurs appelés à se servir de machines vibrantes tels que les utilisateurs de perforateurs, les tôliers et les travailleurs forestiers. On pense que des facteurs de contrainte de nature ergonomique agissant sur la main et le poignet (mouvements répétitifs, forte préhension, posture inconfortable), venant s’ajouter aux vibrations, peuvent induire ce type de syndrome chez les travailleurs utilisant des machines vibrantes. La mesure par électroneuromyographie des vitesses de conduction d’un influx par les nerfs sensoriels et les nerfs moteurs s’est avérée utile pour différencier ce syndrome d’autres troubles neurologiques.

Tableau 50.4 Echelle de l'Atelier de Stockholm 86 pour la classification de l'atteinte
sensitive neurologique dans le syndrome des vibrations main-bras

Stades

Signes et symptômes

0SN

Exposition aux vibrations, mais pas de symptômes

1SN

Paresthésies intermittentes, avec ou sans douleur

2SN

Paresthésies intermittentes ou persistantes, perception sensitive réduite

3SN

Paresthésies intermittentes ou persistantes, réduction de la discrimination tactile ou de la dextérité manipulative

Source: Stockholm Workshop 86, 1987.

Les effets musculaires

Les travailleurs exposés aux vibrations se plaignent parfois d’asthénie musculaire et de douleurs dans les mains et les bras. Chez certains sujets, la fatigue musculaire peut être invalidante. Des études de suivi portant sur des bûcherons font état d’une perte de la force de préhension. Des lésions mécaniques directes ou des lésions nerveuses périphériques ont été invoquées pour expliquer l’étiologie des symptômes musculaires. D’autres troubles d’origine professionnelle ont été signalés chez les travailleurs exposés aux vibrations, comme la tendinite et la ténosynovite des membres supérieurs et la maladie de Dupuytren, qui est une affection du fascia palmaire. Ces troubles semblent liés aux facteurs de contraintes de nature ergonomique qui accompagnent les travaux manuels pénibles. Leur association avec les vibrations main-bras n’est pas établie.

Les troubles vasculaires

Le syndrome de Raynaud

Le médecin italien Giovanni Loriga fut le premier à signaler, en 1911, que les tailleurs de pierre travaillant des blocs de marbre et de pierre au marteau pneumatique sur les chantiers de Rome souffraient d’épisodes de décoloration des doigts s’apparentant au phénomène de réactions digitales angiospastiques au froid ou au stress émotionnel, décrit en 1862 par Maurice Raynaud. Des observations similaires ont été faites par Alice Hamilton (1918) parmi les tailleurs de pierre aux Etats-Unis et, plus tard, par de nombreux chercheurs. On trouve dans la littérature plusieurs synonymes pour décrire les troubles vasculaires induits par les vibrations: doigt mort, doigt blanc, syndrome de Raynaud d’origine professionnelle, maladie angiospastique traumatique et, plus récemment, doigt blanc induit par les vibrations. Cliniquement, ce syndrome se caractérise par des épisodes de décoloration des doigts provoqués par la fermeture tétanique des artères digitales. Les attaques sont habituellement déclenchées par le froid et durent de 5 à 30, voire 40 minutes. Elles peuvent s’accompagner d’une perte totale de sensibilité tactile. Dans la phase de récupération, souvent accélérée par la chaleur ou un massage local, des rougeurs peuvent apparaître sur les doigts affectés par suite d’une accélération réactive du débit sanguin dans les vaisseaux cutanés. Dans les stades avancés, qui sont rares, des crises angiospastiques graves et répétées peuvent conduire à des altérations trophiques (ulcération ou gangrène) de la peau des extrémités des doigts. Pour expliquer l’apparition, chez les travailleurs exposés aux vibrations, d’un syndrome de Raynaud induit par le froid, certains chercheurs invoquent un réflexe vasoconstricteur sympathique exacerbé, provoqué par une exposition prolongée à des vibrations nocives, tandis que d’autres ont tendance à insister sur le rôle des altérations localisées induites par les vibrations au niveau des vaisseaux digitaux (épaississement de la gaine musculaire, lésions endothéliales, altérations fonctionnelles des récepteurs). Une échelle comportant quatre niveaux a été adoptée lors de l’Atelier de Stockholm 86 susmentionné (1987) pour l’évaluation du syndrome de Raynaud induit par le froid (voir tableau 50.5). Griffin a proposé lui aussi un système gradué dans le même but, système qui repose sur des indices de décoloration des différentes phalanges (Griffin, 1990). Divers tests en laboratoire peuvent être faits pour diagnostiquer objectivement le syndrome de Raynaud. La plupart reposent sur l’action déclenchante du froid et la mesure de la température cutanée des doigts, ou sur la mesure de la pression et du débit sanguins digital avant et après refroidissement des doigts et des mains. Des études épidémiologiques ont montré que la prévalence du syndrome connaît de grandes disparités, allant de moins de 1 à 100%. Son existence a été mise en évidence dans le travail des métaux (utilisation d’outils ou de machines percutantes, de meuleuses et autres machines rotatives), dans les travaux de terrassement (marteaux et foreuses à percussion), dans les travaux forestiers (machines vibrantes) et dans d’autres processus mécanisés. Le syndrome de Raynaud est reconnu comme maladie professionnelle dans de nombreux pays. Depuis 1975-1980, on signale une diminution de l’apparition de nouveaux cas chez les travailleurs forestiers, aussi bien en Europe qu’au Japon, suite à l’introduction de tronçonneuses à chaîne antivibratiles et de mesures administratives limitant la durée d’utilisation de ces machines. On ne dispose pas pour l’instant de constats semblables pour les machines d’autres catégories.

Tableau 50.5 Echelle de l'Atelier de Stockholm 86 pour la classification du phénomène de
Raynaud induit par le froid dans le syndrome des vibrations main-bras

Stades

Degrés

Symptômes

0

Pas d’attaque

1

Léger

Attaques occasionnelles affectant seulement une ou plusieurs extrémités d’un ou de plusieurs doigts

2

Modéré

Attaques occasionnelles affectant les phalanges P2 et P3 d’un ou de plusieurs doigts

3

Grave

Attaques fréquentes affectant toutes les phalanges de la plupart des doigts

4

Très grave

Comme au stade 3, mais avec troubles trophiques cutanés des extrémités digitales

Source: Stockholm Workshop 86, 1987.

Les autres troubles

Selon certaines études, la perte auditive, chez les travailleurs atteints du syndrome de Raynaud, est supérieure à celle liée normalement au vieillissement et au bruit produit par des machines vibrantes. Il a été avancé que les sujets souffrant de ce syndrome peuvent courir un risque supplémentaire de perte auditive par suite de la vasoconstriction sympathique réflexe provoquée par les vibrations dans les vaisseaux irriguant l’oreille interne. Outre les troubles périphériques, d’autres effets nocifs impliquant le système endocrinien et le système nerveux central des travailleurs exposés aux vibrations ont été signalés par certaines écoles russes et japonaises de médecine du travail (Griffin, 1990). Le tableau clinique de la maladie des vibrations comprend des signes et des symptômes liés au dysfonctionnement des centres autonomes du cerveau (fatigue persistante, maux de tête, irritabilité, troubles du sommeil, impuissance, anomalies électroencéphalographiques, etc.). Ces observations doivent être interprétées avec prudence; des études épidémiologiques et cliniques complémentaires soigneusement préparées seront nécessaires pour confirmer l’hypothèse d’une association entre troubles du système nerveux central et exposition aux vibrations main-bras.

Les normes

Plusieurs pays ont adopté des normes ou des directives pour l’exposition aux vibrations main-bras; la plupart s’inspirent de la norme internationale 5349 (ISO, 1986). En ce qui concerne le mesurage des vibrations transmises par la main, cette norme recommande l’utilisation d’une courbe de pondération fréquentielle qui associe la dépendance fréquentielle de la sensibilité de la main aux stimuli vibratoires. La valeur de l’accélération pondérée en fréquence de la vibration (ah,w) est obtenue grâce à un filtre de pondération fréquentielle approprié, ou encore par la sommation des valeurs d’accélération pondérées mesurées en bandes d’octave ou d’un tiers d’octave le long d’un système orthogonal de coordonnées (xh, yh, zh) (voir figure 50.4). Dans la norme ISO 5349, l’exposition quotidienne aux vibrations est exprimée en termes d’accélération continue équivalente pondérée en fréquence pour une période de 4 heures [(ah,w)eq(4) en m/s2 efficace], selon l’équation suivante:

(ah,w)eq(4) = (T/4)½(ah,w)eq(T)

T est la durée d’exposition quotidienne en heures et (ah,w)eq(T) l’accélération continue équivalente pondérée en fréquence pour cette durée T. La norme indique comment calculer (ah,w)eq(T) lorsqu’une journée de travail représentative comporte plusieurs expositions de différentes amplitudes et durées. L’annexe A de la norme ISO 5349 (qui ne fait pas partie de la norme elle-même) propose une relation dose-effet entre (ah,w)eq(4) et le syndrome de Raynaud qui peut être exprimé de manière approchée par l’équation:

C = [(ah,w)eq(4) TF/95]2 × 100

C est le centile des travailleurs exposés chez lesquels on s’attend à trouver des troubles vasculaires (il varie de 10 à 50%) et TF le temps de latence en années qui sépare le début de l’exposition régulière aux vibrations de l’apparition du «doigt mort» chez les travailleurs affectés (ce temps varie de 1 à 25 ans). La direction dominante de la vibration au niveau de la main sert à calculer (ah,w)eq(4), dont la valeur ne devrait pas dépasser 50 m/s2. Selon la relation dose-effet ISO, on doit s’attendre à ce que 10% environ des travailleurs exposés chaque jour à des vibrations de 3 m/s2 pendant 10 ans soient atteints du syndrome de Raynaud.

Figure 50.4 Système de coordonnées basicentriques de la main pour la mesure
des vibrations main-bras

Figure 50.4

Afin de minimiser les risques pour la santé liés aux vibrations, des niveaux d’intervention et des valeurs seuils (Threshold Limit Values (TLV)) ont également été proposés par d’autres organismes. La Conférence américaine des hygiénistes industriels gouvernementaux (American Conference of Governmental Industrial Hygienists (ACGIH)) a fixé des TLV pour les vibrations main-bras mesurées selon la méthode ISO de calcul de l’accélération pondérée en fréquence (ACGIH, 1992) (voir tableau 50.6). Selon l’ACGIH, la valeur seuil correspond à l’exposition aux vibrations que «pratiquement tout travailleur pourrait supporter de façon répétitive sans dépasser le stade 1 de la classification du syndrome de Raynaud proposée par l’Atelier de Stockholm 86». Plus récemment, des niveaux d’exposition aux vibrations main-bras ont été proposés par la Commission des Communautés européennes (CCE) dans le cadre d’un projet de directive pour la protection des travailleurs contre les risques dus aux agents physiques (CCE, 1994) (voir tableau 50.7). Dans le projet en question, la quantité utilisée pour évaluer le risque est exprimée en termes d’accélération équivalente calculée sur 8 heures, A(8) = (T/8)½ (ah,w)eq(T). L’accélération équivalente correspond à la somme vectorielle des valeurs efficaces des accélérations pondérées mesurées dans les trois directions sur la poignée de la machine ou de la pièce vibrante asum = (ax,h,w2 + ay,h,w2 + az,h,w2)½. Les méthodes de mesure et d’évaluation de l’exposition aux vibrations mentionnées dans la directive sont pour l’essentiel tirées de la norme britannique 6842 (BSI, 1987a). En revanche, la norme BS ne fait aucune recommandation quant aux limites d’exposition, mais elle fournit en annexe des informations sur l’état des connaissances concernant la relation dose-effet pour les vibrations main-bras. Les valeurs efficaces des accélérations pondérées en fréquence susceptibles de provoquer l’apparition du syndrome de Raynaud chez 10% des travailleurs exposés aux vibrations sont indiquées au tableau 50.8.

Tableau 50.6 Valeurs limites pour les vibrations main-bras

Exposition quotidienne totale (heures)

Valeur efficace d’accélération pondérée en fréquence à ne pas dépasser suivant l’axe dominant

 

m/s2

g*

4-8

4

0,40

2-4

6

0,61

1-2

8

0,81

1

12

1,22

* 1 g = 9,81 m/s2

Source: American Conference of Governmental Industrial Hygienists, 1992.

Tableau 50.7 Proposition du Conseil des Communautés européennes pour une
directive sur l'exposition des travailleurs aux risques dus aux agents physiques:
Annexe II A. Vibrations transmises aux mains (1994)

Niveaux A(8)* (en ms2)

Définitions

Niveau seuil = 1

Valeur d’exposition en deçà de laquelle une exposition prolongée ou répétitive ne présente pas de risque pour la sécurité et la santé des travailleurs

Niveau d’action = 2,5

Valeur au-delà de laquelle une ou plusieurs des mesures** spécifiées dans l’annexe doivent être prises

Valeur limite d’exposition = 5

Valeur au-delà de laquelle une personne non protégée se trouve exposée à des risques inacceptables. Tout dépassement de cette valeur est prohibé et doit être évité par la mise en œuvre des dispositions de la directive***

* A(8) = équivalence en énergie (sur 8 heures) de la valeur efficace de l’accélération pondérée en fréquence. ** Information, formation, mesures techniques, surveillance médicale. *** Mesures appropriées de protection de la santé et de la sécurité.

Tableau 50.8 Valeurs efficaces des accélérations pondérées en fréquence risquant de
provoquer une décoloration des doigts chez 10% des personnes exposées*

Exposition quotidienne (heures)

Exposition durant la vie entière (années)

 

0,5

1

2

4

8

16

0,25

256,0

128,0

64,0

32,0

16,0

8,0

0,50

179,2

89,6

44,8

22,4

11,2

5,6

1,00

128,0

64,0

32,0

16,0

8,0

4,0

2,00

89,6

44,8

22,4

11,2

5,6

2,8

4,00

64,0

32,0

16,0

8,0

4,0

2,0

8,00

44,8

22,4

11,2

5,6

2,8

1,4

* Dans le cas d’expositions de courte durée, les amplitudes sont élevées, et les troubles vasculaires peuvent ne pas être le premier symptôme à se manifester.

Source: BSI, 1987a.

La mesure et l’évaluation de l’exposition

Des mesures de vibrations sont faites pour faciliter la mise au point de nouvelles machines, choisir les machines à l’achat, contrôler l’état de la maintenance et évaluer l’exposition humaine aux vibrations sur le lieu de travail. Le matériel de mesure se compose généralement d’un capteur (le plus souvent un accéléromètre), d’un dispositif d’amplification, d’un filtre (filtre passe-bande ou de pondération en fréquence) et d’un indicateur ou enregistreur d’amplitude ou de niveau. Les mesures doivent être effectuées sur la poignée de la machine vibrante ou sur la pièce vibrante, à proximité de la surface de la main ou des mains par lesquelles les vibrations pénètrent dans le corps. Il est nécessaire d’apporter un grand soin au choix des accéléromètres (type, masse, sensibilité) et à leur fixation sur la surface vibrante si l’on veut obtenir des résultats précis. Les vibrations main-bras doivent être mesurées et relevées selon les directions appropriées d’un système de coordonnées orthogonales (voir figure 50.5). La mesure doit être faite dans la plage de fréquences allant au moins de 5 à 1 500 Hz; la distribution fréquentielle des accélérations selon une ou plusieurs directions peut être présentée en bandes d’octave, avec des fréquences centrales de 8 à 1 000 Hz, ou en bandes de tiers d’octave, avec des fréquences centrales de 6,3 à 1 250 Hz. L’accélération peut aussi être exprimée sous forme d’une accélération pondérée en fréquence, au moyen d’un filtre de pondération conforme aux caractéristiques spécifiées par la norme internationale ISO 5349 ou la norme britannique BSI 6842. Les mesures effectuées sur le lieu de travail montrent que différents spectres et amplitudes fréquentiels peuvent être obtenus avec des machines du même type ou sur une même machine utilisée de manière différente. La figure 50.5 indique la valeur moyenne et la distribution des valeurs efficaces des accélérations pondérées mesurées suivant l’axe prédominant de quelques machines utilisées dans l’industrie et dans les exploitations forestières (Comité international de l’AISS pour la recherche, 1989). Dans plusieurs normes, l’exposition aux vibrations main-bras est évaluée en termes d’accélération équivalente calculée sur 4 ou 8 heures, grâce aux équations ci-dessus. La méthode pour calculer cette accélération équivalente suppose que la durée d’exposition quotidienne nécessaire pour produire des effets nocifs pour la santé est inversement proportionnelle au carré de l’accélération pondérée en fréquence (ainsi, si l’amplitude des vibrations diminue de moitié, la durée d’exposition pourrait être multipliée par quatre). Cette dépendance par rapport au temps est considérée comme raisonnable sur le plan de la normalisation et pratique au point de vue de l’instrumentation; il convient toutefois de remarquer qu’elle n’est pas entièrement étayée par les données épidémiologiques (Griffin, 1990).

Figure 50.5 Valeurs et plages de distribution de la valeur de l'accélération efficace
pondérée en fréquence selon l'axe dominant, mesurées aux poignées de
quelques machines utilisées dans l'industrie et dans les exploitations forestières

Figure 50.5

La prévention

La prévention des lésions ou des troubles provoqués par les vibrations main-bras nécessite la mise en œuvre de mesures d’ordre administratif, technique et médical (ISO, 1986; BSI, 1987a), assorties de conseils appropriés aux constructeurs et aux utilisateurs de machines vibrantes. Les mesures administratives devraient comprendre des informations et une formation incitant les utilisateurs à adopter des méthodes de travail sûres et correctes. Une exposition continue aux vibrations étant censée augmenter les risques, le travail devrait être organisé de façon à ménager des pauses. Les mesures techniques devraient porter sur le choix de machines présentant l’amplitude vibratoire minimale et sur la conception ergonomique. Selon la directive du Conseil des communautés européennes sur la sécurité des machines (Conseil des communautés européennes, 1989), le constructeur doit faire une déclaration si l’accélération pondérée en fréquence des vibrations main-bras dépasse 2,5 m/s2 en se basant sur des codes d’essais tels que la norme internationale ISO 8662/1 et les normes annexes correspondant aux machines spécifiques (ISO, 1988). L’état des machines devrait être vérifié avec soin par des mesures de vibrations effectuées périodiquement. Un examen médical préalable à l’embauche et des contrôles médicaux ultérieurs à intervalles réguliers devraient être pratiqués sur les travailleurs exposés aux vibrations. Les objectifs du suivi médical sont d’informer le travailleur des risques potentiels associés à l’exposition aux vibrations, d’évaluer son état de santé et de diagnostiquer à un stade précoce les troubles provoqués par les vibrations. Lors du premier examen de dépistage, il convient de prêter une attention particulière à toute condition susceptible d’être aggravée par une exposition aux vibrations (prédisposition constitutionnelle au «doigt blanc», certaines formes de phénomène de Raynaud secondaire, lésions antérieures des membres supérieurs, troubles neurologiques). Après avoir considéré la gravité des symptômes et l’ensemble des caractéristiques du poste de travail, il convient de décider s’il faut soustraire le sujet à une exposition aux vibrations ou limiter son exposition. Le port de vêtements appropriés doit être préconisé pour améliorer l’isolation thermique du corps entier; il faut également éviter ou réduire la consommation de tabac et l’usage de certains médicaments ayant une incidence sur la circulation périphérique. Le port de gants peut s’avérer utile pour protéger les doigts et les mains des traumatismes et les garder au chaud. Les gants dits «antivibratiles» peuvent assurer une isolation vis-à-vis des composantes haute fréquence des vibrations engendrées par certaines machines.

LE MAL DES TRANSPORTS

Alan J. Benson

Le mal des transports n’est pas un état pathologique, mais une réaction normale à certains stimuli auxquels l’individu est peu accoutumé et, par conséquent, inadapté. Ce vocable recouvre essentiellement les diverses formes de mal des transports (mal de mer, mal de l’air, mal de l’espace, etc.). Seules en sont vraiment exemptes les personnes privées d’un organe vestibulaire de l’oreille interne en bon état fonctionnel.

Les mouvements susceptibles d’induire le mal des transports

Il existe de nombreux mouvements susceptibles de provoquer le syndrome du mal des transports. La plupart d’entre eux sont associés aux moyens de transport (bateaux, aéroglisseurs, aéronefs, automobiles, trains et, plus rarement, éléphants et chameaux). Les accélérations complexes générées par les installations foraines (balançoires, manèges, carrousels, montagnes russes, etc.) peuvent être des facteurs d’agression majeurs. En outre, bon nombre de cosmonautes souffrent de tels troubles (mal de l’espace) au moment où ils effectuent les premiers mouvements de la tête dans le milieu inhabituel d’apesanteur d’un vol orbital. Le syndrome de mal des transports peut également résulter du déplacement de certains stimuli visuels par rapport à un observateur immobile: les images du monde extérieur offertes par les simulateurs à poste fixe ou la projection sur grand écran de scènes filmées à partir d’un véhicule en mouvement en sont des exemples.

L’étiologie

La caractéristique essentielle des troubles liés au mal des transports est qu’ils suscitent des messages conflictuels de la part des systèmes sensoriels qui transmettent au cerveau les informations relatives à l’orientation spatiale et aux déplacements du corps. Le trait saillant de cette discordance est l’absence ou le défaut de correspondance entre les signaux émanant avant tout des yeux et de l’oreille interne, et ceux que le système nerveux central «s’attend» à recevoir de façon cohérente.

On peut distinguer plusieurs types de conflits. Le plus important est celui où les signaux de l’organe vestibulaire de l’oreille interne (le labyrinthe) sont discordants et où les canaux semi-circulaires (ce sont les récepteurs spécialisés des accélérations angulaires) et les otolithes (ce sont les récepteurs des accélérations linéaires) fournissent des informations conflictuelles. Ainsi, lorsqu’on fait un mouvement de la tête dans une voiture ou dans un avion engagés dans un virage, les canaux semi-circulaires et les otolithes sont sollicités de manière atypique et fournissent des informations erronées et incompatibles, très différentes de celles qui résulteraient du même mouvement de la tête dans un environnement stable où l’accélération serait celle de la pesanteur (1 g). De même, les accélérations linéaires de basse fréquence (moins de 0,5 Hz), que l’on rencontre par exemple à bord d’un navire sur une mer agitée ou d’un avion traversant des turbulences produisent, elles aussi, des signaux vestibulaires contradictoires et sont de ce fait des causes importantes de mal des transports.

Le conflit entre les informations visuelles et vestibulaires (conflit visuo-vestibulaire) peut également être un facteur causal majeur. L’occupant d’un véhicule en mouvement incapable de voir à l’extérieur est plus exposé à des troubles que celui qui dispose d’une bonne référence visuelle externe. Le passager qui se trouve en dessous du pont d’un navire ou dans la cabine d’un avion perçoit le mouvement du véhicule par des indices vestibulaires, mais ne reçoit d’informations visuelles que sur son propre mouvement relatif par rapport à l’intérieur du véhicule. L’absence d’un signal «attendu» et concordant dans une modalité sensorielle particulière est également considérée comme un trait essentiel des troubles du mal des transports d’origine visuelle, dans la mesure où les indices visuels du mouvement ne sont pas accompagnés des signaux vestibulaires auxquels l’individu «s’attend» lorsqu’il est soumis au mouvement détecté par l’organe de la vue.

Les signes et les symptômes

Lors de l’exposition à un mouvement provocateur, les signes et les symptômes du mal des transports apparaissent généralement selon une séquence déterminée, les durées respectives dépendant de l’amplitude des stimuli et de la prédisposition du sujet. Il peut exister cependant des différences considérables d’un individu à l’autre, non seulement du point de vue de la prédisposition, mais aussi dans l’ordre d’apparition de signes et de symptômes particuliers; il n’est d’ailleurs pas même sûr que ceux-ci apparaissent tous. En général, le premier symptôme apparent est la gêne ressentie au niveau de l’épigastre. Cette sensation est suivie de nausées, de pâleur et de suées et s’accompagne souvent de bouffées de chaleur, d’hypersalivation et d’éructations. Ces symptômes apparaissent en général assez lentement mais, si le mouvement se poursuit, on constate une dégradation rapide du bien-être et une aggravation des nausées qui culmine avec des haut-le-cœur ou des vomissements. Les vomissements peuvent apporter un soulagement, mais ce dernier risque d’être de courte durée si le mouvement persiste.

D’autres symptômes du mal des transports sont moins systématiques. Une altération du rythme respiratoire, accompagnée de soupirs et de bâillements, est parfois un symptôme précurseur; une hyperventilation peut se manifester, notamment chez les sujets anxieux quant à la cause ou aux conséquences de leur malaise. Il est fait état de maux de tête, d’acouphènes et de vertiges et l’on rencontre même des cas de grave malaise prononcé, d’apathie et de dépression pouvant conduire le sujet à négliger sa propre sécurité et sa survie. Une sensation de léthargie et de somnolence peut prédominer après l’arrêt du mouvement provocateur et cette sensation peut être le seul symptôme apparent lorsque l’adaptation à un mouvement inhabituel intervient.

L’adaptation

Lorsqu’ils sont exposés de façon prolongée ou répétée à un mouvement provocateur déterminé, la plupart des individus ressentent des symptômes moins sévères. En général, après 3 ou 4 jours d’exposition continue (par exemple, à bord d’un navire ou d’un vaisseau spatial), ils se sont adaptés au mouvement et peuvent accomplir leurs tâches courantes sans entrave. Vue sous l’angle du modèle de non-correspondance, cette adaptation ou accommodation représente l’établissement d’un nouvel ensemble «d’attentes» au niveau du système nerveux central. Toutefois, de retour dans un environnement familier, cette adaptation ne sera plus appropriée et provoquera une réapparition des symptômes de mal des transports (mal de débarquement) jusqu’à ce qu’une réadaptation soit intervenue. Il existe des différences considérables entre individus du point de vue de leur rapidité d’adaptation, de la façon dont ils conservent cette adaptation et du degré auquel ils parviennent à transposer cette faculté protectrice d’adaptation d’un environnement mouvant à un autre. Une petite fraction de la population (probablement 5% environ) est malheureusement incapable de s’adapter ou s’adapte si lentement que les symptômes subsistent pendant toute la période d’exposition au mouvement à l’origine du trouble.

L’incidence

L’incidence du mal des transports dans un environnement vibratoire donné est régie par un certain nombre de facteurs, notamment par:

Il n’est pas surprenant que la fréquence du mal des transports varie considérablement suivant l’environnement. Ainsi, la quasi-totalité des occupants d’un radeau de survie par gros temps vomissent; 60% des personnels volants souffrent à un moment donné de leur apprentissage du mal de l’air et chez 15% d’entre eux les troubles sont si graves qu’ils doivent interrompre leur formation. Par contre, moins de 0,5% des passagers de l’aviation civile sont affectés, avec une fréquence toutefois supérieure pour les petits avions volant à basse altitude et dans des zones de turbulence.

Les études conduites en laboratoire et sur le terrain montrent que dans le cas d’un mouvement oscillatoire vertical (qualifié à juste titre de haut-le-corps), l’effet le plus intense se situe vers 0,2 Hz (voir figure 50.6). Pour une amplitude vibratoire donnée (accélération de crête), l’incidence des troubles diminue assez rapidement au-dessus de 0,2 Hz; un mouvement à 1 Hz est dix fois moins provocateur qu’un autre à 0,2 Hz. Il en va de même pour les oscillations de fréquence inférieure à 0,2 Hz, bien que la relation entre incidence et fréquence ne soit pas clairement établie en raison du manque de données expérimentales; ce qui est certain, c’est qu’un environnement stable, de fréquence nulle, ne provoque pas de troubles à une accélération de 1 g.

Figure 50.6 Incidence des cas de mal des transports en fonction de la fréquence
et de l'accélération des vibrations pour une exposition de 2 heures
à un mouvement sinusoîdal vertical

Figure 50.6

Les rapports que l’on a pu établir entre l’incidence des symptômes du mal des transports et la fréquence, l’amplitude et la durée des oscillations verticales (axe z) ont conduit à des formules simples permettant de prédire l’incidence du phénomène lorsqu’on connaît les paramètres physiques du mouvement. Le principe, qui figure dans la norme britannique 6841 (BSI, 1987b) et dans la norme ISO 2631-1, est que l’incidence des symptômes est proportionnelle à la valeur dose cinétose (MSDVz). Cette valeur MSDVz (exprimée en m/s1,5) est donnée par la formule:

MSDVz = (a2t)½

a est la valeur efficace de l’accélération pondérée en fréquence (en m/s2) déterminée par intégration linéaire sur la durée t (en secondes) de l’exposition au mouvement.

La pondération fréquentielle à appliquer à l’accélération d’excitation est un filtre ayant une fréquence centrale et des caractéristiques d’atténuation semblables à celles représentées à la figure 50.6. Les caractéristiques de pondération sont définies avec précision dans les normes.

Le pourcentage de la population adulte non adaptée qui risque de vomir est donné par:

P =1/3MSDVz

La valeur MSDVz permet également de prédire le degré de malaise. Sur une échelle comportant quatre degrés et allant de zéro (je me suis senti parfaitement bien) à trois (je me suis senti vraiment mal), l’expression suivante définit un indice de malaise (I):

I = 0,02MSDVz

Compte tenu des importantes différences de sensibilité d’un individu à l’autre, la relation entre MSDVz et la fréquence des cas de vomissements relevés lors des expériences en laboratoire et des tests effectués en mer (voir figure 50.7) est acceptable. Il convient de noter que les formules ont été développées à partir de données recueillies lors d’expositions allant d’environ 20 minutes à 6 heures, les vomissements touchant jusqu’à 70% des sujets (assis pour la plupart) soumis à des oscillations verticales.

Figure 50.7 Relation entre le nombre de cas de vomissements et la dose de stimulus
(MSDVz), calculée selon la méthode décrite dans le texte

Figure 50.7

Les connaissances actuelles sur l’effet des oscillations linéaires suivant d’autres axes du corps et dans d’autres directions que la verticale sont fragmentaires. Il existe quelques éléments, provenant d’expériences conduites en laboratoire sur de petits groupes de sujets, selon lesquels des oscillations de translation s’exerçant dans un plan horizontal ont une action déclenchante deux fois supérieure à celle d’oscillations verticales d’amplitude et de fréquence égales pour des sujets assis, mais qu’elles ont une action deux fois plus faible lorsque le sujet est étendu sur le dos et que le stimulus agit dans l’axe longitudinal (z) du corps. Les caractéristiques de pondération et les formules proposées dans les normes pour la prédiction de l’incidence des malaises devraient par conséquent être appliquées avec prudence et en tenant compte des réserves mentionnées ci-dessus.

La variabilité considérable, d’un individu à l’autre, de la réponse à un mouvement déclenchant est une caractéristique importante du mal des transports. Ces différences peuvent être liées en partie à des facteurs constitutionnels. Ainsi, les enfants de moins de deux ans sont rarement affectés, mais la prédisposition augmente ensuite rapidement avec l’âge pour atteindre un pic entre quatre et dix ans. Elle décroît ensuite progressivement et les personnes âgées, bien que non complètement immunisées, sont moins susceptibles d’être touchées. Dans toutes les tranches d’âge, les femmes sont plus sensibles que les hommes, les données statistiques montrant un rapport d’incidence de 1,7 à 1. Certains traits de la personnalité comme la neurasthénie, l’égocentrisme et le style de perception sont également liés, quoique faiblement, à la prédisposition. Le mal des transports peut être aussi un réflexe conditionné ou une manifestation d’anxiété phobique.

Les mesures préventives

Il existe des méthodes permettant de minimiser le stimulus déclenchant ou d’augmenter la tolérance. Elles peuvent prévenir les malaises chez une fraction de la population, mais aucune, à part le retrait de l’environnement vibrant, n’est efficace à 100%. Il est conseillé, lors de la conception d’un véhicule, d’envisager les facteurs capables d’augmenter la fréquence et de réduire l’amplitude des oscillations (voir figure 50.6) auxquelles les passagers sont soumis en service normal. Les appuie-tête et les dispositifs permettant de soutenir le corps sont utiles pour limiter les mouvements non nécessaires de la tête; une position inclinée en arrière ou allongée sur le dos est également favorable. Les malaises sont atténués si l’occupant bénéficie d’une vue sur l’horizon; pour les personnes privées d’un repère visuel extérieur, le fait de fermer les yeux réduit les conflits entre signaux visuels et signaux vestibulaires. L’accomplissement d’une tâche (par exemple, la conduite d’un véhicule) est aussi un facteur positif. Toutes ces mesures peuvent avoir un effet immédiat; à plus long terme, toutefois, c’est le développement de la faculté d’adaptation protectrice qui donne les meilleurs résultats. On y parvient par une exposition prolongée ou répétée à l’environnement vibrant; elle peut aussi être favorisée par des exercices pratiqués au sol et dans lesquels on reproduit les stimuli déclenchants en se plaçant sur un plateau tournant et en effectuant des mouvements de tête (thérapie de désensibilisation).

Divers médicaments augmentent la tolérance, mais ils présentent tous des effets secondaires (notamment sédatifs) et ne doivent pas être pris par les personnes qui doivent conduire un véhicule ou desquelles on exige une performance optimale. Pour une prophylaxie à court terme (moins de quatre heures), la prise de 0,3 à 0,6 mg d’hydrobromure d’hyoscine (scopolamine) est recommandée; pour une exposition de plus longue durée, on peut recourir à des antihistaminiques, hydrochlorure de prométhazine (25 mg), hydrochlorure de méclozine (50 mg), dimenhydrinate (50 mg) et cinnarizine (30 mg). La combinaison d’hyoscine ou de prométhazine et de 25 mg de sulfate d’éphédrine augmente l’efficacité prophylactique et s’accompagne d’une certaine réduction des effets secondaires. On peut prolonger l’action prophylactique jusqu’à quarante-huit heures en apposant un timbre à la scopolamine qui assure une absorption lente et régulière du médicament par voie percutanée. Etant donné qu’une concentration efficace dans l’organisme n’est pas atteinte avant six à huit heures, il est indispensable d’anticiper ce type de thérapie.

Le traitement

Les personnes souffrant régulièrement du mal des transports accompagné de vomissements devraient, dans la mesure du possible, être placées dans une position minimisant l’effet du stimulus et recevoir une médication, de préférence par injection, de prométhazine. En cas de vomissements prolongés ou répétés, il peut s’avérer nécessaire de compenser par voie intraveineuse le liquide et les électrolytes perdus.

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