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Chapitre 17 - Le handicap et le travail

LE HANDICAP: CONCEPTS ET DÉFINITIONS

Willi Momm et Otto Geiecker

Considérations préliminaires

La plupart des gens croient savoir ce qu’est une personne handicapée et sont certains de pouvoir la reconnaître soit de par la nature apparente de son incapacité, soit parce qu’ils constatent un état médical particulier qu’il est convenu d’appeler ainsi. Il est cependant moins facile de définir ce que recouvre exactement le terme handicap. Selon une idée largement répandue, une personne handicapée est moins apte à effectuer toute une série d’activités. En fait, le terme handicap sert en général à désigner une réduction ou une déviation par rapport à la norme, une déficience que la société doit prendre en compte. Dans la plupart des langues, les termes désignant les handicaps renferment les notions de moindre valeur, d’incapacité, de restriction, de privation, de déviation. Ce sont de tels concepts qui font apparaître le handicap comme un problème exclusivement lié à la personne concernée et c’est pour cette raison que les problèmes inhérents à la présence d’un handicap sont considérés comme étant plus ou moins communs à toutes les situations.

Il est vrai qu’un handicap peut affecter à des degrés différents la vie d’une personne ou ses relations avec sa famille et la collectivité. Celui ou celle qui en est porteur vit en fait son handicap comme une réalité qui l’isole des autres et qui a un effet négatif sur la façon dont la vie est organisée.

Cependant, la signification et l’impact du handicap changent sensiblement selon que l’environnement et le public, par leurs attitudes, s’y adaptent ou non. Par exemple, dans un contexte donné, la personne qui se déplace en fauteuil roulant se trouve dans un état de totale dépendance et, dans un autre contexte, elle sera autonome et active comme tout un chacun.

En conséquence, l’impact d’un prétendu dysfonctionnement dépend de l’environnement, et le handicap est donc un concept social et non seulement l’attribut d’un individu. Il s’agit aussi d’un concept composé d’éléments de nature très différente, ce qui rend la recherche d’une définition homogène quasiment impossible.

Malgré les nombreuses tentatives visant à donner une définition générale du handicap, le problème reste entier: comment déterminer ce qui caractérise la personne qui en est frappée et le profil des personnes entrant dans cette catégorie? Par exemple, si on définit le handicap comme un dysfonctionnement, comment classer celui ou celle qui, malgré une grave déficience, est pleinement opérationnel? L’informaticien aveugle occupant un emploi rémunéré qui a réussi à régler ses problèmes de transport, à trouver un logement adapté et à fonder une famille est-il encore une personne handicapée? Le boulanger qui ne peut plus exercer sa profession à cause d’une allergie à la farine doit-il être classé parmi les demandeurs d’emploi handicapés? Quelle est donc la signification réelle du handicap?

Afin de mieux comprendre ce terme, il convient tout d’abord de le distinguer d’autres concepts proches que l’on confond souvent avec le handicap. Le malentendu le plus courant consiste à penser que handicap équivaut à maladie. Les personnes handicapées sont souvent définies par opposition aux sujets en bonne santé et, par conséquent, décrites comme ayant besoin de l’aide des professionnels de la santé. Les personnes handicapées ont toutefois besoin, comme tout le monde, d’une aide médicale, mais uniquement en cas de maladie aiguë. Même lorsque le handicap résulte d’une maladie de longue durée ou chronique, comme le diabète ou une maladie cardiaque, ce n’est pas la maladie elle-même, mais ses conséquences sociales, dont il sera question ici.

Une autre confusion très courante consiste à ramener le handicap à l’état médical qui en est l’une des causes. Par exemple, des listes ont été établies pour classer les personnes handicapées par type de «handicap»: cécité, malformations physiques, surdité, paraplégie. Ces listes sont importantes pour déterminer qui doit être considéré comme une personne handicapée, si ce n’est que l’emploi du terme handicap est impropre, car on le confond avec déficience.

Plus récemment, des efforts ont été entrepris pour décrire le handicap comme une difficulté à accomplir certains types de fonctions. Ainsi, une personne handicapée serait quelqu’un dont la capacité à exercer son rôle dans un ou plusieurs domaines clés — communication, mobilité, dextérité et vitesse — est affectée. Une fois encore, le problème vient de ce que l’on établit un lien direct entre la déficience et la perte de fonction qui en découle sans tenir compte de l’environnement et, notamment, des technologies susceptibles de compenser la perte fonctionnelle et, donc, de la rendre insignifiante. Considérer le handicap comme l’effet fonctionnel de la déficience sans prendre en compte la dimension environnementale revient à imputer tout le problème à la seule personne handicapée: cette définition reste conforme à la tradition qui consiste à le considérer comme une déviation par rapport à la norme et qui néglige tous les autres facteurs individuels et sociétaux qui, ensemble, constituent le phénomène.

Est-il possible de dénombrer les personnes handicapées? Cela pourrait se faire dans un système qui appliquerait des critères précis pour déterminer qui est frappé d’une déficience suffisante pour être classé comme handicapé. La difficulté consiste à établir des comparaisons entre des systèmes ou des pays qui appliquent des critères différents. Quelles personnes vont être dénombrées? Au sens strict, les recensements et les enquêtes qui entreprennent d’établir des données sur le handicap ne peuvent retenir que les individus qui indiquent eux-mêmes qu’ils ont une déficience ou une limitation fonctionnelle à mettre sur le compte d’une déficience, ou qui pensent qu’ils sont dans une situation désavantagée de ce fait. Contrairement au sexe et à l’âge, le handicap n’est pas une variable statistique clairement définissable, mais un terme ouvert à interprétation en fonction du contexte. Par conséquent, les données relatives au handicap ne peuvent fournir que des approximations et doivent être traitées avec la plus grande prudence.

C’est pourquoi le présent article ne constitue pas une nouvelle tentative de donner une définition universelle du handicap, ou de traiter celui-ci comme l’attribut d’un individu ou d’un groupe. Il se propose de sensibiliser le lecteur à la relativité et à l’hétérogénéité de ce terme et de lui faire comprendre les influences historiques et culturelles qui ont modelé la législation et les mesures prises en faveur des personnes reconnues comme étant handicapées. Cette sensibilisation est la condition préalable à la réussite de l’intégration de la personne handicapée sur son lieu de travail. Elle permettra de mieux comprendre les conditions qui doivent être mises en place pour permettre au travailleur handicapé de devenir un membre utile de la main-d’œuvre au lieu de se voir refuser un emploi ou attribuer une pension. Le handicap est présenté ici comme gérable, à condition qu’on réponde aux besoins de la personne qui en est frappée, par exemple en matière de formation complémentaire ou de fourniture d’aides techniques, et qu’on adapte le lieu de travail.

Au niveau international, les organisations de personnes handicapées ont lancé un vif débat en vue d’élaborer une définition non discriminatoire du handicap. Selon une idée qui fait son chemin, il y a handicap lorsqu’on constate ou qu’on prévoit un désavantage social ou fonctionnel particulier lié à une déficience. La question est de savoir comment prouver que le désavantage n’est pas le résultat naturel de la déficience, mais qu’il pourrait être évité, et qu’il est dû à un échec de la société face aux mesures à prendre pour supprimer les obstacles physiques. Ce débat, qui reflète essentiellement le point de vue des personnes handicapées à mobilité réduite, risque d’avoir une conséquence indésirable: l’Etat pourrait supprimer les dépenses en leur faveur, par exemple les prestations d’invalidité ou les mesures spéciales, pour affecter les sommes économisées à la seule amélioration de l’environnement.

Quoi qu’il en soit, ce débat, toujours en cours, montre bien la nécessité de trouver une définition du handicap qui reflète sa dimension sociale sans sacrifier la spécificité du désavantage fondé sur une déficience, et sans perdre sa qualité de définition opérationnelle. La définition ci-après essaie d’en tenir compte. Ainsi, le handicap peut être décrit comme l’effet, déterminé par l’environnement, d’une déficience qui, en interaction avec d’autres facteurs et dans un contexte social donné, risque d’être source d’un désavantage injuste dans la vie privée, sociale ou professionnelle d’un individu. L’expression «déterminé par l’environnement» signifie que plusieurs facteurs influent sur l’effet de la déficience, notamment les mesures préventives, correctives et compensatoires, ainsi que les solutions technologiques et l’aménagement.

Cette définition reconnaît que, dans un environnement différent qui dresse moins d’obstacles architecturaux, la même déficience pourrait ne pas avoir de conséquence significative et, de ce fait, ne pas conduire à un handicap. Elle met l’accent sur la dimension corrective par rapport à un concept qui prend le handicap comme un fait incontournable et qui cherche simplement à améliorer les conditions de vie des personnes qui en sont frappées. En même temps, elle continue de justifier les mesures compensatoires, comme les prestations en espèces, parce que, malgré la reconnaissance d’autres facteurs, le désavantage reste spécifiquement lié à la déficience, que celle-ci soit le résultat d’un dysfonctionnement de la personne ou d’attitudes négatives de la collectivité.

Toutefois, un grand nombre de personnes handicapées verraient leurs activités fortement limitées même si elles se trouvaient dans un environnement idéal et compréhensif. Dans ce cas, le handicap réside essentiellement dans la déficience et non dans l’environnement. Les améliorations apportées à l’environnement peuvent réduire de manière significative la dépendance et les restrictions, mais il n’en restera pas moins vrai que, pour bon nombre de grands handicapés (ce qui ne veut pas dire atteints d’une grave déficience), la participation à la vie sociale et professionnelle continuera d’être limitée. C’est pour ces groupes de personnes en particulier que la protection sociale et les mesures visant à améliorer leur situation continueront de jouer un rôle plus important que l’objectif de pleine intégration au travail qui, si elle a lieu, est souvent due à des raisons sociales plutôt qu’économiques.

Cela ne signifie pas que les personnes définies comme étant de grands handicapés devraient mener une vie à l’écart et que leurs limitations devraient être des motifs de ségrégation et d’exclusion de la vie de la collectivité. Si la plus grande prudence est ici de rigueur, c’est parce qu’il est courant que la personne ainsi identifiée et cataloguée fasse l’objet de mesures administratives discriminatoires.

Quoi qu’il en soit, le concept de handicap est ambigu et prête à confusion et il pourrait être à l’origine de l’exclusion sociale des personnes qui en sont frappées. En effet, d’une part, nombreux sont ceux qui font campagne avec le slogan selon lequel être porteur d’un handicap ne signifie pas être incapable; d’autre part, tous les systèmes de protection existants reposent sur l’idée que le handicap est synonyme d’incapacité à gagner sa vie de façon autonome. La réticence de nombreux employeurs à engager des personnes handicapées est peut-être fondée sur cette contradiction fondamentale. Pour y répondre, il faut rappeler que les personnes handicapées ne constituent pas un groupe homogène et qu’il faudrait examiner chaque cas séparément et sans préjugés. Mais il est vrai que le handicap à la fois interdit d’exercer une fonction selon la norme ou permet de l’exercer aussi bien, voire mieux, que d’autres si on en a la possibilité et si on reçoit le type de soutien adéquat.

Il est évident que le concept de handicap décrit ci-dessus appelle une révision du fondement des politiques en la matière: on peut trouver des sources d’inspiration sur la façon de moderniser les politiques et les programmes en faveur des personnes handicapées dans la convention (no 159) sur la réadaptation professionnelle et l’emploi des personnes handicapées, 1983 (OIT, 1983) et les Règles pour l’égalisation des chances des handicapés (Nations Unies, 1993).

Les paragraphes suivants sont consacrés à l’étude et à la description des différentes dimensions du concept de handicap qui influence les lois et la pratique actuelles. Nous démontrerons que différentes définitions coexistent, reflétant les divers héritages culturels et politiques à travers le monde, sans pour autant laisser espérer la possibilité de trouver une définition universelle unique comprise de la même manière par tous.

Le handicap et la normalité

Jusqu’à présent, la plupart des efforts entrepris pour définir le handicap n’ont pas échappé, d’une façon ou d’une autre, à la tentation de le décrire comme un phénomène essentiellement négatif ou une déviation. L’être humain porteur d’un handicap est perçu comme un problème, constitue un «cas social» et est tenu pour incapable de poursuivre des activités normales: c’est une personne chez qui tout ne fonctionne pas bien. Une abondante littérature scientifique dépeint les personnes handicapées comme ayant un problème comportemental et, dans un grand nombre de pays, la «science des anomalies» était et est encore une science reconnue pour savoir mesurer le degré de déviation.

En général, les personnes porteuses d’un handicap récusent elles-mêmes une telle étiquette. D’autres se résignent à tenir le rôle qu’on leur assigne. Cette classification ne tient pas compte du fait que les personnes handicapées ont beaucoup plus de points communs que de différences avec les individus valides. De plus, l’idée sous-jacente que le handicap est une déviation par rapport à la norme est un jugement de valeur contestable. Ces considérations ont amené à préférer le terme personnes porteuses de handicap à celui de personnes handicapées, car ce dernier pourrait laisser penser que le handicap est la caractéristique première de la personne concernée.

On peut parfaitement concevoir une définition de la réalité humaine et sociale conciliant normalité et handicap au lieu de considérer ce dernier comme une déviation par rapport à la normalité. En fait, la Déclaration adoptée en 1995 par les chefs d’Etat et de gouvernement lors du Sommet mondial des Nations Unies sur le développement social qui s’est tenu à Copenhague, décrit le handicap comme l’une des formes de pluralisme social. Cette définition revendique le principe d’une «société pour tous». De ce fait, toutes les tentatives antérieures de définition qui se bornaient à donner du handicap une image négative le présentant comme une déviation par rapport à la norme, ou comme une déficience, sont obsolètes. Une société qui s’adapte aux personnes handicapées en les intégrant pourrait combattre les conséquences du handicap perçues autrefois comme trop restrictives.

Le handicap comme identité

Même si cette étiquette risque d’appeler ségrégation et discrimination, les raisons de conserver l’usage du terme «handicap» et de regrouper des individus dans cette catégorie restent valables. Selon les observations, on ne peut nier que de nombreuses personnes porteuses de handicap vivent des expériences similaires, le plus souvent négatives, englobant la discrimination, l’exclusion et la dépendance économique ou sociale. Il existe, de fait, une classification d’êtres humains en tant que handicapés parce que certains types de comportements sociaux négatifs ou critiques semblent fondés sur cette caractéristique. Inversement, lorsque des efforts sont entrepris pour combattre cette discrimination, il devient alors nécessaire de préciser quels devraient être les bénéficiaires de ces mesures de protection.

C’est en réaction à la façon dont la société traite les personnes porteuses de handicap que nombre d’entre elles, qui, d’une façon ou d’une autre, ont été victimes de discrimination en raison de leur état, se sont rassemblées en associations. Leur démarche s’explique, d’une part, par le mieux-être ressenti au milieu de gens qui partagent la même situation et, d’autre part, par la volonté d’une défense commune de leurs intérêts. Les personnes handicapées acceptent donc leur condition, même si leurs motivations divergent: les unes veulent inciter la société à considérer leur handicap non pas comme l’apanage d’individus isolés, mais plutôt comme la résultante du comportement et de l’indifférence d’une partie de la communauté qui restreint à l’excès leurs droits et leurs chances; les autres, parce qu’elles reconnaissent leur handicap et revendiquent le droit à la reconnaissance et au respect de leur différence, ce qui implique la lutte pour l’égalité de traitement.

Toutefois, la plupart des personnes atteintes, à cause d’une déficience, de limitations fonctionnelles sous une forme ou une autre, semblent ne pas se considérer comme étant handicapées. Cette attitude crée un problème que les responsables des politiques en la matière ne doivent pas sous-estimer. Par exemple, les personnes qui ne se considèrent personnellement pas comme handicapées doivent-elles être recensées dans cette catégorie ou ne faut-il y inscrire que les personnes qui se déclarent porteuses d’un handicap?

La reconnaissance juridique du handicap

Dans de nombreuses collectivités, les définitions du handicap se retrouvent dans un acte administratif le reconnaissant comme tel. La reconnaissance de ce statut devient ainsi la condition sine qua non pour toute demande d’assistance fondée sur la diminution des capacités physiques ou mentales, ou pour tout recours aux termes d’une loi interdisant la discrimination. L’assistance peut consister en mesures de réadaptation, d’éducation spéciale, de reconversion professionnelle, d’avantages concédés pour la recherche et la conservation d’un emploi, de garantie des ressources par un revenu, de prestations d’invalidité et d’aide à la mobilité, etc.

Chaque fois que des dispositions légales cherchent à réparer ou à prévenir des préjudices, il faut préciser quels en seront les bénéficiaires, qu’il s’agisse de prestations, de services ou de mesures de protection. Il s’ensuit que la définition du handicap dépend du type de services offerts ou de réglementation applicable: pratiquement toute définition en usage reflète ainsi un système juridique particulier et tire son sens de ce dernier. Etre reconnu comme une personne handicapée signifie que l’on remplit les conditions nécessaires pour bénéficier des possibilités qu’offre ce système. Ces conditions peuvent toutefois varier selon les collectivités et les programmes et, par conséquent, un grand nombre de définitions différentes peuvent coexister dans un même pays.

La meilleure preuve que la définition du handicap est déterminée par la législation est fournie par des pays tels que l’Allemagne et la France où la réglementation introduit un quota réglementaire d’emplois réservés aux personnes handicapées ou la perception d’amendes en cas d’infraction, afin d’assurer l’accès à l’emploi. Ces dispositions ont eu pour conséquence manifeste une augmentation massive du nombre de travailleurs «handicapés» qui s’explique uniquement par une notification officielle des salariés — souvent incités par l’employeur — qui, en l’absence d’une telle législation, n’auraient jamais envisagé de se déclarer. Ces personnes n’avaient jamais figuré dans les statistiques sur les personnes handicapées.

Une autre différence juridique entre les pays est la prise en considération du handicap, en fonction de sa nature temporaire ou permanente. Certains pays accordent aux personnes handicapées des avantages ou des privilèges spécifiques qui sont fonction de la durée de l’incapacité reconnue. Si celle-ci est surmontée par les mesures prises, la personne handicapée perd ses privilèges — que la réalité médicale le constituant (par exemple, la perte d’un œil ou d’un membre) persiste ou non. Ainsi, une personne qui, au terme d’une réadaptation réussie, a recouvré ses capacités fonctionnelles perdues risque de perdre ses droits aux prestations d’invalidité, voire de ne même pas pouvoir bénéficier d’un quelconque régime de prestations.

Dans d’autres pays, des privilèges durables sont accordés pour compenser des handicaps réels ou hypothétiques. Cette pratique a débouché sur le développement d’un véritable statut de la personne handicapée intégrant des éléments de «discrimination positive». Ces privilèges sont souvent accordés à des personnes qui, ayant réussi leur intégration sociale et économique, pourraient désormais s’en passer.

Le problème du recensement statistique

Formuler une définition du handicap applicable universellement est impossible, car chaque pays, et pratiquement chaque organisme administratif, travaille sur des concepts différents. Toute tentative de recensement statistique doit tenir compte du fait que le handicap est une notion relative puisqu’elle dépend du système en place.

Par conséquent, seul le bénéficiaire averti des dispositions officielles et ayant accepté son statut de personne handicapée conformément aux définitions légales, apparaît dans les statistiques les plus récentes. Celui qui ne se perçoit pas comme porteur d’un handicap et qui se tire d’affaire tout seul échappe habituellement aux statistiques. En réalité, dans de nombreux pays, comme le Royaume-Uni, beaucoup de personnes handicapées évitent le recensement statistique. Ce droit de ne pas être déclaré comme porteur d’un handicap est conforme aux principes de la dignité de la personne humaine.

Des efforts sont donc entrepris de temps à autre pour déterminer par des enquêtes et des recensements le nombre total des personnes handicapées. Comme nous l’avons déjà avancé, ces efforts butent contre des obstacles conceptuels objectifs qui interdisent pratiquement la comparaison des données entre les différents pays. On peut s’interroger notamment sur la valeur de ces enquêtes: en effet, il n’est pas possible de donner une définition du handicap qui serait constituée par des constatations objectives également applicables et comprises dans tous les pays. Ainsi, le faible nombre de personnes porteuses de handicap statistiquement enregistrées dans certains pays ne reflète pas nécessairement la réalité, mais plutôt le fait que ces pays offrent moins de services et de mesures réglementaires en faveur des personnes handicapées. A l’inverse, les pays qui offrent une protection sociale étendue et un bon système de réadaptation professionnelle, ont tendance à avoir un pourcentage élevé de personnes handicapées.

Les contradictions dans l’usage du concept de personne handicapée

On ne saurait attendre de résultats objectifs sur le plan des comparaisons quantitatives. De même, il n’y a aucune uniformité d’interprétation du point de vue qualitatif. Encore une fois, le contexte particulier et l’intention du législateur définissent le handicap. Ainsi, les efforts entrepris pour garantir une protection sociale aux personnes handicapées exigent qu’elles soient qualifiées d’incapables de gagner leur vie. A l’opposé, une politique sociale se fixant comme objectif l’intégration professionnelle tend à décrire le handicap comme un état qui, à l’aide de mesures appropriées, ne doit pas nécessairement avoir d’effets préjudiciables sur le rendement.

Les définitions internationales du handicap

Le concept de handicap selon la convention internationale du travail no 159

Les considérations précédentes sous-tendent également la définition-cadre utilisée dans la convention (no 159) concernant la réadaptation professionnelle et l’emploi des personnes handicapées, 1983 (OIT, 1983). L’article 1.1 dispose: «Aux fins de la présente convention, l’expression ‘personne handicapée’ désigne toute personne dont les perspectives de trouver et de conserver un emploi convenable ainsi que de progresser professionnellement sont sensiblement réduites à la suite d’un handicap physique ou mental dûment reconnu».

Cette définition contient les principes suivants: la référence à une déficience mentale ou physique comme cause première du handicap; la nécessité d’une procédure officielle de reconnaissance qui — en accord avec les conditions nationales — détermine qui devrait être considéré comme une personne handicapée; l’estimation du handicap, non sur la base de la déficience elle-même, mais en fonction de ses conséquences sociales possibles et réelles (en l’occurrence, une situation plus difficile sur le marché du travail); le droit aux mesures visant à assurer l’égalité de traitement sur le marché du travail (art. 1.2). Cette définition évite sciemment toute association avec des concepts comme l’incapacité et laisse la place à une interprétation du handicap selon laquelle il peut aussi résulter d’une discrimination consciente ou inconsciente née d’opinions erronées de l’employeur. D’un autre côté, cette définition n’exclut pas la possibilité que le handicap puisse déboucher sur une réduction objective du rendement et ne précise pas si le principe du traitement égal dont le respect est présent dans la convention est applicable dans ce cas.

La définition donnée par la convention internationale du travail ne se prétend pas globale et universelle. Son seul but est de clarifier la notion de handicap dans le cadre des mesures pour l’emploi et le travail.

Le concept du handicap selon la définition de l’Organisation mondiale de la santé

La Classification internationale des handicaps: déficiences, incapacités et désavantages (CIDIH) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS, 1980) propose une définition du concept de handicap dans le domaine des politiques de santé qui distingue les déficiences, les incapacités et les désavantages:

Les nouveaux aspects distinctifs de cette différenciation conceptuelle ne reposent pas sur son approche épidémiologique traditionnelle et son instrument de classification, mais plutôt sur l’introduction du concept de handicap, envisagé comme un appel aux responsables de la politique de santé publique pour qu’ils réfléchissent aux conséquences sociales de déficiences spécifiques sur une personne atteinte et considèrent le traitement comme relevant d’un concept holistique de la vie.

La clarification de l’OMS était devenue particulièrement nécessaire en raison de l’assimilation courante faite entre les mots déficience ou incapacité, et les concepts d’infirme, de retardé mental, etc., qui véhiculent une image exclusivement négative du handicap aux yeux du public. Une catégorisation de ce genre ne convient pas, en fait, à une définition précise de la situation concrète d’une personne atteinte et de sa situation dans la société. La terminologie de l’OMS est depuis devenue une référence dans toute discussion sur le concept de handicap sur le plan national et international. Nous allons donc prendre le temps de réfléchir à ces définitions.

Déficience. Les médecins utilisent généralement ce concept pour désigner chez un individu une lésion existante ou évolutive des fonctions physiques ou du processus vital affectant une ou plusieurs parties de l’organisme ou indiquant une altération, une perte ou un défaut d’une structure ou d’une fonction psychologique, mentale ou émotionnelle à la suite d’une maladie, d’un accident ou d’une anomalie congénitale ou génétique. Une déficience peut être temporaire ou permanente. Dans cette catégorie, on ne tient aucunement compte des influences du milieu professionnel ou social ou de l’environnement en général. Ici, seule compte l’évaluation par le médecin de l’état de santé ou de la déficience du patient, indépendamment des conséquences que la déficience engendre pour cette personne.

Incapacité. Lorsqu’une telle déficience provoque une limitation importante de la vie active des personnes concernées, on utilise généralement le terme d’incapacité. Des dérèglements fonctionnels de l’organisme, comme des troubles psychologiques ou des dépressions nerveuses, peuvent entraîner des incapacités plus ou moins graves ou avoir des conséquences négatives sur l’accomplissement de certaines tâches ou de certains actes de la vie quotidienne. Ces effets peuvent être temporaires ou permanents, réversibles ou non, stables ou progressifs après traitement. Le concept médical d’«incapacité» désigne donc une limitation fonctionnelle des capacités individuelles résultant directement ou indirectement d’une déficience physique, mentale ou psychologique. L’incapacité reflète surtout la situation personnelle de l’individu qui en est frappé. Cependant, comme les conséquences personnelles de l’incapacité dépendent de l’âge, du sexe, de la position sociale et professionnelle, etc., le même trouble fonctionnel peut très bien avoir des conséquences différentes selon les individus.

Désavantage. Dès que des personnes présentant des déficiences physiques ou mentales entrent dans leur milieu social, professionnel ou privé, elles peuvent se heurter à des difficultés qui constituent un désavantage ou un handicap dans leurs relations avec autrui.

Le premier projet de la CIDIH définissait le handicap comme un désavantage qui apparaît à la suite d’une «déficience» ou d’une «incapacité» et qui limite l’accomplissement de ce qui est considéré comme un rôle «normal». Cette définition, fondée exclusivement sur la situation individuelle de la personne atteinte, s’est depuis lors heurtée à des critiques, parce qu’elle ne tient pas suffisamment compte du rôle de l’environnement et de l’attitude de la société qui sont à l’origine de désavantages. Une définition prenant en considération ces critiques devrait faire apparaître la relation entre la personne handicapée et les multiples obstacles environnementaux, culturels, physiques ou sociaux, qu’une société qui reflète l’attitude des gens valides tend à dresser contre cette personne. Cela étant, la catégorie des «handicaps» comprend tout désavantage affectant la vie de l’invidu: il peut être dû non à une déficience ou à une incapacité, mais bien à des attitudes négatives ou à un rejet au sens large. De plus, toute mesure prise en faveur des personnes handicapées et visant à améliorer leur situation, par exemple en les aidant à participer pleinement à la vie et à la société, devrait contribuer à prévenir le «handicap». Ainsi, le désavantage ne résulte pas directement d’une déficience ou d’une incapacité existante, mais est le produit d’une interaction entre un individu frappé d’incapacité, son milieu social et son environnement immédiat.

Par conséquent, ce serait une erreur de penser d’emblée qu’une personne qui présente une déficience ou qui est frappée d’incapacité est automatiquement aussi porteuse d’un handicap. Nombreux sont les handicapés qui, malgré les limitations imposées par leur incapacité, réussissent leur vie professionnelle. Par ailleurs, on ne saurait attribuer tous les handicaps ou désavantages à une incapacité. Ils peuvent aussi découler d’une éducation insuffisante qui peut être liée ou non à l’incapacité.

Ce système de classification hiérarchisé — déficience, incapacité et désavantage — trouve également son équivalent dans les différentes phases de la réadaptation lorsque, par exemple, le traitement curatif est suivi par une réadaptation visant à réduire les limitations fonctionnelles et psychosociales, et complété par une réadaptation professionnelle ou une formation visant à assurer une existence autonome.

C’est pourquoi l’évaluation objective du degré d’incapacité au regard de ses conséquences sociales (désavantage) ne peut pas s’appuyer uniquement sur des critères médicaux, mais doit également tenir compte du contexte professionnel, social et personnel et, tout particulièrement, de l’attitude des personnes valides de l’entourage. D’où l’extrême difficulté d’évaluer et d’établir sans conteste un diagnostic d’incapacité.

Les définitions en usage dans différents pays

La reconnaissance légale de l’incapacité permet de faire valoir ses droits

La règle veut que l’incapacité soit établie par une autorité nationale compétente sur la base des conclusions tirées après examen de chaque cas individuel. C’est pourquoi la reconnaissance du statut de handicapé joue un rôle prépondérant lorsque, par exemple, la constatation d’une incapacité permet de revendiquer des droits personnels et des prestations légales spécifiques. Le premier intérêt d’une définition juridiquement fondée du concept d’incapacité est de s’appuyer sur des raisons non pas médicales, de réadaptation ou statistiques, mais juridiques.

Dans beaucoup de pays, les personnes dont l’incapacité est reconnue peuvent prétendre à de nombreux services et à des mesures réglementaires dans des domaines spécifiques de politiques de santé ou sociales. En règle générale, de telles réglementations ou prestations servent à améliorer leur situation personnelle et les aident à surmonter les difficultés rencontrées. La garantie de ces prestations passe par la reconnaissance officielle de l’incapacité en vertu des dispositions réglementaires respectives.

Les exemples de définitions tirés de la pratique législative

Ces définitions varient énormément d’un Etat à l’autre. Nous nous limiterons ici à quelques cas afin d’illustrer la diversité, mais aussi le caractère contestable de nombreuses définitions. Comme notre propos n’est pas de débattre de modèles juridiques spécifiques, nous n’indiquerons pas les sources des citations et nous ne porterons pas non plus de jugement sur les définitions qui paraissent préférables à d’autres. Voici quelques exemples de définitions nationales des personnes handicapées:

La multitude de définitions légales qui se complètent ou s’excluent en partie montre que les définitions sont surtout bureaucratiques et servent des objectifs administratifs. Aucune des définitions énumérées n’est pleinement satisfaisante, et toutes soulèvent plus de questions qu’elles n’en résolvent. Sauf rares exceptions, la plupart d’entre elles s’orientent vers la représentation d’une déficience individuelle et laissent dans l’ombre la corrélation entre l’individu et son environnement. Ce qui, dans la réalité, reflète une relativité complexe se trouve ramené à une quantification apparemment tranchée et stable dans un contexte administratif. Des définitions aussi simplifiées tendent alors à avoir une vie propre et contraignent fréquemment les personnes à accepter un statut conforme à la loi, mais pas nécessairement à leur propre potentiel et à leurs aspirations.

L’incapacité, objet d’action sociopolitique

La règle veut que les individus auxquels on reconnaît le statut de handicapés puissent bénéficier de mesures de rééducation médicale et de réadaptation professionnelle, ou de prestations financières spécifiques. Outre ces mesures sociopolitiques, certains pays accordent également des aides et privilèges, ainsi que des mesures de protection spéciales. Pêle-mêle on trouve, par exemple: un principe légal de l’égalité de chances pour l’intégration sociale et professionnelle; un droit légal à l’aide nécessaire pour assurer l’égalité des chances; un droit constitutionnel à l’éducation et à l’intégration professionnelle; la poursuite de la formation professionnelle et le placement en emploi; une assurance constitutionnelle d’une aide accrue pour ceux qui ont besoin du secours spécial de l’Etat. Certains pays, se fondant sur l’égalité totale de chances entre tous les citoyens et en toutes circonstances, ont adopté ce principe comme objectif, sans juger nécessaire de légiférer sur les problèmes particuliers des personnes handicapées au moyen de lois spécifiques à leur intention. Ces pays s’abstiennent habituellement de définir l’incapacité.

L’incapacité et la réadaptation professionnelle

La définition de l’incapacité dans le domaine de l’intégration professionnelle diffère de celle qui prévaut pour l’établissement des droits à pension et des avantages et met l’accent sur la possibilité de la prévenir et d’en corriger les effets. L’objet de ces définitions est de supprimer, par des mesures de réadaptation et des politiques actives du marché du travail, sinon l’incapacité elle-même, du moins les désavantages professionnels qui s’y rattachent. L’intégration professionnelle des personnes handicapées est encouragée par l’attribution d’une aide financière, l’adoption de mesures concernant la formation professionnelle et l’aménagement du lieu de travail en fonction des besoins spéciaux du travailleur handicapé. Une fois encore, les pratiques varient fortement d’un pays à l’autre. Les prestations offertes vont d’une allocation relativement faible et à court terme à des mesures de réadaptation de longue durée.

La plupart des Etats misent relativement beaucoup sur le développement de la formation professionnelle des personnes handicapées; elle peut être dispensée dans des centres ordinaires ou spécialisés gérés par des institutions publiques ou privées, de même que dans des entreprises ordinaires. La préférence accordée à l’une ou l’autre des possibilités diffère selon les pays. Il arrive que la formation professionnelle soit assurée dans un atelier protégé, ou directement sur un poste de travail réservé à un travailleur handicapé.

Comme les conséquences financières de ces mesures peuvent être lourdes pour le contribuable, la reconnaissance d’une incapacité a une grande portée. Pourtant, l’enregistrement est souvent effectué par un service différent de celui qui administre le programme de réadaptation professionnelle et qui prend en charge son coût.

L’incapacité, un désavantage permanent

Lorsque l’objectif de la réadaptation professionnelle est de surmonter les éventuels effets négatifs de l’incapacité, la législation en la matière admet largement que l’intégration professionnelle et sociale des personnes handicapées passe parfois par l’adoption de mesures de protection sociales accrues. On s’accorde aussi à reconnaître que, généralement, l’incapacité présente un risque permanent d’exclusion sociale indépendant de l’existence d’une anomalie fonctionnelle réelle. Constatant cette menace permanente, les législateurs ont adopté une série de mesures de protection et d’accompagnement.

Ainsi, dans de nombreux pays, les employeurs prêts à embaucher des personnes handicapées dans leurs sociétés peuvent compter que l’Etat leur accordera des subventions d’un montant et d’une durée variables pour les salaires et les contributions de sécurité sociale. En général, un effort est fait pour garantir aux handicapés le même salaire que celui des travailleurs valides. On aboutit ainsi à des situations où, lorsque le salaire versé par l’employeur au travailleur handicapé est inférieur à celui de ses collègues valides, le système de protection sociale prévoit de combler la différence.

De nombreuses mesures, comme des prêts, des garanties d’emprunt, des taux d’intérêt préférentiels, des aides au logement, peuvent également favoriser la création de petites entreprises par des personnes handicapées.

La protection des personnes handicapées contre le licenciement, ainsi que celle de leur droit au réemploi varient selon les pays. Ainsi, certains d’entre eux ne disposent d’aucune législation spéciale concernant leur licenciement; d’autres prévoient une commission ou une institution spéciale chargée de décider de la légalité et de la légitimité du licenciement; d’autres encore ont prévu des réglementations spéciales destinées aux victimes d’accidents du travail, aux grands handicapés et aux salariés en arrêt de travail prolongé pour cause de maladie. La situation légale est similaire pour ce qui est du réengagement des personnes handicapées. Là aussi, certains pays reconnaissent l’obligation générale pour une entreprise de conserver l’emploi d’un travailleur victime d’accident ou de le reprendre après sa réadaptation, tandis que d’autres n’obligent pas les entreprises à les réengager. En outre, certains pays s’appuient sur des recommandations et des conventions quant à la façon de procéder en la matière, tandis que dans d’autres, la loi garantit à l’employé frappé d’une incapacité d’origine professionnelle spécifique la réintégration à son poste précédent ou à un autre poste après rétablissement médical complet.

Les différences de traitement selon la cause de l’incapacité

Comme nous l’avons indiqué, les lois prévoient divers types de demandes qui ont des conséquences bien définies sur le concept d’incapacité retenu dans le pays. Mais l’inverse est également vrai: dans les pays qui n’accordent pas de droits aux personnes handicapées, il est inutile de définir l’incapacité en termes juridiques précis et contraignants. Dans ces cas, on a souvent tendance à réserver le terme de handicapé à des personnes dont l’incapacité est visible et manifeste au sens médical — à savoir les personnes présentant des déficiences physiques, comme la cécité ou la surdité, ou mentales.

La législation moderne sur l’incapacité — encore que plus faiblement dans le domaine de la sécurité sociale —, retient de plus en plus le principe de la finalité: les législateurs n’ont pas à s’occuper des causes de l’incapacité, mais uniquement des besoins qui y sont associés et des résultats définitifs des mesures prises. Néanmoins, le statut social et les demandes des personnes handicapées dépendent souvent de la cause de leur incapacité.

En tenant compte de la cause de l’incapacité, les définitions diffèrent non seulement en signification, mais aussi en termes de prestations et d’assistance potentielles. Les distinctions les plus importantes touchent les incapacités qui résultent de déficiences physiques, mentales ou psychologiques liées à des anomalies génétiques ou congénitales; les incapacités dues à la maladie et aux accidents domestiques, de la circulation, de sport; les incapacités résultant de l’exercice d’une profession ou provoquées par l’environnement; l’invalidité due aux guerres civiles et aux conflits armés.

La préférence relative dont bénéficient certains de ces groupes de personnes handicapées est souvent la conséquence de la meilleure couverture que leur accorde le système de sécurité sociale. Parfois, la préférence consentie aux anciens combattants, par exemple, ou aux victimes d’accident reflète l’attitude d’une communauté dont les membres se sentent solidaires de la personne handicapée, tandis que, souvent, l’incapacité héréditaire est considérée comme un problème exclusivement familial. Ces attitudes de la société ont souvent des conséquences plus importantes que la politique officielle et peuvent parfois exercer une influence décisive — négative ou positive — sur le processus de réintégration sociale.

Résumé et perspectives

La diversité des situations historiques, juridiques et culturelles rend pratiquement impossible la formulation d’un concept de l’incapacité unique et applicable à toutes les situations et dans tous les pays. En l’absence d’une définition commune objective, les statistiques sont souvent fournies par les autorités comme un moyen de tenir les dossiers des usagers et d’interpréter le résultat des mesures prises, ce qui rend une comparaison internationale très difficile, car les systèmes et les conditions varient considérablement d’un pays à l’autre. Même lorsqu’il existe des statistiques fiables, il reste toujours le risque que les statistiques comprennent des personnes qui ne sont plus handicapées ou qui, par suite d’une réadaptation réussie, ne sont plus désireuses de se considérer comme telles.

Dans la plupart des pays industriels, la définition de l’incapacité est surtout liée aux droits reconnus par la loi dans les domaines médical, social et professionnel, à la protection contre la discrimination ou aux prestations en espèces. Ainsi, la plupart des définitions en vigueur reflètent une pratique et des exigences légales qui diffèrent d’un pays à l’autre. Dans bien des cas, la définition est associée à un acte de reconnaissance officielle du statut de handicapé.

Pour des raisons aussi diverses que l’émergence de la législation sur les droits humains et les progrès technologiques, les concepts traditionnels de l’incapacité qui conduisaient à des situations d’exclusion protégée et de ségrégation perdent du terrain. La conception moderne place le problème à l’intersection des politiques sociales et de l’emploi. Le handicap relève donc des domaines sociaux et professionnels plutôt que de la médecine. Il appelle des mesures correctives et positives qui garantissent l’égalité d’accès et la participation, plutôt que des mesures passives d’aide au revenu.

Un certain paradoxe naît de la conception du handicap envisagé, d’une part, comme un phénomène que l’on peut maîtriser par des mesures positives et, d’autre part, comme un phénomène durable qui exige des mesures de protection et d’amélioration permanentes. De même, la conception du handicap vu essentiellement comme une affaire individuelle de performance ou de limitation des fonctions s’oppose souvent à celle qui le considère comme un prétexte injustifié d’exclusion sociale et de discrimination.

Opter pour une définition globale peut avoir de graves conséquences sociales pour certains individus. Considérer que toutes les personnes handicapées sont aptes au travail reviendrait à supprimer les droits à pension et la protection sociale pour beaucoup d’entre elles. Admettre que toutes les personnes handicapées ont un rendement réduit serait fermer à la plupart d’entre elles les portes de l’emploi. Il faut donc adopter une approche pragmatique qui englobe tous les aspects, toute la diversité d’une réalité que le terme ambigu de handicap a tendance à gommer. Cette conception nouvelle prend en compte aussi bien la situation et les besoins spécifiques des personnes handicapées que la possibilité économique et sociale de la suppression des barrières à l’intégration.

La suppression des désavantages injustes qu’entraîne parfois un handicap est un objectif qui ne sera atteint, au mieux, que lorsque se répandra l’usage d’une définition souple du handicap prenant en compte les circonstances personnelles et sociales spécifiques d’un individu et évitant les idées reçues. Une approche au cas par cas de la reconnaissance du handicap s’impose donc, notamment lorsque la loi et la réglementation au niveau national prévoient divers droits et prestations, dont ceux qui assurent l’égalité des chances dans l’accès à la formation et à l’emploi.

On rencontre encore néanmoins des définitions qui ont des connotations négatives et sont en contradiction avec les concepts d’intégration puisqu’elles insistent sur les effets restrictifs d’une déficience. Il faut adopter une nouvelle vision du problème. L’accent devrait être mis sur la reconnaissance des personnes handicapées comme des citoyens ayant des droits et des aptitudes, et sur le fait qu’il faut leur donner les moyens de prendre en charge leur destin en adultes désireux de participer à la vie sociale et économique de la collectivité.

De même, il faut poursuivre les efforts pour que la société se présente comme une communauté solidaire ne faisant plus du handicap un motif d’exclusion de ses concitoyens. Entre l’excès de soins et l’indifférence, il devrait exister une conception raisonnable qui n’obscurcirait ni ne sous-estimerait les conséquences du handicap. Le handicap peut souvent, mais pas toujours, justifier des mesures spécifiques. Il ne devrait en aucun cas servir de prétexte à la discrimination et à l’exclusion sociale.

ÉTUDE DE CAS: LA CLASSIFICATION JURIDIQUE DES PERSONNES HANDICAPÉES EN FRANCE

Marie-Louise Cros-Courtial et Marc Vericel

Le caractère hétérogène du handicap se retrouve dans la diversité des dispositions légales et des prestations que la plupart des pays ont mises en place et codifiées au cours des cent dernières années. On a choisi l’exemple de la France, car ce pays possède probablement l’un des cadres réglementaires les plus élaborés en matière de classification des handicaps. Le système français peut paraître atypique par rapport à celui de bien d’autres pays, mais il présente — pour ce qui est de l’objet du présent chapitre — toutes les caractéristiques d’un système de classification qui s’est développé au cours du temps. Cette étude de cas présente donc les questions fondamentales qui doivent être abordées dans tout système accordant aux personnes handicapées des droits pouvant faire l’objet d’un recours juridique.

Le vingtième anniversaire de la loi du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées a suscité un regain d’intérêt à l’égard des quelque 1,5 à 6 millions de personnes (soit 1/10 de la population) qui, en France, sont atteintes d’un handicap. Cette population, dont l’importance quantitative est difficile à cerner en raison de l’imprécision de la définition du handicap, reste encore trop souvent marginalisée dans la collectivité nationale. Malgré les progrès réalisés ces vingt dernières années, la situation des personnes handicapées demeure un problème de société très important. Elle présente, en dehors de ses implications collectives qui mettent en jeu la solidarité nationale, des aspects humains, moraux et affectifs particulièrement douloureux.

Le droit français affirme le principe de l’égalité des chances et de traitement à l’égard de cette catégorie de personnes qui possèdent les mêmes libertés et les mêmes droits que les autres citoyens. Mais cette égalité reste purement théorique en l’absence d’aide particulière: tel handicapé, par exemple, ne pourra aller et venir comme n’importe quel autre citoyen sans une adaptation des moyens de transport et des aménagements d’urbanisme. Pour accéder à cette situation d’égalité concrète, les handicapés ont besoin de diverses mesures destinées, non à les privilégier, mais à effacer les désavantages résultant de leur état. Ainsi, l’Etat cherche à garantir le traitement équitable en matière d’éducation, de formation, d’emploi et de logement par des dispositions légales et des mesures spécifiques. Le principe de l’égalité de traitement constitue, avec la réparation du handicap, l’objectif prioritaire des politiques sociales en faveur des personnes handicapées.

Néanmoins, en droit français, ces diverses mesures spécifiques (intitulées le plus souvent mesures discriminatoires politiques) ne sont généralement pas accessibles à l’ensemble des personnes atteintes d’un handicap, mais seulement à certaines catégories d’entre elles: par exemple, telle allocation, ou telle mesure destinée à favoriser l’intégration professionnelle n’est accordée qu’à telle catégorie de handicapés. La diversité des handicaps et des situations des personnes handicapées a entraîné l’élaboration de classifications dont dépend, en définitive, le statut de l’intéressé, chaque statut comportant sa propre évaluation du handicap.

La diversité des handicaps et la détermination du statut officiel

En France, la classification essentielle des handicaps est établie selon leur origine. Bien évidemment, les classifications selon la nature du handicap (physique, mental ou sensoriel) et selon le degré d’invalidité entraîné par le handicap ne sont pas sans incidence sur le traitement des personnes handicapées: ces classifications sont prises en compte notamment pour déterminer le meilleur type d’établissement dont relèvera la personne (établissement de soins ou centre d’aide au travail) et, aussi, pour déterminer si elle doit bénéficier d’un système de protection sur le plan civil (les personnes atteintes d’une altération de leurs facultés mentales peuvent être placées sous tutelle ou curatelle). Mais c’est d’abord la classification fondée sur la nature du handicap qui détermine le statut officiel applicable à la personne handicapée, ainsi que les droits et avantages dont elle pourra bénéficier.

En effet, l’étude de l’ensemble de la législation française applicable aux personnes handicapées met en lumière la multiplicité et la complexité des systèmes visant à leur venir en aide; cette pluralité de régimes a des origines historiques, mais elle subsiste aujourd’hui encore et pose toujours un problème.

La genèse du «statut officiel» des personnes handicapées

Jusqu’à la fin du XIXe siècle, l’aide apportée aux infirmes relève essentiellement d’une logique de bienfaisance qui se traduit surtout par leur accueil dans des hospices. Il faut attendre le début du XXsiècle pour voir se développer une nouvelle approche culturelle et sociale de l’infirmité qui donnera naissance aux notions de réadaptation et de réparation. L’individu a subi un dommage, il faut donc le rétablir, sinon dans sa situation antérieure, du moins dans une situation équivalente. Le développement du machinisme et, de manière corollaire, celui des accidents du travail, puis la grande guerre de 1914-1918 au cours de laquelle un nombre impressionnant de soldats furent blessés à vie, constituent les principaux facteurs du changement des mentalités.

Pour améliorer le système de réparation des accidents du travail, une loi du 9 avril 1898 a supprimé la nécessité pour le salarié de prouver une faute de l’employeur (à qui il demande réparation) et instauré une réparation forfaitaire; plus tard, en 1946, la gestion du risque constitué par les accidents du travail et les maladies professionnelles sera transférée aux caisses de sécurité sociale.

Plusieurs lois ont été adoptées pour réparer les préjudices subis par les blessés et mutilés de la grande guerre:

Les années de l’entre-deux-guerres voient naître les premières grandes associations de handicapés civils, notamment la Fédération des mutilés du travail (1921), la Ligue pour l’adaptation des diminués physiques au travail (LADAPT) (1929) et l’Association des paralysés de France (APF) (1933). Sous la pression de ces associations et des syndicats ouvriers, les victimes d’un accident du travail, puis l’ensemble des handicapés civils, vont progressivement bénéficier de mécanismes d’aide inspirés de ceux qui avaient été institués pour les mutilés de guerre. En 1930 est créé un système d’assurance invalidité pour les salariés, qui sera réaffirmé par l’ordonnance de 1945 instituant la sécurité sociale; les travailleurs dont la capacité de travail ou de gain se trouve réduite de façon importante du fait d’une maladie ou d’un accident perçoivent une pension. Le droit à la rééducation professionnelle est reconnu aux victimes d’un accident du travail par une autre loi de 1930. Un système de rééducation et de formation professionnelle est mis en place pour les aveugles en 1945 et étendu à tous les grands infirmes en 1949. En 1955, le bénéfice des dispositions assurant l’emploi obligatoire des mutilés de guerre est étendu aux autres handicapés.

Le dispositif d’aide aux handicapés est par la suite amélioré et rénové par plusieurs grandes lois inspirées d’un nouveau concept, celui d’intégration: la loi du 27 novembre 1957 relative au reclassement professionnel des travailleurs handicapés; la loi du 30 juin 1975 dite d’orientation en faveur des personnes handicapées (qui aborde pour la première fois l’ensemble de la situation des handicapés et tous les problèmes de réinsertion sociale); la loi du 10 juillet 1987 en faveur de l’emploi des travailleurs handicapés. Mais ces textes n’ont pas supprimé, loin s’en faut, tous les particularismes du régime des invalides de guerre et de celui des victimes d’un accident du travail.

La pluralité et la diversité des régimes d’aide aux handicapés

Il existe donc aujourd’hui trois régimes bien distincts d’aide à des personnes handicapées: celui des invalides de guerre, celui des victimes d’un accident du travail et celui que l’on pourrait appeler le régime de droit commun qui concerne tous les handicapés ne relevant pas de l’une des deux catégories précitées.

La coexistence de plusieurs régimes différents selon l’origine du handicap ne paraît pas à priori vraiment satisfaisante, d’autant que chacun de ces régimes comporte le même type de prestations: l’octroi d’une ou de plusieurs allocations et des aides à l’insertion, notamment professionnelle et tout particulièrement à la réintégration professionnelle. C’est pourquoi on s’est efforcé de procéder à une certaine harmonisation en matière d’aide à l’emploi.

Ainsi, les programmes de formation ou de rééducation professionnelle des trois régimes prévoient tant la prise en charge des frais par la collectivité que l’indemnisation des personnes suivant des stages; les centres de formation ou de rééducation spécialisés existants accueillent tout handicapé, y compris les centres de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONAC). De même, la procédure des emplois réservés dans le secteur public, instituée au profit des seuls militaires invalides de guerre, a été étendue aux handicapés civils par un décret du 16 décembre 1965.

Enfin, la loi du 10 juillet 1987 a fusionné les deux systèmes antérieurs d’obligation d’emploi à laquelle sont assujetties les entreprises privées et les administrations et dont les modalités étaient fort complexes et différentes pour les travailleurs handicapés relevant du droit commun et les invalides de guerre. Désormais, bénéficient de cette obligation d’emploi, dans les mêmes conditions, les travailleurs reconnus handicapés par la Commission technique d’orientation et de réinsertion professionnelle (COTOREP), les victimes d’accidents du travail ou de maladies professionnelles ayant entraîné une incapacité permanente au moins égale à 10% et titulaires d’une rente, les titulaires d’une pension civile d’invalidité et les anciens militaires et assimilés titulaires d’une pension militaire d’invalidité. Aux termes du régime de droit commun, il incombe à la COTOREP de reconnaître le statut de personne handicapée.

En revanche, les trois régimes diffèrent toujours profondément en ce qui concerne les allocations qu’ils distribuent. La personne handicapée relevant du droit commun perçoit essentiellement une pension d’invalidité versée par la sécurité sociale, puis un complément à la charge de l’Etat, afin d’atteindre le montant de l’allocation pour adulte handicapé (AAH) (soit 3 322 francs par mois au 1er juillet 1995). L’invalide de guerre perçoit de l’Etat une pension dont le taux est fonction du degré d’invalidité, et la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle perçoit une rente (ou une indemnité forfaitaire unique si l’incapacité permanente est inférieure à 10%) versée par les caisses de sécurité sociale et dont le montant est déterminé en fonction du salaire antérieur et du taux d’incapacité.

Les conditions d’attribution et le montant de ces allocations sont totalement différents pour chaque régime, ce qui entraîne une grande inégalité de traitement des handicapés selon l’origine de leur handicap. De plus, cette situation engendre des malaises qui peuvent nuire à la réadaptation ou à l’intégration sociale (Bing et Levy, 1978).

Il a été proposé, à plusieurs reprises, d’harmoniser ou même d’unifier les allocations relevant des trois régimes (Bing et Levy, 1978) et, en 1985, le gouvernement a même mis en place un groupe de travail chargé de proposer des solutions pour résoudre ce problème, mais jusqu’à présent, aucune n’a été retenue. Il est vrai que l’unification des allocations se heurte à un obstacle majeur: la diversité des finalités de ces prestations. Les allocations versées aux handicapés relevant du régime commun sont des allocations de subsistance — elles doivent permettre d’assurer à l’intéressé un niveau de vie convenable; en revanche, la pension militaire d’invalidité vise à compenser l’infirmité contractée au service du pays, et la rente pour accident du travail celle qui a été contractée en travaillant pour gagner sa vie; cela explique que le montant de ces deux allocations soit, en général, sensiblement plus élevé que celui qui est attribué à une personne handicapée de naissance ou à la suite d’un accident ou d’une maladie non imputable au service du pays ou à l’activité professionnelle pour un taux d’incapacité équivalent.

Quoi qu’il en soit, la situation d’inégalité résultant de la diversité des trois régimes d’aide aux personnes handicapées est encore aggravée par les différents modes d’évaluation du handicap.

Les effets du statut officiel sur l’évaluation du degré de handicap

L’évolution historique a marqué les différents régimes du handicap. Cette diversité se retrouve certes au regard des prestations versées par chacun d’eux, mais également au regard des conditions d’attribution des prestations: chaque régime a ses propres critères pour ouvrir les droits aux personnes handicapées et ses propres modalités d’évaluation du degré du handicap.

En tout état de cause, le droit à allocation et le degré de handicap font l’objet dans tous les régimes d’une décision d’une commission ad hoc. Il n’y a pas de reconnaissance par déclaration — les personnes handicapées sont tenues de passer devant une commission si elles désirent bénéficier du statut de personne handicapée et des avantages qu’il comporte. Cette procédure de reconnaissance peut paraître à certains avilissante et contraire à l’idée d’intégration: certaines personnes qui ne souhaitent pas voir «officialiser» leur différence et refusent par exemple de passer devant la Commission technique d’orientation et de réinsertion professionnelle (COTOREP) ne sont pas reconnues comme des travailleurs handicapés et se trouvent de ce fait exclues du dispositif spécifique de réintégration professionnelle.

Les critères de définition des personnes handicapées

Pour l’attribution des avantages accordés par la loi, chacun des régimes recourt à des critères différents du handicap.

Le régime de droit commun

Pour permettre aux personnes handicapées de subvenir à leurs besoins, ce régime octroie des allocations que l’on pourrait appeler allocations de subsistance. Pour en bénéficier, les personnes handicapées doivent être atteintes d’une incapacité permanente d’un taux élevé, puisqu’il est exigé, dans la très grande majorité des cas (allocation aux adultes handicapés, allocation compensatrice, allocation d’éducation spéciale pour les enfants handicapés), une incapacité permanente d’au moins 80%. Cependant, si l’enfant fréquente un établissement spécialisé ou bénéficie d’une éducation spéciale ou de soins à domicile particuliers, le taux d’incapacité requis se situe entre 50 et 80%. Pour toutes ces allocations, le taux d’incapacité est apprécié selon le guide-barème annexé au décret du 4 novembre 1993 relatif à l’attribution des diverses prestations aux personnes handicapées.

En revanche, l’assurance invalidité établit des conditions différentes pour l’attribution de la pension d’invalidité, qui comporte elle aussi un élément alimentaire.

Le demandeur a droit à une telle pension lorsqu’il est assuré social et qu’il présente une invalidité réduisant des deux tiers au moins sa capacité de travail ou de gain, c’est-à-dire le mettant hors d’état de se procurer, dans n’importe quelle profession, un salaire supérieur au tiers de la rémunération normale de la profession qu’il exerçait avant son incapacité, calculée par comparaison avec le salaire des travailleurs de la même catégorie, dans la même région. Il n’y a pas de barème, mais une appréciation globale de l’état de l’intéressé; le degré d’invalidité est apprécié en fonction de la capacité de travail restante, de l’état général, de l’âge et des facultés physiques et mentales de l’assuré, ainsi que de ses aptitudes et de sa formation professionnelle.

D’après cette définition, l’invalidité prise en considération n’est pas la seule incapacité physique de l’individu, ni son incapacité professionnelle par rapport à une profession donnée, mais celle qui entraîne une incapacité générale de s’assurer des revenus et, cela, sur la base des différents facteurs susceptibles de conditionner le reclassement professionnel de l’intéressé. Il est donc tenu compte:

Pour bénéficier des aides particulières à l’insertion professionnelle, l’adulte handicapé doit répondre à la définition donnée par le législateur: «Est considérée comme travailleur handicapé toute personne dont les possibilités d’obtenir ou de conserver un emploi sont effectivement réduites par suite d’une insuffisance ou d’une diminution de ses capacités physiques ou mentales».

Cette définition a profondément inspiré la recommandation internationale du travail (no 168) sur la réadaptation professionnelle et l’emploi des personnes handicapées, 1983, selon laquelle l’expression «personne handicapée» désigne «toute personne dont les perspectives de trouver et de conserver un emploi convenable sont sensiblement réduites à la suite d’un handicap physique ou mental dûment reconnu».

Néanmoins, son pragmatisme ne limite pas pour autant les interprétations possibles. Que signifie le terme «effectivement»? Par rapport à quoi peut-on apprécier une «insuffisance» ou une «diminution»? L’absence de critères précis en la matière explique la divergence d’appréciation de l’incapacité professionnelle par différentes commissions compétentes.

Les régimes particuliers

Ces régimes visent essentiellement la réparation et la compensation. Pour cela, ils versent des pensions ou des rentes attribuées de la manière suivante:

Le taux de l’incapacité permanente est déterminé d’après la nature de l’infirmité, l’état général, les facultés physiques et mentales de la victime, ainsi que d’après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu du barème indicatif d’invalidité.

Les barèmes d’évaluation du handicap

Si les décisions d’attribution des prestations octroyées par les différents régimes sont prises en fonction d’éléments administratifs, l’évaluation médicale du handicap, établie dans le cadre d’un examen ou d’une expertise, est fondamentale.

L’appréciation médicale de l’importance du handicap s’établit selon deux approches: soit qu’il s’agisse de fixer un taux d’incapacité permanente partielle (IPP) qui sert de base au calcul de la réparation, soit qu’il faille déterminer une diminution de la capacité de travail.

Le premier système est appliqué pour les régimes des invalides de guerre, des accidentés du travail et de droit commun, celui-ci nécessitant le passage de la personne devant la COTOREP.

En ce qui concerne les invalides de guerre, le taux d’IPP est fixé selon les normes d’un guide-barème des invalidités, applicable au titre du Code des pensions militaires d’invalidité et victimes de guerre (mis à jour le 1er août 1977, il reprend les barèmes de 1915 et de 1919). Pour les accidentés du travail, le taux d’IPP est fixé par application du barème des accidents du travail et maladies professionnelles établi en 1939 et qui a fait l’objet d’une révision en 1995.

Ces deux barèmes dressent une classification des différentes catégories de handicap selon l’organe lésé ou la fonction altérée (cécité, insuffisance rénale, cardiaque, etc.) et fixent un taux d’IPP pour chaque cas. Ils envisagent de multiples hypothèses, mais sont tous très imprécis pour ce qui touche à la maladie mentale. Sans oublier leurs insuffisances dans d’autres domaines, on relève surtout les différences de taux d’IPP qu’ils attribuent à une même infirmité: c’est ainsi qu’une diminution de l’acuité visuelle de trois dixièmes à chaque œil donne un taux d’IPP de 3% dans le régime des accidents du travail, alors qu’il correspond à 19,5% dans le guide-barème des invalidités des pensions militaires; une perte de la vision de cinq dixièmes de chaque œil correspond à une IPP de 10% dans le régime des accidents du travail et de 32,5% dans celui des pensions militaires.

Quant à la COTOREP, elle se référait jusqu’à une date récente, pour l’octroi de divers avantages ou prestations (carte d’invalidité, allocation aux adultes handicapés, allocation compensatrice pour tierce personne), au barème d’invalidité du Code des pensions militaires d’invalidité et victimes de guerre. Ce barème, établi pour assurer une indemnisation correcte du préjudice résultant de blessures de guerre, présente des insuffisances. L’absence de références communes a fait qu’à certaines sessions de la COTOREP, on est parvenu à des conclusions différentes, ce qui a engendré de profondes inégalités de traitement entre les personnes handicapées.

Afin de remédier à cette situation, un nouveau guide-barème d’évaluation des déficiences et incapacités est entré en vigueur le 1er décembre 1993 (annexé au décret no 93-1216 du 4 novembre 1993, Journal Officiel du 6 novembre 1993). Ce guide méthodologique s’appuie sur les concepts proposés par l’OMS, à savoir déficience, incapacité et handicap, et sert essentiellement à mesurer les incapacités dans la vie familiale, scolaire ou professionnelle, quel que soit le diagnostic médical. Si ce dernier est essentiel pour prévoir l’évolution du handicap et la prise en charge la plus efficace, il n’est que d’une utilité limitée dans la fixation du taux d’incapacité.

Les barèmes n’ont qu’une valeur indicative, mise à part l’appréciation du taux d’IPP dans les cas d’amputations de membres et d’exérèses d’organes, pour les pensions et invalidités militaires où l’application du barème est impérative. Les autres facteurs d’appréciation sont nombreux. Par exemple, en matière d’accident du travail, la fixation d’une IPP doit tenir compte de facteurs médicaux (état général, nature de l’infirmité, âge, facultés mentales ou physiques) et sociaux (aptitude et qualification professionnelles). Cela permet implicitement aux médecins, dans la détermination d’un taux d’IPP, d’introduire des corrections tenant compte des progrès thérapeutiques et des possibilités de réadaptation, et d’atténuer la rigidité et la fixité de tels barèmes dont les mises à jour et les rééditions sont peu fréquentes.

Le second système, fondé sur une perte de la capacité de travail, soulève des questions d’une autre nature. On a besoin d’évaluer cette diminution de la capacité de travail pour différentes situations: diminution de la capacité de travail ou de gain pour l’assurance invalidité, reconnaissance de l’inaptitude au travail par la COTOREP, évaluation d’une insuffisance professionnelle dans les cas de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé ou de placement en atelier protégé.

L’appréciation de la perte de la capacité de travail ne peut se référer à aucune norme, la définition d’un modèle du «travailleur moyen» relevant de spéculations utopiques. Le domaine de la capacité de travail demeure mal limité, car il fait référence non seulement aux aptitudes intrinsèques de l’individu, mais également aux besoins et à l’adéquation avec l’environnement professionnel, ce qui conduirait à distinguer une capacité «au» travail d’une capacité «de» travail. Schématiquement, deux situations peuvent se présenter.

Dans un cas, il s’agit de déterminer, à partir d’éléments objectifs, une diminution de la capacité de travail ou de gain par référence à une situation professionnelle antérieure récente et précise.

Dans l’autre, il faut apprécier l’atteinte à la capacité de travail de personnes handicapées non intégrées récemment au monde du travail (par exemple, malades chroniques stabilisés n’exerçant plus d’activité professionnelle depuis longtemps) ou de personnes handicapées n’ayant jamais travaillé. Cette dernière éventualité, rencontrée notamment pour l’attribution de l’allocation aux adultes handicapés, met en évidence les difficultés des médecins chargés de quantifier cette diminution de la capacité de travail. Fréquemment, les praticiens font délibérément, ou inconsciemment, référence aux taux d’IPP indiqués dans les barèmes pour évaluer la diminution de la capacité de travail.

Bien que ce système d’évaluation des handicaps soit très imparfait, il convient de reconnaître qu’il permet, certes au prix de quelques entorses médico-administratives, de déterminer les niveaux de la réparation du handicap dans la majorité des situations.

Le système français, qui classe les personnes handicapées selon l’origine de leur handicap et les fait relever de statuts différents, est donc source de difficultés de plusieurs ordres, sans parler même de celles qui surviennent lorsqu’une personne est atteinte de handicaps d’origines différentes, de telle sorte qu’elle relève alors de plusieurs statuts: cas, par exemple, d’une personne affectée d’un handicap moteur congénital et qui, en exerçant une activité professionnelle, vient à être victime d’un accident du travail. On imagine facilement les problèmes complexes qui se posent pour régler la situation de l’intéressé.

La stratification historique des divers statuts rend peu envisageable la réalisation d’une uniformisation totale. Par contre, il apparaît fort souhaitable que le législateur procède à une meilleure harmonisation des régimes, notamment sur le plan de l’appréciation du handicap pour l’attribution des prestations en espèces.

LA POLITIQUE SOCIALE ET LES DROITS HUMAINS: LES CONCEPTS DE HANDICAP

Carl Raskin

La plupart des personnes handicapées d’âge actif ont la capacité et la volonté de travailler, mais elles rencontrent souvent d’énormes obstacles dans leurs efforts pour accéder à l’emploi et obtenir l’égalité de traitement sur le lieu de travail. Le présent article aborde les principales questions concernant l’insertion des personnes handicapées dans la vie active, du point de vue de la politique sociale et des droits humains.

En premier lieu, nous exposerons l’étendue et les conséquences du handicap, ainsi que la façon dont les personnes handicapées ont été traditionnellement exclues d’une pleine participation à la vie sociale et économique. Les concepts des droits humains seront ensuite présentés comme un moyen de surmonter les obstacles que rencontrent les personnes handicapées pour obtenir un emploi équitable. Ces obstacles à la participation sur le lieu de travail et à la vie du pays sont souvent dus à des comportements discriminatoires plutôt qu’à l’incapacité elle-même. Il en résulte que les personnes handicapées sont souvent l’objet de discrimination soit délibérée, soit en raison d’obstacles structurels ou inhérents à l’environnement.

Enfin, la discussion sur la discrimination sera l’occasion de décrire les moyens d’y remédier grâce à un traitement équitable, à l’aménagement du lieu de travail et à l’accessibilité des locaux.

L’étendue et les conséquences du handicap

Toute discussion sur la politique sociale et les droits humains en matière de handicap doit commencer par une présentation de la situation à laquelle se heurtent les personnes handicapées en général.

L’étendue exacte de l’incapacité est sujette à une large interprétation, selon la définition utilisée. Le Recueil de statistiques sur les incapacités de l’Organisation des Nations Unies (Organisation des Nations Unies, 1990) présente les résultats de 63 enquêtes effectuées dans 55 pays. D’après ce rapport, le pourcentage de personnes handicapées va de 0,2% (Pérou) à 20,9% (Autriche). Dans les années quatre-vingt, environ 80% des personnes handicapées vivaient dans les pays en développement; à cause de la malnutrition et de la maladie, les personnes handicapées représentent approximativement 20% de la population de ces pays. Les différentes enquêtes nationales ne permettent pas de comparer les pourcentages de la population handicapée, car elles font appel à des définitions différentes. Il ressort de l’analyse globale, mais limitée, du Recueil de statistiques sur les incapacités, que l’incapacité est, dans une large mesure, fonction de l’âge, que sa prévalence est plus grande dans les zones rurales et qu’elle est associée à une incidence plus élevée de la pauvreté et à une situation économique et un niveau d’éducation plus faibles. En outre, il apparaît clairement d’après les statistiques que le taux de participation des personnes handicapées à la vie active est inférieur à celui de la population en général.

Mme Shirley Carr, ancien membre du Conseil d’administration du BIT, et ancienne présidente du Congrès du travail du Canada, a donné une description imagée de la situation que rencontrent les personnes handicapées en matière d’emploi: elle a noté, à l’occasion d’un forum parlementaire sur le handicap qui s’est tenu au Canada en 1992, que les personnes handicapées se heurtent à un «mur de béton» et qu’elles «souffrent des trois ‘S’: sous-emploi, sans emploi et sous-utilisation». Malheureusement, la situation à laquelle se heurtent les personnes handicapées dans la plupart des pays du monde est, au mieux, la même qu’au Canada et, dans bien des cas, elle est encore pire.

Le handicap et l’exclusion sociale

Pour toute une série de raisons historiques, un grand nombre de personnes handicapées ont connu l’isolement social et économique. Cependant, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la ségrégation des personnes handicapées du reste de la population, et l’opinion selon laquelle «les handicapés» ont besoin de soins, de philanthropie et de charité, sont des idées dont on s’écarte lentement, mais sûrement. Les personnes porteuses de handicap font de plus en plus valoir leur droit à ne pas être exclues de la vie active, mais à être intégrées et traitées de manière équitable par rapport aux membres valides de la société, y compris le droit de prendre une part active à la vie économique du pays.

Les personnes handicapées devraient faire partie intégrante de la population active parce que la possibilité de trouver un emploi rémunéré à la pleine mesure de leurs capacités représente pour elles une solution économiquement valable, au lieu de vivre de l’aide sociale. Mais elles devraient avant tout s’intégrer à l’existence normale de la population active et, par là, participer à la vie du pays parce que c’est la bonne solution, du point de vue éthique et du point de vue moral. A cet égard, il convient de rappeler les remarques de M. Leandro Despouy, Rapporteur spécial de la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités de l’Organisation des Nations Unies, qui a déclaré, dans son rapport au Conseil économique et social (Despouy, 1991), que «le traitement réservé aux personnes handicapées définit les traits les plus intimes d’une société et met en relief les valeurs culturelles sur lesquelles elle s’appuie». Il poursuit, avec ce qui, malheureusement, n’est pas évident pour tout le monde, en affirmant:

que les personnes handicapées sont des êtres humains — au même titre que les autres et généralement encore plus. L’effort quotidien qu’il leur faut faire pour surmonter leurs infirmités et le traitement discriminatoire dont elles font régulièrement l’objet marquent généralement leur personnalité de traits particuliers dont les signes les plus évidents sont la force de caractère et la persévérance dont elles font preuve, leur largeur d’esprit et leur grande patience devant l’incompréhension et l’intolérance. Cependant, cela ne doit pas nous faire oublier qu’en tant que sujets de droit elles jouissent de toutes les facultés et prérogatives juridiques inhérentes à la personne humaine et sont en outre titulaires de droits spécifiques. En bref, les personnes handicapées ont, en tant que personnes, le droit de vivre avec nous et comme nous.

Le handicap et les attitudes de la société

Les questions soulevées par le Rapporteur spécial des Nations Unies soulignent l’existence d’attitudes sociales négatives et de stéréotypes qui se dressent contre l’égalité des chances des personnes porteuses de handicap au travail. Parmi ces attitudes, on trouve la crainte que le coût de l’aménagement du lieu de travail à l’intention des personnes handicapées soit trop élevé; que les personnes handicapées ne soient pas productives; que les autres stagiaires ou salariés et clients soient gênés par la présence de personnes porteuses de handicap. D’autres attitudes sont en rapport avec la faiblesse ou la maladie supposées de ces personnes et l’impact que cela pourrait avoir sur «leur» aptitude à suivre un programme de formation professionnelle ou à réussir dans un emploi. Toutes ces attitudes reposent sur des hypothèses fondées sur une seule caractéristique d’une personne, la présence d’un handicap. Comme le note le Conseil consultatif pour les personnes handicapées de la province canadienne de l’Ontario (Advisory Council for Disabled Persons, 1990):

Les suppositions relatives aux besoins des personnes porteuses de handicap sont souvent fondées sur une idée de ce que la personne ne peut pas faire. L’incapacité devient la caractéristique unique de la personne tout entière au lieu de rester un des aspects de celle-ci [...] Le handicap est perçu comme une condition généralisée et a tendance à intégrer des notions d’incompétence.

Le handicap et le pouvoir: le droit de choisir

Le principe selon lequel les personnes porteuses de handicap ont le droit de participer pleinement à la vie sociale et économique du pays va de pair avec la notion que ces personnes doivent avoir la possibilité de choisir librement leur formation professionnelle et leur activité.

Ce droit fondamental est défini dans la convention (no 142) sur la mise en valeur des ressources humaines, 1975 (OIT, 1975), selon laquelle les politiques et les programmes de formation professionnelle doivent «encourager et aider toutes personnes, sur un pied d’égalité et sans discrimination aucune, à développer et à utiliser leurs aptitudes professionnelles dans leur propre intérêt et conformément à leurs aspirations».

Apprendre à faire des choix fait partie intégrante du développement personnel. Cependant, un grand nombre de personnes porteuses de handicap n’ont pas eu la possibilité de choisir véritablement leur formation professionnelle et leur placement. Les grands handicapés peuvent ne pas être en mesure de déterminer leurs préférences personnelles et de faire un véritable choix entre plusieurs options. Le manque d’autonomie et de pouvoir ne dépend cependant pas de déficiences ou de restrictions, mais plutôt, comme cela a été mentionné plus haut, d’attitudes et de pratiques négatives. On présente souvent aux personnes handicapées des options artificiellement présélectionnées ou limitées. Par exemple, elles peuvent être poussées à participer au seul cours de formation professionnelle qui s’avère disponible, sans que d’autres possibilités soient envisagées sérieusement. Ou bien, les «choix» peuvent simplement consister à éviter des situations peu souhaitables, comme d’accepter de vivre dans un foyer ou de partager sa chambre avec quelqu’un que l’on n’a pas choisi, pour éviter des situations encore plus déplaisantes, comme devoir vivre en institution. Malheureusement, pour un grand nombre de personnes handicapées, la chance d’exprimer un intérêt professionnel, le choix d’une formation professionnelle ou la recherche d’un emploi sont souvent déterminés par l’image du handicapé qui est attaché à une personne et par les opinions des autres sur les capacités de l’intéressé. Cette absence de choix s’explique aussi historiquement par l’idée que, pour les utilisateurs involontaires du système d’aide sociale, «nécessité fait loi».

Cette question est très préoccupante. Des études ont montré que le degré d’influence dont disposent les personnes sur les décisions qui affectent leur vie professionnelle a un impact important sur la satisfaction au travail et, par conséquent, sur la réussite des stratégies d’intégration. Toute personne, quelle que soit la gravité de son handicap, a le droit et la capacité de communiquer avec les autres, d’exprimer ses préférences et d’exercer au moins un certain contrôle sur sa vie quotidienne. La liberté comprend aussi le droit de choisir librement sa profession, la formation nécessaire fondée sur la technologie existante et le respect et l’encouragement au travail. Pour les personnes handicapées, à tous les niveaux de gravité et de capacité, y compris les personnes souffrant d’une déficience intellectuelle et psychosociale, la possibilité de faire des choix est primordiale pour les aider à trouver leur identité et leur individualité. Il faut également rappeler que les erreurs et les leçons que l’on en tire font partie de l’expérience humaine.

Il faut souligner une nouvelle fois que les personnes handicapées sont des êtres humains. C’est une question de respect fondamental de la dignité humaine que de leur fournir la possibilité de prendre le type de décisions que les personnes valides prennent tous les jours.

Le handicap et la justice sociale: le problème de la discrimination

Pourquoi les stéréotypes négatifs ont-ils vu le jour et quels liens ont-ils avec la discrimination? Hahn (1984) constate qu’il y a une contradiction apparente entre la sympathie manifestée à l’égard des personnes porteuses de handicap et le fait qu’en tant que groupe, elles sont soumises à des pratiques discriminatoires plus blessantes que d’autres minorités. Cela peut s’expliquer par le fait que les personnes porteuses de handicap présentent souvent des caractéristiques physiques et comportementales qui les mettent à l’écart de la population valide.

Sans ces différences physiques perceptibles, les personnes handicapées ne pourraient pas faire l’objet des mêmes stéréotypes, parti pris, préjugés, discrimination et ségrégation qui pèsent sur toute minorité. De plus, lorsque ces traits sont associés à une catégorisation sociale négative, les effets de la discrimination s’en trouvent aggravés.

Hahn suggère également l’existence d’une corrélation positive entre l’ampleur de la discrimination dont font l’objet les personnes porteuses de handicap et le caractère apparent de leur handicap.

Il faut donc, pour que les personnes porteuses de handicap obtiennent un traitement équitable dans la société et au travail, réduire et éliminer les attitudes négatives et les stéréotypes sources de comportements discriminatoires, et mettre en place des pratiques et des programmes qui tiennent compte des besoins particuliers des personnes handicapées en tant qu’individus. Nous examinerons ces concepts dans la suite de cet article.

Qu’entend-on par discrimination?

Au cours de notre vie, nous faisons chaque jour des «discriminations». Il faut faire un choix pour savoir si on va au cinéma ou au théâtre, ou si on va acheter le vêtement le plus cher. Dans ce sens, la discrimination ne pose pas de problème. En revanche, la discrimination devient vraiment un problème lorsqu’on différencie négativement des personnes, ou des groupes de personnes, sur la base de caractéristiques immuables telles que le handicap.

La Conférence internationale du Travail a adopté une définition de la discrimination qui se trouve dans la convention (no 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958:

Aux fins de la présente convention, le terme «discrimination» comprend:
a) toute distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la religion, l’opinion politique, l’ascendance nationale ou l’origine sociale, qui a pour effet de détruire ou d’altérer l’égalité de chances ou de traitement en matière d’emploi ou de profession;
b) toute autre distinction, exclusion ou préférence ayant pour effet de détruire ou d’altérer l’égalité de chances ou de traitement en matière d’emploi ou de profession, qui pourra être spécifiée par le Membre intéressé après consultation des organisations représentatives d’employeurs et de travailleurs, s’il en existe, et d’autres organismes appropriés.

Les trois formes de discrimination

La définition précitée se comprend mieux à la lumière des trois formes de discrimination qui sont apparues depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Les trois approches suivantes, qui ont vu le jour aux Etats-Unis, sont à présent largement acceptées dans un grand nombre de pays.

La malveillance ou l’hostilité

Au départ, la discrimination désignait strictement un traitement préjudiciable, c’est-à-dire des actes dommageables motivés par une antipathie personnelle à l’égard du groupe auquel la personne visée appartenait. Ces actes consistaient en refus délibérés de possibilités d’emploi. Il était nécessaire de prouver non seulement l’acte de refus, mais aussi un motif fondé sur un préjugé. En d’autres termes, cette définition reposait sur la malveillance, la mauvaise foi, ou un état d’esprit. Ce type de discrimination serait, par exemple, le cas d’un employeur indiquant à une personne handicapée qu’il ne l’embauche pas par crainte d’une réaction négative de la part de sa clientèle.

Le traitement différentiel

Pendant les années cinquante et le milieu des années soixante, après le vote de la loi sur les droits civils, aux Etats-Unis, les agences se mirent à appliquer ce que l’on appelait le concept de discrimination fondé sur une «protection égale». La discrimination était considérée comme une source de préjudice économique du fait que les membres d’un groupe minoritaire étaient traités d’une manière différente et moins favorable que leurs homologues du groupe majoritaire (Pentney, 1990). Selon cette approche du traitement différentiel, les mêmes critères s’appliquent à tous les salariés et candidats sans qu’il soit nécessaire de prouver l’intention discriminatoire. Dans ce contexte, la discrimination consisterait à demander à un salarié handicapé de se soumettre à un examen médical pour pouvoir bénéficier des prestations d’assurance maladie, alors que les salariés valides n’y seraient pas tenus.

La discrimination indirecte ou à effet négatif

Bien que le type de discrimination relevant du traitement différentiel impose que les politiques et pratiques d’emploi soient appliquées de la même manière à tous, bon nombre de conditions apparemment neutres, comme l’éducation et les tests, avaient des effets inégaux sur les différents groupes. En 1971, la Cour suprême des Etats-Unis a réglé ce problème en formulant une troisième définition de la discrimination en matière d’emploi dans la célèbre affaire Griggs vs. Duke Power. Avant le vote de la loi sur les droits civils, la société Duke Power pratiquait la discrimination à l’égard des Noirs en les cantonnant dans des emplois peu rémunérés. Après le vote de la loi, un diplôme universitaire et la réussite aux tests d’aptitude devinrent des conditions pour être transféré hors du département de la main-d’œuvre. Parmi les candidats, 34% de Blancs contre 12% de Noirs avaient les diplômes nécessaires. De plus, 58% des Blancs réussissaient les tests, contre 6% seulement des Noirs. Ces conditions étaient imposées alors qu’il était prouvé que des salariés ne possédant pas ces qualifications, embauchés avant le changement de politique, continuaient à donner satisfaction. La Cour suprême annula les conditions imposées en matière de niveau d’instruction et de succès aux tests qui éliminaient un pourcentage plus élevé de Noirs, au motif que de telles pratiques avaient pour conséquence de les exclure et n’avaient aucun rapport avec les qualifications requises. L’intention de l’employeur n’était pas en cause. En revanche, l’important était l’effet de la politique ou de la pratique. Un exemple de cette forme de discrimination serait l’obligation de passer un examen oral, ce qui risquerait de défavoriser les candidats sourds ou ayant des difficultés d’élocution.

L’égalité de traitement ou le traitement équitable?

La question de la discrimination indirecte ou à effet négatif est la plus problématique pour les personnes porteuses de handicap. Car, si les personnes handicapées sont traitées de la même manière que tout le monde, «comment peut-il s’agir de discrimination»? Pour bien situer le problème, il faut se reporter à la notion selon laquelle l’égalité de traitement pour tous est parfois une forme de discrimination. Abella a présenté ce principe avec beaucoup d’éloquence dans son rapport (Canada Royal Commission, 1984), en déclarant:

Autrefois, nous pensions que l’égalité signifiait seulement «être identique» et que traiter les personnes comme des égaux signifiait traiter tout le monde de la même manière. Nous savons aujourd’hui que cela peut nuire à la notion d’égalité. Ignorer les différences peut revenir à ignorer des besoins légitimes. Il n’est pas juste d’utiliser les différences entre les personnes comme une excuse pour les exclure arbitrairement d’une participation équitable. L’égalité n’a aucun sens si elle ne signifie pas que nous sommes de valeur égale, quelles que soient les différences de sexe, de race, d’ethnie ou d’incapacité. La signification projetée, mythique et supposée de ces différences ne peut pas autoriser à exclure la participation à part entière.

Pour souligner cette notion, on utilise de plus en plus le terme de traitement équitable par opposition à l’égalité de traitement.

Le handicap et l’environnement: accessibilité et aménagement du lieu de travail

Les concepts de discrimination à effet négatif et de traitement équitable conduisent à penser que, afin de traiter les personnes porteuses de handicap de manière non discriminatoire, il est nécessaire de rendre leur environnement et leur lieu de travail accessibles et de prendre des mesures en vue d’adapter le lieu de travail à leurs besoins. Ces deux notions sont abordées ci-après.

L’accessibilité

L’accessibilité ne signifie pas seulement qu’une rampe d’accès a été installée à l’entrée d’un bâtiment pour les utilisateurs de fauteuil roulant. Cela signifie aussi: mettre à la disposition des personnes porteuses de handicap des systèmes de transport accessibles ou différents pour leur permettre de se rendre au travail ou à l’école; rabaisser la hauteur des trottoirs; placer des indications en braille dans les ascenseurs et les bâtiments; rendre les toilettes accessibles aux personnes qui se déplacent en fauteuil roulant; retirer les tapis dont l’épaisseur gêne le déplacement des fauteuils roulants; fournir aux malvoyants des aides techniques, telles que des manuels imprimés en gros caractères et des cassettes audio; prévoir des signaux optiques pour les malentendants, etc.

L’aménagement raisonnable du lieu de travail

Le traitement équitable signifie aussi qu’il faut essayer de satisfaire les besoins individuels des personnes handicapées sur le lieu de travail. On peut comprendre, par aménagement raisonnable, la suppression des obstacles qui empêchent les personnes porteuses de handicap de bénéficier de l’égalité des chances en matière de formation professionnelle et d’emploi. Lepofsky (1992) note que l’aménagement, c’est:

adapter un règlement, une pratique, une condition ou une exigence de travail aux besoins spécifiques d’un individu ou d’un groupe [...] Un aménagement peut consister à exempter le travailleur d’une condition de travail existante ou d’une condition applicable aux autres [...] Le test décisif pour savoir si un aménagement est nécessaire consiste à déterminer si cette mesure s’impose pour permettre au travailleur d’exercer pleinement et sur un pied d’égalité son activité professionnelle.

En réalité, la liste des aménagements possibles est théoriquement sans fin, puisque chaque personne handicapée a des besoins spécifiques. En outre, deux personnes ayant le même handicap ou des handicaps similaires auront peut-être des besoins d’aménagement très différents. Il importe de rappeler que les aménagements sont motivés par les besoins d’une personne, et que cette personne devrait être consultée sur le sujet.

Il faut cependant admettre qu’il y a des cas où, malgré les meilleures intentions, il n’est pas possible de procéder aux aménagements raisonnables pour les personnes porteuses de handicap. L’adaptation devient une contrainte abusive ou excessive:

Lors de l’évaluation des risques pour la sécurité et la santé, il convient de prendre en considération la volonté de l’intéressé d’accepter le risque qu’engendrerait l’aménagement. Par exemple, une personne devant porter une prothèse orthopédique risque de ne pas pouvoir porter des bottes de sécurité dans le cadre d’un programme de formation. S’il n’est pas possible de trouver une autre chaussure de protection, il peut être dérogé à l’obligation de porter des bottes en connaissance de cause. C’est ce que l’on appelle la doctrine de la dignité que confère la prise de risques.

Il faut voir si l’aménagement représente un risque important pour les tiers, en fonction des niveaux de risque tolérés dans la société.

L’évaluation du degré de risque doit se faire en se fondant sur des critères objectifs, lesquels comprennent les données existantes, l’avis d’experts et des informations détaillées sur le poste ou les activités de formation envisagées. De simples impressions ou un jugement subjectif ne sont pas acceptables.

L’aménagement représente aussi une contrainte excessive si son coût risque de compromettre la viabilité financière de l’entreprise ou de l’organisme de formation. Toutefois, de nombreux pays accordent des subventions afin de faciliter les modifications nécessaires à l’intégration des personnes handicapées.

Le handicap et la politique sociale: demander l’avis des organisations de personnes handicapées

Comme nous l’avons observé, les personnes porteuses de handicap devraient bénéficier du droit de choisir dans tous les domaines de leur vie, notamment la formation professionnelle et l’emploi. Il faut pour cela, au niveau individuel, demander à l’intéressé quels sont ses désirs. De même, lorsque les partenaires sociaux (organisations d’employeurs et de travailleurs et Etat) prennent des décisions politiques, il faut donner la parole aux organisations qui représentent les intérêts des personnes handicapées. En d’autres termes, lorsqu’il s’agit de formation professionnelle et de politique de l’emploi, les personnes atteintes d’un handicap connaissent individuellement et collectivement leurs besoins et la meilleure façon de les satisfaire.

De plus, il faut savoir que, si les termes handicap et personnes handicapées sont souvent employés de manière générique, les personnes atteintes de déficiences physiques ou motrices ont des besoins d’aménagement et de formation professionnelle différents de ceux des personnes ayant une déficience intellectuelle ou sensorielle. Par exemple, si les plans inclinés sont extrêmement utiles aux utilisateurs de fauteuil roulant, ils peuvent représenter des obstacles considérables pour les aveugles qui risquent de ne pas savoir s’ils ont ou non quitté le trottoir. Il faut donc prendre l’avis des organisations qui représentent les personnes porteuses de différents types de handicaps lorsqu’on envisage des changements de politique et de programmes.

Les conseils complémentaires sur la politique sociale et le handicap

Plusieurs documents internationaux importants donnent des conseils utiles en matière de concepts et de mesures concernant l’égalité des chances pour les personnes porteuses de handicap. Parmi ces documents, on peut citer: le Programme d’action mondial des Nations Unies concernant les personnes handicapées (Organisation des Nations Unies, 1982), la convention (no 159) sur la réadaptation professionnelle et l’emploi des personnes handicapées, 1983 (OIT, 1983) et les Règles pour l’égalisation des chances des handicapés (Organisation des Nations Unies, 1993).

LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL ET LA LÉGISLATION NATIONALE SUR L’EMPLOI DES PERSONNES HANDICAPÉES

Willi Momm et Masaaki Iuchi

La convention (no 159) sur la réadaptation professionnelle et l’emploi des personnes handicapées, 1983, et la recommandation (no 168) sur la réadaptation professionnelle et l’emploi des personnes handicapées, 1983, qui complète et met à jour la recommandation (no 99) sur l’adaptation et la réadaptation professionnelles des invalides, 1955, sont les documents de base pour une politique sociale en matière de handicap, mais un certain nombre d’autres instruments internationaux du travail font aussi référence, explicitement ou implicitement, au handicap. Il s’agit notamment de la convention (no 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958; de la recommandation (no 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958; de la convention (no 142) sur la mise en valeur des ressources humaines, 1975; et de la recommandation (no 150) sur la mise en valeur des ressources humaines, 1975.

D’autres instruments clés de l’OIT font également d’importantes références aux questions de handicap: la convention (no 88) sur le service de l’emploi, 1948; la convention (no 102) concernant la sécurité sociale (norme minimum), 1952; la convention (no 121) sur les prestations en cas d’accidents du travail et de maladies professionnelles, 1964; la convention (no 168) sur la promotion de l’emploi et la protection contre le chômage, 1988; la recommandation (no 83) sur le service de l’emploi, 1948; la recommandation (no 158) sur l’administration du travail, 1978; et la recommandation (no 169) concernant la politique de l’emploi (dispositions complémentaires), 1984.

Les normes internationales du travail distinguent essentiellement deux façons de traiter du handicap: par des mesures passives de transfert de revenus et de protection sociale, et par des mesures actives de formation et de promotion de l’emploi.

Un des premiers objectifs de l’OIT a été de s’assurer que les travailleurs reçoivent une indemnisation financière en rapport avec leur invalidité, en particulier si la cause de celle-ci était liée au travail ou à la guerre. La préoccupation fondamentale a consisté à s’assurer de la juste réparation d’un dommage, de la responsabilité de l’employeur en cas d’accident et de sécurité insuffisante des conditions de travail, et à veiller à ce que, dans l’intérêt des bonnes relations professionnelles, les travailleurs reçoivent un traitement équitable. Une juste réparation est un élément fondamental de la justice sociale.

L’objectif de protection sociale se distingue nettement de l’objectif de réparation. Les normes de l’OIT qui traitent des questions de sécurité sociale considèrent le handicap au sens large, comme une «éventualité» qui doit être prise en charge dans le cadre de la législation sur la sécurité sociale et dans l’idée que le handicap peut être une cause de perte de la capacité de gain et, donc, une raison légitime d’obtenir des revenus au moyen de paiements de transfert. L’objectif principal consiste à fournir une assurance contre la perte de revenus et, par là, de garantir des conditions de vie décentes aux personnes privées des moyens de gagner elles-mêmes leur vie à cause d’une déficience.

De même, les politiques qui visent un objectif de protection sociale ont tendance à accorder une aide publique aux personnes porteuses de handicap qui ne sont pas couvertes par l’assurance sociale. Ici encore, on admet implicitement que le handicap est synonyme d’incapacité à retirer un revenu suffisant du travail et que la personne qui en est porteuse doit donc dépendre de l’aide publique. Il en résulte que, dans un grand nombre de pays, la politique en la matière est essentiellement du ressort des organismes sociaux et consiste principalement à accorder des mesures passives d’aide financière.

En revanche, les normes de l’OIT qui traitent explicitement des personnes handicapées (comme les conventions nos 142 et 159, et les recommandations nos 99, 150 et 168) les considèrent comme des travailleurs et placent le handicap — contrairement aux concepts de réparation et de protection sociale — dans le cadre de politiques en faveur de l’emploi ayant pour objectif de garantir l’égalité de traitement et de chances dans la formation et l’emploi, et qui considèrent les personnes handicapées comme des membres à part entière de la population économiquement active. Dans ce cas, le handicap est considéré comme une condition défavorable à l’emploi pouvant et devant être surmontée grâce à un certain nombre de mesures, de règlements, de programmes et de services.

La recommandation no 99 (1955), qui a invité pour la première fois les Etats Membres de l’OIT à modifier leurs politiques en matière d’invalidité pour passer d’un objectif de protection ou d’aide sociale à un objectif d’intégration par le travail, a eu un impact profond sur la législation dans les années cinquante et soixante. Mais le véritable progrès est arrivé en 1983 avec l’adoption par la Conférence internationale du Travail de deux nouveaux instruments, la convention no 159 et la recommandation no 168. Au 31 décembre 1997, 59 Etats Membres sur 169 avaient ratifié cette convention.

Bon nombre d’autres pays ont modifié leur législation de façon à respecter cette convention, même s’ils ne l’ont pas, ou pas encore, ratifiée. Ces nouveaux instruments se distinguent des précédents en ce qu’ils font reconnaître par la communauté internationale et par les organisations d’employeurs et de travailleurs le droit des personnes handicapées à l’égalité de chances et de traitement dans la formation et l’emploi.

Ces trois instruments forment à présent une unité. Ils visent à assurer la participation active au marché du travail des personnes handicapées et contestent donc la validité des seules mesures passives ou des politiques qui traitent le handicap comme un problème de santé.

Les objectifs des normes internationales du travail adoptées à cette fin peuvent être définis de la manière suivante: supprimer les obstacles qui se dressent sur la voie de la participation et de l’intégration sociale des personnes handicapées et fournir les moyens de favoriser effectivement leur autonomie économique et leur indépendance sociale. Ces normes s’opposent à la pratique qui considère les personnes handicapées comme étant en dehors de la règle commune et les exclut du reste de la société. Elles s’opposent à la tendance à considérer le handicap comme la justification d’une marginalisation sociale et à dénier à ces personnes, au nom de leur handicap, les droits civils et les droits des travailleurs dont jouissent tout naturellement les personnes valides.

Par souci de clarté, nous pouvons diviser en deux groupes les dispositions des normes internationales du travail visant à promouvoir le concept du droit des personnes handicapées à participer activement à la formation et à l’emploi: les normes relatives au principe de l’égalité des chances et les normes relatives au principe de l’égalité de traitement.

Egalité de chances: l’objectif que recouvre cette formule est de permettre à un groupe de population désavantagé d’accéder aux mêmes possibilités et aux mêmes chances en matière d’emploi et de rémunération que l’ensemble de la population.

Afin que les personnes handicapées puissent bénéficier de l’égalité des chances, les normes internationales du travail définissent des règles et recommandent des mesures pour trois types d’action:

C’est pourquoi ces normes, qui ont été mises en place pour garantir l’égalité des chances, visent à encourager des mesures positives spéciales pour aider les personnes handicapées à entrer dans la vie active ou à leur éviter un passage inutile et injustifié dans une vie tributaire d’une aide financière passive. Les politiques orientées vers l’égalité des chances se proposent donc généralement de développer les systèmes d’aide et les mesures spéciales visant à concrétiser l’égalité de chances, qui se justifient par la nécessité de compenser les désavantages réels ou supposés du handicap. En langage juridique de l’OIT: «Des mesures positives spéciales visant à garantir l’égalité effective de chances [...] entre les travailleurs handicapés et les autres travailleurs ne devront pas être considérées comme étant discriminatoires à l’égard de ces derniers» (convention no 159, art. 4).

Egalité de traitement: le précepte de l’égalité de traitement a un objectif connexe, mais distinct, du précédent. Il s’agit ici des droits humains, et les règles que les Etats Membres de l’OIT ont accepté de respecter ont des conséquences légales précises et font l’objet de contrôles et — en cas de violation — d’un recours judiciaire ou d’une procédure d’arbitrage.

La convention no 159 de l’OIT pose l’égalité de traitement comme un droit garanti. Elle précise en outre que l’égalité doit être «effective». Cela signifie que les conditions devraient être telles qu’elles assurent que l’égalité est non seulement formelle, mais bien réelle et que la situation résultant de ce traitement place la personne handicapée dans une position «équitable», c’est-à-dire correspondant, par ses résultats, et non par ses mesures, à celle des personnes valides. Par exemple, il n’est pas équitable d’affecter un travailleur handicapé au même emploi que son collègue valide si le lieu de travail n’est pas totalement accessible ou si l’emploi n’est pas adapté à son handicap.

La législation actuelle en matière de réadaptation professionnelle et d’emploi des personnes handicapées

Chaque pays a sa propre histoire en matière de réadaptation professionnelle et d’emploi des personnes handicapées. La législation des Etats Membres de l’OIT varie selon les différents stades de leur développement industriel, de leur situation sociale et économique, etc. Par exemple, certains pays disposaient déjà avant la seconde guerre mondiale d’une législation sur les personnes handicapées issue des mesures prises en faveur des invalides de guerre ou des pauvres au début du siècle. D’autres pays ont commencé à prendre des mesures concrètes en faveur des personnes handicapées après la seconde guerre mondiale et ont mis en place une législation relative à la réadaptation professionnelle. Ces mesures sont souvent intervenues à la suite de l’adoption de la recommandation (no 99) sur l’adaptation et la réadaptation professionnelle des invalides, 1955 (OIT, 1955). D’autres pays n’ont adopté que récemment des mesures en faveur des personnes handicapées grâce à la prise de conscience impulsée par l’Année internationale des personnes handicapées, en 1981, à l’adoption par la Conférence internationale du Travail, en 1989, de la convention no 159 et de la recommandation no 168, ainsi que de la Décennie des Nations Unies pour les personnes handicapées (Organisation des Nations Unies, 1983-1992).

On distingue aujourd’hui quatre types de législation en matière de réadaptation professionnelle et d’emploi des personnes handicapées suivant les contextes historiques et politiques (voir figure 17.1).

Figure 17.1 quatre types de législation sur les droits des personnes handicapées

Figure 17.1

Il convient de rappeler qu’il n’existe pas de séparation nette entre ces quatre types qui, parfois, se chevauchent. La législation d’un pays peut correspondre non pas à un seul type, mais à plusieurs et, dans de nombreux pays, elle en combine deux ou plusieurs. Il semble que la législation de type A remonte aux premières mesures en faveur des personnes handicapées, alors que celle de type B est apparue à un stade ultérieur. La législation de type D, à savoir l’interdiction de la discrimination fondée sur le handicap, s’est développée ces dernières années, en complément de l’interdiction de la discrimination fondée sur la race, le sexe, la religion, l’opinion politique, etc. L’étendue de la législation des types C et D peut servir de modèle aux pays en développement qui n’ont pas encore légiféré en la matière.

Les exemples de chaque type de législation

La structure de la législation et les mesures prévues sont illustrées ci-après par des exemples de chaque type. Comme les mesures en faveur de la réadaptation professionnelle et de l’emploi des personnes handicapées sont souvent plus ou moins identiques dans tous les pays, quel que soit le type de législation où elles figurent, il y a parfois des chevauchements.

Type A. Mesures en faveur de la réadaptation professionnelle et de l’emploi des personnes handicapées figurant dans la législation générale du travail, comme les lois sur la promotion de l’emploi ou sur la formation professionnelle. Les mesures en faveur des personnes handicapées peuvent aussi faire partie de mesures globales concernant les travailleurs en général.

Ce type de législation se caractérise par le fait que les mesures en faveur des personnes handicapées figurent dans des lois qui s’appliquent à tous les travailleurs, y compris ceux qui sont handicapés, et à toutes les entreprises qui emploient des travailleurs. Comme les mesures en faveur de la promotion et de la sécurité de l’emploi des personnes handicapées font partie d’initiatives globales concernant l’ensemble des travailleurs, la politique nationale accorde la priorité aux efforts de réadaptation dans les entreprises, aux activités de prévention et à l’intervention précoce dans le milieu de travail. A cette fin, des comités du milieu de travail, composés de l’employeur, des travailleurs et du personnel de sécurité et de santé sont souvent créés dans les entreprises. Les détails de ces mesures figurent généralement dans les règlements et les statuts.

Par exemple, la loi de la Norvège sur le milieu de travail s’applique à tous les travailleurs occupés par la plupart des entreprises du pays. Elle comprend des mesures spécifiques aux personnes handicapées: 1) les accès, les installations sanitaires, les installations techniques et le matériel doivent être conçus et adaptés de façon que celles-ci puissent travailler dans l’entreprise, dans la mesure du possible; 2) si un travailleur se retrouve handicapé à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, l’employeur doit, autant que faire se peut, prendre les mesures nécessaires pour lui permettre de trouver ou de garder un emploi approprié. Le travailleur doit, de préférence, avoir la possibilité de conserver son emploi précédent, le cas échéant après une adaptation spéciale de l’activité, de la modification des installations techniques, d’une réadaptation ou d’une reconversion, etc. Voici des exemples d’actions qui doivent être menées par l’employeur:

Outre ces mesures, les employeurs de personnes handicapées reçoivent des subventions au titre des coûts supplémentaires encourus pour adapter le lieu de travail au travailleur, ou vice versa.

Type B. Mesures en faveur des personnes handicapées faisant l’objet de lois spéciales qui traitent exclusivement de la réadaptation professionnelle et de l’emploi de ces personnes.

Ce type de législation comporte habituellement des dispositions particulières sur la réadaptation professionnelle et l’emploi, alors que les mesures en faveur des personnes handicapées figurent dans d’autres lois.

Par exemple, en Allemagne, la loi sur les grands handicapés prévoit les aides spéciales suivantes visant à leur permettre d’améliorer leurs chances de trouver un emploi, ainsi que des services d’orientation professionnelle et de placement:

Type C. Mesures en faveur de la réadaptation professionnelle et de l’emploi des personnes handicapées prévues par des lois générales spéciales pour les personnes handicapées, associées à des mesures relatives à d’autres services comme la santé, l’éducation, l’accessibilité et les transports.

Ce type de législation comporte habituellement un premier chapitre contenant des dispositions générales sur l’objectif visé, une déclaration de principe, le champ d’application, la définition des termes, suivi de plusieurs chapitres sur les services de l’emploi ou de réadaptation professionnelle, mais aussi sur la santé, l’éducation, l’accessibilité, les transports, les télécommunications, les services sociaux auxiliaires, etc.

Par exemple, aux Philippines, la Charte des personnes handicapées affirme le principe de l’égalité de chances en matière d’emploi. Les mesures suivantes sont tirées du chapitre sur l’emploi:

Cette loi contient en outre des dispositions concernant l’interdiction de la discrimination des personnes handicapées dans l’emploi.

Type D. Mesures interdisant la discrimination dans l’emploi fondée sur le handicap prévues par une loi générale spéciale contre la discrimination, associées à des mesures interdisant la discrimination dans les transports publics, les bâtiments collectifs et les télécommunications.

Ce type de législation se caractérise par le fait qu’elle contient des dispositions relatives à la discrimination fondée sur le handicap dans l’emploi, les transports publics, le logement, les télécommunications, etc. Les mesures relatives aux services de réadaptation professionnelle et à l’emploi des personnes handicapées figurent dans d’autres lois ou règlements.

Par exemple, la loi sur les Américains porteurs de handicap interdit la discrimination dans des domaines aussi importants que l’emploi, l’accès aux bâtiments collectifs, les télécommunications, les transports, le vote, les services publics, l’éducation, le logement et les loisirs. En ce qui concerne l’emploi, notamment, cette loi interdit la discrimination dirigée contre «les personnes qualifiées porteuses de handicap» qui, avec ou sans «aménagement raisonnable», peuvent remplir les fonctions essentielles du poste, sauf si ces aménagements impliquent des «contraintes excessives» sur le fonctionnement de l’entreprise. La loi interdit la discrimination dans toutes les pratiques d’emploi, notamment les procédures de candidature, de recrutement, de licenciement, d’avancement, d’indemnisation, de formation et autres clauses, conditions et privilèges de l’emploi. Cette loi s’applique au recrutement, aux offres d’emploi, à la durée de l’emploi, au licenciement, aux congés, aux prestations complémentaires et à toutes les autres activités liées à l’emploi.

En Australie, la loi sur la discrimination fondée sur le handicap a pour objet de donner de meilleures chances aux personnes porteuses d’un handicap et de les aider à surmonter les obstacles qui les empêchent de participer à la vie active et aux autres domaines de la vie. La loi interdit la discrimination fondée sur le handicap dans l’emploi, le logement, les loisirs et les activités récréatives. Elle vient compléter la législation en vigueur qui interdit la discrimination fondée sur la race ou le sexe.

Une législation imposant des quotas ou des taxes, ou une législation interdisant la discrimination?

La structure des législations nationales relatives à la réadaptation professionnelle et à l’emploi des personnes handicapées varie légèrement d’un pays à un autre, et il est donc difficile de déterminer quel est le meilleur type de législation. Cependant, deux sortes semblent se détacher, à savoir la législation imposant des quotas ou des taxes et la législation interdisant la discrimination.

Bien que certains pays européens, entre autres, utilisent des systèmes de quotas généralement prévus dans la législation de type B, ces systèmes diffèrent sur certains points, tels la catégorie de personnes handicapées visée, la catégorie d’employeurs tenue à cette obligation d’emploi (par exemple, la taille de l’entreprise ou seulement le secteur public) et le taux d’emploi (3%, 6%, etc.). Dans la plupart des pays, le système de quotas est accompagné d’un système de taxes ou de contributions. La législation de pays non industriels les plus divers, comme l’Angola, Maurice, les Philippines ou la République-Unie de Tanzanie, prévoit également des quotas. La Chine est également en train d’étudier la possibilité d’introduire un système de quotas.

Il est certain qu’un système de quotas exécutoire pourrait contribuer à relever considérablement le niveau d’emploi des personnes handicapées sur le marché du travail ordinaire. De plus, le système de taxes ou de contributions aide à compenser les inégalités financières entre les employeurs qui essaient d’occuper des travailleurs handicapés et ceux qui ne le font pas, les taxes contribuant à réunir les moyens nécessaires pour financer la réadaptation professionnelle et les mesures incitatives pour les employeurs.

Toutefois, ce système présente l’inconvénient d’appeler une définition précise du handicap pour l’établissement de la qualification, des règles et des procédures strictes d’inscription, ce qui risque donc de soulever le problème d’une stigmatisation. Cela peut également entraîner la situation désagréable pour une personne handicapée d’occuper un poste chez un employeur qui ne veut pas d’elle, mais qui la tolère pour éviter les sanctions légales. De plus, la législation en matière de quotas doit se doter de mécanismes d’application fiables et permettre leur application effective pour obtenir des résultats.

La législation interdisant la discrimination (type D) semble plus appropriée en tant que principe de normalisation assurant aux personnes handicapées l’égalité de chances dans la société, parce qu’elle encourage les initiatives des employeurs et la prise de conscience sociale grâce à l’amélioration du milieu, et non par l’obligation d’emploi.

Néanmoins, certains pays ont des difficultés à faire appliquer la législation interdisant la discrimination. Par exemple, pour mettre en œuvre une mesure corrective, il faut généralement une victime dans le rôle du plaignant et, dans certains cas, la discrimination est difficile à prouver. Ces mesures correctives prennent du temps du fait du grand nombre de plaintes en discrimination fondée sur le handicap qui parviennent aux tribunaux ou aux commissions de l’égalité de droits. De l’avis général, la législation interdisant la discrimination doit encore faire la preuve de son efficacité à placer un nombre important de travailleurs handicapés et à les maintenir en emploi .

Les tendances de demain

Bien qu’il soit difficile de prévoir l’évolution de la législation, il semble que les lois interdisant la discrimination (type D) représentent un courant dont les pays développés comme les pays en développement devraient tenir compte.

Les pays industriels, qui disposent d’une législation imposant des quotas ou des quotas et des taxes, vont certainement observer l’expérience de pays tels que l’Australie et les Etats-Unis avant d’ajuster leurs propres systèmes législatifs. L’Europe, en particulier, avec ses concepts de justice redistributive, va probablement conserver les systèmes législatifs en vigueur, tout en introduisant ou en renforçant des dispositions antidiscriminatoires sous forme de lois complémentaires.

Dans quelques pays comme l’Australie, le Canada et les Etats-Unis, il pourrait s’avérer difficile, d’un point de vue politique, de légiférer sur un système de quotas concernant les personnes handicapées sans mettre également en place des quotas concernant les autres groupes de population désavantagés sur le marché du travail, comme les femmes et les minorités ethniques et raciales, actuellement protégés par la législation sur les droits de l’homme ou l’égalité dans l’emploi. Bien qu’un système de quotas présente quelques avantages pour les personnes handicapées, l’appareil administratif nécessaire à un tel système de quotas multicatégoriel serait énorme.

Les pays en développement qui n’ont pas de législation en matière de handicap choisissent, semble-t-il, la législation de type C, assortie de quelques dispositions concernant l’interdiction de la discrimination, parce que c’est l’approche la plus générale. Elle présente toutefois un inconvénient: la législation générale, qui relève de la compétence de nombreux ministères, pourrait devenir l’affaire d’un seul, essentiellement le ministère de la Protection sociale. Un tel choix risque d’aller à l’encontre de l’effet recherché, de renforcer la ségrégation et d’affaiblir la capacité de l’Etat de faire appliquer la loi. L’expérience montre en effet qu’une législation générale a belle allure sur le papier, mais qu’elle est rarement appliquée.

LES SERVICES DE RÉADAPTATION PROFESSIONNELLE ET D’AIDE À L’EMPLOI

Erwin Seyfried

En règle générale, les possibilités d’intégration professionnelle des personnes handicapées sont beaucoup plus limitées que celles du reste de la population: c’est là une situation que confirment toutes les informations disponibles. Cependant, de nombreux pays ont pris des initiatives politiques en vue de faire évoluer les choses. C’est ainsi que nous trouvons, par exemple, des dispositions légales imposant aux entreprises d’employer un certain pourcentage de personnes handicapées, ainsi que — souvent en complément de ces mesures — des aides financières pour les employeurs qui embauchent des personnes handicapées. De plus, ces dernières années, bien des pays ont créé des services de soutien et d’assistance aux personnes handicapées désireuses d’entrer dans la vie active. Nous décrirons ces services et leurs tâches spécifiques dans le cadre de la réadaptation et de l’intégration professionnelles des personnes handicapées.

Ces services interviennent sous forme de conseils et de soutien pendant la phase de réadaptation, c’est-à-dire celle qui précède l’entrée dans la vie active. Alors que les services de soutien se limitaient auparavant presque exclusivement à ce domaine, les services modernes, étant donné la persistance des problèmes auxquels se heurtent les personnes handicapées pour trouver un emploi, font de plus en plus porter leurs efforts sur les différentes étapes du placement et de l’intégration dans l’entreprise.

Si ces services ont pris de l’importance dans la promotion de l’intégration professionnelle, c’est notamment grâce au développement des activités de réadaptation sociale et, d’un point de vue pratique, grâce aux nombreuses méthodes qui permettent aux personnes handicapées de réussir leur insertion dans la collectivité. Depuis que les institutions de soins pour handicapés ne sont plus considérées comme de simples établissements fermés et réservés, on a, pour la première fois, pris conscience des besoins professionnels et d’emploi de ce groupe de personnes. On voit donc se diversifier les services de soutien pour faire face à la demande croissante d’insertion de toutes les personnes handicapées dans la collectivité.

La réadaptation et l’intégration

Seule l’intégration des personnes handicapées dans la collectivité permettra de déclarer que le but et les finalités véritables de la réadaptation sont réellement atteints. L’objectif des programmes de réadaptation professionnelle reste donc l’obtention d’un emploi et, par conséquent, la participation au marché du travail local.

En règle générale, les mesures de réadaptation médicale et professionnelle posent les fondements de l’insertion ou de la réinsertion des personnes handicapées dans la vie active. Elles se proposent de permettre à la personne handicapée de développer ses propres capacités de manière à pouvoir mener dans la société une vie sans limitations, ou avec un minimum de limitations. Les services d’accompagnement au cours de cette phase sont appelés services d’aide à la réadaptation. Si l’on pouvait autrefois penser qu’une fois terminée la réadaptation médicale une bonne réadaptation professionnelle était, sinon une garantie, du moins un facteur clé de l’insertion dans la vie active, ces conditions élémentaires ne suffisent plus aujourd’hui du fait de la situation sur le marché du travail et des exigences complexes du lieu de travail. Bien entendu, la base de l’intégration professionnelle repose toujours sur de solides qualifications professionnelles, mais dans le contexte actuel, un grand nombre de personnes handicapées ont besoin d’une aide complémentaire pour chercher un emploi et s’intégrer dans l’entreprise. Les services concernant cette phase peuvent être dénommés services d’aide à l’emploi.

Alors que les mesures de réadaptation médicale et professionnelle visent la personne handicapée elle-même et cherchent à développer ses capacités fonctionnelles et ses qualifications professionnelles, les services d’aide à l’emploi font porter tous leurs efforts sur le milieu de travail et, donc, sur l’adaptation de celui-ci aux besoins de la personne handicapée.

Les perspectives générales de l’insertion professionnelle

L’importance des services de soutien ne doit pas faire oublier que la réadaptation ne devrait jamais, à aucun stade, constituer une forme passive de traitement, mais bien un processus dirigé de manière active par la personne handicapée. Diagnostic, conseils, thérapie et autres formes de soutien peuvent au mieux constituer une aide dans la recherche d’un objectif défini par l’intéressé. Idéalement, la tâche de ces services est de présenter les différentes actions possibles parmi lesquelles les personnes handicapées doivent choisir elles-mêmes, autant que faire se peut.

Un paramètre tout aussi important de l’intégration professionnelle est le caractère holistique de cette démarche: c’est lui qui en est la marque. En d’autres termes, la réadaptation doit être globale et ne pas se contenter de remédier à la déficience. C’est la personne tout entière qui doit être impliquée et amenée à trouver une nouvelle identité ou à s’accommoder des conséquences sociales de son handicap. La réadaptation des personnes handicapées est, dans bien des cas, beaucoup plus qu’un processus de stabilisation physique et de développement des qualifications; pour que la réadaptation se déroule de manière satisfaisante et réussisse, elle doit aussi être un processus de stabilisation psychosociale, de formation de l’identité et d’intégration dans les relations sociales quotidiennes.

La prévention des grands handicaps est un domaine d’activité important pour les services de soutien, malheureusement trop souvent laissé de côté. Dans le monde du travail en particulier, il est essentiel que les services de réadaptation et d’emploi ne se consacrent pas seulement aux personnes déjà handicapées, mais aussi à celles qui risquent de le devenir. Plus un handicap est identifié à un stade précoce, plus tôt pourra commencer une réorientation professionnelle, évitant ainsi l’apparition de grands handicaps.

Ces perspectives générales ouvertes à la réadaptation professionnelle donnent aussi un aperçu des tâches et des paramètres essentiels concernant l’activité des services de soutien. De plus, il doit être bien clair que le meilleur moyen de mener à bien les tâches complexes décrites ici est d’établir une collaboration interdisciplinaire entre experts de différentes professions. On peut donc définir la réadaptation moderne comme la coopération entre la personne handicapée et une équipe de formateurs spécialisés, de personnel médical et technique, de psychologues et d’enseignants qualifiés.

La réadaptation médicale

La réadaptation médicale a généralement lieu dans un hôpital ou dans une clinique de réadaptation spécialisée. Au cours de cette phase, la tâche des services de soutien consiste à franchir les premières étapes de l’acceptation psychologique du handicap qui a frappé la personne. Toutefois, l’orientation ou la réorientation professionnelle devrait aussi intervenir le plus rapidement possible, pratiquement au chevet du patient, car la construction d’une nouvelle perspective professionnelle peut souvent faire naître la motivation décisive et faciliter ainsi la réadaptation médicale. D’autres mesures, dont les programmes d’entraînement moteur et sensoriel, la physiothérapie, la rééducation fonctionnelle et l’ergothérapie, ainsi que l’orthophonie, peuvent aussi contribuer pendant cette phase à accélérer le processus naturel de régénération et à réduire ou éviter la création de dépendances.

La décision concernant les perspectives professionnelles d’une personne handicapée ne devrait en aucun cas être prise d’un point de vue strictement médical par un médecin, ce qui est malheureusement encore trop souvent le cas dans la pratique. Toute décision de ce type devrait se fonder non seulement sur les déficiences qui peuvent être diagnostiquées médicalement mais surtout sur les aptitudes et les qualifications existantes. Les services d’aide à la réadaptation devraient donc entreprendre, avec la personne handicapée, un examen extensif de son expérience professionnelle et faire l’inventaire de ses capacités potentielles et de ses intérêts. Sur cette base, un projet individuel de réadaptation devrait être élaboré en fonction des potentialités, des intérêts et des besoins de la personne handicapée, ainsi que des ressources potentielles de son milieu social.

Un autre domaine de travail pour les services d’aide à la réadaptation pendant cette phase consiste à conseiller la personne handicapée en matière d’assistance technique, d’équipement, de fauteuil roulant, de prothèses et de tout ce qui peut lui être nécessaire. Le recours à ce type d’assistance technique peut faire l’objet, dans un premier temps, d’une réaction de rejet ou de refus. Si une personne handicapée ne reçoit pas le soutien et les instructions appropriés au cours de cette phase initiale, elle risque de voir son premier mouvement de rejet se transformer en phobie, ce qui peut par la suite l’empêcher de tirer le meilleur parti de l’appareil en question. Etant donné la grande diversité de l’assistance technique disponible à l’heure actuelle, le choix de ce matériel doit faire l’objet du plus grand soin et être adapté aux besoins individuels de la personne handicapée. Idéalement, le choix du matériel technique nécessaire devrait tenir compte à la fois des projets professionnels de la personne intéressée et, dans la mesure du possible, des exigences de son futur lieu de travail, étant donné que c’est ce dernier qui va aussi déterminer les besoins auxquels doit répondre l’assistance technique.

La réadaptation professionnelle

La convention (no 159) sur la réadaptation professionnelle et l’emploi des personnes handicapées, adoptée par la Conférence internationale du Travail en 1983, considère que «le but de la réadaptation professionnelle est de permettre aux personnes handicapées d’obtenir et de conserver un emploi convenable, de progresser professionnellement et, partant, de faciliter leur insertion ou leur réinsertion dans la société».

Au cours des trente dernières années, les services de réadaptation professionnelle pour les personnes handicapées se sont développés rapidement. Ils comprennent l’évaluation professionnelle, qui vise à donner une image précise des capacités potentielles de l’intéressé; des cours d’orientation pour aider la personne à rétablir la confiance perdue dans ses capacités; l’orientation professionnelle, afin de mettre en place une (nouvelle) perspective professionnelle et de choisir un métier; des possibilités de formation professionnelle et de reconversion dans le domaine d’activité choisi; des services de placement, conçus pour aider la personne handicapée à trouver un emploi adapté à son handicap.

L’entrée ou le retour en emploi d’une personne handicapée se fait généralement par des programmes de réadaptation professionnelle individuels ou combinés pouvant être suivis dans des endroits différents. Les services d’aide à la réadaptation doivent discuter avec la personne handicapée pour savoir si les cours de qualification professionnelle doivent avoir lieu dans un centre ordinaire de formation professionnelle, dans une institution spécialisée dans la réadaptation professionnelle, en utilisant les installations des services sociaux, voire directement, sur un lieu de travail ordinaire. Cette dernière option est particulièrement indiquée lorsque l’emploi précédent est encore vacant et que la direction a donné son accord de principe pour reprendre son ancien salarié. Toutefois, dans d’autres cas, la coopération avec un lieu de travail ordinaire peut être recommandée au cours de la formation professionnelle, car l’expérience a montré qu’elle améliore également les chances d’embauche ultérieure par l’entreprise. Ainsi, dans le cas d’une formation dispensée dans un centre de réadaptation professionnelle, il va sans dire que les services de soutien devraient aider les personnes handicapées à rechercher des possibilités de formation sur le tas.

Bien évidemment, ces choix de mesures de réadaptation professionnelle ne peuvent pas être dissociés de certains paramètres et conditions qui varient d’un pays à l’autre. De plus, la décision réelle concernant le lieu de la réadaptation professionnelle dépend du type de travail envisagé, du type de handicap, ainsi que du milieu social de la personne handicapée et du soutien naturel potentiel qu’il comporte.

Quel que soit l’endroit où se déroule la réadaptation professionnelle, il incombe aux services d’aide à la réadaptation d’accompagner cette action, de discuter avec la personne handicapée des expériences acquises et d’élargir son projet individuel de réadaptation en le mettant en accord, le cas échéant, avec les progrès réalisés.

Les services d’aide à l’emploi

Si, dans un grand nombre de pays, la réadaptation tant médicale que professionnelle peut compter sur l’appui d’un cadre institutionnel plus ou moins important, certains pays industriels ne possèdent pas encore d’infrastructure comparable pour la promotion de l’intégration des personnes handicapées dans l’emploi. Et, bien que différents pays disposent d’un certain nombre de modèles opérationnels, dont certains fonctionnent depuis plusieurs années, dans la plupart d’entre eux, à l’exception de telle ou telle approche en Allemagne, en Australie, aux Etats-Unis et en Nouvelle-Zélande, les services de l’emploi ne font toujours pas partie intégrante de la politique nationale pour les personnes handicapées.

Si le placement des personnes handicapées est une fonction obligatoire de l’administration générale de l’emploi dans de nombreux pays, la progression du chômage rend la tâche de ces organismes de plus en plus ardue. Ce problème est aggravé dans bien des cas par le manque de personnel qualifié capable de reconnaître les capacités et les désirs de la personne handicapée, ainsi que de répondre aux exigences du monde du travail. Les services d’aide à l’emploi ont aussi été créés en réaction à l’échec croissant de l’approche traditionnelle de la réadaptation professionnelle institutionnalisée consistant «à former et à placer». Malgré des mesures de réadaptation médicale et professionnelle sophistiquées et souvent positives, il est de plus en plus difficile, pour une personne handicapée, de s’intégrer dans la vie active sans assistance complémentaire.

C’est là que le besoin de services spécialisés d’aide à l’emploi se fait sentir. Où qu’ils soient installés, ces services rencontrent une énorme demande de la part des personnes handicapées et de leur famille. Ce type de services est particulièrement nécessaire et efficace dans son rôle d’interface institutionnelle entre les écoles, les organismes de réadaptation, les ateliers protégés et les autres établissements pour personnes handicapées, d’une part, et les lieux de travail, d’autre part. Cependant, l’existence de services d’aide à l’emploi démontre aussi que de nombreuses personnes handicapées ont besoin d’aide et d’accompagnement, non seulement pendant la phase de placement en emploi, mais encore pendant celle d’adaptation au lieu de travail. Un certain nombre de grandes entreprises ont leur propre service interne d’assistance aux salariés chargé de l’intégration des personnes handicapées nouvellement embauchées et du maintien en emploi de celles qui sont déjà occupées.

Les tâches incombant aux services d’aide à l’emploi

Les services d’aide à l’emploi font avant tout porter leur intervention sur l’étape critique de l’entrée dans la vie active. Généralement, leur rôle consiste à créer des liens entre l’entreprise et la personne handicapée, c’est-à-dire avec son supérieur direct et ses futurs collègues de travail.

D’une part, les services d’aide à l’emploi doivent assister la personne handicapée dans sa quête d’un emploi, notamment en l’entraînant à développer sa confiance en elle, en la préparant aux entretiens d’embauche (en utilisant les techniques vidéo), en l’aidant à rédiger des lettres de candidature mais, aussi et essentiellement, à se placer en formation sur le tas. Toutes les expériences montrent que ces stages en entreprise sont le meilleur moyen d’y accéder. Si nécessaire, les services accompagnent la personne handicapée aux entretiens d’embauche, l’aident à remplir les documents officiels et restent à ses côtés pendant la phase d’adaptation initiale au lieu de travail. Faute de moyens, la plupart des services d’aide à l’emploi ne sont pas à même d’apporter un soutien en dehors des limites du lieu de travail. Toutefois, théoriquement, ce type de soutien n’est pas souhaitable. Dans la mesure où il est nécessaire d’apporter également une aide dans la sphère privée, qu’elle soit d’ordre psychologique, médical ou d’autonomie fonctionnelle, elle prend généralement la forme d’une orientation vers les services compétents.

D’autre part, en ce qui concerne les entreprises, la tâche la plus importante des services d’aide à l’emploi consiste, au départ, à motiver un employeur et à l’inciter à engager une personne handicapée. Bien que l’emploi de personnes handicapées suscite d’importantes réticences de la part d’un grand nombre d’entreprises, il est néanmoins possible d’en trouver qui sont prêtes à engager une coopération suivie avec des établissements de réadaptation professionnelle et des services d’aide à l’emploi. Une fois cette volonté de coopération établie, il faut alors localiser les emplois susceptibles de convenir dans l’entreprise. Tout placement en entreprise doit être précédé d’une comparaison des qualifications requises avec les aptitudes de la personne handicapée. Toutefois, le temps et l’énergie consacrés à des projets modèles utilisant des procédures soi-disant «objectives» pour comparer le différentiel des profils des aptitudes et de la demande afin de trouver l’emploi «optimal» pour une personne handicapée donnée n’a en général aucun rapport avec les chances de réussite et les efforts pratiques consacrés à la recherche d’un emploi. Il est plus important d’amener les personnes handicapées à être les agents de leur propre développement professionnel, car en termes d’importance psychologique, on n’accordera jamais trop de valeur à l’engagement des intéressés dans l’élaboration de leur propre avenir professionnel.

Les méthodes de placement déjà existantes essaient de tirer profit des analyses approfondies de la structure organisationnelle et des méthodes de travail en soumettant des suggestions à l’entreprise en matière de réorganisation de certains services et, donc, de création de possibilités d’emploi pour les personnes handicapées. Ces suggestions peuvent porter sur l’aménagement ou l’allégement de certaines conditions de travail, sur la mise en place du travail à temps partiel et des horaires souples, ainsi que sur la réduction du bruit et du stress au travail.

Les services d’aide à l’emploi proposent aussi d’aider les entreprises à déposer des demandes de subventions publiques, telles que des subventions salariales, ou à surmonter les obstacles bureaucratiques lorsqu’elles demandent à l’Etat des allocations pour les moyens techniques mis en œuvre afin de pallier les limitations dues au handicap. Le soutien à la personne handicapée sur son lieu de travail ne doit cependant pas être uniquement de nature technique: les personnes atteintes d’une déficience visuelle peuvent dans certains cas avoir besoin non seulement d’un clavier en braille pour leur ordinateur et d’une imprimante adaptée, mais aussi d’une personne qui lise pour elles; les personnes qui ont une déficience auditive peuvent bénéficier de l’aide d’un interprète en langue des signes. Il peut parfois s’avérer nécessaire d’apporter un soutien dans l’acquisition des qualifications requises pour le poste ou pour l’intégration sociale dans l’entreprise. Ce genre de tâches est souvent confié à un agent des services d’aide à l’emploi appelé «tuteur». Le soutien individualisé apporté par celui-ci diminue avec le temps.

L’intégration des personnes porteuses d’un handicap mental ou psychique doit généralement se faire pas à pas, en augmentant progressivement la charge de travail, la durée du travail et les contacts sociaux, le tout organisé avec les services d’aide à l’emploi en coopération avec l’entreprise et la personne handicapée.

Chaque forme de soutien doit suivre la règle selon laquelle ce dernier doit être adapté aux besoins individuels de la personne handicapée et aux ressources de l’entreprise.

L’exemple de l’emploi assisté

L’emploi assisté des personnes handicapées relève de l’idée selon laquelle les subventions salariales aux entreprises et les services d’aide personnalisée pour les personnes handicapées sont étroitement liés afin de parvenir à une pleine intégration dans la vie active. Cette idée est particulièrement répandue en Australie et en Nouvelle-Zélande, dans plusieurs pays européens et aux Etats-Unis. Pour l’instant, elle a servi essentiellement à l’insertion des personnes handicapées mentales et psychiques dans la vie professionnelle.

Les services d’aide à l’emploi se chargent du placement de personnes handicapées dans une entreprise, organisent le soutien financier, technique et organisationnel que celle-ci requiert et délèguent un tuteur qui accompagne l’intégration professionnelle et sociale des intéressés dans l’entreprise.

L’employeur est donc dégagé de tous les problèmes qui l’attendent normalement lors de l’embauche d’une personne handicapée. Dans la mesure du possible et en cas de besoin, les services d’aide à l’emploi se chargent aussi des aménagements nécessaires du lieu et du milieu immédiat de travail de la personne handicapée. Le candidat doit parfois suivre une formation complémentaire à l’extérieur de l’entreprise, bien que l’instruction prenne souvent la forme d’une formation sur le tas par le tuteur. Ce dernier est également chargé d’orienter les collègues et les supérieurs sur l’aide technique et sociale à apporter à la personne handicapée, car l’objectif est en principe de réduire progressivement l’assistance du service d’aide à l’emploi. Il est toutefois absolument nécessaire qu’en cas de problème grave, ce service soit présent pour apporter une aide continue dans la mesure requise. En d’autres termes, le soutien apporté à la personne handicapée, ainsi qu’à son employeur, son supérieur et ses collègues de travail, doit être individualisé et correspondre à des besoins spécifiques.

Des analyses coûts-avantages de cette approche effectuées aux Etats-Unis ont montré que, malgré le caractère intensif de la phase initiale d’intégration en termes de soutien apporté et, donc, de coût, plus l’emploi est stable, plus l’investissement se justifie également du point de vue financier, non seulement pour la personne handicapée, mais aussi pour l’employeur et le trésor public.

Le placement de personnes handicapées par les démarches de l’emploi assisté est le plus courant dans les postes relativement peu exigeants, mais qui présentent le risque d’être supprimés. L’avenir des emplois assistés ne dépendra pas seulement de l’évolution du marché du travail, mais aussi de l’évolution de l’idée même.

Les enjeux des services d’aide à l’emploi

Nous exposerons ci-après un certain nombre de points critiques pour l’évolution ultérieure des idées et pour le travail pratique des services d’aide à l’emploi dont il ne faut pas sous-estimer l’importance.

L’organisation en réseau des centres de réadaptation professionnelle et des entreprises

Pour que les services d’aide à l’emploi ne manquent pas leur but dans le domaine de ce qui est réellement nécessaire, ils doivent créer des liens organiques avec les centres de réadaptation professionnelle existants. Les services d’insertion qui n’ont pas de liens avec les centres de réadaptation risquent — l’expérience l’a prouvé — de jouer le rôle de simples instruments de sélection plutôt que celui de services d’intégration professionnelle des personnes handicapées.

Les services de soutien ont besoin non seulement d’établir un réseau et de coopérer avec les centres de réadaptation professionnelle, mais aussi, ce qui est encore plus important, de trouver leur place dans la coopération avec les entreprises. Les services d’aide à l’emploi ne doivent en aucun cas fonctionner comme de simples services de conseil pour les personnes handicapées et leur famille; ils doivent aussi les aider activement par des services de recherche d’emploi et de placement. Pour les personnes handicapées, la proximité du marché du travail est la clé de l’accès aux entreprises et, par conséquent, aux possibilités de trouver un emploi. Pour faciliter leur accès à l’entreprise, ces services doivent se situer le plus près possible de l’activité économique réelle.

Les liens entre qualification, placement et emploi

Une partie importante des efforts d’insertion professionnelle, un enjeu central pour les services d’aide à l’emploi, porte sur la coordination de la préparation et de la qualification professionnelles avec les besoins de l’entreprise, bien qu’elle soit encore souvent négligée. Aussi justifiée que soit la critique du modèle traditionnel, «former et placer», il ne suffit pas de commencer par placer, puis d’assurer la formation aux qualifications demandées. Dans les conditions actuelles, travailler signifie posséder non seulement les qualités professionnelles dites secondaires — ponctualité, concentration et rapidité — , mais aussi un certain nombre de qualifications techniques qui doivent toujours être acquises avant de prendre un emploi. Il serait vain de demander plus aux personnes à placer tout comme aux entreprises prêtes à les engager.

La mobilisation du soutien naturel

Les chances de réussite de l’insertion professionnelle des personnes handicapées sur le marché du travail augmentent avec la possibilité d’organiser l’aide et le soutien soit parallèlement au travail, soit directement sur le lieu de travail. Il est tout particulièrement important, pendant la phase initiale d’adaptation, d’aider la personne handicapée à remplir les exigences du poste qu’elle occupe, mais également d’apporter un soutien à ceux qui constituent son milieu de travail. Cette forme d’accompagnement est généralement assurée par les services d’aide à l’emploi. La réussite à long terme de l’intégration d’une personne handicapée dépend de la possibilité de remplacer ce type d’aide professionnelle par la mobilisation du soutien naturel dans l’entreprise, de la part de ses collègues ou de ses supérieurs. Au terme d’un projet conduit en Allemagne en vue de la mobilisation du soutien naturel sur le lieu de travail par des travailleurs appelés tuteurs, 42 personnes handicapées ont réussi leur insertion en vingt-quatre mois; plus de 100 entreprises ont été invitées à participer. Le projet a montré que peu de salariés avaient les connaissances et l’expérience requises pour s’occuper de personnes handicapées. Il est donc apparu d’une importance stratégique pour les services de l’emploi d’élaborer un cadre conceptuel afin d’organiser le remplacement du soutien professionnel et la mobilisation du soutien naturel sur le lieu de travail. Au Royaume-Uni, par exemple, les salariés prêts à jouer le rôle de tuteurs pendant un certain temps reçoivent en reconnaissance une petite gratification financière.

La prime au succès et le contrôle par les usagers

Enfin, les services d’aide à l’emploi doivent aussi encourager leurs propres salariés à se rendre dans les entreprises pour réussir à y placer des personnes handicapées, car c’est sur ce point qu’ils doivent faire porter l’essentiel de leurs efforts. Le placement des personnes handicapées ne peut néanmoins être assuré à long terme que si le financement des services d’aide à l’emploi et de leur personnel est, dans une certaine mesure, lié à leur succès. Comment les salariés de ces services peuvent-ils trouver la motivation de sortir de leur institution si c’est pour se heurter à la frustration générée par le refus des entreprises? Le placement des personnes handicapées dans la vie active est une tâche difficile. Comment faire naître l’élan qui permettra de se battre avec ténacité et persévérance contre les préjugés? Toutes les organisations peuvent évoluer en fonction de leurs propres intérêts, qui ne s’accordent pas nécessairement avec ceux de leurs usagers; toutes les institutions financées sur fonds publics courent le risque de ne plus satisfaire les besoins de leurs clients. C’est pourquoi il faut prendre des mesures d’intéressement générales — non seulement pour les services d’aide à l’emploi, mais aussi pour les autres services sociaux — qui les mettent sur la voie du succès.

Une autre modification nécessaire du travail des services sociaux financés grâce à des fonds publics consiste à donner la parole aux usagers et à leurs organisations dans leurs domaines d’intérêt. Cette culture de la participation doit aussi trouver un écho dans les concepts qui sous-tendent les services de soutien. A ce propos, les services, comme toutes les autres institutions financées sur fonds publics, devraient faire l’objet de contrôles et d’évaluations régulières de la part de leurs clients — les usagers et leur famille — et enfin, et c’est tout aussi important, de la part des entreprises qui coopèrent avec ces services.

Conclusion

Il n’est pas possible de répondre dans l’abstrait à la question de savoir quelles personnes handicapées, ou combien d’entre elles, peuvent être intégrées dans le marché du travail par les services de réadaptation professionnelle et d’aide à l’emploi. L’expérience montre que ni le degré d’incapacité ni la situation du marché du travail ne peuvent être considérés comme des limitations absolues. Les facteurs qui déterminent le développement dans la pratique incluent non seulement la manière de travailler des services de soutien et la situation du marché du travail, mais aussi la dynamique qui naît dans les institutions et les établissements pour personnes handicapées, quand ce type d’option d’emploi se concrétise. Dans tous les cas, l’expérience des différents pays a montré que la collaboration entre les services d’aide à l’emploi et les établissements protégés a tendance à avoir un effet considérable sur les pratiques internes de ces derniers.

Les gens ont besoin d’avoir des perspectives, et la motivation et l’action apparaissent dans la mesure où il en existe, ou lorsque de nouvelles options en font naître. La possibilité de choix pour le développement personnel des personnes handicapées qu’a permis l’existence des services d’aide à l’emploi est tout aussi importante que le nombre absolu de placements obtenu par ces services.

LA GESTION DE L’INCAPACITÉ SUR LE LIEU DE TRAVAIL: VUE D’ENSEMBLE ET TENDANCES*

* Certaines parties de cet article sont adaptées de Shrey et Lacerte (1995), et de Shrey (1995).

Donald E. Shrey

Les employeurs font l’objet d’une pression sociale et législative croissante pour intégrer et accueillir des personnes frappées d’incapacité. L’augmentation des coûts de la réparation et des soins de santé des travailleurs menace la survie des entreprises et ponctionne les ressources qui pourraient être consacrées au développement économique de demain. La conjoncture actuelle montre que les employeurs peuvent parvenir à gérer efficacement les problèmes d’accidents du travail et d’incapacité. On trouve des exemples frappants de programmes de gestion de l’incapacité chez les employeurs qui prennent à leur charge la prévention des accidents du travail, l’intervention précoce, la réintégration du travailleur victime d’un accident et l’aménagement du lieu de travail. La façon dont l’incapacité est traitée à l’heure actuelle dans l’industrie est une transition exemplaire d’une situation où les services étaient offerts dans la collectivité à celle où les interventions sont faites sur le lieu de travail.

Le présent article propose une définition opérationnelle de la gestion de l’incapacité et présente un modèle qui illustre les éléments structurels d’un programme optimal de cette gestion sur le lieu de travail. Il expose également des stratégies et des interventions efficaces dans ce domaine, ainsi que les concepts essentiels en matière d’organisation qui renforcent l’offre de services et améliorent les résultats. Nous nous intéresserons aussi à la collaboration entre les travailleurs et la direction, ainsi qu’au recours à des services interdisciplinaires, que beaucoup considèrent comme indispensables à la mise en œuvre de programmes de gestion optimale de l’incapacité dans l’industrie. L’accent est mis sur la promotion du respect et de la dignité entre les travailleurs frappés d’incapacité et les professionnels qui les servent.

La définition de la gestion de l’incapacité

La gestion de l’incapacité se définit comme une méthode active visant à minimiser l’effet d’une déficience (consécutive à un accident ou à une maladie) sur l’aptitude de la personne à participer de manière compétitive à la vie active (Shrey et Lacerte, 1995). Ses principes fondamentaux sont les suivants:

Une bonne gestion des conséquences d’une maladie, d’un accident ou d’une maladie chronique ayant frappé les travailleurs appelle:

La gestion de l’incapacité suppose que l’employeur prenne en charge de manière globale, cohérente et progressive les besoins complexes des personnes frappées d’incapacité dans un milieu professionnel et socio-économique donné. Malgré l’augmentation rapide des coûts des accidents du travail et de l’incapacité, les technologies de réadaptation et les moyens de gestion de l’incapacité permettent aux entreprises de réaliser des économies immédiates et périodiques. Lorsque les politiques, procédures et stratégies de gestion de l’incapacité sont correctement intégrées dans l’organisation de l’employeur, elles fournissent l’infrastructure qui permet aux employeurs de gérer efficacement l’incapacité et de rester globalement compétitifs.

Il n’est pas facile de maîtriser le coût de l’incapacité dans l’entreprise ni son impact sur la productivité du salarié. Les relations sont complexes et conflictuelles entre les objectifs, les ressources et les attentes des employeurs; les besoins et les intérêts des travailleurs, des personnels de santé, des syndicats et des hommes de loi; les services sociaux à disposition. La capacité de l’employeur à prendre une part active et effective dans ces relations contribuera à maîtriser les coûts, ainsi qu’à protéger l’emploi stable et productif du travailleur.

Les objectifs de la gestion de l’incapacité

Les politiques et les méthodes de l’employeur, ainsi que les stratégies et les interventions en matière de gestion de l’incapacité, doivent viser des objectifs réalistes et accessibles. Les programmes de gestion de l’incapacité sur le lieu de travail doivent permettre à l’employeur de:

Les concepts et les stratégies essentiels en matière de gestion de l’incapacité

Travailleurs et directions ont tout intérêt à protéger l’aptitude à l’emploi des salariés, tout en maîtrisant les coûts des accidents du travail et de l’incapacité. Les syndicats cherchent à protéger l’emploi des travailleurs qu’ils représentent. La direction veut éviter un renouvellement de personnel coûteux en maintenant dans l’emploi les salariés productifs, responsables et expérimentés. D’après les études faites sur le sujet, les concepts et stratégies suivants sont importants dans l’élaboration et la mise en œuvre de programmes efficaces de gestion de l’incapacité dans l’entreprise:

La participation des travailleurs et de la direction

La gestion de l’incapacité nécessite la participation, le soutien et la responsabilité de l’employeur et des syndicats. Les uns et les autres jouent un rôle clé dans cette gestion en participant activement aux prises de décisions, à la planification et à la coordination des interventions et des services. Il est important, pour les travailleurs comme pour la direction, d’évaluer leurs capacités de réaction aux accidents et à leurs suites. A cette fin, il est souvent nécessaire de recenser les forces et les faiblesses communes, ainsi que d’évaluer les moyens disponibles pour se charger correctement des aménagements et des activités de reprise du travail destinés aux salariés frappés d’incapacité. Un grand nombre d’employeurs ayant des syndicats dans leur entreprise ont réussi à mettre en œuvre des programmes internes de gestion de l’incapacité avec les conseils et le soutien des comités paritaires (Bruyere et Shrey, 1991).

La culture d’entreprise

Les structures organisationnelles, l’attitude des travailleurs, les intentions de la direction et les précédents historiques contribuent à la culture d’entreprise. Avant d’élaborer un programme de gestion de l’incapacité, il importe de comprendre la culture d’entreprise et, notamment, les motivations et les intérêts des travailleurs et de l’employeur en matière de prévention des accidents du travail, d’aménagement du lieu de travail et de réadaptation du travailleur blessé.

Les caractéristiques des accidents et de l’incapacité

Les programmes de gestion du handicap dans l’industrie doivent être personnalisés pour traiter les différents aspects des accidents et de l’incapacité, tels que le type d’incapacité, l’âge des travailleurs, les statistiques sur les journées perdues, les données relatives aux accidents et les coûts afférents aux demandes de réparation.

L’équipe interdisciplinaire de gestion de l’incapacité

La gestion de l’incapacité nécessite une équipe interdisciplinaire spécialisée. Les membres de cette équipe comprennent souvent des représentants de l’employeur (par exemple, les directeurs de la sécurité, les infirmières de santé au travail, les gestionnaires des risques, le personnel des ressources humaines, les directeurs des opérations), des représentants des syndicats, le médecin traitant du travailleur, un responsable de la réadaptation, un kinésithérapeute ou un ergothérapeute d’entreprise et le travailleur frappé d’incapacité.

L’intervention précoce

L’intervention précoce est peut-être le principe le plus important de la gestion de l’incapacité. Dans la plupart des régimes qui servent des prestations pour incapacité, les politiques et les pratiques en matière de réadaptation reconnaissent l’importance d’une intervention précoce au vu des résultats des études menées ces dix dernières années en matière de gestion de l’incapacité. Les employeurs ont considérablement réduit les coûts de l’incapacité en favorisant le principe de l’intervention précoce et, notamment, le suivi systématique des travailleurs dont les activités sont limitées. Les stratégies d’intervention précoce et les programmes de reprise rapide du travail entraînent une diminution du nombre de journées perdues, l’augmentation de la productivité et la baisse des coûts de réparation des lésions professionnelles. Que l’incapacité soit liée au travail ou non, l’intervention précoce est considérée comme le facteur fondamental sur lequel va reposer la réadaptation médicale, psychosociale et professionnelle (Lucas, 1987; Pati, 1985; Scheer, 1990; Wright, 1980). Toutefois, pour que la gestion de l’incapacité réussisse, il faut prévoir des possibilités de reprise rapide du travail, des aménagements et des soutiens (Shrey et Olshesky, 1992; Habeck et coll., 1991). Les programmes classiques de reprise rapide du travail dans l’industrie associent différentes interventions en matière de gestion de l’incapacité, facilitées par une équipe pluridisciplinaire mise en place par l’employeur et coordonnée par un responsable qualifié.

Les interventions proactives au niveau de l’individu et du milieu de travail

En matière de gestion de l’incapacité, les interventions doivent porter à la fois sur l’individu et sur son milieu de travail. L’approche traditionnelle de la réadaptation ignore souvent le fait que l’incapacité peut provenir autant des obstacles environnementaux que du caractère du travailleur. Les travailleurs insatisfaits de leur emploi, les conflits entre l’agent de maîtrise et le travailleur et les postes de travail mal conçus sont en tête des nombreux obstacles liés au milieu que rencontre la gestion de l’incapacité. En bref, pour obtenir les meilleurs résultats dans la réadaptation des travailleurs victimes d’accident, il faut s’intéresser autant à la personne qu’à son milieu de travail. L’aménagement du poste, imposé par la loi sur les Américains porteurs de handicap et d’autres textes législatifs sur l’équité dans l’emploi, permet souvent d’élargir les possibilités d’emploi transitoire du travailleur victime d’un accident du travail. L’adaptation des outils, des postes de travail ergonomiques, des dispositifs appropriés et l’aménagement du temps de travail sont des méthodes efficaces de gestion de l’incapacité qui permettent au travailleur d’assurer les fonctions essentielles de son poste (Gross, 1988). Ces mêmes interventions peuvent être utilisées à titre préventif pour repérer et redéfinir les emplois qui risquent de provoquer de nouveaux accidents.

La conception du régime de réparation

Les régimes de réparation incitent souvent les travailleurs à s’installer dans l’incapacité. La démotivation financière est une des forces négatives les plus graves qui entraîne une perte de temps et des coûts exorbitants. Les régimes de réparation ne devraient pas créer une contre-incitation économique au travail, mais récompenser les travailleurs frappés d’incapacité qui reprennent le travail et restent en bonne santé et productifs.

Les programmes de reprise du travail

Il existe deux moyens essentiels de réduire les coûts de l’incapacité dans l’industrie: 1) prévenir les accidents et les lésions; 2) réduire l’absentéisme. Les programmes traditionnels d’affectation à un poste physiquement moins pénible ne se sont pas avérés efficaces pour inciter les travailleurs blessés à reprendre leur poste. Les employeurs ont de plus en plus recours à des options transitoires flexibles et novatrices de reprise de travail et à des aménagements raisonnables à l’intention des travailleurs dont les activités sont limitées. Un travail transitoire permet aux salariés encore frappés d’incapacité de recommencer à travailler avant d’être complètement rétablis. Le travail transitoire associe généralement l’affectation temporaire à un emploi modifié, une remise en forme physique, une formation à des pratiques professionnelles sûres et l’aménagement du travail. En écourtant l’absentéisme, ce type de travail entraîne aussi une diminution des coûts. On donne au salarié la possibilité d’effectuer un travail temporairement différent, mais productif, tout en reprenant progressivement son activité précédente.

L’amélioration des relations professionnelles

Les relations entre les travailleurs et leur milieu de travail sont dynamiques et complexes. De bonnes relations entraînent souvent la satisfaction au travail et une meilleure productivité, toutes deux gratifiantes à la fois pour le travailleur et pour l’employeur. En revanche, des relations marquées par des conflits non résolus peuvent avoir des conséquences destructrices pour les deux partenaires. Connaître la dynamique des interactions entre la personne et son milieu de travail est un premier pas important vers le règlement des demandes de réparation pour accident du travail ou incapacité. Un employeur responsable est celui qui favorise de bonnes relations professionnelles et la satisfaction au travail, ainsi que la participation du travailleur aux prises de décisions.

Les aspects psychologiques et sociaux de l’incapacité

Les employeurs doivent être sensibles aux conséquences psychologiques et sociales d’un accident du travail et d’une incapacité, ainsi qu’à l’effet de l’arrêt de travail sur la famille du travailleur. Des problèmes d’ordre psychosocial secondaires par rapport à la lésion physique initiale apparaissent généralement au fur et à mesure qu’augmente la durée de l’inactivité. Les relations avec les membres de la famille se détériorent souvent rapidement, sous l’influence de l’alcoolisme et d’un sentiment d’impuissance. Il est courant d’observer des altérations du comportement résultant de l’arrêt de travail. Lorsque d’autres membres de la famille subissent les conséquences négatives de l’accident d’un travailleur, des relations pathologiques apparaissent au sein de la famille. Le travailleur handicapé subit une inversion des rôles. Les membres de la famille font l’expérience de «réactions au changement de rôles». Le travailleur, qui était auparavant indépendant et qui subvenait à ses propres besoins, entre à présent dans un rôle de dépendance passive. La rancune apparaît lorsque la famille est désunie par la présence d’une personne dépendante, parfois irritable et souvent déprimée.

C’est là l’aboutissement classique de problèmes non résolus de relations professionnelles, alimentés par le stress et envenimés par un climat conflictuel. Bien que les rapports entre ces différentes forces ne soient pas toujours compris, le dommage est généralement profond.

Les programmes de prévention des accidents et d’ergonomie professionnelle

Un grand nombre d’employeurs ont pu réduire de manière considérable le nombre des accidents en créant des comités de sécurité et d’ergonomie. Ces comités sont chargés de surveiller la sécurité et les facteurs de risque, tels que les expositions aux substances chimiques et vapeurs nocives et de mettre en place des contrôles visant à réduire l’incidence et l’ampleur des accidents. Plus fréquemment, les comités paritaires de sécurité et d’ergonomie s’attaquent aux problèmes de lésions dues à l’exécution de tâches répétitives et de troubles résultant d’hypersollicitations (par exemple, le syndrome du canal carpien). L’ergonomie est l’application de la technologie qui vient au secours de l’élément humain dans le travail manuel. L’objectif global de l’ergonomie est de faire correspondre les tâches aux personnes afin d’améliorer leur efficacité au travail. En d’autres termes, l’ergonomie se propose de:

Les interventions ergonomiques peuvent être considérées comme des actions de prévention aussi bien que de réadaptation. En matière de prévention, il importe d’analyser du point de vue ergonomique les métiers présentant un risque d’accident et de mettre au point les modifications susceptibles d’éviter d’autres risques d’incapacité. Du point de vue de la réadaptation, on peut appliquer les principes ergonomiques à l’aménagement du lieu de travail pour les travailleurs dont les capacités sont limitées, ce qui peut appeler des mesures administratives (périodes de repos, rotation des tâches, horaires réduits) ou l’aménagement ergonomique des tâches afin d’éliminer les facteurs de risque de nouvel accident (par exemple, modifier la hauteur d’une table, améliorer l’éclairage, remballer pour réduire les poids à soulever).

Le rôle, la responsabilité et le pouvoir de l’employeur

Le pouvoir de l’employeur est un principe fondamental de la gestion de l’incapacité. Le travailleur intéressé mis à part, l’employeur joue le premier rôle dans la gestion de l’incapacité. C’est lui qui prend les premières mesures en lançant les stratégies d’intervention précoce à la suite d’un accident du travail. L’employeur, qui connaît bien le fonctionnement de l’entreprise, est le mieux placé pour mettre en œuvre des programmes efficaces de sécurité et de prévention et pour offrir des possibilités de reprise de l’activité aux victimes d’un accident ayant entraîné un arrêt de travail. Malheureusement, l’expérience montre que bon nombre d’employeurs laissent le contrôle et la responsabilité de la gestion de l’incapacité à des intervenants extérieurs à l’entreprise. Ce sont les organismes assureurs, les responsables des demandes de réparation, les commissions de réparation, les médecins, les thérapeutes, les responsables du traitement des cas, les spécialistes de la réadaptation, voire les avocats qui prennent les décisions et règlent les problèmes suscités par l’incapacité. Or, ce n’est que lorsque les employeurs prennent des responsabilités dans la gestion de l’incapacité qu’il est possible d’inverser les tendances et de réduire la durée de l’incapacité et les coûts des accidents du travail. L’influence de l’employeur sur la gestion des coûts de l’incapacité n’est cependant pas un effet du hasard. Tout comme les personnes frappées d’incapacité, les employeurs prennent leurs responsabilités si on leur reconnaît des ressources et des potentiels dans l’entreprise. Ce n’est qu’en étant conscients des problèmes, confiants en eux-mêmes et bien conseillés, qu’ils seront à même d’échapper aux forces et aux conséquences implacables de l’incapacité de travail.

La coordination de la prise en charge des cas et de la reprise du travail

Les services de prise en charge des cas sont nécessaires pour faciliter la mise au point, puis la mise en œuvre des stratégies de gestion de l’incapacité et des plans de reprise du travail des salariés frappés d’incapacité. Le responsable de la prise en charge des cas est au centre de l’équipe de gestion de l’incapacité et assure la liaison entre les employeurs, les représentants syndicaux, les travailleurs accidentés, les prestataires de soins de santé publique, etc. Il peut faciliter la mise au point, la mise en œuvre et l’évaluation d’un programme portant sur des postes de travail provisoires dans l’entreprise ou de maintien en l’emploi. Un employeur peut avoir intérêt à créer et à mettre en œuvre de tels programmes, afin: 1) d’éviter les arrêts de travail chez les salariés atteints de déficiences affectant leur rendement; 2) de favoriser la reprise d’activité, dans des conditions de sécurité et en temps opportun, des travailleurs en congé de maladie, au bénéfice de prestations ou frappés d’incapacité de longue durée. En menant un programme portant sur des postes de travail transitoires dans l’entreprise, le responsable de la prise en charge des cas peut prendre des décisions en matière de réadaptation: 1) évaluation objective du travailleur; 2) classification des exigences physiques de l’emploi; 3) surveillance et suivi médical; 4) planification d’un placement dans un poste permanent modifié et acceptable.

Les politiques et les procédures de gestion de l’incapacité: les attentes des agents de maîtrise, des travailleurs
et de leurs représentants

Il est important pour les employeurs d’établir un juste équilibre entre les attentes des travailleurs et des syndicats et les intentions des cadres et des agents de maîtrise. Il faut pour cela que les travailleurs et l’employeur travaillent ensemble à la mise au point de politiques et de procédures de gestion de l’incapacité. Les programmes de gestion de l’invalidité qui ont fait leurs preuves disposent tous de manuels sur les politiques et les procédures qui exposent les projets d’entreprise correspondant aux intérêts et aux obligations des travailleurs et de la direction. Les procédures écrites définissent souvent les rôles et les fonctions des membres du comité interne de gestion de l’incapacité, ainsi que les activités à mener immédiatement après l’accident jusqu’à la reprise du travail dans des conditions de sécurité et en temps opportun. Les politiques de gestion de l’incapacité définissent souvent les relations entre l’employeur, les prestataires de soins de santé et les services publics de réadaptation. Le manuel des politiques et des procédures sert de moyen de communication entre les différents intéressés, dont les médecins, les organismes assureurs, les syndicats, les responsables, les salariés et les prestataires de services.

La sensibilisation des médecins aux postes et au milieu de travail

La gestion des accidents du travail se heurte, partout dans le monde, à une difficulté: l’employeur n’a aucune influence sur la décision de reprise du travail délivrée par le médecin. Les médecins traitants hésitent souvent à autoriser sans restriction un travailleur victime d’un accident à reprendre une activité avant d’être complètement rétabli; on leur demande maintes fois de donner des autorisations de reprise du travail sans qu’ils aient une connaissance suffisante de la charge de travail physique liée au poste du travailleur. Les programmes de gestion de l’incapacité ont réussi à informer les médecins des aménagements que les employeurs étaient prêts à réaliser en faveur des travailleurs dont les capacités sont limitées — programmes portant sur des postes de travail transitoires et sur des affectations temporaires. Il est indispensable que les employeurs rédigent des descriptions de poste qui quantifient les exigences physiques des tâches à accomplir. Le médecin traitant peut ainsi déterminer si les aptitudes physiques du travailleur sont compatibles avec les exigences fonctionnelles du poste. De nombreux employeurs ont adopté la pratique consistant à inviter les médecins à visiter les sites de production et les lieux de travail pour qu’ils se familiarisent avec les exigences des postes et le milieu de travail.

La sélection, l’utilisation et l’évaluation des services de la collectivité

Les employeurs ont fait des économies substantielles et ont amélioré les résultats en matière de reprise du travail en recherchant, en utilisant et en évaluant l’efficacité des services de santé et de réadaptation dans la collectivité. Les travailleurs victimes d’un accident ou d’une maladie sont toujours influencés par quelqu’un dans le choix d’un prestataire de soins. S’ils sont mal conseillés, il peut en résulter des traitements trop longs ou inutiles, des frais médicaux plus élevés et des résultats médiocres. Dans un système de bonne gestion de l’incapacité, l’employeur joue un rôle actif dans la recherche de services de qualité capables de répondre aux besoins des travailleurs atteints. Pour l’employeur qui les internalise, les ressources extérieures deviennent un partenaire vital dans l’infrastructure globale de la gestion de l’incapacité. Les travailleurs frappés d’incapacité peuvent alors être orientés vers des prestataires de services compétents qui partagent les mêmes objectifs de reprise du travail.

Le recours à des experts médicaux indépendants

Il arrive que le dossier médical d’un travailleur victime d’un accident du travail n’établisse pas de manière objective les déficiences supposées et les restrictions médicales. Les employeurs ont souvent le sentiment d’être tenus en otages par le médecin traitant, en particulier lorsque celui-ci, pour déterminer les limitations à l’activité du salarié, ne justifie pas par principe sa décision en s’appuyant sur des examens médicaux objectifs ou des évaluations mesurables. Les employeurs doivent pouvoir exercer leur droit de faire procéder à une évaluation indépendante des aptitudes médicales ou physiques lorsqu’ils se trouvent en présence de demandes de réparation suspectes. C’est à l’employeur qu’il incombe alors de trouver un médecin expert ou un spécialiste de la rééducation objectif et qualifié.

Les éléments essentiels d’un système optimal de gestion de l’incapacité

Pour l’employeur, un système optimal de gestion de l’incapacité se compose de trois éléments principaux (Shrey, 1995, 1996). Tout d’abord, un programme de ce genre comporte un élément de ressources humaines, composé pour une bonne part de l’équipe interne de gestion de l’incapacité. La préférence doit être donnée à des équipes paritaires travailleurs-direction dont les membres représentent souvent les intérêts des syndicats, la gestion des risques, la sécurité et la santé au travail, les cadres de l’exploitation et la direction financière. La sélection des membres de l’équipe de gestion du handicap devrait reposer sur les critères suivants:

Il y a souvent des lacunes dans l’affectation et la délégation de responsabilités pour résoudre les problèmes d’incapacité. De nouvelles tâches doivent être assignées pour que les différentes étapes entre l’accident et la reprise du travail soient bien orchestrées. L’élément des ressources humaines comprend des connaissances et des qualifications, ou une formation qui permettent à la direction et au personnel de maîtrise de jouer leur rôle et d’exercer leurs fonctions respectives. La responsabilité est fondamentale et elle doit s’intégrer dans la structure organisationnelle du programme de gestion de l’incapacité mis en place par l’employeur.

Le second élément d’un système optimal de gestion de l’incapacité est celui des opérations. Il comprend les activités, les services et les interventions qui ont lieu avant, pendant et après l’accident. Avant l’accident, il s’agit de programmes de sécurité efficaces, de services ergonomiques, de mécanismes de sélection à l’embauche, de programmes de prévention et de mise en place de comités paritaires. L’élément fort de ces opérations est la prévention des accidents du travail, qui peut passer par la promotion de la santé et des services de bien-être tels que des cures d’amaigrissement, des groupes de sevrage tabagique et des cours d’aérobic.

En cas d’accident, le système optimal de gestion de l’incapacité doit prévoir des stratégies d’intervention précoce, des services de traitement des cas, des postes de travail transitoires, des aménagements du lieu de travail, des programmes d’aide au salarié et d’autres services de santé. Ces activités visent à régler le problème des incapacités qui n’ont pas pu être évitées par le dispositif de prévention.

Après l’accident, le système optimal de gestion de l’incapacité utilise, pour le maintien en emploi du travailleur, des services qui interviennent pour faciliter son adaptation aux exigences de la tâche en tenant compte de ses limitations physiques ou mentales et des contraintes du milieu. Après l’accident, ledit système devrait aussi comprendre l’évaluation du programme, une analyse coûts-efficacité et l’amélioration des programmes.

Le troisième élément d’un système optimal de gestion de l’incapacité est celui des communications, tant internes qu’externes. Au niveau interne, les salariés, les directeurs, les agents de maîtrise et les représentants du personnel doivent être informés régulièrement et clairement des aspects opérationnels du programme de l’employeur. L’information sur les politiques, procédures et protocoles des activités visant à la reprise du travail devrait être communiquée de façon adaptée, selon qu’elle s’adresse au personnel ou à la direction.

La communication externe favorise les relations de l’employeur avec les médecins traitants, les responsables des demandes de réparation, les prestataires de services de réadaptation et les administrateurs des régimes de réparation. L’employeur peut influencer un retour précoce au travail en fournissant au médecin traitant la description des tâches, les mesures de sécurité prises et les possibilités d’occuper un poste de travail transitoire offertes aux travailleurs victimes d’accident.

Conclusion

Les programmes de gestion de l’incapacité et de postes de travail transitoires dans l’entreprise représentent un nouveau type de réadaptation des travailleurs victimes d’accidents du travail ou de maladies professionnelles. La réadaptation a tendance à se déplacer des établissements médicaux vers le lieu de travail. Les initiatives conjointes des travailleurs et de la direction sont à présent courantes dans le domaine de la gestion de l’incapacité, ce qui crée de nouveaux enjeux et de nouvelles possibilités pour les employeurs, les syndicats et les professionnels de la réadaptation dans la collectivité.

L’interdisciplinarité des membres de l’équipe de gestion de l’incapacité de l’entreprise leur permet de tirer parti des technologies et des ressources existantes dans le milieu de travail. Les employeurs doivent avant tout faire preuve de créativité, d’imagination et de souplesse pour adapter la gestion de l’incapacité au milieu de travail. L’aménagement des postes de travail et le passage temporaire à un poste inhabituel permettent de proposer aux travailleurs dont les capacités sont limitées toute une gamme d’activités transitoires. Des outils modifiés, des postes de travail ergonomiques, des dispositifs susceptibles d’évolution et des horaires adaptés sont autant de méthodes efficaces de gestion de l’incapacité qui permettent au travailleur d’exécuter les tâches essentielles de son poste. Ces mêmes interventions peuvent être employées à titre préventif pour détecter et redéfinir les emplois susceptibles de provoquer des accidents.

La protection des droits des travailleurs victimes d’un accident du travail est un élément important de la gestion de l’incapacité. Chaque année, des milliers de travailleurs sont frappés d’incapacité à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle. Faute de possibilités d’occuper un poste de travail transitoire et d’aménagements, ces travailleurs risquent de se heurter à une discrimination analogue à celle que rencontrent les autres personnes porteuses de handicap. La gestion de l’incapacité est donc un outil de protection efficace, aussi bien pour l’employeur que pour la personne handicapée. Les interventions relevant de la gestion de l’incapacité protègent l’aptitude à l’emploi du travailleur, mais aussi les intérêts économiques de l’employeur.

Au cours des dix prochaines années, les entreprises et l’industrie constateront l’ampleur de la progression rapide des coûts de la réparation des lésions professionnelles. Au moment où la crise actuelle pose un défi à l’industrie, les interventions relevant de la gestion de l’incapacité et les programmes de postes de travail transitoires offrent une bonne solution. Avec la diminution du réservoir de main-d’œuvre, le vieillissement de la population active et la compétition mondiale croissante, les employeurs des pays industriels doivent saisir les opportunités de maîtriser les coûts de personnel et les coûts économiques des accidents et de l’incapacité. La réussite d’un employeur dépendra de sa capacité à faire adopter des attitudes positives par les représentants de l’encadrement et les syndicats, tout en créant une infrastructure de soutien des systèmes de gestion de l’incapacité.

LA RÉADAPTATION ET LA PERTE AUDITIVE DUE AU BRUIT*

* Cet article a été rédigé par le docteur Hétu peu de temps avant son décès prématuré. Ses collègues et amis le dédient à sa mémoire.

Raymond Hétu

Bien que cet article traite de l’incapacité résultant d’une exposition au bruit et d’une perte auditive, il fait partie intégrante du présent chapitre puisqu’il prend également en compte les principes fondamentaux applicables à la réadaptation des personnes frappées d’incapacité à la suite d’une exposition à d’autres risques professionnels que le bruit.

Les aspects psychosociaux de la perte auditive d’origine professionnelle

Comme toute expérience humaine, l’expérience de la surdité due à l’exposition au bruit en milieu de travail se voit attribuer un sens — tant par ceux qui la vivent que par leur entourage. Or, ce sens agit comme un obstacle puissant à la réadaptation des personnes atteintes de perte auditive d’origine professionnelle (Hétu et Getty, 1991b). En effet, comme nous le verrons ci-après, d’une part, la perception des manifestations et des conséquences de la perte auditive est généralement erronée et, d’autre part, les signes de surdité font l’objet d’une forte stigmatisation.

La perception erronée des difficultés d’écoute et de communication

Les difficultés d’écoute et de communication qui résultent de la perte d’audition d’origine professionnelle sont le plus souvent attribuées à d’autres causes: mauvaises conditions d’écoute ou de communication, ou encore manque d’attention ou d’intérêt. Cela vaut aussi bien pour la personne affectée que pour son entourage immédiat. Les facteurs responsables de cette situation sont multiples, mais leur influence est convergente.

  1. Les lésions de l’oreille interne étant invisibles, les personnes qui en sont atteintes ne se perçoivent pas comme étant blessées physiquement par le bruit.
    La perte auditive en tant que telle évolue de manière très insidieuse. L’expérience plus ou moins quotidienne de la fatigue auditive résultant de l’exposition au bruit au travail ne permet pas de déceler à quel moment l’altération est irréversible. A aucun moment, les personnes exposées au bruit n’éprouvent une détérioration tangible de leur capacité auditive. D’ailleurs, le taux de changement des seuils audiométriques est voisin de 1 dB par année pour une majorité de la population exposée quotidiennement à des bruits nocifs pour l’audition (Hétu, Tran Quoc et Duguay, 1990). Quand la perte auditive est symétrique et progressive, la personne atteinte ne dispose d’aucune référence interne pour juger de la baisse de sa capacité auditive. Ce caractère insidieux de la perte auditive fait en sorte que les gens modifient de façon très progressive leur mode de vie de façon à éviter les situations d’incapacité, sans pour autant associer explicitement ce changement aux difficultés d’audition.
  2. Les manifestations de la perte auditive sont très ambiguës, celles-ci étant le plus souvent liées à une perte de sélectivité fréquentielle. Il s’agit d’une baisse de capacité à percevoir deux ou plusieurs signaux sonores émis simultanément, le signal le plus intense masquant alors l’autre ou les autres. En pratique, cela se traduit par des difficultés plus ou moins sévères à suivre une conversation en milieu réverbérant ou en présence d’un certain fond sonore, qu’il provienne d’autres conversations, du téléviseur, d’un ventilateur, du moteur d’un véhicule, etc. En d’autres termes, la capacité auditive d’une personne affectée d’une perte de sélectivité fréquentielle est directement tributaire des conditions ambiantes. Cela est perçu par l’entourage comme un comportement incohérent, perception traduite par le reproche suivant adressé à la personne malentendante: «tu n’entends que ce que tu veux entendre». Du point de vue de la personne affectée, les difficultés d’écoute et de communication sont attribuées à la présence du bruit de fond, à l’articulation déficiente de ses interlocuteurs ou à un manque d’attention de leur part. Ainsi, la manifestation la plus caractéristique de la perte auditive due au bruit n’est pas interprétée comme un problème de nature auditive en tant que tel.
  3. Les conséquences de la perte auditive sont éprouvées le plus souvent en dehors du milieu de travail, dans l’intimité de la vie familiale. En conséquence, le problème n’est donc pas associé à l’exposition au bruit au travail et il n’est pas partagé entre collègues qui vivent les mêmes difficultés.
  4. La prise de conscience des difficultés d’audition passe, le plus souvent, par les reproches adressés par l’entourage familial et social (Hétu, Jones et Getty, 1993). La personne atteinte déroge à certaines normes sociales implicites, par exemple, en parlant à voix trop forte, en demandant fréquemment aux autres de répéter ce qu’ils ont dit, en réglant le son de la radio ou du téléviseur à un volume très élevé. Les gens réagissent alors en disant: «es-tu sourd»? Cette réaction spontanée véhicule généralement un reproche qui déclenche des ripostes défensives peu favorables à la prise de conscience d’une surdité partielle.

La convergence de ces cinq facteurs fait en sorte que les personnes affectées de perte d’audition d’origine professionnelle ne prennent conscience de ses conséquences dans leur vie quotidienne qu’à un stade très avancé de la perte, c’est-à-dire généralement lorsqu’elles doivent demander très fréquemment aux gens de répéter ce qu’ils ont dit (Hétu, Lalonde et Getty, 1987). Cependant, même à ce stade, les personnes atteintes sont très réticentes à reconnaître leurs difficultés d’audition à cause du stigmate associé à la surdité.

La stigmatisation des signes de surdité

Les reproches suscités par les manifestations de la perte auditive se conjuguent avec le caractère très négatif qui est associé aux signes de surdité. Dans le milieu de travail, quiconque montre des signes de surdité risque de se voir socialement discrédité, c’est-à-dire évalué comme étant anormal, incapable, vieilli prématurément, «handicapé» (Hétu, Getty et Waridel, 1994). En conséquence, plus les travailleurs sont affectés de perte auditive, plus ils sont confrontés à une image négative d’eux-mêmes qu’ils sont évidemment réticents à endosser; par conséquent, ils méconnaissent les signes de perte auditive. Cela les conduit à attribuer leurs difficultés d’écoute et de communication à d’autres causes et à adopter une attitude passive à l’égard de ces difficultés.

L’influence conjuguée du stigmate associé à la surdité et de la perception déformée des manifestations et des conséquences de la perte d’audition sur la réadaptation est illustrée par la figure 17.2.

Figure 17.2 Cadre conceptuel pour l'analyse des conséquences invalidantes du handicap

Figure 17.2

Lorsque les difficultés d’audition sont à ce point évidentes qu’il n’est plus possible de les nier ou de les minimiser, les personnes affectées cherchent à les dissimuler. Cela conduit inévitablement au retrait social de l’intéressé, mais aussi à l’exclusion de la part de l’entourage du fait de l’image qui leur est projetée d’une personne peu intéressée à communiquer. L’entourage ne perçoit pas le manque de communication comme une conséquence de la perte d’audition. Ces deux réactions expliquent que l’on ne propose pas d’aider la personne atteinte ni de l’informer de mesures palliatives. Les travailleurs peuvent arriver à dissimuler si bien leurs problèmes que les proches ou les collègues de travail ne se rendent même pas compte du caractère blessant de leurs plaisanteries au sujet des signes de surdité. Cette situation ne fait qu’alimenter le processus de stigmatisation avec toutes les conséquences négatives qu’il comporte.

Comme la figure 17.2 le montre, la perception déformée des manifestations et des conséquences de la perte auditive et la stigmatisation des signes de surdité sont des obstacles aux moyens de remédier aux difficultés d’audition. La stigmatisation implique en outre que l’usage d’aides auditives sera d’abord rejeté, précisément parce qu’il révélerait la surdité et, par conséquent, alimenterait le processus de stigmatisation.

Les phénomènes résumés à la figure 17.2 rendent compte du fait que la majorité des personnes affectées de perte auditive d’origine professionnelle ne consultent pas en clinique audiologique, ne sollicitent pas d’aménagement de leur poste de travail, ne négocient pas avec leur entourage familial et social le recours à des moyens qui leur faciliteraient l’écoute et la communication. En d’autres termes, ces personnes subissent passivement leurs difficultés et évitent les situations qui mettraient en évidence leur déficit auditif.

Le cadre conceptuel de la réadaptation

Pour que la réadaptation porte ses fruits, il faut surmonter les obstacles susmentionnés. Les interventions devraient porter non seulement sur des essais de restauration des capacités auditives, mais également sur la façon d’appréhender le problème tant de la part des personnes atteintes que de leur entourage. Puisque la stigmatisation de la surdité apparaît comme étant l’obstacle le plus formidable à la réadaptation (Hétu et Getty, 1991b; Hétu, Getty et Waridel, 1994), elle devrait être considérée comme une priorité dans toute intervention. Par ailleurs, pour être efficace, l’intervention devrait concerner non seulement les victimes, mais aussi leur entourage qui les stigmatise et qui, par manque d’information, leur impose des performances irréalisables. Il s’agit, concrètement, de créer des conditions qui vont leur permettre de sortir d’un état de passivité et d’isolement et de rechercher activement des solutions à leurs difficultés d’audition, tout en sensibilisant l’entourage à leurs besoins spécifiques. Les fondements de cette démarche sont puisés dans une approche écologique des incapacités et des handicaps (Hétu et Getty, 1991b; Hétu, Getty et Waridel, 1994), illustrée à la figure 17.3.

Figure 17.3 Schéma de restrictions dues à une perte auditive

Figure 17.3

Dans une perspective écologique, l’expérience d’une incapacité auditive est la résultante d’une incompatibilité entre les capacités résiduelles d’une personne atteinte, d’une part, et les exigences de l’environnement physique et social de cette personne, d’autre part. Par exemple, un travailleur atteint d’une perte auditive due au bruit et, par conséquent, d’une perte de sélectivité fréquentielle, aura des difficultés à détecter un signal d’alarme sonore en milieu bruyant. Si les signaux d’alarme nécessaires à son poste de travail ne peuvent pas être portés à un niveau sonore nettement supérieur à la norme, le travailleur se trouvera en situation d’incapacité (Hétu, 1994b ). Il pourrait alors ne pas être en mesure d’assurer sa sécurité, désavantage important pour lui. Cependant, le seul fait de reconnaître qu’il a une capacité auditive réduite lui fait courir le risque d’être jugé comme anormal aux yeux de ses collègues; s’il est effectivement confronté à la situation d’incapacité, il craindra d’être considéré comme incompétent par ses collègues et ses supérieurs. Dans un cas comme dans l’autre, il cherchera à dissimuler ou à nier sa difficulté, se plaçant alors en situation de désavantage dans son travail.

Comme le montre la figure 17.3, le handicap est un état complexe comportant plusieurs restrictions liées les unes aux autres. Parce qu’il s’agit d’un réseau d’interrelations, il n’est pas possible de prévenir ou de minimiser les conséquences, soit les désavantages ou restrictions d’activité, sans intervenir simultanément sur plusieurs autres composantes. A titre d’exemple, l’utilisation d’une prothèse auditive, laquelle contribuerait à restaurer partiellement la capacité auditive (composante 2), ne préviendrait pas la perception négative de soi, non plus que la stigmatisation de la part de l’entourage (composantes 5 et 6), qui conduisent toutes deux à l’isolement et à la fuite devant des situations de communication (composante 7). Par ailleurs, les moyens de suppléance ne peuvent restaurer complètement les capacités auditives; c’est particulièrement le cas pour la perte de sélectivité fréquentielle. L’amplification auditive peut aider à mieux percevoir les signaux sonores ou les conversations, mais elle ne rétablit pas la résolution des signaux sonores compétitifs qui est nécessaire pour détecter un signal d’alarme dans un bruit ambiant important. En conséquence, la prévention des situations d’incapacité auditive passe par l’adaptation des exigences de l’environnement physique et social du lieu de travail (composante 3). Enfin, il va sans dire que, bien qu’une action au seul niveau des perceptions (composantes 5 et 6), soit essentielle, elle ne saurait prévenir les situations d’incapacité auditive et les conséquences immédiates qui en résultent.

Les approches d’intervention en fonction des situations de handicap

La démarche proposée à la figure 17.3 prendra des formes différentes selon les situations de handicap envisagées. D’après les résultats des enquêtes et des études qualitatives menées à ce jour auprès de personnes atteintes de perte d’audition d’origine professionnelle (Hétu et Getty, 1991b; Hétu, Jones et Getty, 1993; Hétu, Lalonde et Getty, 1987; Hétu, Getty et Waridel, 1994; Hétu, 1994b), les conséquences de ce handicap sont surtout ressenties dans trois types de situations: 1) le lieu de travail; 2) les activités sociales; 3) le milieu familial. Des approches d’intervention spécifiques ont été proposées pour chacune d’entre elles.

Le lieu de travail

En milieu de travail industriel, on peut identifier quatre types de situations de handicap faisant appel à des réadaptations appropriées:

  1. les risques d’accidents liés à la non-perception des avertisseurs sonores;
  2. les efforts, le stress et l’anxiété résultant de difficultés d’écoute et de communication;
  3. les entraves à l’intégration sociale;
  4. les obstacles à l’avancement professionnel.
Les risques d’accident

Les avertisseurs sonores de danger sont utilisés très fréquemment en milieu industriel. La perte d’audition d’origine professionnelle peut diminuer considérablement la capacité à détecter, reconnaître ou localiser de tels avertisseurs, en particulier en milieu bruyant et réverbérant. En effet, la perte de sélectivité fréquentielle qui l’accompagne inévitablement peut exiger que le niveau sonore du signal avertisseur émerge du bruit de plus de 30 à 40 dB pour être entendu et reconnu par la personne malentendante (Hétu, 1994b); pour un auditeur normal, cette émergence est de l’ordre de 12 à 15 dB. Dans l’état actuel des pratiques, les avertisseurs sonores ne sont pas systématiquement ajustés aux contraintes imposées par l’ambiance sonore, par l’état de l’audition des travailleurs et, le cas échéant, par l’usage de protecteurs individuels contre le bruit. Cette situation représente un désavantage majeur pour les personnes malentendantes, notamment en ce qui concerne leur sécurité.

Etant donné les contraintes, la réadaptation passe par une analyse rigoureuse de la compatibilité entre les exigences en termes de perception auditive et les capacités auditives résiduelles des personnes malentendantes. A cette fin, un examen clinique a été établi pour caractériser la capacité de détection de signaux sonores en présence d’un bruit de fond, et un logiciel, dénommé Détectson (marque de commerce) (Tran Quoc, Hétu et Laroche, 1992), a été mis au point afin de déterminer les caractéristiques des signaux sonores compatibles avec les capacités individuelles de détection auditive. Le logiciel simule la détection auditive normale ou déficiente et tient compte des caractéristiques du bruit au poste de travail et de l’effet des protecteurs d’ouïe contre le bruit. Il va de soi que toute intervention en vue de diminuer le niveau de bruit facilitera la perception des avertisseurs sonores. Il n’en demeurera pas moins nécessaire d’ajuster les signaux en fonction des capacités auditives résiduelles des travailleurs malentendants.

Dans certains cas de perte auditive relativement sévère, il faudra recourir à d’autres formes d’avertissement ou encore à un moyen de suppléance auditive. A cette fin, il est possible de transmettre les signaux avertisseurs au moyen d’un émetteur FM et de les capter au moyen d’un récepteur portatif branché directement sur la prothèse auditive. Ce dispositif s’avère hautement efficace si les deux conditions ci-après sont remplies: 1) l’embout de la prothèse doit être parfaitement étanche afin d’atténuer le bruit ambiant; 2) la courbe de réponse de la prothèse doit être ajustée aux conditions de réception définies à la fois par l’effet de masque du bruit ambiant atténué par l’embout de la prothèse et la capacité auditive de la personne (Hétu, Tran Quoc et Tougas, 1993). La prothèse peut être ajustée de façon à intégrer les effets du spectre du bruit de fond, l’atténuation produite par l’embout de la prothèse, et les seuils d’audition du travailleur. De plus, un ajustement optimal sera obtenu si la sélectivité fréquentielle de la personne est mesurée. La prothèse auditive, couplée à un récepteur FM, peut également faciliter la communication verbale avec des collègues de travail lorsque celle-ci est essentielle à la sécurité des salariés.

Dans certains cas, c’est la conception du poste de travail lui-même qu’il faudra revoir afin d’optimiser les conditions de sécurité du travailleur.

Les difficultés d’écoute et de communication

Les avertisseurs sonores sont généralement utilisés pour informer les travailleurs de l’état du procédé de production et pour communiquer entre opérateurs. Les personnes malentendantes doivent, dans ces conditions, recourir à d’autres sources d’information pour effectuer leur travail, par exemple à une surveillance visuelle fortement accrue ou à l’aide discrète d’un collègue de travail. Les situations de communication verbale sont également fort problématiques pour les personnes malentendantes en milieu industriel: que ce soit au téléphone, dans des réunions ou encore avec des supérieurs hiérarchiques dans les ateliers bruyants, la communication verbale demande des efforts très importants aux personnes souffrant d’un déficit auditif. Puisqu’elles éprouvent le besoin de dissimuler leurs difficultés d’audition, elles sont angoissées à l’idée de ne pas être à la hauteur de la situation, ou encore de commettre des erreurs coûteuses; c’est là bien souvent une source d’anxiété extrêmement importante (Hétu et Getty, 1993).

Cela étant, la réadaptation exige tout d’abord, de la part de l’entreprise et de ses représentants, la reconnaissance explicite du fait que des employés éprouvent des difficultés d’audition dues à l’exposition au bruit. Légitimer ces difficultés permet aux personnes atteintes d’en faire état et de recourir aux moyens palliatifs appropriés qui doivent être mis à leur disposition. A cet égard, il est étonnant de constater que les récepteurs téléphoniques des ateliers sont rarement munis d’un amplificateur adapté aux personnes malentendantes. De même, les salles de réunion ne sont pas munies de systèmes d’écoute (émetteurs et récepteurs FM ou à infrarouge, par exemple). Enfin, une campagne de sensibilisation aux besoins des personnes malentendantes constitue un moyen de réadaptation privilégié: en faisant connaître les stratégies qui facilitent la communication auprès des personnes malentendantes, le stress lié à la communication diminuera fortement. Ces stratégies peuvent se résumer ainsi:

Il va de soi que toute amélioration de l’ambiance sonore des lieux de travail par la maîtrise du bruit et de la réverbération facilitera d’autant la communication avec les employés malentendants.

Les obstacles à l’appartenance sociale

Le bruit et la réverbération sonore en milieu de travail rendent la communication verbale si difficile qu’elle est souvent limitée aux stricts besoins imposés par la tâche à effectuer. La communication informelle, composante très importante de la qualité de vie au travail, est alors fortement entravée (Hétu, 1994a). Pour les personnes malentendantes, la situation est extrêmement difficile. En fait, les travailleurs atteints de surdité professionnelle sont isolés de leurs collègues, non seulement lorsqu’ils sont à leur poste, mais aussi pendant les pauses et les repas. Il y a là une conjugaison entre les exigences excessives relatives aux capacités auditives et la peur du ridicule éprouvée par les personnes malentendantes.

Les solutions à cette situation de handicap passent, d’une part, par la mise en œuvre des mesures décrites plus haut, comme la diminution des niveaux de bruit ambiant, en particulier dans les salles de repos et, d’autre part, par la sensibilisation des collègues de travail aux besoins des personnes atteintes. Là encore, une reconnaissance de leurs besoins spécifiques par l’employeur agira comme un soutien psychosocial pouvant limiter l’influence du stigmate associé aux difficultés d’audition.

Les obstacles à l’avancement professionnel

Une des raisons pour lesquelles les personnes affectées de perte d’audition d’origine professionnelle s’efforcent de cacher leurs difficultés tient explicitement à la peur de se voir limitées dans leur avancement professionnel (Hétu et Getty, 1993). Certaines craignent même pour leur emploi si elles révèlent leur déficit auditif. La conséquence immédiate de cette situation est l’autorestriction dans l’avancement professionnel, c’est-à-dire le renoncement à poser sa candidature à une promotion à des postes de chef d’équipe ou de contremaître. Cela vaut également pour la mobilité professionnelle en dehors de l’entreprise, les travailleurs expérimentés s’abstenant de tirer parti de leurs qualifications, considérant que des examens audiométriques de préembauche leur bloqueraient l’accès à de meilleurs emplois. Les désavantages en termes d’avancement professionnel ne se limitent vraisemblablement pas à des phénomènes d’autorestriction. Des travailleurs atteints de surdité professionnelle ont effectivement rapporté avoir été désavantagés par leur employeur lors de l’attribution de postes exigeant fréquemment la communication verbale.

Comme c’est le cas pour les situations de handicap décrites plus haut, une reconnaissance explicite des besoins spécifiques des travailleurs malentendants par les employeurs contribuerait fortement à lever les obstacles qu’ils rencontrent dans leur avancement professionnel. Du point de vue des droits de la personne (Hétu et Getty, 1993), ces travailleurs méritent d’être considérés au même titre que les autres en matière d’avancement, et des aménagements de poste appropriés peuvent leur faciliter l’accès à des postes supérieurs.

En somme, la prévention des situations de handicap en milieu de travail pour les personnes atteintes de surdité professionnelle passe nécessairement par une sensibilisation de la direction de l’entreprise et des collègues de travail aux besoins spécifiques de ces personnes. On peut y parvenir en lançant des campagnes d’information sur la nature des manifestations et des conséquences de la perte d’audition due au bruit, de manière à ce qu’elle ne soit plus considérée comme une anomalie improbable et sans importance. Le recours aux aides technologiques n’est possible qu’à condition que le besoin de les utiliser soit rendu légitime sur les lieux de travail, tant auprès des collègues et des supérieurs qu’auprès des personnes malentendantes elles-mêmes.

Les activités sociales

Les personnes atteintes de surdité professionnelle éprouvent des difficultés de communication dans toute situation d’écoute non idéale: en présence d’un bruit de fond, à distance, dans un milieu réverbérant, au téléphone, etc. En pratique, cela signifie que leur vie sociale est fortement restreinte en termes d’accès aux activités culturelles et aux services publics, contrariant ainsi leur intégration sociale (Hétu et Getty, 1991b).

L’accès aux activités culturelles et aux services publics

Conformément au schéma présenté à la figure 17.3, les situations de handicap liées aux activités culturelles mettent en jeu quatre facteurs (composantes 2, 3, 5 et 6), et leur élimination fait appel à de multiples interventions. Ainsi, les salles de concert, de théâtre, de conférences ou de culte peuvent redevenir accessibles aux gens atteints de déficience auditive en les équipant de systèmes d’écoute adaptés, tels que les systèmes de transmission à infrarouge ou FM (composante 3) et en informant les responsables de ces lieux des besoins des personnes malentendantes (composante 6). Cependant, ces dernières ne feront la demande d’un dispositif d’écoute qu’à la condition d’être informées de leur disponibilité, d’avoir appris à l’utiliser avec profit (composante 2) et d’avoir reçu le soutien psychosocial nécessaire pour reconnaître et communiquer leur besoin d’un tel dispositif (composante 5).

Des modalités efficaces d’information, de formation et de soutien psychosocial des travailleurs malentendants ont été mises au point dans le cadre d’un programme expérimental de réadaptation (Getty et Hétu, 1991, Hétu et Getty, 1991a), dont les principes seront exposés plus en détail à la rubrique ci-dessous intitulée «Le milieu familial».

En ce qui concerne l’accessibilité des services publics tels que les banques, les commerces, les services gouvernementaux et les services de santé, le problème réside principalement dans le manque de sensibilisation du personnel. Par exemple, dans une banque, un écran vitré peut séparer le client du préposé, celui-ci effectuant des tâches d’entrée de données ou d’écriture sur des formulaires pendant qu’il parle au client. L’absence de contact visuel face à face entre les interlocuteurs, aggravée par des conditions acoustiques défavorables, rendent la situation extrêmement difficile pour les personnes souffrant d’une perte auditive, alors que des erreurs de compréhension peuvent avoir des conséquences très fâcheuses. Dans des services médicaux, les clients en attente dans une salle plus ou moins bruyante sont invités à la consultation par un préposé qui les appelle à distance ou par un système électro-acoustique plus ou moins adapté. Les personnes malentendantes éprouvent une forte inquiétude de ne pouvoir réagir au bon moment, tout en se gardant d’informer le personnel de leur difficulté d’audition. On pourrait multiplier ainsi les exemples.

Dans la majorité des cas, il est possible de prévenir les situations d’incapacité en informant le personnel des manifestations et des conséquences de la surdité partielle, ainsi que des moyens pour faciliter la communication avec ces personnes. Des initiatives ont été prises dans ce sens afin de sensibiliser un ensemble de services publics aux besoins des personnes atteintes de surdité professionnelle (Hétu, Getty et Bédard, 1994). En utilisant un matériel graphique et audiovisuel approprié, il a été possible d’offrir, en moins de trente minutes, les informations nécessaires, et les effets de cette initiative se faisaient encore sentir six mois après la séance d’information. La communication étant nettement facilitée par les stratégies apprises par le personnel des services visités, des bénéfices très nets ont été constatés non seulement par les clients malentendants, mais aussi par le personnel lui-même qui voit sa tâche facilitée et évite d’être mal à l’aise vis-à-vis de ce type de clients.

L’insertion dans la société

Le refus des rencontres de groupe est l’une des conséquences les plus sévères de la surdité professionnelle (Hétu et Getty, 1991b). La communication en groupe représente une situation extrêmement contraignante pour une personne malentendante. Dans ce cas précis, la contrainte des adaptations pèse sur la personne malentendante puisqu’elle peut rarement exiger de tout un groupe d’adopter un rythme de conversation et un mode d’expression qui lui soit favorable. La personne malentendante dispose de trois types de stratégies dans ce type de situation:

La lecture d’expression (ou lecture labiale) peut certes contribuer à faciliter la compréhension des conversations, mais elle exige un effort d’attention et de concentration qui ne peut être soutenu longtemps. Ce moyen peut avantageusement être conjugué à des demandes de répétitions, de reformulation, de synthèse de la part de la personne malentendante. Cependant, les conversations en groupe suivent un rythme tel qu’il est souvent difficile d’obtenir une aide de façon systématique. Enfin, la prothèse auditive peut contribuer à améliorer la capacité de comprendre la conversation mais, dans l’état actuel des techniques d’amplification, elle ne restaure pas la sélectivité fréquentielle déficiente. En d’autres termes, le signal et le bruit ambiant sont amplifiés. Le résultat est souvent défavorable à la personne atteinte d’une perte importante de sélectivité fréquentielle.

Le port d’une prothèse auditive aussi bien que le recours à des demandes d’aménagements de la part de l’entourage suppose que la personne malentendante se sente capable de révéler sa déficience. Comme nous le verrons plus loin, l’intervention visant à restaurer une image de soi positive en tant que personne malentendante constitue donc un préalable au recours aux moyens de suppléance auditive.

Le milieu familial

Le milieu familial est le lieu privilégié d’expression des difficultés d’audition résultant de la surdité professionnelle (Hétu, Jones et Getty, 1993). L’image négative de soi étant au cœur de l’expérience de la perte d’audition, la personne malentendante cherche à dissimuler son déficit auditif dans ses relations sociales en compensant par des efforts d’écoute ou en évitant les situations trop exigeantes. De tels efforts et l’anxiété qui les accompagne créent un besoin de relâchement dans l’intimité de la vie familiale où le besoin de dissimuler le déficit est moins fortement ressenti. En conséquence, la personne malentendante a tendance à imposer ses problèmes à son milieu familial et, partant, à l’obliger à s’adapter à ses difficultés d’audition. C’est une source de tension pour le conjoint et les autres membres de la famille pour lesquels il est agaçant de devoir se répéter souvent, de tolérer l’écoute de la télévision à volume élevé et de répondre toujours au téléphone. Le partenaire doit également s’accommoder de sérieuses restrictions de la vie sociale du couple, ainsi que de changements importants dans la vie familiale: le déficit auditif est un frein à la bonne entente et à l’intimité, crée des tensions, des malentendus et des disputes, et perturbe les relations avec les enfants.

Outre l’effet de ces difficultés d’audition et de communication sur les relations intimes, leurs perceptions par la personne malentendante et ses proches (composantes 5 et 6 de la figure 17.3) contribuent à alimenter les frustrations, la colère et la rancœur (Hétu, Jones et Getty, 1993). Souvent, les personnes malentendantes ne reconnaissent pas leur déficience et n’attribuent pas leurs difficultés de communication à un problème d’audition; elles imposent leurs difficultés à leur famille plutôt que de négocier des adaptations satisfaisantes pour tous. Quant au partenaire, il tend à interpréter ces difficultés comme un refus de communiquer et un changement de caractère de la personne atteinte. Les reproches et les blâmes mutuels qui en résultent conduisant à l’isolement, à la solitude et à la tristesse, en particulier chez le partenaire entendant.

La solution à cet imbroglio relationnel exige la participation des deux partenaires. En effet, autant la personne malentendante que son partenaire ont besoin:

C’est dans cette perspective qu’un programme de réadaptation a été mis au point à l’intention des personnes atteintes de surdité professionnelle et de leur partenaire (Getty et Hétu, 1991; Hétu et Getty, 1991a). Il se proposait de rechercher des solutions aux problèmes causés par la perte d’audition, en tenant compte des attitudes de passivité et de retrait social qui caractérisent la surdité professionnelle.

Le stigmate associé à la surdité étant le principal responsable de ces attitudes, il était indispensable de créer les conditions susceptibles de restaurer l’estime de soi de manière à entreprendre une recherche active de solutions aux difficultés d’audition. Les effets de la stigmatisation ne peuvent être surmontés que lorsqu’on se perçoit comme une personne normale aux yeux des autres malgré la déficience auditive. Le moyen le plus efficace pour y parvenir consiste à rencontrer d’autres personnes se trouvant dans la même situation, comme l’ont proposé les travailleurs interrogés sur l’aide à offrir aux collègues malentendants; mais, pour éviter une stigmatisation accrue, de telles rencontres doivent nécessairement avoir lieu en dehors des lieux de travail (Hétu, Getty et Waridel, 1994).

Ce programme de réadaptation a été élaboré dans cet esprit, et des rencontres de groupe ont eu lieu dans les centres de santé des collectivités locales (Getty et Hétu, 1991). Le recrutement des participants fait partie intégrante du programme, étant donné les attitudes de retrait et de passivité des personnes visées. A cet effet, des infirmières ou infirmiers du travail ont d’abord rencontré, à leur domicile, 48 travailleurs atteints de surdité avec leurs partenaires. Au terme d’un entretien sur les difficultés d’audition et leurs conséquences, chaque couple a été invité à une série de quatre rencontres hebdomadaires d’une durée de deux heures chacune et prévues en soirée. Ces rencontres se sont déroulées selon une séquence précise d’activités visant à atteindre les objectifs d’information, de soutien et de formation définis dans le programme. Un suivi individuel a été ensuite assuré aux participants afin de leur faciliter l’accès aux services audiologiques et audioprothétiques. Les personnes souffrant d’acouphènes gênants ont été référées aux services appropriés. Une nouvelle rencontre de groupe a eu lieu trois mois après la fin des rencontres hebdomadaires.

Les résultats du programme, recueillis au terme de sa phase expérimentale auprès des travailleurs et de leurs partenaires, ont montré que ceux-ci étaient plus conscients de leurs difficultés d’audition et en même temps plus confiants dans leur capacité de les surmonter. Les travailleurs étaient passés par diverses phases, dont le recours à des aides techniques, la divulgation de leur déficience à leur entourage, ainsi que l’expression de leurs besoins dans une tentative d’améliorer la communication.

Par ailleurs, l’étude de suivi réalisée auprès de ces mêmes personnes cinq années après leur participation au programme a démontré que celui-ci avait réussi à stimuler les participants et à leur faire rechercher des solutions d’une part, et, d’autre part, que la réadaptation constitue un processus complexe exigeant plusieurs années de cheminement avant que les personnes malentendantes soient en mesure de recourir à tous les moyens disponibles pour retrouver une pleine participation sociale. Dans la plupart des cas, un programme de réhabilitation de ce type demande un suivi périodique.

Conclusion

Comme le montre la figure 17.3, le sens attribué aux manifestations et aux conséquences de la surdité professionnelle par la personne malentendante, d’une part, et par son entourage, d’autre part, constitue un facteur clé d’une situation de handicap. Les approches de réadaptation proposées ici prennent en compte ce facteur de façon explicite. Cependant, leurs modalités concrètes d’application peuvent varier en fonction du contexte socioculturel, étant donné que celui-ci influence plus ou moins fortement la perception de tels phénomènes. A l’intérieur même du contexte socioculturel dans lequel les approches d’intervention décrites plus haut ont été élaborées, des adaptations significatives pourront s’avérer nécessaires selon le groupe social visé. Par exemple, le programme destiné aux personnes atteintes de surdité professionnelle et de leur partenaire (Getty et Hétu, 1991) a été expérimenté sur une population d’hommes malentendants. Des modalités différentes d’application seraient probablement nécessaires pour des femmes malentendantes, notamment à cause des rôles sociaux différents joués par les femmes et les hommes dans les relations conjugales et parentales (Hétu, Jones et Getty, 1993). A fortiori, il faudrait procéder à des adaptations dans des milieux culturels qui différeraient plus ou moins fortement du contexte nord-américain qui a entouré l’émergence de ces approches. Il n’en reste pas moins que le cadre conceptuel que nous avons proposé (voir figure 17.3) pourra orienter efficacement toute intervention en vue de la réadaptation des personnes atteintes de surdité professionnelle.

De plus, on peut prévoir que ce type d’intervention, s’il est poursuivi sur une grande échelle, aura un effet important sur la prévention de la perte d’audition elle-même. Les aspects psychosociaux de la surdité professionnelle font obstacle non seulement à la réadaptation (voir figure 17.2), mais aussi à la prévention. La perception erronée des difficultés d’audition en retarde la prise de conscience; de plus, sa dissimulation par les gens qui en sont sévèrement atteints fait que le problème est perçu comme sporadique et relativement bénin, même dans des ateliers bruyants. De ce fait, la perte auditive due au bruit n’est pas perçue par les travailleurs exposés au risque et par leurs employeurs comme un problème de santé important, et la nécessité de la prévention n’est pas fortement ressentie dans les milieux de travail bruyants. D’un autre côté, les personnes déjà atteintes de surdité qui parlent de leurs difficultés sont des exemples frappants de la gravité du problème. La réadaptation constituerait ainsi la première étape d’un programme de prévention.

LES DROITS ET LES DEVOIRS: LE POINT DE VUE DE L’EMPLOYEUR

Susan Scott-Parker

L’approche traditionnelle visant à aider les personnes handicapées à entrer dans la vie active n’a pas donné de très bons résultats, ce qui appelle bien évidemment des changements de fond. Ainsi, le taux de chômage officiel des personnes handicapées est généralement au moins le double de celui des personnes valides. Le nombre de chômeurs handicapés est souvent voisin de 70% (au Canada, aux Etats-Unis et au Royaume-Uni). Les personnes handicapées sont plus exposées au risque de pauvreté que les personnes valides: au Royaume-Uni, deux tiers des 6,2 millions de personnes handicapées ont pour seul revenu les prestations sociales.

Ces problèmes sont aggravés par le fait que les services de réadaptation sont souvent incapables de répondre à la demande de candidats qualifiés émanant des employeurs.

Dans un grand nombre de pays, le handicap n’est pas perçu en termes d’égalité de chances ou de droits. Il est donc difficile d’encourager une politique d’entreprise exemplaire plaçant le handicap sur le même plan que la race et le sexe pour l’égalité de chances ou le droit à la différence. La prolifération des politiques de quotas ou l’absence complète de législation appropriée renforce l’opinion des employeurs selon laquelle le handicap relève avant tout du domaine de la médecine ou de la charité.

La pression croissante exercée par les personnes handicapées elles-mêmes pour obtenir une législation fondée sur les droits civils ou les droits du travail, comme cela existe en Australie, aux Etats-Unis, et, depuis 1996, au Royaume-Uni, permet de mesurer les frustrations engendrées par les carences du système actuel. C’est l’incapacité du système de réadaptation de répondre aux besoins et aux espoirs des employeurs éclairés qui a amené la communauté des entreprises du Royaume-Uni à créer le Forum des employeurs sur le handicap.

L’attitude des employeurs reflète malheureusement celle du reste de la société, bien que cet aspect soit souvent négligé par les professionnels de la réadaptation. Comme beaucoup d’autres gens, les employeurs sont souvent désemparés face aux problèmes suivants.

Cette incapacité de répondre aux besoins d’information et de services des employeurs constitue un obstacle considérable pour les personnes handicapées qui veulent travailler et, pourtant, ceux qui décident des politiques gouvernementales ou les professionnels de la réadaptation ne s’en préoccupent que rarement.

Des mythes profondément enracinés désavantagent les personnes handicapées sur le marché du travail

Les organisations non gouvernementales (ONG), les pouvoirs publics, tous ceux en fait qui sont concernés par la réadaptation professionnelle et médicale des personnes porteuses de handicap, ont tendance à partager un ensemble d’idées préconçues et de non-dits profondément enracinés, qui ne font que désavantager un peu plus les personnes handicapées que ces organisations cherchent à aider.

Ces idées préconçues ont les conséquences ci-après:

Nous commençons à voir se dessiner une tendance internationale, caractérisée par la mise en place de services de «tutorat»: elle reconnaît que le succès de la réadaptation des personnes handicapées dépend de la qualité des services et du soutien proposés à l’employeur.

Comme les politiques d’austérité et de restructuration menées par les gouvernements exercent des pressions économiques sur les organismes de réadaptation, l’opinion tend à se ranger à l’idée que «de meilleurs services aux employeurs équivalent à de meilleurs services aux personnes handicapées». Il est néanmoins très révélateur qu’un rapport de Helios (1994), qui fait le point sur les compétences demandées par les spécialistes de la formation professionnelle ou de la réadaptation, ne fasse pas la moindre mention des besoins en matière de qualifications en se plaçant du point de vue de l’employeur en tant que client.

Bien que l’on assiste à une prise de conscience croissante de la nécessité de travailler en collaboration avec les employeurs, l’expérience montre qu’il sera difficile de mettre en place un partenariat durable tant que les professionnels de la réadaptation ne répondront pas d’abord aux besoins de l’employeur en tant que client et qu’ils ne commenceront pas à valoriser cette relation.

Les rôles des employeurs

Selon le moment et la situation, le système et les services attribuent à l’employeur l’un ou l’autre des rôles suivants, sans toujours le déclarer clairement. L’employeur peut donc être:

A tout moment de la relation, l’employeur peut être appelé et, en fait, il l’est presque toujours, à être un financier ou un philanthrope.

Or, une démarche vraiment efficace consiste à voir dans l’employeur «le client». Les systèmes qui ne considèrent l’employeur que comme «le problème» ou «l’objectif» fonctionnent mal en permanence.

Les facteurs échappant au contrôle de l’employeur

On est tellement persuadé que c’est à cause des attitudes négatives des employeurs que les personnes handicapées connaissent des taux de chômage élevés que l’on oublie de s’attaquer aux autres problèmes importants qui doivent être réglés avant de pouvoir opérer un changement en profondeur. En voici des exemples:

Un système législatif qui crée des conditions conflictuelles peut compromettre les perspectives d’emploi des personnes handicapées parce que l’arrivée d’une personne handicapée dans l’entreprise expose l’employeur à des risques.

Les praticiens de la réadaptation ont souvent de la peine à trouver une formation spécialisée et à la faire reconnaître par un diplôme et, la plupart du temps, ils manquent de moyens pour fournir aux employeurs les services et les produits appropriés.

Les conséquences politiques

Les prestataires de services doivent absolument comprendre qu’avant que l’employeur puisse modifier son organisation et sa culture, il faut que le professionnel de la réadaptation opère les mêmes changements. Les prestataires de services qui s’adressent aux employeurs en tant que clients doivent se rendre compte qu’une écoute attentive de ceux-ci va automatiquement entraîner le besoin de modifier la conception et la prestation de leurs services.

Par exemple, ces prestataires se verront demander d’aider l’employeur à:

Les tentatives de réformes de la politique sociale en matière de handicap ont souffert de la méconnaissance des besoins, des espoirs et des exigences légitimes de ceux dont dépend dans une large mesure leur succès, à savoir, les employeurs. Ainsi, on voudrait voir les personnes actuellement en atelier protégé trouver un emploi sur le marché ordinaire, mais on oublie souvent que seuls les employeurs sont en mesure de proposer ces emplois. Le succès est donc limité: les employeurs se heurtent sans raison à des difficultés pour offrir des emplois, et l’on néglige la valeur ajoutée qu’apporterait une collaboration active entre employeurs et décideurs.

Faire participer les employeurs

De nombreux moyens peuvent encourager les employeurs à faire glisser de façon systématique l’emploi protégé vers l’emploi assisté, voire compétitif. Les employeurs peuvent notamment:

L’employeur, un usager

Les professionnels de la réadaptation ne peuvent pas mettre en place un partenariat avec les employeurs sans prendre conscience de la nécessité de fournir des services efficaces.

Les services doivent s’appuyer sur le thème des avantages mutuels. Ceux qui ne sont pas convaincus que leurs clients handicapés ont véritablement quelque chose à apporter aux employeurs ne seront probablement pas capables de les influencer.

En améliorant la qualité des services proposés aux employeurs, on améliorera rapidement et automatiquement ceux qui sont destinés aux personnes handicapées en quête d’emploi. La liste des points suivants peut être un inventaire utile pour les responsables de la réadaptation désireux d’améliorer la qualité du service à l’employeur.

Les services de réadaptation offrent-ils aux employeurs:

  1. des informations et des conseils en matière de:
  2. des services de recrutement, dont une liste:
  3. une présélection des candidats en fonction des demandes de l’employeur;
  4. des services compétents d’analyse et de modification des tâches capables de donner des conseils sur la restructuration d’un poste et l’utilisation de moyens auxiliaires techniques, ainsi que sur les aménagements du lieu de travail, aussi bien pour les salariés en place que pour les recrues potentielles;
  5. des programmes d’aide financière bien ciblés, adaptés aux besoins de l’employeur, faciles à demander et à obtenir;
  6. des informations et une aide pratique afin que les employeurs puissent rendre le lieu de travail plus accessible;
  7. une formation pour les employeurs et les salariés montrant les avantages à tirer de l’emploi de personnes handicapées, en général et après leur recrutement;
  8. des services intégrés étude-travail qui apportent à l’employeur le soutien approprié;
  9. des services d’adaptation au travail ou d’orientation du salarié comprenant des tutorats et des programmes de partage du travail;
  10. après l’embauche, un soutien aux employeurs pour les conseiller sur la manière de gérer au mieux l’absentéisme et les informer sur les différents types de déficiences professionnelles;
  11. des conseils aux employeurs sur les possibilités de carrière des salariés handicapés et sur la réponse à donner aux besoins des travailleurs handicapés sous-employés.

Les aspects pratiques: faciliter la tâche de l’employeur

Un système de services visant à aider les personnes à recevoir une formation et à trouver un emploi, quel qu’il soit, aura d’autant plus de succès qu’il saura répondre aux besoins et aux attentes de l’employeur. (Note: il est difficile de trouver un terme comprenant tous les organismes et organisations — gouvernementales, ONG, à but non lucratif — qui interviennent dans l’élaboration des politiques et la prestation de services aux personnes handicapées à la recherche d’un emploi. Par souci de concision, nous utilisons le terme service, ou prestataire de services, pour désigner tous les intervenants dans ce système complexe.)

Une consultation étroite et durable avec les employeurs aboutirait probablement à des recommandations semblables à celles qui suivent.

Il faut établir des recueils de directives pratiques pour décrire le service de qualité que les organismes responsables de l’emploi devraient offrir aux employeurs. Ces recueils devraient, en consultation avec les employeurs, fixer des normes sur la qualité des services existants et sur la nature de ceux qui sont proposés. Ils devraient être révisés périodiquement à la suite d’enquêtes menées sur le degré de satisfaction de l’employeur.

La première chose à faire est d’informer les praticiens de la réadaptation des moyens de répondre aux besoins des employeurs.

Les services de réadaptation devraient recruter des personnes qui ont une expérience directe du monde de l’industrie et du commerce et qui sont à même de faire communiquer le secteur lucratif et le secteur à but non lucratif. Ils devraient employer un nombre nettement plus important de personnes handicapées, en réduisant ainsi le nombre d’intermédiaires valides en contact avec les employeurs, et veiller à mettre en valeur, à différents titres, les personnes handicapées dans la communauté des employeurs.

Les services devraient s’efforcer de décloisonner les activités d’éducation, de marketing et de promotion. C’est aller à l’encontre du but recherché que de créer un milieu caractérisé par des messages, des affiches et de la publicité qui renforcent l’image médicale du handicap et la stigmatisation de certaines déficiences, au lieu de mettre en lumière l’aptitude à l’emploi de ces personnes et la nécessité, pour les employeurs, d’y répondre par une politique et des pratiques appropriées.

Une bonne collaboration entre les services permettrait de simplifier l’accès aux aides et aux services à la fois pour l’employeur et pour la personne handicapée. Il faudrait analyser avec attention l’itinéraire du client (l’employeur et la personne handicapée sont tous deux des clients), de manière à réduire les procédures d’évaluation et à faire franchir rapidement les étapes aboutissant à l’emploi. Les services devraient s’associer aux initiatives générales pour l’emploi et s’assurer que les personnes handicapées soient prioritaires.

Des réunions périodiques avec les employeurs seraient l’occasion de leur demander leur avis d’experts sur les mesures à prendre pour assurer le succès des services et des candidats à l’emploi.

Conclusion

Dans un grand nombre de pays, les services conçus pour aider les personnes handicapées à entrer dans la vie active sont complexes, lourds et englués dans la routine, alors qu’il est de plus en plus évident, au fil des années, que des changements s’imposent.

Une attitude nouvelle envers les employeurs offre de grandes chances de transformer les choses de fond en comble en modifiant radicalement la position d’un protagoniste clé, l’employeur.

On voit que les milieux d’affaires et le gouvernement sont engagés dans un vaste débat sur l’évolution inévitable, au cours des vingt prochaines années, des relations entre les acteurs économiques ou les partenaires sociaux. Ainsi, les employeurs ont lancé l’Initiative des entreprises européennes contre l’exclusion sociale en Europe. Au Royaume-Uni, les grandes entreprises se sont rencontrées pour repenser leurs relations avec la société dans l’Entreprise de demain, et le Forum des employeurs sur le handicap n’est plus qu’une initiative parmi d’autres qui s’occupe des questions d’égalité et de diversité.

Les employeurs ont beaucoup à faire pour que la question du handicap prenne la place qui lui revient en tant qu’impératif économique et éthique; tous ceux qui s’occupent de réadaptation doivent pour leur part adopter une nouvelle approche qui redéfinisse les relations de travail entre tous les intéressés afin de faciliter aux employeurs la tâche de faire de l’égalité de chances une réalité.

Exemples de bonnes pratiques

Emploi SABRE (SABRE Employment), Royaume-Uni

But de la mission

Communiquer des objectifs généraux ou commerciaux concernant la prestation de services de qualité aux demandeurs et reflétant clairement aussi la volonté de fournir aux employeurs un service de recrutement efficace capable de les aider à occuper des personnes handicapées. Les efforts doivent porter sur le but fondamental, la satisfaction du client. «Toutes les activités de Sabre sont entreprises avec nos clients. Nos objectifs sont de trouver des solutions de recrutement au moyen d’une bonne adéquation de l’offre et de la demande, d’une formation et d’un soutien sérieux, et d’apporter notre expertise dans le recrutement et l’emploi de personnes porteuses de handicap.»

Une foire aux emplois s’est tenue récemment pour donner aux intéressés la possibilité de rencontrer les employeurs et de s’informer sur les différents métiers. La société des Restaurants McDonald a mis sur pied un atelier sur les techniques d’entretien d’embauche et parrainé la foire aux côtés de Shell et de Pizza Hut. Des stands permettaient aux personnes à la recherche d’un emploi ayant des difficultés d’apprentissage de rencontrer librement des employeurs.

Les bourses Coverdale, Royaume-Uni

Depuis cinq ans, Coverdale, petit cabinet de conseil en gestion (70 personnes) offre des bourses d’études de £10,000 à des personnes handicapées à la recherche d’une formation de qualité en management. Les boursiers suivent ensuite une formation complémentaire dans de grandes sociétés, comme la Barclays Bank, la Poste et la Midland Bank; cette formation s’inscrit dans une perspective à long terme visant à faire évoluer les attitudes dans les sociétés participantes. Ce programme est en cours d’expansion. Il a été repris et adapté par le Conseil canadien de la réadaptation et du travail (Canadian Council for Rehabilitation and Work).

Brook Street et FYD, Royaume-Uni

Un cabinet de recrutement, Brook Street, et une association caritative, les Amis des jeunes sourds (Friends for the Young Deaf (FYD)), travaillent en partenariat depuis plusieurs années. Brook Street propose un programme intégré étude-travail et une évaluation aux jeunes diplômés sourds qui suivent le programme du FYD de formation à la direction; Brook Street place ensuite les postulants, en leur demandant les mêmes honoraires qu’à n’importe quel autre candidat.

Forum des employeurs sur le handicap (Employers’ Forum on Disability), Royaume-Uni

Les entreprises membres de ce forum, association financée par les employeurs en faveur de l’intégration des personnes handicapées sur le marché du travail qui offre des services de conseil aux entreprises intéressées, ont aidé une personne handicapée, Stephen Duckworth, à créer sa société, Disability Matters; celui-ci propose à présent aux entreprises du pays un service hautement qualifié de conseils et de sensibilisation sur les handicaps. Il traite des aspects suivants:

  • comprendre et définir l’enjeu économique que représente l’emploi de personnes handicapées;
  • donner l’avis d’un employeur faisant autorité en matière de handicap;
  • orienter les services d’emploi et de formation vers le marché;
  • mettre au point de nouveaux moyens d’attirer des candidats handicapés qualifiés et de maintenir des salariés handicapés en emploi.
  • Pour influencer les employeurs et les amener à se mobiliser, il faut constituer un réseau de manière à:
  • promouvoir l’emploi des handicapés dans les entreprises en amenant celles-ci à communiquer entre elles;
  • favoriser les contacts personnels entre employeurs et personnes handicapées;
  • confier le problème à l’employeur et faire prendre conscience aux spécialistes de la réadaptation qu’ils doivent le considérer comme un intervenant, un client et un partenaire potentiel;
  • situer le handicap dans le cadre du débat plus large sur la régénération économique et sociale, le chômage de longue durée, la pauvreté et les politiques micro- et macroéconomiques.

Autres exemples: le Forum employeur sur les handicaps (The Employer Forum on Disabilities), Royaume-Uni

De grandes entreprises britanniques ont défini un projet-cadre d’envergure dénommé Programme des employeurs sur le handicap, un plan en dix points (Employers Agenda on Disability, a Ten Point Plan). Lancé par le Premier ministre, ce projet bénéfice de l’appui officiel de plus de 100 grandes entreprises. Il a démontré sa capacité à apporter le changement parce que ce sont les em-ployeurs eux-mêmes qui l’ont élaboré, en consultation avec des experts en matière de handicap. C’est à présent un outil précieux qui aide les employeurs à respecter la législation interdisant la discrimination.

Ces entreprises se sont engagées publiquement à structurer leur politique en matière de handicap en fonction de dix points portant sur les questions suivantes: déclaration de politiques et de procédures en matière d’égalité des chances; formation du personnel et sensibilisation au handicap; milieu de travail; recrutement; carrière; maintien en emploi, reconversion et reclassement; formation et expérience professionnelle; personnes handicapées dans la société; participation des personnes handicapées; suivi des résultats.

Le Forum a publié Action File on Disability, un dossier qui contient des informations pratiques sur la façon de mettre en œuvre le programme.

Recrutement de diplômés

Plus de vingt entreprises sont regroupées au sein d’un consortium associé à «Workable», qui offre de manière planifiée et structurée des programmes intégrés étude-travail aux étudiants handicapés.

Vingt-cinq entreprises se sont associées pour financer une initiative qui organise chaque année des foires aux emplois destinées et accessibles aux étudiants handicapés. On peut à présent s’y rendre en fauteuil roulant et ces foires disposent d’interprètes pour les personnes malentendantes, ainsi que de brochures en gros caractères et d’autres moyens auxiliaires. Les employeurs ont rencontré de telles difficultés pour inciter les diplômés handicapés à postuler à un emploi par les intermédiaires traditionnels qu’ils sont en train d’explorer des méthodes de recrutement spécialement destinées aux étudiants handicapés.

HIRED (Etats-Unis)

Le projet HIRED à San Francisco incarne cette nouvelle orientation des employeurs. Le sigle HIRED signifie aider l’industrie à recruter des salariés porteurs de handicap (Helping Industry Recruit Employees with Disabilities). Ses publications illustrent les services qu’ils proposent aux employeurs:

«Le projet HIRED est un organisme privé, à but non lucratif, qui dessert la région de la baie de San Francisco. Notre objectif est d’aider les personnes porteuses de handicap à trouver un emploi correspondant à leurs qualifications et à leurs objectifs de carrière. Au nombre de nos services aux employeurs, citons:

  • l’orientation gratuite de candidats présélectionnés, qualifiés et dont le profil correspond aux offres d’emploi de l’entreprise;
  • des services de travail temporaire de qualité à des taux compétitifs;
  • des séminaires personnalisés sur place sur les aspects techniques, juridiques et relationnels du handicap en milieu de travail;
  • des conseils sur toutes les questions relatives au handicap en milieu de travail.

Outre des partenariats d’entreprise moins formels, le projet HIRED comprend un programme d’entreprises affiliées qui regroupe environ cinquante entreprises de la région de San Francisco. En tant qu’adhérents, ces entreprises ont droit à des conseils gratuits et à des réductions sur les séminaires. Nous sommes en train d’envisager de nouveaux services, dont une vidéothèque, afin de mieux aider nos adhérents à intégrer avec succès des personnes handicapées dans leurs effectifs.»

ASPHI, Italie

L’origine de l’Association pour le développement de projets informatiques pour les handicapés (Associazione per lo Sviluppo di Progetti Informatici per gli Handicappati - ASPHI) remonte à la fin des années soixante-dix, lorsque IBM Italie organisait des cours de programmation informatique pour les malvoyants. Un certain nombre d’entreprises ayant par la suite recruté les stagiaires ont créé l’ASPHI, avec d’autres associations à but non lucratif, pour les personnes handicapées physiques, les malentendants et les handicapés mentaux. L’ASPHI regroupe plus de quarante entreprises qui apportent à ses diplômés un soutien financier, du personnel et des aides bénévoles, des conseils, ainsi que des possibilités d’emploi. L’objectif est d’exploiter les technologies de l’information en vue de l’intégration sociale et professionnelle des groupes désavantagés. Ses activités portent sur les domaines suivants: formation professionnelle, recherche et mise au point de nouveaux produits (pour la plupart des logiciels) qui facilitent d’autres méthodes de communication, l’autonomie personnelle et la réadaptation, et l’enseignement public, qui font tomber les préjugés et la discrimination à l’égard des personnes handicapées. Chaque année, environ 60 jeunes se qualifient. Avec près de 85% de ses diplômés qui trouvent un emploi permanent, le succès de l’ASPHI lui a attiré la reconnaissance nationale et internationale.

Initiative de la Confédération patronale suédoise (SAF)

L’initiative de la Confédération patronale suédoise, dénommée «Les personnes porteuses de handicap dans les entreprises», situe clairement la question du handicap dans le débat national sur l’emploi et insiste sur l’importance qu’elle revêt pour la Confédération patronale suédoise et ses membres. Elle affirme: «Le chemin des personnes porteuses de handicap vers l’emploi doit être facilité. A cette fin, il faut:

  • informer clairement les employeurs de leur responsabilité et des coûts;
  • verser une compensation financière pour les coûts supplémentaires engagés, le cas échéant, par les employeurs qui recrutent des personnes porteuses de handicap;
  • faire mieux connaître les handicaps et les capacités des personnes porteuses de handicap pour faire évoluer les attitudes et les valeurs;
  • améliorer la coopération entre les entreprises, les autorités et les personnes afin de créer un marché du travail dynamique et flexible.»

LES DROITS ET LES DEVOIRS: LE POINT DE VUE DES TRAVAILLEURS

Angela Traiforos et Debra A. Perry

Historiquement, les personnes porteuses de handicap ont toujours rencontré d’énormes obstacles pour entrer dans la vie active, et les victimes d’un accident du travail étaient exposées à la perte de leur emploi, avec ses conséquences négatives d’ordre psychologique, social et financier. Aujourd’hui, elles sont encore sous-représentées dans la population active, même dans les pays possédant la législation sur les droits civils et la promotion de l’emploi la plus progressiste et malgré les efforts internationaux entrepris pour chercher à améliorer leur situation.

Une certaine prise de conscience a fait évoluer les droits et les besoins des travailleurs porteurs de handicap et le concept de la gestion du handicap sur le lieu de travail. Les régimes de réparation des lésions professionnelles et d’assurance sociale qui protègent les revenus des travailleurs sont courants dans les pays industriels. L’augmentation des coûts de fonctionnement de ces programmes a été une incitation économique pour promouvoir l’emploi des personnes handicapées et la réinsertion des victimes d’un accident du travail. En même temps, les personnes porteuses de handicap se sont organisées pour faire valoir leurs droits et réclamer leur intégration dans tous les aspects de la vie en société, y compris dans la population active.

Dans de nombreux pays, les syndicats ont été au nombre de ceux qui ont soutenu ces efforts. Des entreprises éclairées reconnaissent la nécessité de traiter les travailleurs porteurs de handicap de manière équitable et apprennent l’importance de la santé au travail. Le concept de la gestion du handicap, c’est-à-dire le traitement des questions de handicap sur le lieu de travail a fait son apparition, grâce en partie au mouvement syndical qui continue à jouer un rôle actif dans ce domaine.

Selon la recommandation (no 168) sur la réadaptation professionnelle et l’emploi des personnes handicapées, adoptée en 1983 par la Conférence internationale du Travail, «les organisations [...] de travailleurs devraient adopter une politique favorisant la formation et l’occupation dans des emplois convenables des personnes handicapées, sur un pied d’égalité avec les autres travailleurs». Cette recommandation propose en outre que les organisations de travailleurs prennent part à la formulation des politiques nationales, coopèrent avec les spécialistes et les services de réadaptation, et encouragent l’intégration et la réadaptation professionnelle des travailleurs handicapés.

L’objet du présent article est d’étudier la question du handicap au travail sous l’angle des droits et des devoirs des travailleurs et de décrire le rôle que les syndicats peuvent jouer afin de faciliter l’intégration professionnelle des personnes handicapées.

Dans un milieu de travail sain, l’employeur et le travailleur se soucient de la qualité du travail, de la sécurité et de la santé, ainsi que du traitement équitable de tous les travailleurs. Ceux-ci sont engagés en fonction de leurs capacités. Les travailleurs et les employeurs contribuent à maintenir la sécurité et la santé et, en cas d’accident ou d’incapacité, ils ont le droit et le devoir de réduire au minimum l’effet de l’incapacité sur la personne et le lieu de travail. Bien qu’ils puissent avoir des points de vue différents, le travail en partenariat leur permet d’atteindre les objectifs liés au maintien de la sécurité, de la santé et de l’équité dans l’entreprise.

Le terme droits est souvent associé aux droits établis par la législation. Un grand nombre d’Etats européens, le Japon et d’autres pays encore ont mis en place des systèmes de quotas imposant l’emploi d’un certain pourcentage de personnes porteuses de handicap. Les employeurs qui ne respectent pas les quotas prévus sont passibles d’amendes. Aux Etats-Unis, la loi sur les Américains porteurs de handicap interdit la discrimination à l’égard de ces personnes au travail et dans la société. Dans la plupart des pays, des lois sur la sécurité et la santé protègent les travailleurs contre des pratiques et des conditions de travail dangereuses. Les régimes de réparation des lésions professionnelles et d’assurance sociale ont été instaurés par la loi afin de mettre à la disposition des travailleurs des services médicaux, sociaux et, le cas échéant, de réadaptation professionnelle. Des droits spécifiques peuvent aussi être reconnus aux travailleurs par les conventions collectives et être donc d’application générale.

Les droits (et devoirs) d’un travailleur en matière d’incapacité et de travail dépendent de la complexité de ces dispositions légales, qui varient d’un pays à l’autre. Aux fins de notre propos, les droits des travailleurs désignent simplement les droits légaux ou moraux considérés comme étant dans l’intérêt du travailleur et concernant l’activité productive dans un milieu de travail sûr et sans discrimination. Par devoirs, nous entendons les obligations que les travailleurs ont envers eux-mêmes, leurs collègues et leurs employeurs afin de contribuer de manière effective à la productivité et à la sécurité du lieu de travail.

Les droits et les devoirs des travailleurs s’articulent autour de quatre points essentiels en matière d’incapacité: 1) le recrutement et l’embauche; 2) la sécurité, la santé et la prévention de l’incapacité; 3) les mesures prévues lorsqu’un travailleur est frappé d’incapacité et, notamment, la réadaptation et la reprise du travail après l’accident; 4) l’insertion totale du travailleur sur son lieu de travail et dans la communauté. Les activités des syndicats en la matière consistent à organiser et à défendre les droits des travailleurs frappés d’incapacité en invoquant la législation nationale et en utilisant d’autres moyens; à garantir et à protéger leurs droits en les intégrant aux conventions collectives; à sensibiliser leurs membres et les employeurs aux problèmes de l’incapacité et du handicap et à les informer des droits et des responsabilités en la matière; à collaborer avec la direction pour promouvoir les droits et les devoirs en matière de gestion du handicap; à fournir des services aux travailleurs handicapés afin de les aider à s’intégrer ou à mieux s’intégrer dans la population active; et, si tout cela a échoué, à s’engager à régler les conflits, ou à se battre pour faire modifier la loi en faveur de la protection de leurs droits.

Point 1: le recrutement, l’embauche et l’emploi

Même si leurs obligations peuvent ne concerner que leurs adhérents, les syndicats ont traditionnellement contribué à l’amélioration des conditions de travail de tous, y compris des travailleurs porteurs de handicap. Cette tradition est aussi ancienne que le mouvement syndical. Des pratiques justes et équitables en matière de recrutement, d’embauche et d’emploi prennent cependant une importance particulière lorsque le travailleur est handicapé. Du fait de stéréotypes négatifs et d’obstacles matériels, de communication ou autres relatifs au handicap, les demandeurs d’emploi et les travailleurs handicapés se voient souvent privés de leurs droits ou se heurtent à des pratiques discriminatoires.

Les listes des droits fondamentaux ci-après (voir figures 17.4 à 17.7), bien que formulées simplement, ont de profondes répercussions sur l’égalité d’accès des travailleurs handicapés aux possibilités d’emploi. Ceux-ci ont aussi le devoir, comme tous les autres travailleurs, de se présenter aux employeurs de manière franche et directe, y compris pour ce qui est de leurs intérêts, de leurs compétences, de leurs qualifications et des conditions de travail.

Figure 17.4 Droits et devoirs: pratiques en matière de recrutement, d'embauche et d'emploi

Figure 17.4

Au cours de l’embauche, les candidats devraient être jugés sur la base de leurs compétences et de leurs qualifications (voir figure 17.4). Ils doivent avoir une idée exacte du poste pour être à même de juger de son intérêt et de leur capacité d’effectuer leur tâche. De plus, une fois embauchés, tous les travailleurs devraient être jugés et évalués selon leur performance, sans préjugé fondé sur des facteurs n’ayant aucun rapport avec le travail. Ils devraient également bénéficier de l’égalité d’accès aux prestations et aux possibilités d’avancement. Si nécessaire, des aménagements raisonnables devraient être apportés de manière à permettre à une personne porteuse de handicap d’effectuer les tâches requises: il peut s’agir tout simplement de surélever un poste de travail, de mettre une chaise à disposition ou d’ajouter une pédale.

Aux Etats-Unis, la loi sur les Américains porteurs de handicap n’interdit pas seulement la discrimination fondée sur le handicap à l’encontre des travailleurs qualifiés (par travailleur qualifié, on entend une personne qui a les qualifications et l’aptitude requises pour s’acquitter des fonctions essentielles du poste), mais elle impose également aux employeurs de procéder à des aménagements raisonnables — à savoir fournir une pièce, modifier les fonctions accessoires ou procéder à d’autres aménagements sans que cela entraîne pour eux de contraintes excessives, de façon que la personne handicapée puisse s’acquitter des fonctions essentielles du poste. Cette approche a pour but de protéger les droits des travailleurs et de leur enlever toute crainte de présenter une demande en ce sens. Selon l’expérience américaine, la plupart des aménagements sont d’un coût relativement modeste (moins de 50 dollars).

Droits et devoirs vont de pair. Les travailleurs sont tenus de signaler à leur employeur toute situation susceptible d’affecter leur capacité d’effectuer le travail, ou de porter atteinte à leur sécurité ou à celle des autres. Ils ont le devoir de se présenter et d’exposer leurs aptitudes avec franchise et devraient demander un aménagement raisonnable s’ils en ont besoin et accepter la solution la mieux adaptée à la situation, la plus rentable et la moins gênante pour l’entreprise.

La convention (no 159) et la recommandation (no 68) sur la réadaptation professionnelle et l’emploi des personnes handicapées, 1983, traitent de ces droits et devoirs et des mesures à prendre par les organisations de travailleurs. La convention no 159 prévoit «des mesures positives spéciales visant à garantir l’égalité effective de chances et de traitement entre les travailleurs handicapés et les autres travailleurs», qui «ne devront pas être considérées comme étant discriminatoires à l’égard de ces derniers». La recommandation no 168 préconise la mise en œuvre de mesures appropriées pour promouvoir des possibilités d’emploi, comme par exemple des incitations financières aux employeurs pour les encourager à apporter des aménagements raisonnables; elle encourage les syndicats à promouvoir ce type de mesures et à donner des avis sur ces aménagements.

Ce que les syndicats peuvent faire

Les dirigeants syndicaux sont bien implantés dans les communautés où ils exercent leurs activités et peuvent constituer des alliés précieux pour promouvoir le recrutement, l’embauche et le maintien en emploi de personnes porteuses de handicap. Une des premières choses à faire est d’élaborer une déclaration de principe sur les droits de ces personnes en matière d’emploi. La formation des adhérents et un plan d’action pour soutenir cette politique devraient suivre. Les syndicats peuvent élargir leur défense des droits des travailleurs porteurs de handicap en favorisant, en surveillant et en soutenant des initiatives législatives dans ce domaine. Dans l’entreprise, ils devraient encourager la direction à élaborer des politiques et des actions qui suppriment les obstacles à l’emploi des travailleurs handicapés. Ils peuvent participer à l’élaboration des aménagements de poste et, par les conventions collectives, protéger et étendre les droits des travailleurs handicapés dans toutes les pratiques d’emploi.

Les syndicats peuvent lancer des programmes ou coopérer avec les employeurs, les ministères, les organisations non gouvernementales et les sociétés afin de mettre sur pied des programmes destinés à faire progresser le recrutement et l’embauche de personnes handicapées, ainsi que les pratiques loyales à leur égard. Les représentants syndicaux peuvent siéger dans des comités et proposer leur savoir-faire aux services sociaux qui travaillent avec les personnes porteuses de handicap. Les syndicats peuvent sensibiliser leurs adhérents et, lorsqu’ils sont employeurs, montrer l’exemple en appliquant des pratiques justes et équitables en matière d’embauche.

Des exemples d’actions syndicales

Au Royaume-Uni, le Congrès des syndicats (Trades Union Congress (TUC)) a joué un rôle actif dans la promotion de l’égalité des droits à l’emploi des personnes porteuses de handicap, que ce soit par ses prises de position ou par la défense vigoureuse de ces droits. Il considère l’emploi des personnes handicapées comme une question d’égalité de chances, et il rapproche les expériences de ces personnes de celles des autres groupes victimes de discrimination ou d’exclusion. Le TUC soutient la législation actuelle en matière de quotas et préconise l’imposition de taxes (amendes) aux employeurs qui ne la respectent pas.

Le TUC a publié plusieurs recueils de directives sur la question afin de soutenir ses activités et de former ses membres, dont: TUC Guidance: Trade Unions and Disabled Members, Employment of Disabled People, Disability Leave et Deaf People and their Right. Trade Unions and Disabled Members comprend des directives sur les points fondamentaux sur lesquels les syndicats devraient insister lorsqu’ils négocient pour leurs adhérents handicapés. Le Congrès irlandais des syndicats (Irish Congress of Trade Unions) a publié un recueil qui vise le même but, Disability and Discrimination in the Workplace: Guidelines for Negotiators. On y trouve des conseils pratiques pour aborder le problème de la discrimination au travail et promouvoir l’égalité dans la négociation des conventions collectives.

La Confédération allemande des syndicats (Deutscher Gewerkschaftsbund (DGB)) a aussi publié un document important qui expose sa politique sur l’insertion par l’emploi, prend position contre la discrimination et affirme son engagement à user de son influence pour faire prévaloir ses idées. La DGB encourage la formation professionnelle et l’accès à l’apprentissage des personnes handicapées, s’attaque à la double discrimination que rencontrent les femmes handicapées et soutient les activités syndicales en faveur de l’accès aux transports publics et de la pleine intégration dans la société.

Aux Etats-Unis, la Guilde des acteurs de cinéma (Screen Actors Guild) compte environ 500 membres porteurs de handicap. Ses conventions collectives contiennent une déclaration sur la non-discrimination à l’embauche. En coopération avec la Fédération américaine des artistes de télévision et de radio (American Federation of Television and Radio Artists), la Guilde a rencontré des groupes de défense nationaux en vue de mettre au point des stratégies visant à améliorer la représentation des personnes porteuses de handicap dans les différentes branches de l’industrie. Le Syndicat international des travailleurs unis de l’automobile, de l’aéronautique et de l’astronautique et des instruments aratoires d’Amérique (International Union of United Automobile, Aerospace and Agricultural Implement Workers of America (UAW)) mentionne également dans ses conventions collectives l’interdiction de la discrimination fondée sur le handicap. Ce syndicat se bat aussi pour obtenir des aménagements raisonnables pour ses membres et organise régulièrement des cours de formation sur les questions du handicap et de l’emploi. Le Syndicat unifié des travailleurs de la sidérurgie d’Amérique (United Steel Workers of America (USWA)) a inclus depuis des années des clauses de non-discrimination dans ses conventions collectives et il règle les plaintes pour discrimination fondée sur le handicap par une procédure de recours ou d’autres voies.

Aux Etats-Unis, le vote et l’application de la loi sur les Américains porteurs de handicap ont été, et sont toujours, défendus par les syndicats. Même avant le vote de la loi, bon nombre de syndicats affiliés à la Fédération américaine du travail-Congrès des organisations industrielles (American Federation of Labor-Congress of Industrial Organisations (AFL-CIO)) s’occupaient déjà de former leurs adhérents aux droits et à la sensibilisation au handicap (AFL-CIO, 1994). Les représentants de l’AFL-CIO et d’autres syndicats surveillent attentivement l’application de la loi, y compris les procédures de règlement des conflits, pour soutenir les droits légaux des travailleurs handicapés et veiller à ce que leurs intérêts et les droits de tous les travailleurs soient dûment pris en compte.

L’adoption de la loi a incité les syndicats à faire paraître un grand nombre de publications et de vidéos et à organiser des programmes et des ateliers de formation à l’intention de leurs membres. Le département des droits civils de l’AFL-CIO a publié des brochures et mis sur pied des ateliers pour ses syndicats affiliés. Avec l’appui du gouvernement fédéral, le Centre d’administration des services de réadaptation et d’éducation de l’Association internationale des machinistes et des travailleurs de l’aéroastronautique (International Association of Machinists and Aerospace Workers Center for Administering Rehabilitation and Education Services (IAM CARES)), a produit deux vidéos et dix fascicules destinés aux employeurs, aux personnes porteuses de handicap et aux permanents syndicaux pour les informer de leurs droits et de leurs responsabilités aux termes de la loi. La Fédération américaine des salariés des Etats, des comtés et des municipalités (American Federation of State, County and Municipal Employees (AFSCME)) s’intéresse depuis longtemps à la protection des droits des travailleurs porteurs de handicap. Avec le vote de la loi, elle a mis à jour ses publications, révisé ses actions et formé des milliers de membres, ainsi que son propre personnel au sujet de la loi et des travailleurs handicapés.

Bien que le Japon dispose déjà d’un système de quotas et de taxes, un syndicat japonais a constaté que les personnes porteuses de handicap mental sont celles qui risquent le plus d’être sous-représentées dans la population active, en particulier dans les grandes entreprises et il a décidé d’agir. Le conseil du Syndicat japonais des travailleurs de l’électricité, de l’électronique et de l’information pour la région Kanagawa travaille avec la ville de Yokohama pour créer un centre d’aide à l’emploi. Ce centre sera responsable de la formation de personnes porteuses d’un handicap mental et un de ses services sera chargé de faciliter leur placement et celui d’autres personnes handicapées. Le syndicat prévoit en outre de créer un centre de formation qui sensibilisera aux problèmes de handicap et donnera des cours de langue des signes aux membres du syndicat, aux directeurs des ressources humaines, aux agents de maîtrise, etc. Il tirera profit des bonnes relations entre les travailleurs et les employeurs et engagera des hommes d’affaires pour la gestion et les activités du centre. Lancé initialement par un syndicat, ce projet promet d’être un modèle de collaboration entre les entreprises, les travailleurs et le gouvernement.

Aux Etats-Unis et au Canada, les syndicats ont travaillé en collaboration et de manière créative avec le gouvernement et les employeurs pour faciliter l’emploi des personnes porteuses de handicap par un programme dénommé Projets avec l’industrie (Projects with Industry (PWI)). En réunissant les ressources syndicales et les subventions gouvernementales, l’IAM CARES et l’Institut de mise en valeur des ressources humaines (Human Resources Development Institute (HRDI)) de l’AFL-CIO ont offert des programmes de formation et de placement aux personnes porteuses de handicap, qu’elles soient syndiquées ou non. En 1968, le HRDI a commencé à servir d’outil de formation et de placement pour l’AFL-CIO en apportant son assistance à divers groupes ethniques, aux femmes et aux personnes handicapées. En 1972, il a lancé un programme plus particulièrement destiné aux personnes porteuses de handicap, afin de les placer auprès d’employeurs ayant signé des conventions collectives avec des syndicats nationaux et internationaux. En 1995, il avait réussi à trouver un emploi à plus de 5 000 personnes porteuses de handicap. Depuis 1981, le programme IAM CARES, qui couvre les marchés du travail du Canada et des Etats-Unis, a permis à plus de 14 000 personnes, pour la plupart de grands handicapés, de trouver un emploi. Ces deux programmes proposent une évaluation professionnelle, des conseils et une aide au placement par un jeu de relations avec les entreprises et avec l’appui du gouvernement et des syndicats.

Outre la prestation directe de services aux travailleurs porteurs de handicap, ces programmes PWI participent à des activités de sensibilisation du public aux problèmes de ces personnes, de promotion de la coopération entre partenaires sociaux pour favoriser l’emploi et le maintien en emploi, et fournir des services de formation et de conseils aux syndicats et aux employeurs locaux.

Ce ne sont là que quelques exemples des actions menées dans le monde par les syndicats en vue de faciliter l’égalité de chances et de traitement des travailleurs porteurs de handicap face à l’emploi. Ces actions s’intègrent parfaitement dans leur objectif général qui est d’encourager la solidarité des travailleurs et de mettre fin à toutes les formes de discrimination.

Point 2: la prévention de l’incapacité, la sécurité et la santé

Si l’obtention de conditions de travail sûres est inscrite en bonne place dans les programmes d’action des syndicats d’un grand nombre de pays, le maintien de la sécurité et de la santé au travail incombe traditionnellement à l’employeur. En général, c’est la direction qui détermine les tâches à exécuter, choisit les outils et prend les décisions relatives aux procédés de fabrication et au milieu de travail dont dépendent la sécurité et la prévention. Il n’en reste pas moins que seule une personne effectuant régulièrement les tâches selon les procédures établies, dans des conditions de travail spécifiques, est à même d’en apprécier les répercussions véritables sur la sécurité et la productivité.

Heureusement, les employeurs éclairés reconnaissent l’importance des informations que les travailleurs leur fournissent en retour et ils y font de plus en plus souvent appel, car la structure organisationnelle de l’entreprise évolue vers une plus grande autonomie du personnel. Les recherches sur la sécurité et la prévention montrent également que le travailleur doit participer à la définition des tâches, à l’élaboration des politiques et à la mise en œuvre des programmes de santé, de sécurité et de prévention de l’incapacité.

La forte augmentation des coûts de la réparation des accidents du travail et des incapacités a amené les employeurs à considérer la prévention comme un élément essentiel de la gestion de l’incapacité. Les programmes de prévention doivent faire porter tous leurs efforts sur l’ensemble des facteurs de stress et, notamment, ceux d’ordre psychologique, sensoriel, chimique ou physique, ainsi que sur les traumatismes, les accidents et l’exposition à des risques évidents. L’incapacité peut être provoquée par une exposition faible, mais répétée, à des contraintes, plutôt que par un incident unique. Par exemple, certains agents peuvent provoquer ou déclencher des crises d’asthme; des bruits répétés ou intenses peuvent conduire à la surdité; la pression exercée aux fins de produire toujours plus, en jouant sur le salaire aux pièces, peut provoquer des symptômes de stress psychologique; les mouvements répétitifs peuvent entraîner des troubles cumulatifs dus au stress (par exemple, le syndrome du canal carpien). L’exposition à ces facteurs peut renforcer des déficiences déjà existantes et les rendre plus invalidantes.

Du point de vue du travailleur, les avantages de la prévention ne peuvent jamais être masqués par la réparation. La figure 17.5 énumère quelques-uns des droits et des devoirs des travailleurs en matière de prévention de l’incapacité au travail.

Figure 17.5 Droits et devoirs: sécurité et santé

Figure 17.5

Les travailleurs ont droit au milieu de travail le plus sûr possible et à une information complète sur les risques et les conditions de travail. Cette information est particulièrement importante pour les travailleurs porteurs de handicap qui peuvent avoir besoin de connaître certaines conditions pour savoir s’ils sont capables d’effectuer le travail sans mettre en danger leur sécurité et leur santé ou celles des autres.

Un grand nombre d’emplois comportent des risques ou des dangers qu’il n’est pas possible d’écarter totalement. Par exemple, les métiers de la construction ou les métiers qui comportent une exposition à des substances toxiques présentent des risques spécifiques évidents. D’autres, comme la saisie de données ou le fonctionnement d’une machine à coudre, semblent relativement sans danger; toutefois, les mouvements répétitifs ou une mauvaise posture peuvent entraîner une incapacité. Ces risques peuvent aussi être réduits.

Tous les travailleurs devraient recevoir l’équipement de protection nécessaire et des informations sur les pratiques et procédures réduisant le risque d’accident ou de maladie dus à une exposition à des conditions de travail dangereuses, à des mouvements répétitifs ou à d’autres facteurs de stress. Les travailleurs doivent se sentir libres de signaler des dangers éventuels, se plaindre des pratiques de sécurité, ou d’émettre des suggestions en vue d’améliorer leurs conditions de travail, sans craindre de perdre leur emploi. Les travailleurs devraient être encouragés à signaler une maladie ou une incapacité, en particulier si celles-ci sont provoquées ou peuvent être amplifiées par la tâche ou le milieu de travail.

En ce qui concerne leurs devoirs, les travailleurs sont responsables de l’application de mesures de sécurité visant à réduire les risques pour eux-mêmes et les autres. Ils doivent signaler des conditions de travail dangereuses, défendre les questions de sécurité et de santé et se montrer responsables en ce qui concerne leur santé. Par exemple, si une incapacité ou une maladie expose un travailleur ou les autres à un risque, le travailleur doit s’en écarter.

L’ergonomie impose désormais des méthodes qui permettent de réduire effectivement des incapacités résultant de l’organisation du travail et de la façon d’effectuer les tâches. L’ergonomie étudie les conditions de travail et les relations entre l’homme et la machine: elle se propose d’adapter le poste ou la tâche du travailleur, et non l’inverse (AFL-CIO, 1992). Ses applications ont été utilisées avec succès pour prévenir l’incapacité dans des domaines aussi divers que l’agriculture et l’informatique. Citons, à titre d’exemple, les postes de travail adaptables à la taille d’une personne ou à d’autres caractéristiques physiques (par exemple, chaises de bureau ajustables), les outils équipés de poignées adaptables aux différents types de main, ou la simple modification des pratiques de travail, afin de réduire les mouvements répétitifs ou le stress sur certaines parties du corps.

Les syndicats et les employeurs reconnaissent de plus en plus que les programmes de sécurité et de santé doivent s’appliquer au-delà du lieu de travail. Même si l’incapacité ou la maladie ne sont pas d’origine professionnelle, l’absentéisme, l’assurance maladie et, peut-être, le réemploi et la reconversion, sont des coûts qui pèsent sur l’employeur. De plus, certaines maladies, dont l’alcoolisme, la toxicomanie et les problèmes psychologiques, peuvent entraîner une baisse de la productivité ou une plus grande vulnérabilité aux accidents du travail et au stress. Pour toutes ces raisons et d’autres encore, un grand nombre d’employeurs éclairés se sont engagés dans des programmes d’éducation à la sécurité, à la santé et à la prévention de l’incapacité à l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise. Des programmes de mise en forme portant sur la diminution du stress, une bonne alimentation, l’abstinence tabagique et la prévention du sida sont organisés dans l’entreprise par les syndicats, la direction et, parfois, avec la participation du gouvernement.

Certains employeurs mettent en place des programmes d’assistance (conseils et orientation) sur ces questions de santé. Tous ces programmes de prévention et de santé sont dans l’intérêt bien compris des travailleurs et des employeurs. Par exemple, les chiffres montrent en général des taux de retour sur investissement de 3:1 à 15:1 pour certains programmes de promotion de la santé et d’assistance aux salariés.

Que peuvent faire les syndicats?

Du fait de la place qu’ils occupent, les syndicats sont en mesure de faire pression en tant que représentants des travailleurs pour faciliter la mise en place de programmes de sécurité, de santé, de prévention de l’incapacité ou d’ergonomie dans l’entreprise. La plupart des experts en prévention et en ergonomie s’accordent à dire que la participation des travailleurs aux mesures de prévention est essentielle à leur mise en œuvre effective (LaBar, 1995; Westlander et coll., 1995; AFL-CIO, 1992). Les syndicats peuvent jouer un rôle clé en créant des comités paritaires de sécurité et de santé et des comités d’ergonomie. Ils peuvent faire pression afin de promouvoir la législation sur la sécurité au travail et mettre en place avec l’employeur des comités de sécurité, qui peuvent réussir à réduire le nombre des accidents du travail (Fletcher et coll., 1992).

Les syndicats doivent informer leurs membres de leurs droits, de la réglementation et des bonnes pratiques en matière de sécurité au travail et de prévention de l’incapacité à l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise. Ces programmes peuvent être inscrits dans la convention collective ou confiés aux comités de sécurité et de santé.

Les syndicats peuvent en outre négocier des mesures de prévention de l’incapacité et des conditions spéciales en faveur des personnes porteuses de handicap dans des déclarations de portée générale et dans des conventions collectives, voire en d’autres circonstances. Lorsqu’un travailleur est frappé d’incapacité, notamment à la suite d’un accident du travail, le syndicat devrait défendre son droit à obtenir des aménagements, des outils adaptés ou un changement de poste, afin d’éviter que ce travailleur soit exposé à une source de stress ou à des conditions dangereuses susceptibles d’aggraver son état. Par exemple, les travailleurs atteints de surdité professionnelle ne doivent plus être exposés de manière continue à certains types de bruits.

Des exemples d’action des syndicats

La déclaration de portée générale de la Confédération allemande des syndicats (DGB) sur les salariés frappés d’incapacité vise précisément la nécessité d’éviter de les exposer à des risques pour leur santé et de prendre des mesures de prévention de tout nouvel accident.

Dans une convention collective conclue entre la société Boeing Aircraft et l’Association internationale des machinistes et des travailleurs de l’aéroastronautique (International Association of Machinists and Aerospace Workers (IAMAW)), l’Institut de sécurité et de santé de Boeing (IAM/Boeing Health and Safety Institute) autorise le financement, met au point des programmes pilotes, émet des recommandations visant à améliorer la sécurité et la santé des travailleurs et organise la réadaptation professionnelle des travailleurs victimes d’un accident du travail. Cet institut, créé en 1989, est financé à raison de 4 cents par heure par un fonds spécial de prévention. Il est dirigé par un conseil d’administration composé à 50% d’employeurs et à 50% de délégués syndicaux.

La Fondation canadienne pour les travailleurs forestiers frappés d’incapacité (Disabled Forestry Workers Foundation of Canada) est un autre exemple de projet paritaire. Elle est née de l’association d’un groupe de 26 employeurs, syndicats et autres organisations qui ont collaboré à la réalisation d’une vidéo (Every Twelve Seconds) visant à attirer l’attention sur le taux élevé d’accidents (toutes les douze secondes) chez les travailleurs forestiers de ce pays. A présent, la fondation s’intéresse à la sécurité, à la santé, à la prévention des accidents et à des modèles d’ateliers pour la réintégration des travailleurs victimes d’un accident.

IAM CARES a entrepris de former ses membres aux questions de sécurité, en particulier dans les emplois très exposés et dangereux de l’industrie chimique, de la construction et de la sidérurgie. Il se charge de la formation des délégués syndicaux et des travailleurs à la chaîne et il encourage la création par le syndicat de comités de sécurité et d’hygiène indépendants de la direction.

Avec une subvention du ministère du Travail des Etats-Unis, le Centre George Meany de l’AFL-CIO, met au point du matériel éducatif sur l’abus de drogues pour aider les membres du syndicat et leur famille à aborder les problèmes d’alcoolisme et de toxicomanie.

L’Association du personnel navigant (Association of Flight Attendants (AFA)) a fait un travail remarquable dans le domaine du sida et de sa prévention. Des bénévoles ont mis sur pied l’Association de sensibilisation à la phase critique et terminale du sida (AIDS, Critical and Terminal Illness Awareness Project), qui fournit à ses membres des informations sur le sida et d’autres maladies pouvant entraîner la mort. Trente-trois de ses délégués ont informé 10 000 membres sur le sida. L’Association a créé une fondation pour administrer les fonds destinés aux membres atteints d’une maladie mortelle.

Point 3: en cas d’incapacité — le soutien, la réadaptation et la réparation

Dans de nombreux pays, les syndicats se sont battus pour la réparation des accidents du travail, les prestations d’invalidité, etc. Comme l’un des objectifs des programmes de gestion de l’incapacité est de réduire les coûts afférents à ces prestations, on pourrait croire que les syndicats ne sont pas favorables à ces programmes. En fait, ce n’est pas le cas. Les syndicats soutiennent les droits relatifs à la protection de l’emploi, à l’intervention précoce en matière de prestation de services de réadaptation et d’une saine gestion de l’incapacité. Les programmes qui s’attachent à réduire la détresse des travailleurs, qui se préoccupent des problèmes liés à la perte d’emploi et, notamment, à ses conséquences financières, et qui essaient d’éviter les incapacités de courte ou de longue durée sont bien reçus: ils devraient en effet permettre au travailleur de reprendre si possible son activité et de mettre à sa disposition des aménagements si le besoin s’en fait sentir. Lorsque ce n’est pas possible, des solutions de rechange, comme un changement de poste ou une reconversion, devraient être proposées. En dernier ressort, il faudrait garantir une réparation de longue durée et des indemnités pour perte de salaire.

Heureusement, les données dont on dispose suggèrent qu’il est possible de structurer les programmes de gestion de l’incapacité de façon à répondre aux besoins et à respecter les droits des travailleurs, tout en présentant un bon rapport coûts-efficacité pour les employeurs. Comme le coût de la réparation des accidents du travail dans les pays industriels s’est envolé, des modèles intégrant les services de réadaptation ont été élaborés et sont en cours d’évaluation. Les syndicats ont un rôle de premier plan à jouer dans l’élaboration de ces programmes. Ils doivent promouvoir et protéger les droits énumérés à la figure 17.6 et informer les travailleurs de leurs devoirs.

Figure 17.6 Droits et devoirs: l'aide, la réadaptation et la réparation

Figure 17.6

La plupart des droits des travailleurs cités font partie des services courants de reprise d’activité destinés aux victimes d’un accident du travail, conformément aux techniques de réadaptation les plus modernes (Perlman et Hanson, 1993). Les travailleurs ont droit à une intervention médicale rapide et à l’assurance que leur salaire et leur emploi seront préservés. Il semble que la rapidité de la prise en compte et la précocité de l’intervention diminuent la durée de l’arrêt de travail. Le refus d’accorder des prestations peut détourner les efforts de la réadaptation et de la réinsertion professionnelles et renforcer la contestation et l’animosité à l’égard de l’employeur et du système. Les travailleurs doivent comprendre ce qui va se passer s’ils sont victimes d’un accident du travail ou d’incapacité, avoir une bonne connaissance de la politique de l’entreprise et de leurs droits à la protection de la loi. Malheureusement, la fragmentation de certains systèmes liés à la prévention, à la réparation et à la réadaptation des travailleurs ouvre la porte aux abus et est source de confusion pour les personnes qui en dépendent à un moment où elles sont vulnérables.

La plupart des responsables syndicaux reconnaissent que les travailleurs frappés d’incapacité ne gagnent guère à perdre leur emploi et leur aptitude au travail. La réadaptation est la réponse souhaitée aux accidents et à l’incapacité et devrait comprendre l’intervention précoce, une évaluation complète et une planification personnalisée avec la participation du travailleur et une liberté de choix. Les plans de retour à l’emploi peuvent consister en une reprise progressive de l’activité, avec des aménagements, des horaires réduits ou un changement de poste jusqu’à ce que le travailleur soit prêt à exercer pleinement son activité.

De tels aménagements risquent cependant d’empiéter sur les droits protégés des travailleurs en général, dont ceux qui sont liés à l’ancienneté. Si les syndicalistes soutiennent et protègent les droits des travailleurs frappés d’incapacité qui reprennent leur travail, ils cherchent des solutions qui n’interfèrent pas avec des clauses d’ancienneté négociées ou qui n’entraînent pas une restructuration des postes de nature à amener les autres travailleurs à se charger de nouvelles tâches ou responsabilités qui ne leur incombent pas et pour lesquelles ils ne seront pas indemnisés. La collaboration et la participation des syndicats sont nécessaires pour résoudre ces problèmes, ce qui démontre, une fois de plus, la nécessité du concours syndical à l’élaboration et à la mise en œuvre de la législation, des politiques et des programmes de gestion de l’incapacité et de réadaptation.

Ce que les syndicats peuvent faire

Les syndicats doivent être présents dans les commissions législatives nationales élaborant des projets de lois sur le handicap et l’incapacité et dans les groupes de travail chargés de traiter ces questions. Dans les structures de la société et sur le lieu de travail, les syndicats devraient contribuer à la création de comités paritaires chargés de développer des programmes de gestion de l’incapacité dans l’entreprise et suivre les cas individuels. Les syndicats peuvent contribuer à la reprise du travail en suggérant des aménagements, en faisant appel à l’assistance des collègues et en donnant des garanties au salarié frappé d’incapacité.

Les syndicats peuvent collaborer avec les employeurs à la mise au point de programmes modèles de gestion de l’incapacité visant à assister les travailleurs et respectant les objectifs de maîtrise des coûts. Ils peuvent étudier les besoins des travailleurs, les meilleures pratiques et activités afin de déterminer et de protéger les intérêts de leurs membres. Les droits et responsabilités du travailleur en matière d’éducation, ainsi que les actions nécessaires, sont des éléments essentiels des réponses à donner aux accidents et à l’incapacité.

Des exemples de l’action des syndicats

Certains syndicats ont activement aidé les gouvernements à corriger les carences de leurs systèmes de réparation des accidents du travail. En 1988, préoccupée par les coûts de la réparation des accidents et en réponse aux préoccupations des syndicats à propos de l’absence de programmes de réadaptation effectifs, l’Australie a voté la loi sur la réadaptation et la réparation des lésions professionnelles subies par les salariés du Commonwealth (Commonwealth Employees Rehabilitation and Compensation Act), qui instaure un nouveau système de coordination pour la gestion et la prévention des maladies professionnelles et des accidents du travail des agents fédéraux. Le système révisé repose sur l’idée qu’une réadaptation efficace et la reprise du travail, lorsqu’elles sont possibles, sont la solution la plus profitable pour le travailleur et pour l’employeur. La loi inscrit la prévention, la réadaptation et la réparation dans le système. Les prestations et les emplois sont protégés tant que la personne est en réadaptation. La réparation comprend les indemnités de perte de gain, les soins médicaux et, dans certains cas, le versement de sommes forfaitaires limitées. Les personnes qui ne sont pas en mesure de reprendre leur travail reçoivent des indemnités correctes. Les premiers résultats font apparaître un taux de reprise du travail de 87%. Ce succès est dû notamment à la collaboration de tous les intéressés, y compris les syndicats.

L’Institut de sécurité et de santé IAM/Boeing, déjà mentionné, offre un exemple de programme de reprise du travail animé par les syndicats et la direction d’une entreprise. Ce programme modèle a été l’une des premières initiatives prises par cet institut, qui considérait que les besoins des travailleurs victimes d’un accident du travail étaient négligés du fait de la fragmentation des régimes de prestations administrés par différents organismes et programmes de réadaptation fédéraux, nationaux, locaux et privés. Après avoir analysé les données et conduit des entretiens, le syndicat et la société ont mis au point un programme modèle considéré comme étant dans l’intérêt des deux parties. Ce programme porte sur bon nombre de droits déjà évoqués: intervention précoce; réponse rapide aux demandes de services et de réparation; prise en charge des cas axée sur la reprise du travail après aménagements, si nécessaire; évaluation périodique des résultats du programme et de la satisfaction des travailleurs.

Selon les enquêtes de satisfaction, la direction et les travailleurs victimes d’un accident du travail estiment que le programme paritaire de retour à l’emploi représente une amélioration par rapport aux services existants antérieurement. Le programme a été repris dans quatre autres usines Boeing et sera probablement pratique courante dans toute la société. A ce jour, plus de 100 000 salariés victimes d’accidents du travail ont bénéficié des services de réadaptation au titre de ce programme.

Le programme HRDI de l’AFL-CIO propose aussi des services de réadaptation en vue du retour à l’emploi des salariés victimes d’un accident du travail dans les entreprises dotées d’une représentation syndicale affiliée à cette fédération. En partenariat avec le Centre d’études sur le lieu de travail de l’Université de Columbia (Columbia University’s Workplace Center), un programme modèle intitulé Programme d’intervention précoce (Early Intervention Program) cherche à déterminer si une telle intervention peut accélérer le retour à leur poste des salariés frappés d’une incapacité de travail de courte durée. Grâce à ce programme, 65% des participants ont repris leur activité, et plusieurs facteurs essentiels à la réussite ont été identifiés. Deux constatations revêtent une importance particulière dans la présente discussion: 1) les travailleurs connaissent presque tous des difficultés d’ordre financier; 2) l’adhésion du syndicat au programme a eu pour effet de réduire la suspicion et l’hostilité.

La Fondation canadienne pour les travailleurs forestiers frappés d’incapacité a mis au point un programme modèle de gestion des cas en vue de la réintégration professionnelle (Case Management Model for Workplace Integration). Fort de l’initiative conjointe syndicat-direction, ce programme réadapte et réintègre les travailleurs victimes d’un accident. Sa publication, Industrial Disability Management: An Effective Economic and Human Resource Strategy, accompagne la mise en œuvre du modèle, fondé sur un partenariat entre employeurs, syndicats, gouvernement et consommateurs. De plus, l’Institut national de l’incapacité professionnelle et de la recherche (National Institute of Occupational Disability and Research), nouvellement créé, regroupe les travailleurs, les directions, les éducateurs et les professionnels de la réadaptation. Cet institut met au point des programmes de formation à l’intention des responsables des ressources humaines et des syndicats qui permettront d’étendre encore la mise en œuvre de ce modèle.

Point 4: l’insertion et l’intégration dans la collectivité et dans la vie active

Pour pouvoir réussir pleinement leur intégration sur le lieu de travail, les personnes handicapées doivent tout d’abord bénéficier d’une égalité d’accès à toutes les ressources collectives qui peuvent les préparer et les aider à travailler (accès à l’enseignement et à la formation, aux services sociaux, etc.) et qui leur permettent d’accéder au milieu de travail (accessibilité des logements, des transports, de l’information, etc.). De nombreux syndicats ont pris conscience que les personnes handicapées ne sont pas en mesure de prendre part à la vie active si elles sont exclues d’une pleine participation à la société. De plus, lorsqu’elles ont trouvé un emploi, elles peuvent avoir besoin de services spéciaux et d’aménagements pour être tout à fait intégrées ou pour rester compétitives. L’égalité dans la vie courante précède l’égalité dans l’emploi et, pour bien traiter la question du handicap et de l’emploi, il faut se pencher sur la question plus large des droits humains ou des droits civils.

Les syndicats sont conscients que l’équité dans l’emploi exige quelquefois l’offre de services spéciaux ou d’aménagements pour le maintien en emploi et, par esprit de solidarité, ils peuvent les fournir à leurs membres ou leur en faciliter l’accès. La figure 17.7 dresse la liste des droits et des devoirs qui reconnaissent le besoin d’accéder pleinement à la vie de la collectivité.

Figure 17.7 Droits et devoirs: l'insertion et l'intégration dans la collectivité et sur le lieu de travail

Figure 17.7

Ce que les syndicats peuvent faire

Les syndicats peuvent être les promoteurs du changement dans leur collectivité en encourageant l’intégration complète, au travail et dans la société, des personnes handicapées. Ils peuvent prendre contact avec les travailleurs handicapés et les organisations qui les représentent et collaborer avec eux pour mener des actions. Les possibilités d’exercer une influence politique et de faire évoluer la législation ont été évoquées au fil du présent article et elles sont pleinement conformes à la recommandation no 168 et à la convention no 159 de l’OIT. Ces deux instruments internationaux du travail soulignent le rôle des organisations d’employeurs et de travailleurs dans la formulation de la politique relative à la réadaptation professionnelle et leur participation à la mise en œuvre de cette politique et à l’offre de services.

Les syndicats sont tenus de défendre les intérêts de tous les travailleurs. Ils devraient offrir des services, des programmes et une représentation modèles dans leur propre structure de façon à accueillir et à faire participer leurs membres porteurs de handicap à tous les aspects de l’organisation. Comme les exemples suivants le montreront, les syndicats font appel à leurs membres pour collecter des fonds, servir de volontaires ou organiser directement des services sur le lieu de travail et dans la collectivité; ils s’assurent ainsi que les personnes handicapées sont tout à fait intégrées dans la vie en société sur les lieux de travail.

Les actions des syndicats

En Allemagne, un certain type de protection est régi par la loi. En vertu de la loi sur les grands handicapés, toute entreprise de plus de cinq salariés permanents, y compris les syndicats, doit avoir dans son conseil du personnel un élu représentant les salariés handicapés, qui veille à ce que leurs droits et leurs préoccupations soient pris en considération. La direction doit consulter ce représentant sur les questions relatives au recrutement, ainsi que sur la politique à suivre. Cette loi a donc amené les syndicats à s’intéresser activement aux questions relatives au handicap.

Le Congrès irlandais des syndicats (Irish Congress of Trade Unions (ICTU)) a publié et distribué en 1990 une charte des droits des personnes porteuses de handicap (Charter of Rights of People with Disabilities), qui énumère 18 droits fondamentaux considérés comme essentiels pour garantir pleinement l’égalité des personnes handicapées au travail et dans la société en général, à savoir un environnement sans obstacles, un logement, des soins de qualité, la formation, l’éducation, l’emploi et l’accessibilité des moyens de transport.

En 1946, l’IAMAW a commencé à aider les personnes handicapées avec la création du programme international «Des yeux pour vous guider» («International Guiding Eyes»), qui fournit aux aveugles des chiens et une formation à leur utilisation, afin qu’ils puissent mener des existences plus indépendantes et plus satisfaisantes. Environ 3 000 personnes de pays différents ont bénéficié de cette aide. Une partie des coûts de fonctionnement de ce programme est prise en charge par les cotisations des membres du syndicat.

Nous avons déjà évoqué les activités d’un syndicat japonais qui ont commencé dans les années soixante-dix à l’Assemblée des syndicats: un membre, parent d’un enfant autiste, avait demandé à son syndicat de s’intéresser aux besoins des enfants handicapés et, en réponse, l’assemblée a créé une fondation financée par la vente d’allumettes et, par la suite, de mouchoirs en papier. La fondation a instauré un service de conseil et une permanence téléphonique, afin d’aider les parents à affronter les difficultés d’élever un enfant handicapé dans une société ségréguée. Les parents se sont alors organisés et ont fait pression sur le gouvernement pour qu’il améliore l’accessibilité, dispense une formation scolaire spécialisée et renforce les autres services. Dans le même élan, ils ont invité les chemins de fer à faciliter l’accès à leurs installations, et des aménagements continuent d’être apportés. Des activités et des festivals d’été, comme aussi des voyages nationaux et internationaux, ont été parrainés afin de mieux faire connaître les problèmes du handicap.

Au bout de vingt ans, les enfants avaient grandi, et leurs besoins de loisirs et d’éducation se sont convertis en besoins de qualification professionnelle et d’emploi. Un programme d’expérience professionnelle pour jeunes handicapés a été mis en place et a fonctionné pendant plusieurs années. Les syndicats ont demandé aux entreprises d’organiser des programmes intégrés étude-travail à l’intention des élèves handicapés de deuxième année d’enseignement secondaire. C’est de ce programme qu’est né le besoin de créer un centre d’aide à l’emploi, évoqué au point 1.

Bon nombre de syndicats offrent des services de soutien supplémentaires sur le lieu de travail aux personnes handicapées pour les aider à garder leur emploi. Ils font appel à des volontaires sur le lieu de travail pour aider les jeunes à suivre des programmes intégrés étude-travail dans des sociétés où les syndicats sont représentés. L’IAM CARES, aux Etats-Unis et au Canada, applique un système de parrainage qui attribue à chaque nouveau salarié porteur d’un handicap un membre du syndicat qui lui sert de mentor. L’IAM CARES a également parrainé des programmes d’emploi assisté chez Boeing et dans d’autres sociétés. Les programmes d’emploi assisté fournissent des tuteurs pour aider les personnes les plus sévèrement handicapées à apprendre leur métier et à rester compétitifs.

Certains syndicats ont créé des sous-comités ou des groupes de travail composés de travailleurs handicapés, pour que les droits et les besoins de ceux-ci soient bien représentés dans leurs structures. Le Syndicat des travailleurs des postes (American Postal Workers Union) est un excellent exemple de tels groupes et des effets qu’ils peuvent avoir. Le premier délégué syndical malentendant a été élu dans les années soixante-dix. Depuis 1985, plusieurs conférences ont été tenues uniquement à l’intention des membres malentendants. Ces membres participent aussi aux équipes de négociation chargées de régler les questions d’aménagement des postes et de gestion du handicap. En 1990, le groupe de travail a collaboré avec le service postal à l’élaboration d’un timbre officiel portant le message «je vous aime» en langue des signes.

Conclusion

Fidèles à leurs origines, les syndicats s’intéressent aux gens qui travaillent et à leurs besoins. Depuis les débuts de leur activité, ils ont fait plus que se battre pour obtenir des salaires décents et des conditions de travail optimales: ils ont cherché à améliorer la qualité de la vie et à offrir les meilleures chances possibles à tous les travailleurs, y compris ceux qui sont handicapés. Bien que ses positions se définissent sur le lieu de travail, l’influence du syndicat ne se limite pas aux entreprises ayant signé des conventions collectives. Comme le montrent bon nombre des exemples présentés dans cet article, les syndicats peuvent aussi atteindre le milieu social par toute une série d’activités et d’initiatives visant à éliminer la discrimination et les injustices à l’égard des personnes handicapées.

Si les syndicats, les employeurs, les organismes gouvernementaux, les représentants de la réadaptation professionnelle et les hommes et les femmes porteurs de handicap peuvent avoir des points de vue différents, ils devraient partager le désir d’un lieu de travail sain et productif. Les syndicats occupent une position privilégiée pour réunir ces groupes sur un terrain commun et jouer ainsi un rôle clé pour améliorer la vie des personnes handicapées.

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