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Chapitre 12 - Les maladies cutanées

LES DERMATOSES PROFESSIONNELLES: VUE D’ENSEMBLE

Donald J. Birmingham

Le développement de l’agriculture, de l’exploitation minière et de l’industrie, qu’elle soit manufacturière ou de transformation, s’est accompagné de l’apparition de dermatoses professionnelles. Le premier constat de maladie cutanée causée par le travail a été dressé chez des mineurs qui souffraient d’ulcérations provoquées par des sels métalliques. Par la suite, avec le développement des sociétés et des cultures, de nouvelles substances ont été découvertes et des techniques et des procédés inconnus jusqu’alors sont apparus. Le progrès technique a modifié le milieu de travail et chaque nouvelle avancée a retenti d’une façon ou d’une autre sur la santé des travailleurs. Les maladies professionnelles en général et les dermatoses en particulier sont depuis longtemps une conséquence imprévue du progrès industriel.

Il y a cinquante ans aux Etats-Unis, par exemple, les dermatoses professionnelles constituaient pas moins de 65 à 70% du contingent des maladies professionnelles déclarées; selon des statistiques récentes du ministère américain du Travail, elles ne représenteraient plus que 34% environ. Cette diminution serait le résultat du développement de l’automatisation, du confinement des procédés de fabrication et d’une meilleure formation des chefs d’entreprise, des personnels d’encadrement et des travailleurs à tous les aspects de la prévention des maladies professionnelles. Toutes ces mesures ont certes profité aux salariés des nombreuses grandes entreprises dotées de services de prévention efficaces, mais bien des personnes travaillent encore dans des conditions qui favorisent la survenue de maladies professionnelles. On ne dispose hélas d’aucune information précise sur le nombre de cas et de journées de travail perdues, sur les facteurs étiologiques et sur le coût réel des dermatoses professionnelles dans la plupart des pays.

De manière générale, on désigne les maladies professionnelles de la peau sous des appellations diverses: dermatite professionnelle ou eczéma professionnel — voire si elles sont propres à une substance ou à une profession particulière — grâce à des expressions se rapportant à la fois à la cause et à l’effet: dermite des cimentiers, pigeonneaux du chrome, acné chlorique, prurit de la fibre de verre, boutons d’huile ou encore urticaire de contact dû au latex. En raison du grand nombre d’altérations cutanées que peuvent causer les agents mis en œuvre dans les entreprises et les conditions qui y prévalent, on regroupe à juste titre l’ensemble de la pathologie cutanée due au travail sous le terme de dermatoses professionnelles — terme qui englobe toute anomalie causée ou aggravée par le milieu de travail. Mentionnons que la peau peut également être la voie de pénétration de certains produits toxiques à l’origine d’une intoxication chimique par absorption percutanée.

Les défenses cutanées

L’expérience nous a appris que la peau peut réagir à de très nombreux agents mécaniques, physiques, biologiques et chimiques, seuls ou combinés. En dépit de cette vulnérabilité, la dermatite professionnelle n’est pas une conséquence inévitable du travail. La majorité des travailleurs parviennent en effet à rester indemnes de tout trouble cutané professionnel invalidant, d’une part en raison de la protection inhérente à la structure et à la physiologie de la peau, d’autre part grâce au recours quotidien à des mesures de protection individuelle qui limitent le contact de la peau avec les agents nocifs employés sur le lieu de travail. Le fait que la plupart des travailleurs soient épargnés est aussi à imputer — c’est du moins ce que l’on peut espérer — à des aménagements des postes destinés à réduire les risques cutanés.

La peau

Sauf à la paume et à la plante, la peau humaine est assez fine et d’épaisseur variable. Elle comprend deux couches: l’épiderme (externe) et le derme (interne). Ce dernier peut faire office de barrière souple grâce à la trame collagène et aux fibres élastiques qui le composent. Dans la plupart des cas, la peau constitue une protection exceptionnelle contre les agressions mécaniques et la pénétration de nombreuses substances chimiques. Elle limite les pertes hydriques de l’organisme et protège des effets de la lumière naturelle et artificielle, de la chaleur et du froid. La peau saine et ses sécrétions forment un rempart relativement efficace contre les micro-organismes, à condition de ne pas être altérée par des lésions mécaniques ou chimiques. La figure 12.1 montre la composition de la peau et ses fonctions physiologiques.

Figure 12.1 Représentation schématique de la peau

Figure 12.1

La couche épidermique externe de cellules mortes que l’on appelle la kératine assure la protection contre les agents extérieurs. Ces cellules, les kératinocytes, peuvent former des callosités protectrices lorsqu’elles sont exposées à des frottements et à des pressions répétés et elles peuvent s’épaissir après exposition aux rayons ultraviolets. Normalement disposés en bardeaux sur 15 ou 16 couches, les kératinocytes offrent une assez bonne protection contre l’eau, les substances hydrosolubles et les acides faibles, mais ils résistent moins bien à un contact répété ou prolongé avec des composés alcalins organiques ou inorganiques, même en faible concentration. Les substances alcalines amollissent les kératinocytes, sans toutefois les dissoudre complètement. Elles en bouleversent la structure interne à tel point, cependant, que la cohésion cellulaire s’en trouve affaiblie. L’intégrité de la couche kératinique dépend de sa teneur en eau qui, à son tour, détermine sa pliabilité. Lorsque la température ou l’humidité diminuent, de même que sous l’influence de produits chimiques dessiccants tels que les acides, les bases, les détergents et les solvants puissants, la couche cornée perd de son eau, se déssèche et enfin se craquèle. Il s’ensuit que les facteurs d’ambiance ou les produits chimiques qui abaissent la teneur normale de la kératine en eau l’empêchent de jouer son rôle de rempart et en compromettent les défenses.

Les systèmes de défense cutanés ne sont efficaces que dans certaines limites. Toute rupture d’un ou de plusieurs maillons entrave l’efficacité de la totalité de la chaîne défensive. Par exemple, l’absorption percutanée est accrue en cas de rupture de la continuité de la peau provoquée par des lésions physiques ou chimiques ou par une abrasion mécanique de la couche de kératine. Les substances toxiques peuvent être absorbées par la peau, mais aussi par les follicules pileux, les pores cutanés et les canaux sudoripares, même si ces dernières voies sont moins importantes que l’absorption transépidermique. Un certain nombre de substances chimiques utilisées dans l’industrie et l’agriculture ont provoqué une intoxication générale de l’organisme après absorption percutanée. C’est le cas notamment du mercure, du tétraéthylplomb, des composés aromatiques et amino-nitrés, de certains pesticides organo-phosphatés ou à base d’hydrocarbures chlorés. Notons que, pour de nombreuses substances, c’est l’inhalation qui provoque le plus souvent une intoxication généralisée, mais l’absorption par voie percutanée est possible et ne saurait être négligée.

La barrière cutanée possède la remarquable propriété de pouvoir renouveler en permanence les cellules germinatives de la membrane basale, assurant ainsi à l’épiderme un système intégré de réplication et de réparation.

La peau joue le rôle d’échangeur de chaleur qui est indispensable à la vie. Le fonctionnement des glandes sudoripares, la vasodilatation et la vasoconstriction, sous commande du système nerveux sont, tout comme l’évaporation de l’eau à la surface de la peau, des phénomènes essentiels à la régulation thermique de l’organisme. La constriction des vaisseaux sanguins assure une protection contre le froid en préservant la température centrale du corps. Les nombreuses terminaisons nerveuses qui se trouvent à l’intérieur du tissu cutané jouent le rôle de récepteurs de la chaleur, du froid et d’autres stimuli dont elles signalent la présence au système nerveux qui répond en retour à la stimulation.

Les cellules pigmentaires de la peau, les mélanocytes, jouent un rôle très important par leur fonction protectrice. Incluses parmi les cellules basales, dans la partie la plus profonde de l’épiderme, ces cellules produisent le pigment mélanique (mélanine) qui protège la peau des rayons ultraviolets, composants dangereux de la lumière solaire et de certains types de lumières artificielles. Les grains de mélanine sont captés par les cellules épidermiques et font office de filtre vis-à-vis des rayonnements de lumière naturelle ou artificielle qui traversent la peau. La couche des kératinocytes apporte une protection supplémentaire, quoique moindre, puisqu’elle s’épaissit après exposition aux ultraviolets. Comme nous l’expliquons ci-après, il est indispensable que les personnes qui travaillent à l’extérieur appliquent un écran solaire anti-UV-A et anti-UV-B (indice égal ou supérieur à 15) sur les parties de leur corps qui sont exposées au soleil et qu’elles portent des vêtements assurant une bonne protection contre les lésions actiniques.

Les types de dermatoses professionnelles

Les dermatoses professionnelles sont d’aspect (morphologie) et de gravité variables. Elles peuvent aller d’un léger érythème (rougeur) ou d’un changement de coloration de la peau à une altération beaucoup plus complexe telle qu’une tumeur maligne. En dépit du grand nombre de substances reconnues comme étant capables d’induire des anomalies cutanées, il est difficile en pratique d’établir la relation causale entre une lésion spécifique et une exposition à une substance donnée. Quelques catégories de produits chimiques sont cependant associées à des réactions caractéristiques et la nature des lésions, de même que leur localisation peuvent constituer un bon indice de causalité.

Un certain nombre d’agents chimiques exerçant ou non un effet toxique cutané direct peuvent également causer une intoxication généralisée après avoir été absorbés par la peau. Pour pouvoir agir comme toxique systémique, l’agent doit traverser la couche cornée et les différentes couches de l’étage épidermique, puis la jonction dermo-épidermique. A cet endroit, il peut facilement passer dans le système sanguin ou lymphatique et être transporté jusqu’aux organes cibles sensibles.

La dermatite de contact aiguë (par irritation ou allergique)

La dermatite eczémateuse de contact aiguë peut être provoquée par plusieurs centaines de substances chimiques, végétales et photoréactives irritantes et sensibilisantes. La plupart des dermatoses allergiques professionnelles peuvent être classées parmi les dermatites eczémateuses de contact aiguës. Les signes cliniques sont la chaleur, la rougeur, la tuméfaction, la présence de vésicules et le suintement, les symptômes étant le prurit et la sensation de brûlure et de malaise général. La dermatite de contact aiguë siège de préférence dans un premier temps sur le dos des mains, à la face interne des poignets et des avant-bras, mais à un stade plus avancé toutes les topographies sont possibles. Si la dermatose apparaît au niveau du front, des paupières, des oreilles, du visage ou du cou, elle est vraisemblablement due à des poussières ou à des vapeurs. La dermatite de contact généralisée, qui ne se limite pas à une ou à quelques localisations spécifiques, est en principe provoquée par une exposition plus importante telle que le port de vêtements contaminés, ou par une autosensibilisation à partir d’une dermatite préexistante. Une vésication importante ou une destruction tissulaire traduisent généralement l’action d’un agent irritant absolu ou puissant. Les antécédents d’exposition, recueillis dans le cadre des consultations spécialisées de dermatologie, peuvent permettre l’identification de l’agent causal. Un des articles du présent chapitre fournit des compléments d’information sur la dermatite de contact.

La dermatite de contact subaiguë

Par un effet cumulatif, le contact répété avec les agents faiblement et modérément irritants peut induire une forme subaiguë de dermatite de contact, caractérisée par la présence de plaques rouges et sèches. La persistance de l’exposition entraîne une évolution de la dermatite vers la chronicité.

La dermatite eczémateuse de contact chronique

Quand une dermatite récidive pendant une longue période, elle prend le nom de dermatite eczémateuse de contact chronique. Les mains, les doigts, les poignets et les avant-bras sont le siège le plus fréquent des lésions eczémateuses chroniques, caractérisées par une peau sèche, épaissie et squameuse. Des crevasses et des fissures peuvent apparaître au niveau des doigts et des paumes, accompagnées ou non d’une dystrophie unguéale chronique. Il arrive souvent que les lésions suintent en cas de réexposition à l’agent responsable ou après un traitement et des soins trop agressifs. De nombreuses substances sans rapport avec la dermatose initiale sont susceptibles d’entretenir ce problème cutané chronique récidivant.

La dermatite photosensible (phototoxique ou photoallergique)

La plupart des photoréactions cutanées sont de nature phototoxique. Les sources de lumière naturelle et artificielle, seules ou associées à diverses substances chimiques, végétales ou médicamenteuses, peuvent provoquer une réaction phototoxique ou photosensible. La réaction phototoxique est généralement limitée aux zones exposées à la lumière, alors que la réaction photosensible peut fort bien se développer dans des parties du corps non exposées. Parmi les agents photoréactifs, il faut citer les substances chimiques comme les produits de distillation du goudron de houille tels que la créosote, le brai et les anthracènes. Ajoutons à cette liste des végétaux comme ceux de la famille des ombellifères: le céleri, le panais et la carotte sauvage, le fenouil et l’aneth dont les agents réactogènes sont les psoralènes.

Les folliculites et les dermatoses acnéiformes, dont l’acné chlorique

Les travailleurs exerçant des métiers malpropres présentent souvent des lésions des orifices folliculaires. Les comédons (points noirs) peuvent être la seule conséquence visible de l’exposition, mais ils s’accompagnent souvent d’une infection secondaire du follicule. Le manque d’hygiène corporelle et des habitudes de toilette trop sommaires peuvent aggraver le problème. Les lésions folliculaires apparaissent indifféremment sur toutes les parties du corps à l’exception des régions palmo-plantaires. Les sièges les plus fréquents sont toutefois les avant-bras et, plus rarement, les cuisses et les fesses.

Les dermatoses folliculaires et acnéiformes sont dues à une exposition excessive à des fluides de coupe insolubles, à plusieurs dérivés du goudron, à la paraffine ainsi qu’à certains hydrocarbures aromatiques chlorés. L’acné provoquée par l’un de ces agents peut être très étendue. L’acné chlorique est la forme la plus grave, non seulement pour des raisons esthétiques (défiguration par hyperpigmentation et cicatrices), mais aussi en raison des troubles hépatiques qui peuvent l’accompagner, dont la porphyrie cutanée tardive, et d’autres effets systémiques que les substances chimiques peuvent avoir. Au nombre des substances chimiques responsables de l’acné chlorique figurent les chloronaphtalènes, les chlorodiphényles, les chlorotriphényles, l’hexachlorodibenzo-p-dioxine, le tétrachloroazoxybenzène et la tétrachlorodibenzodioxine (TCDD). Les comédons et les lésions kystiques de l’acné chlorique apparaissent souvent d’abord sur les côtés du front et sur les paupières. Si l’exposition se poursuit, des lésions étendues peuvent se produire en tout endroit du corps, sauf aux paumes et aux plantes.

Les réactions à la transpiration

De nombreux travailleurs sont exposés à la chaleur. Lorsqu’il fait trop chaud, qu’ils transpirent abondamment et que la sueur à la surface de leur peau s’évapore mal, ils peuvent souffrir d’une miliaire. L’irritation de la région lésée par frottement peau contre peau entraîne fréquemment une infection bactérienne ou fongique secondaire, en particulier dans la région axillaire, sous les seins, au niveau de l’aine et entre les fesses.

Les altérations pigmentaires ou dyschromies

Les changements de coloration de la peau d’origine professionnelle peuvent résulter du contact avec les colorants, les métaux lourds, les explosifs, certains hydrocarbures chlorés, les goudrons et la lumière solaire. Ces changements peuvent n’être rien de plus qu’une coloration chimique de la kératine: c’est ce qui se produit avec la métaphénylènediamine, le bleu de méthylène ou le trinitrotoluène. Il peut s’agir aussi d’un pigment plus profondément implanté et qui affecte la peau de façon permanente comme dans l’argyrie ou les tatouages traumatiques. L’hyperpigmentation causée par les hydrocarbures chlorés, les composés du goudron, les métaux lourds et les huiles de pétrole résulte généralement d’une stimulation et d’une augmentation de la production de mélanine. L’hypopigmentation ou la dépigmentation localisées du tissu cutané peuvent être la conséquence d’une brûlure préexistante, d’une dermatite de contact, d’une exposition à des composés de l’hydroquinone ou d’autres antioxydants utilisés dans certaines colles et certains antiseptiques dont l’amylphénol tertiaire, le butylcatéchol tertiaire et le butylphénol tertiaire.

Les néoformations

Les lésions néoplasiques d’origine professionnelle peuvent être malignes ou bénignes (cancéreuses ou non cancéreuses). Le mélanome et le cancer cutané non mélanocytaire sont traités dans deux articles distincts du présent chapitre. Les kystes traumatiques, les fibromes, les verrues induites par l’amiante, le pétrole ou le goudron et les kérato-acanthomes sont des néoformations bénignes caractéristiques. Les kérato-acanthomes peuvent être associées à une exposition solaire excessive ou encore au contact avec le pétrole, le brai et le goudron.

Les ulcérations

L’acide chromique, le dichromate de potassium concentré, le trioxyde d’arsenic, l’oxyde de calcium, le nitrate de calcium et le carbure de calcium sont des agents ulcérants notoires. Ils provoquent le plus souvent des lésions au niveau des doigts, des mains, des plis de flexion et des plis palmaires, mais plusieurs d’entre eux peuvent aussi causer une perforation de la cloison nasale.

Les brûlures chimiques et thermiques, les contusions et les infections bactériennes et fongiques peuvent évoluer vers une ulcération de la zone lésée.

Les granulomes

De nombreuses expositions professionnelles peuvent être à l’origine de granulomes si les conditions propices à leur apparition sont réunies. C’est ainsi que des bactéries, des champignons, des virus ou des parasites ont pu causer des granulomes d’origine professionnelle. Les substances inertes telles que les fragments osseux, les échardes de bois, les cendres, les coraux et gravillons et les minéraux comme le béryllium, la silice et le zirconium peuvent eux aussi donner lieu, après enchâssement dans la peau, à la formation de granulomes.

Les autres anomalies cutanées

Les dermatites de contact d’origine professionnelle représentent 80% au moins de l’ensemble des dermatoses professionnelles. Outre celles citées précédemment, d’autres anomalies sont susceptibles d’affecter la peau, les cheveux et les ongles. C’est le cas notamment de l’alopécie secondaire aux brûlures, aux agressions mécaniques ou à l’exposition à certaines substances chimiques ou encore de la bouffée vasomotrice du visage qui succède à l’absorption d’alcool accompagnée de l’inhalation de certains agents chimiques tels que le trichloroéthylène ou le disulfiram. Mentionnons aussi l’acro-ostéolyse, affection osseuse des doigts, accompagnée de troubles vasculaires des mains et des avant-bras (avec ou sans syndrome de Raynaud) que l’on a pu constater chez des ouvriers nettoyant les cuves de polymérisation du poly(chlorure de vinyle). Les altérations unguéales sont traitées dans un autre article du présent chapitre.

La physiopathologie ou les mécanismes des dermatoses professionnelles

On ne connaît que partiellement les mécanismes d’action des agents irritants primaires; c’est ainsi que certains gaz vésicants (la moutarde à l’azote, le bromométhane, la lewisite, etc.) agissent sur certaines enzymes de la peau et bloquent telle ou telle phase du métabolisme des glucides, des lipides et des protéines. On ignore pourquoi et de quelle manière se forme la vésicule (phlyctène), mais l’observation des réactions de ces substances chimiques in vitro donne une idée des mécanismes biologiques possibles.

En résumé, une base réagissant toujours avec un acide, un lipide ou une protéine, on en a conclu qu’une telle réaction peut aussi se produire avec les lipides et les protéines du tissu cutané. Ce phénomène se traduit par une modification des lipides superficiels d’où résulte une perturbation de la structure de la kératine. Les solvants organiques et inorganiques dissolvent les graisses et les huiles et on peut imaginer qu’ils exercent le même effet sur les lipides cutanés. Toutefois, il semble qu’en outre les solvants éliminent certaines substances ou modifient le tissu cutané de manière que la couche de kératine se déshydrate et que les défenses cutanées perdent de leur efficacité. Les agressions prolongées provoquent une réaction inflammatoire qui évolue vers une dermatite de contact.

Certaines substances chimiques se combinent facilement avec l’eau présente à l’intérieur et à la surface de la peau et provoquent une réaction chimique puissante. Quelques composés du calcium, notamment l’oxyde de calcium ou le chlorure de calcium, exercent leur action de cette manière.

Certaines substances — par exemple le brai de houille, la créosote, le pétrole brut, certains hydrocarbures aromatiques chlorés —, lorsqu’elles sont associées à l’exposition solaire, stimulent les mélanocytes et provoquent une hyperpigmentation. La dermatite aiguë peut également causer une hyperpigmentation après sa guérison. Réciproquement, les brûlures, les agressions mécaniques, la dermatite de contact chronique, le contact avec l’éther monobenzylique de l’hydroquinone ou avec certaines substances phénoliques peuvent inhiber, complètement ou partiellement, la mélanogenèse et provoquer une hypopigmentation ou une dépigmentation cutanée.

Le trioxyde d’arsenic, le brai de houille, la lumière solaire et les rayonnements ionisants, entre autres, peuvent léser les cellules cutanées dont la croissance anormale aboutit à des altérations cancéreuses de la peau exposée.

A la différence de l’irritation primaire, la sensibilisation allergique est la conséquence d’une altération spécifiquement acquise de la capacité de réaction, due à une activation des lymphocytes T. Depuis plusieurs années, il est établi que la dermatite de contact allergique représente 20% environ de l’ensemble des dermatoses professionnelles. Cette estimation est sans doute en deçà de la réalité, puisqu’on ne cesse d’introduire de nouveaux produits chimiques dans les entreprises dont un grand nombre sont connus pour induire des dermatites de contact de nature allergique.

Les causes des dermatoses professionnelles

Le nombre de substances ou de situations pouvant provoquer une dermatose professionnelle est infini. On les classe par catégories — agents mécaniques, physiques, biologiques et chimiques — et leur nombre ne cesse de croître d’année en année.

Les agents mécaniques

Le frottement, la pression ou d’autres types d’agressions plus violents peuvent déterminer des altérations qui vont des simples callosités ou ampoules à la myosite, en passant par la ténosynovite, les lésions osseuses ou nerveuses, les lacérations, la déchirure tissulaire et les abrasions. Les lacérations, les abrasions, les déchirures tissulaires et les ampoules ouvrent la voie aux infections secondaires bactériennes ou, moins souvent, fongiques. La plupart des travailleurs sont exposés quotidiennement à des agressions diverses dont l’intensité peut être faible ou modérée. Toutefois, ceux qui emploient des riveteuses, des burins, des marteaux-perforateurs, des marteaux-piqueurs ou autres outils pneumatiques sont plus susceptibles de lésions aux mains et aux avant-bras, qu’il s’agisse d’atteintes neuro-vasculaires et des tissus mous ou du développement pathologique de tissu fibreux ou osseux. L’utilisation d’outils vibrants fonctionnant à une certaine gamme de fréquences peut causer des spasmes douloureux des doigts de la main qui tient l’outil. L’affectation à un autre travail, lorsque cette solution est possible, atténue généralement les troubles. Le matériel moderne est conçu pour réduire les vibrations et prévenir ainsi les problèmes.

Les agents physiques

La chaleur, le froid, l’électricité, la lumière solaire, le rayonnement ultraviolet artificiel, les rayons laser et les sources de rayonnement à haute énergie comme les installations à rayons X, le radium et d’autres substances radioactives sont potentiellement dangereux pour la peau et pour l’ensemble de l’organisme. Les températures élevées, la grande humidité que l’on rencontre dans certains lieux de travail ou sous les climats tropicaux peuvent entraver la sudation et entraîner une atteinte générale: le syndrome de rétention sudorale. Une exposition plus modérée à la chaleur peut induire une miliaire, un intertrigo (irritation par frottement), une macération cutanée avec risque d’infection bactérienne ou fongique, en particulier chez les sujets atteints de surcharge pondérale et chez les diabétiques.

Les brûlures thermiques sont fréquentes chez les opérateurs de fours électriques, les fondeurs de plomb, les soudeurs, les chimistes travaillant en laboratoire, les ouvriers des pipelines ou le personnel d’entretien de la voirie, les couvreurs et les travailleurs de la distillation de goudron qui manipulent le goudron liquide. L’exposition prolongée à l’eau froide ou à des températures basses provoque des atteintes de gravité variable, allant de l’érythème et des phlyctènes (vésiculation) à l’ulcération, voire à la gangrène. Les gelures du nez, des oreilles, des doigts et des orteils sont des formes courantes de lésions dues au froid chez les ouvriers du bâtiment, les pompiers, les employés des postes, les militaires et d’autres travailleurs en plein air.

Les accidents électriques par contact avec des fils dénudés ou des appareils électriques défectueux ou à la suite de courts-circuits provoquent des brûlures de la peau qui détruisent les tissus profonds.

Les travailleurs totalement exempts d’exposition au rayonnement solaire sont rares et certains sujets fréquemment exposés peuvent présenter des lésions cutanées actiniques graves. En outre, l’industrie utilise de nos jours maintes sources de rayonnement ultraviolet artificiel potentiellement dangereux. Parmi les travaux caractérisés par de telles sources, il faut citer le soudage, l’oxycoupage, la coulée de métal en fusion, le soufflage du verre, la conduite de fours électriques, le travail au chalumeau à plasma et les procédés utilisant les rayons laser. Les rayons ultraviolets de la lumière naturelle ou artificielle ne sont pas les seuls à être susceptibles de provoquer des lésions cutanées; le goudron de houille et plusieurs de ses dérivés, notamment certains colorants, ainsi que certaines plantes ou certains fruits contenant des agents phytotoxiques et plusieurs médicaments à administration locale ou parentérale renferment des substances chimiques dangereuses qui sont activées par des longueurs d’onde particulières des rayons ultraviolets. Cette photosensibilisation peut revêtir un caractère toxique ou allergique.

L’énergie électromagnétique d’intensité élevée que développent les faisceaux laser peut provoquer des lésions des tissus de l’organisme humain, de l’œil en particulier. Le risque de lésions cutanées est moindre, mais n’est pas à écarter.

Les agents biologiques

Les expositions professionnelles aux bactéries, aux agents mycosiques, aux virus et aux parasites peuvent être à l’origine d’infections primaires ou secondaires de la peau. Avant l’avènement de l’antibiothérapie moderne, les infections bactériennes et fongiques étaient plus fréquentes et invalidantes, voire mortelles. L’infection bactérienne peut survenir dans toute activité professionnelle, mais le risque d’exposition est plus important dans certaines professions telles que éleveurs et autres métiers animaliers, agriculteurs, pêcheurs, employés des industries alimentaires ou travailleurs du cuir et des peaux. De même, les infections fongiques (levures) sont fréquentes chez les boulangers, les barmen, les ouvriers des conserveries ou de la transformation alimentaire, les cuisiniers et les plongeurs, le personnel des garderies et des crèches. Par comparaison avec les dermatoses d’origine chimique, celles dues aux infections parasitaires sont peu fréquentes, mais quand elles surviennent, on les observe surtout chez les travailleurs de l’agriculture ou de l’élevage, chez les préposés à la manutention des céréales et les moissonneurs, ainsi que chez les dockers et les employés des silos.

Les infections cutanées virales d’origine professionnelle sont numériquement peu importantes, mais certaines d’entre elles sont encore signalées, notamment le nodule des trayeurs chez les employés de laiteries, l’herpès simplex chez le personnel médical et dentaire, et la variole ovine (clavelée) chez les éleveurs de bétail.

Les agents chimiques

Les agents chimiques organiques et inorganiques constituent la principale source de risques pour la peau. Des centaines d’agents nouveaux sont introduits sur les lieux de travail chaque année dont bon nombre peuvent léser la peau soit comme irritants cutanés primaires, soit comme substances sensibilisantes et allergisantes. On estime que 75% des dermatoses professionnelles sont imputables au contact avec des irritants chimiques primaires. Cependant, dans les centres de soins où l’on pratique couramment des tests épicutanés diagnostiques, on note chez les travailleurs une augmentation de la fréquence des dermatites de contact de type allergique. Par définition, un agent irritant primaire est une substance chimique qui attaque la peau sans distinction chez les sujets, à condition que l’exposition ait été suffisante. Les irritants absolus (ou forts) provoquent des lésions sur une peau quelconque dans les quelques minutes qui suivent le contact ou quelques heures plus tard; c’est le cas des acides et des bases concentrés, des sels métalliques, de certains solvants et gaz. On peut observer de tels effets toxiques en quelques minutes, selon la concentration de la substance en contact et la durée du contact. A l’inverse, maints agents — acides et bases dilués, poussières alcalines, de nombreux solvants et fluides de coupe solubles, entre autres — peuvent n’avoir des effets observables que plusieurs jours plus tard. Ce sont des substances dites faiblement ou relativement irritantes.

Les plantes et les bois

Les plantes et les bois sont souvent considérés, du point de vue des dermatoses professionnelles, comme des facteurs étiologiques distincts, mais peuvent être rangés à bon droit parmi les agents chimiques. De nombreuses plantes provoquent une irritation mécanique ou chimique et une sensibilisation allergique; d’autres sont mieux connues pour leur pouvoir photosensibilisant. La famille des anacardiacées, qui comprend notamment le sumac vénéneux (herbe à puce), l’anacardier (qui fournit l’huile de coquille de noix de cajou) et l’Anacardium semecarpus, est une cause bien connue de dermatites professionnelles en raison d’un groupe de composants actifs, les phénols polyhydriques, que les arbres et les arbustes de cette famille renferment. Les sumacs vénéneux sont fréquemment à l’origine de dermatites de contact allergiques. Parmi les autres plantes responsables de dermatites de contact, professionnelles ou extraprofessionnelles, figurent les graines de ricin, le chrysanthème, le houblon, le jute, le laurier-rose, l’ananas, la primevère, l’herbe à poux ou le séneçon, les bulbes de jacinthe et de tulipe. On a aussi incriminé certains fruits et légumes (asperge, carotte, céleri, chicorée, agrumes, ail et oignon) dans la survenue des dermatites de contact chez les personnes qui les récoltent, ainsi que chez celles qui sont préposées au conditionnement et à la préparation de produits alimentaires.

On a attribué à diverses essences la responsabilité de dermatoses professionnelles chez les bûcherons, les employés des scieries, les charpentiers et autres artisans du bois. Cependant, les affections cutanées dues au bois sont beaucoup moins fréquentes que celles dues aux plantes. Il est probable que les oléorésines contenues dans le bois provoquent moins de dermatites réactionnelles que certaines des substances chimiques couramment utilisées comme xyloprotecteurs. Parmi les produits chimiques employés pour préserver le bois contre les insectes, les champignons et la dégradation provoquée par la terre et l’humidité, il faut citer les diphényles et les naphtalènes chlorés, le naphténate de cuivre, la créosote, les fluorures, les composés mercuriels organiques, le goudron et certains composés arsenicaux.

Les facteurs extraprofessionnels des dermatoses professionnelles

Il ressort de ce qui précède qu’il n’est à proprement parler pas une seule profession qui soit exempte de risque dermatologique, sous une forme ou sous une autre, parfois manifeste, parfois occulte. Certains facteurs indirects ou prédisposants peuvent être intéressants à cet égard. Une prédisposition peut être ethnique ou congénitale, elle peut aussi résulter d’un déficit du pouvoir physiologique de protection de la peau résultant d’expositions antérieures. Quelle qu’en soit la raison, certains travailleurs présentent une tolérance moindre à certaines substances ou conditions de travail. Dans les grandes entreprises industrielles qui disposent de programmes sanitaires, il est plus facile d’affecter ces sujets à des postes où leur santé ne sera pas menacée, mais dans les petites entreprises, les facteurs prédisposants ou indirects peuvent ne pas recevoir de la part des médecins l’attention qu’ils méritent.

Les affections cutanées préexistantes

Plusieurs maladies de la peau d’origine extraprofessionnelle peuvent être aggravées par des facteurs professionnels. Les plus connues d’entre elles sont les suivantes:

L’acné. L’acné juvénile peut empirer en cas d’exposition au goudron et aux produits utilisés dans l’usinage et la mécanique. Les huiles non solubles, de nombreux dérivés du goudron, les graisses et les agents chimiques inducteurs de l’acné chlorique sont particulièrement dangereux pour ces sujets.

Les eczémas chroniques. Il peut parfois s’avérer difficile d’établir l’étiologie de l’eczéma chronique affectant la main et parfois des sites à distance. Au diagnostic, ce type d’eczéma peut en effet se présenter comme une dermatite allergique, un eczéma dyshidrosique, un eczéma atopique, un psoriasis pustuleux ou une mycose. Quelle que soit la maladie, l’éruption peut être aggravée par bien des agents chimiques irritants, dont les plastiques, les solvants, les fluides de coupe, les détergents industriels ou encore l’humidité prolongée. Les sujets qui en sont atteints peuvent continuer à travailler dans les mêmes conditions, mais au prix d’une gêne considérable et probablement d’une baisse de rendement.

Les dermatomycoses. Les infections fongiques peuvent être aggravées par le travail. Si l’infection touche aussi les ongles, il peut s’avérer difficile d’apprécier le rôle joué par les agents chimiques ou traumatiques dans cette atteinte. Les sujets présentant une dermatomycose chronique des pieds (pied d’athlète) sont menacés d’exacerbations périodiques, surtout s’ils sont contraints de porter de grosses chaussures.

L’hyperhidrose. La transpiration excessive au niveau de la paume et de la plante peut ramollir la peau (macération), surtout quand le port de gants imperméables ou de chaussures protectrices est nécessaire. Les sujets dans ce cas sont plus vulnérables aux effets d’autres expositions.

Maladies diverses. Les travailleurs présentant une photoéruption polymorphe, un lupus érythémateux discoïde chronique, une porphyrie ou un vitiligo encourent un risque nettement accru, notamment en cas d’exposition simultanée aux rayons ultraviolets naturels ou artificiels.

Le type de peau et la pigmentation

Les roux et les blonds aux yeux bleus, surtout ceux d’origine celtique, supportent moins bien le soleil que les sujets à peau plus sombre. De plus, ce type de peau tolère également moins bien l’exposition aux produits chimiques et aux végétaux photoréactifs et semble plus sensible à l’action des solvants et autres irritants primaires. En règle générale, la peau des Noirs tolère mieux la lumière solaire et les substances chimiques photoréactives, et a moins tendance à développer des cancers cutanés. Cependant, les peaux sombres ont tendance à réagir aux agressions mécaniques, physiques et chimiques par une pigmentation postinflammatoire. Elles ont également une plus grande prédisposition aux chéloïdes après un traumatisme.

Certains types de peaux, tels que les peaux velues, grasses ou mates, sont plus vulnérables que les autres à la folliculite et à l’acné. Les sujets à peau sèche ou ichtyosique sont désavantagés s’ils doivent travailler dans des ambiances dont le degré hygrométrique est peu élevé ou avec des substances chimiques qui déshydratent la peau. Pour ceux qui transpirent abondamment, la nécessité de porter des vêtements protecteurs imperméables ajoute à leur inconfort. De même, les obèses sont menacés de dermatose intertrigineuse ou de miliaire en été, s’ils séjournent sous les tropiques ou s’ils doivent travailler dans des ambiances surchauffées. La transpiration contribue au rafraîchissement de la peau, mais elle peut également hydrolyser certaines substances chimiques qui se comportent alors comme des agents irritants cutanés.

Le diagnostic des dermatoses professionnelles

La cause et l’effet des dermatoses professionnelles peuvent être établis par un interrogatoire détaillé portant sur les troubles anciens et ceux du moment, ainsi que sur la situation professionnelle du travailleur. Les antécédents familiaux, surtout allergiques, et les maladies de l’enfance sont importants à connaître. Il convient de noter le nom de la profession, la nature du travail, les substances manipulées, le nombre d’années d’ancienneté. Il est important de savoir quand et en quel endroit de la peau est apparue l’éruption, son évolution pendant les arrêts de travail, si d’autres travailleurs ont présenté des troubles, les produits utilisés pour nettoyer et protéger la peau, ainsi que la nature du traitement entrepris (en automédication et sur prescription); on précisera également si le sujet a une peau sèche ou un eczéma chronique des mains ou un psoriasis et s’il a d’autres troubles cutanés; le nom des médicaments éventuellement pris pour une maladie particulière; et, enfin, les produits employés à la maison pour des activités telles que le jardinage, la menuiserie ou la peinture.

Les informations suivantes sont importantes pour le diagnostic clinique:

La dermatite eczémateuse de contact aiguë d’origine professionnelle a tendance à s’amender après élimination du contact. De plus, les traitements modernes peuvent en accélérer la guérison. Cependant, si le travailleur est autorisé à reprendre le travail dans les mêmes conditions, sans qu’il soit dûment informé des précautions nécessaires et sans que son employeur ait pris des mesures préventives, il est probable que la dermatose récidivera rapidement après la reprise de l’exposition.

Les dermatoses eczémateuses chroniques, les lésions acnéiformes et les dyschromies réagissent moins bien au traitement, même après l’élimination du contact, contrairement aux ulcérations avec lesquelles on constate en général une amélioration après cessation de l’exposition. Dans le cas des lésions granulomateuses et tumorales, la suppression du contact agresseur peut prévenir l’apparition de nouvelles lésions, mais n’a qu’un effet minime ou nul sur la maladie déjà installée.

Lorsqu’on soupçonne une dermatose professionnelle chez un patient, il faut rechercher d’autres causes si on ne note pas d’amélioration dans les deux mois qui suivent l’arrêt du contact avec l’agent responsable présumé. Toutefois, dans le cas des dermatoses induites par des métaux tels que le nickel et le chrome, la situation est différente. Ces dermatoses ont une évolution notoirement longue, à cause notamment de leur nature ubiquitaire et le fait qu’un sujet n’ait pas de contact avec le milieu de travail ne permet pas d’exclure une étiologie professionnelle. Mais si on a pu éliminer l’un ou l’autre de ces métaux ou d’autres allergènes potentiels comme agent causal, il est raisonnable de dénier l’origine professionnelle de la maladie, et on pourra alors s’orienter vers une autre cause, éventuellement un contact extraprofessionnel avec ces métaux, par exemple lors de l’entretien et de la réparation d’automobiles et de bateaux, de l’utilisation de colles à carrelage, d’activités de jardinage, ou encore un traitement médical mal toléré, qu’il soit pris en automédication ou sur prescription.

LES CANCERS CUTANÉS NON MÉLANOCYTAIRES

Elisabete Weiderpass, Timo Partanen et Paolo Boffetta

Il existe trois types histologiques de cancers de la peau non mélanocytaires (CCNM) (CIM-9: 173; CIM-10: C44): les épithéliomas baso-cellulaires, les carcinomes à cellules squameuses et les sarcomes des tissus mous (peau, tissu sous-cutané, glandes sudoripares, glandes sébacées et follicules pileux), de survenue rare.

L’épithélioma baso-cellulaire est le cancer cutané non mélanocytaire le plus fréquent dans les populations de race blanche (75 à 80% de ce type de cancer). Il se développe généralement sur le visage, s’étend lentement et a peu tendance à métastaser.

Les cancers à cellules squameuses représentent 20 à 25% des cancers cutanés non mélanocytaires déclarés. Ils peuvent apparaître en n’importe quel endroit du corps, mais tout particulièrement sur les mains et les jambes, et ils peuvent donner des métastases. Chez les sujets à peau fortement pigmentée, les cancers à cellules squameuses sont les cancers cutanés non mélanocytaires les plus fréquents.

Les cancers primitifs multiples de ce type sont courants. La majorité d’entre eux se développent sur la tête et le cou, à la différence des mélanomes qui touchent surtout le tronc et les membres. La localisation de ces cancers suit les habitudes vestimentaires.

Leur traitement associe différentes techniques: exérèse, irradiation et chimiothérapie locale auxquels ils répondent bien puisque plus de 95% sont guéris par exérèse (CIRC, 1990).

Il est difficile d’évaluer l’incidence des cancers cutanés non mélanocytaires, parce que les cas sont notoirement sous-déclarés et que de nombreux registres des cancers ne les incluent pas. Le nombre de nouveaux cas aux Etats-Unis a été estimé à 900 000-1 200 000 en 1994, soit une fréquence comparable au nombre total des cancers autres que ceux de la peau (Miller et Weinstock, 1994). Les incidences déclarées varient considérablement et sont en voie d’augmentation dans un certain nombre de populations, en Suisse et aux Etats-Unis, par exemple. Les taux annuels les plus élevés se retrouvent en Tasmanie (167/100 000 chez les hommes et 89/100 000 chez les femmes) et les plus bas en Asie et en Afrique (globalement 1/100 000 chez les hommes et 5/100 000 chez les femmes). Dix fois plus nombreux chez les Blancs que dans les autres races, les cancers cutanés non mélanocytaires sont la forme de cancer la plus fréquente dans la race blanche. Leur létalité est très faible (Higginson et coll., 1992).

La prédisposition aux cancers de la peau est inversement proportionnelle au degré de pigmentation par la mélanine, qui semble jouer un rôle protecteur en s’opposant à l’effet cancérogène des rayonnements ultraviolets solaires (UV). Le risque de cancer non mélanocytaire dans les populations de race blanche augmente au fur et à mesure que l’on se rapproche de l’équateur.

En 1992, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC, 1992b) a étudié le pouvoir cancérogène du rayonnement solaire et a conclu qu’il était bien réel chez l’humain et qu’il induisait des tumeurs malignes cutanées: mélanomes et cancers cutanés non mélanocytaires.

La diminution de l’exposition au soleil semble réduire la fréquence de ce type de cancers. Dans la population blanche, 90 à 95% des cancers cutanés non mélanocytaires sont imputables au rayonnement solaire (CIRC, 1990).

Les cancers de ce type peuvent apparaître dans les zones qui sont le siège d’une inflammation chronique, d’une irritation ou de cicatrices de brûlures. Les traumatismes et les ulcérations chroniques de la peau constituent d’importants facteurs de risque de cancer cutané à cellules squameuses, surtout en Afrique.

La radiothérapie, les chimiothérapies utilisant les moutardes à l’azote, les traitements immunosuppresseurs, les psoralènes en association avec une irradiation par les UV-A et les applications de goudron de houille sur les lésions cutanées ont été corrélés à un risque accru de ce type de cancer. La relation entre l’augmentation des cancers de la peau chez l’humain et l’exposition à l’arsenic trivalent et aux composés arsenicaux présents dans l’environnement a été établie (CIRC, 1987). L’arsenicisme peut provoquer des kératoses palmo-plantaires arsénieuses, des cancers épidermoïdes et des épithéliomas baso-cellulaires superficiels.

Certaines maladies héréditaires telles que la déficience en enzymes nécessaires à la réparation de l’ADN lésé par les rayons UV peuvent accroître le risque de cancer cutané non mélanocytaire. L’angioréticulose de Kaposi (xeroderma pigmentosum) est l’une de ces maladies héréditaires.

Le premier constat de cancer cutané professionnel a été dressé en 1775 par sir Percival Pott. Il était localisé au scrotum chez les ramoneurs et était provoqué par la suie. Au début du XXe siècle, on a pu observer des cancers de ce type chez des renvideurs travaillant dans des filatures de coton où ils étaient exposés à l’huile de schiste servant à lubrifier les bobines de coton. Il devait se révéler que les cancers du scrotum des ramoneurs et des renvideurs étaient en fait dus à des hydrocarbures polycycliques aromatiques (HPA), dont un grand nombre sont cancérogènes chez l’animal, en particulier les HPA à 3, 4 et 5 cycles tels que le benzo[a]pyrène et le dibenzo[a,h]anthracène (CIRC, 1983; 1984a; 1984b; 1985). A côté des mélanges contenant déjà des HPA cancérogènes, des substances cancérogènes peuvent aussi se former par craquage lors du chauffage de composés organiques.

Parmi les autres professions associées à un nombre accru de cancers cutanés non mélanocytaires liés aux HPA, il faut citer: les travailleurs préposés à la réduction de l’alumine, à la gazéification du charbon, au pavage et à l’entretien des routes ou encore à la production de l’huile de schiste, les travailleurs des fours à coke, les souffleurs de verre, les conducteurs de locomotive, les ajusteurs mécaniciens ou outilleurs (voir tableau 12.1). On trouve des HPA cancérogènes dans les goudrons de houille, les brais qui en dérivent, les autres dérivés du charbon, l’huile d’anthracène et de créosote, ainsi que les huiles de coupe et de lubrification.

Tableau 12.1 Professions à risque

Substance ou agent cancérogène

Branche ou danger

Processus ou groupe à risque

Brai, goudron ou dérivés du goudron

Réduction de l’alumine

Travailleurs des ateliers d’électrolyse de l’aluminium

 

Industries du charbon, du gaz et du coke

Fours à coke, distillation du goudron, fabrication du gaz de houille, chargement du brai

 

Fabrication de charbon aggloméré

Fabrication de briquettes

 

Industrie de l’asphalte

Construction de routes

 

Utilisateurs de créosote

Travailleurs des briquetteries et des tuileries, boiseurs

Suie

Ramonage

 

Industrie du caoutchouc

Mélangeurs de noir de carbone (suie commerciale) et d’huile

Huiles de lubrification et de coupe

Soufflage du verre

 

Raffinage de l’huile de schiste

 

Industrie du coton

Renvideurs

 

Travailleurs employant l’huile de paraffine

 

Industries mécaniques

Ajusteurs et opérateurs de machines d’ajustage en ateliers automatisés (huiles de coupe)

Arsenic

Raffinage des lubrifiants

Personnel de nettoyage des cuves de distillation

 

Usines de bains parasiticides pour moutons

 

Insecticides à base d’arsenic

Personnel de fabrication et utilisateurs (jardiniers, producteurs de fruits, viticulteurs)

 

Extraction minière de l’arsenic

Rayonnements ionisants

Radiologues

 

Autres travailleurs exposés aux rayonnements

Rayonnement ultraviolet

Travailleurs en plein air

Agriculteurs, pêcheurs, viticulteurs et autres travailleurs en plein air (ouvriers du bâtiment)

 

UV industriels

Soudage à l’arc; lampes germicides; procédés de découpage et d’impression

D’autres professions ont été associées à un risque accru de ce type de cancer: les ouvriers du jute, les travailleurs en plein air, les préparateurs en pharmacie, les ouvriers des scieries, les préposés aux bains parasiticides pour moutons, les pêcheurs, les viticulteurs et les personnes travaillant sur l’eau. Chez ces dernières qui pour l’essentiel pratiquent la pêche traditionnelle, on a mis en évidence dans le Maryland, aux Etats-Unis, un risque accru de cancer, mais à cellules squameuses uniquement. Le rayonnement solaire est une des explications possibles de cet accroissement du risque chez les pêcheurs, les travailleurs en plein air, les viticulteurs et les personnes travaillant sur l’eau. Outre l’exposition au soleil, les pêcheurs sont également appelés à manipuler des huiles et des goudrons, et ils peuvent ingérer de l’arsenic inorganique en consommant le poisson qu’ils pêchent. Tous ces facteurs peuvent contribuer à l’excès de risque observé dans une étude suédoise sur des populations de pêcheurs, risque qui est le triple de celui trouvé dans les données par comté (Hagmar et coll., 1992). Le risque accru chez les préposés aux bains parasiticides pour moutons peut s’expliquer par la présence de composés arsenicaux qui induisent des cancers cutanés par ingestion plutôt que par contact cutané. Les agriculteurs, pour leur part, ont un risque légèrement accru de mélanome, et un risque de cancer cutané non mélanocytaire qui semble normal si l’on en croit les études épidémiologiques menées au Danemark, en Suède et aux Etats-Unis (Blair et coll., 1992).

Les rayonnements ionisants ont entraîné des cancers cutanés chez les premiers radiologues et chez les personnes qui manipulaient le radium. Dans ces deux cas, les expositions étaient prolongées et importantes. Les accidents professionnels causant des lésions de la peau ou une irritation cutanée prolongée peuvent accroître le risque de cancer cutané non mélanocytaire.

La prévention des cancers cutanés non mélanocytaires d’origine professionnelle

Le port de vêtements adaptés au risque et l’emploi d’une crème solaire ayant un indice protecteur anti-UV-B égal ou supérieur à 15 contribueront à protéger les travailleurs en plein air exposés aux rayons ultraviolets. De plus, le remplacement de certaines substances cancérogènes (notamment des denrées alimentaires) par des substances non cancérogènes est évidemment une autre mesure, qui n’est cependant pas toujours possible. L’intensité de l’exposition aux substances cancérogènes peut être réduite grâce à l’installation d’écrans protecteurs sur le matériel, au port de vêtements de protection et à des mesures d’hygiène.

L’éducation des travailleurs est la clé de voûte du succès de la prévention. Ces derniers doivent en effet être tenus informés de la nature du risque auquel ils sont exposés et des raisons et de l’intérêt des mesures de protection.

Enfin, les cancers cutanés se développent généralement sur plusieurs années et beaucoup d’entre eux passent par un certain nombre de stades précancéreux avant d’atteindre leur plein potentiel de malignité, comme dans le cas des kératoses arsenicales et des kérato-acanthomes. Ces premiers stades sont facilement décelables à l’examen visuel. Le dépistage régulier des cancers de la peau offre donc une réelle possibilité de réduire la mortalité chez les sujets dont on sait qu’ils ont été exposés à un agent cancérogène cutané.

LE MÉLANOME MALIN

Timo Partanen, Paolo Boffetta et Elisabete Weiderpass

Le mélanome malin est plus rare que le cancer cutané non mélanocytaire et, à l’exception de l’exposition aux rayons du soleil, aucun autre facteur environnemental ne présente d’association constante avec ce type de cancer. Les corrélations avec la profession, l’alimentation et les facteurs hormonaux n’ont pas été confirmées (Koh et coll., 1993).

Le mélanome malin est un cancer cutané agressif (CIM-9 172.0 à 173.9; CIM-10: C43) qui se développe à partir des cellules produisant les pigments cutanés, généralement à partir d’un nævus préexistant. La tumeur a généralement de quelques millimètres à plusieurs centimètres d’épaisseur; elle est de couleur brune ou noire, grossit, présente des modifications de couleur et peut saigner ou s’ulcérer (Balch et coll., 1993).

Les éléments de mauvais pronostic du mélanome malin de la peau sont le sous-type nodulaire, l’épaisseur de la tumeur, les tumeurs primitives multiples, les métastases, l’ulcération, le saignement, l’ancienneté de la tumeur, son siège et, pour certains sites, l’appartenance au sexe masculin. Les antécédents de mélanome malin de la peau augmentent le risque de mélanome secondaire. Dans les régions à incidence élevée, le taux de survie à cinq ans après le diagnostic est de 80 à 85%, mais il est moins bon dans les régions à faible incidence (Ellwood et Koh, 1994; Stidham et coll., 1994).

Il existe quatre types histologiques de mélanome malin de la peau. Premièrement, les mélanomes à extension superficielle qui représentent 60 à 70% de l’ensemble des mélanomes dans la population blanche et moins dans les autres races. Ces mélanomes progressent en général lentement et sont plus fréquents chez la femme que chez l’homme. Deuxièmement, les mélanomes nodulaires qui représentent 15 à 30% des mélanomes malins de la peau. Ils sont invasifs, croissent rapidement et sont plus fréquents chez les hommes. Troisièmement, les mélanomes malins lentigineux ou taches mélaniques de Hutchinson qui comptent pour 4 à 10%. Ces mélanomes croissent lentement, apparaissent souvent sur le visage des personnes âgées et métastasent rarement. Enfin, dernier type, les mélanomes lentigineux des extrémités qui sont responsables de 35 à 60% de l’ensemble des mélanomes malins de la peau chez les non-Blancs et de 2 à 8% chez les Blancs. Ces mélanomes se développent souvent à la plante (Bijan, 1993).

On traite les mélanomes malins de la peau en utilisant, seuls ou en association, la chirurgie, la radiothérapie, la chimiothérapie et les traitements biologiques (interféron alpha ou interleukine-2).

Au cours des années quatre-vingt, l’incidence annuelle corrigée en fonction de l’âge des mélanomes malins de la peau a varié, pour 100 000 habitants, de 0,1 chez les hommes à Khon Kaen, en Thaïlande, à 30,9 environ chez les hommes et 28,5 chez les femmes au Queensland, en Australie (CIRC, 1992b). Les mélanomes malins représentent moins de 1% de l’ensemble des cancers dans la plupart des populations. Une augmentation annuelle de 5% environ de l’incidence des mélanomes a été notée dans la plupart des populations blanches entre le début des années soixante et l’année 1972 environ. La mortalité par mélanome a progressé au cours des dernières décennies dans la plupart des populations, mais à un rythme moins rapide que son incidence, probablement en raison du diagnostic précoce qui en est fait et des campagnes d’information qui sont maintenant organisées (CIRC, 1992b). Des données plus récentes montrent différents schémas d’évolution, certaines indiquant même une tendance à la baisse.

D’après les statistiques, les mélanomes malins de la peau font partie des dix cancers les plus fréquents en Amérique du Nord, en Australie et en Europe, et leur risque de survenue au cours de la vie est compris entre 1 et 5%. Les populations à peau blanche sont plus menacées que les autres, le risque augmentant chez ces sujets au fur et à mesure que l’on se rapproche de l’équateur.

La répartition des mélanomes cutanés en fonction du sexe varie beaucoup d’une population à l’autre (CIRC, 1992a). Dans la majorité d’entre elles, l’incidence est plus faible chez la femme que chez l’homme; quant au siège des lésions, il varie aussi en fonction du sexe, ces dernières touchant plus volontiers le tronc et la face chez l’homme et les membres chez la femme.

Les mélanomes malins de la peau sont plus fréquents dans les classes socio-économiques élevées que dans les classes plus défavorisées (CIRC, 1992b).

Les mélanomes à composante familiale sont rares, mais ils sont bien documentés, 4 à 10% des patients déclarant des antécédents de mélanome chez leurs parents au premier degré.

L’irradiation par les UV-B solaires est selon toute vraisemblance la principale cause de la hausse très sensible de l’incidence des mélanomes cutanés (CIRC, 1993). On ignore toutefois si le trou dans la couche d’ozone stratosphérique et l’augmentation de l’irradiation par les UV qui en résulte sont à l’origine du phénomène (CIRC, 1993; Kricker et coll., 1993). L’effet des UV dépend de certaines caractéristiques telles que le phénotype I ou II et la couleur bleue des yeux. On soupçonne — sans pour autant disposer de preuve formelle à ce sujet — que les rayons UV émis par les lampes fluorescentes jouent un rôle (Beral et coll., 1982).

D’après les estimations qui ont été faites, une diminution de l’exposition solaire pendant les activités de loisirs et l’emploi de crèmes solaires devraient permettre de réduire de 40% l’incidence des mélanomes malins dans les populations à haut risque (CIRC, 1990). Chez les personnes travaillant en plein air, l’application de crèmes solaires ayant un indice de protection anti-UV-B de 15 au moins et d’une crème solaire anti-UV-A, ainsi que le port de vêtements de protection sont de bonnes mesures de prévention. S’il est possible que les travailleurs en plein air soient davantage exposés au risque du fait de l’augmentation de l’exposition au rayonnement solaire, les résultats des études sur l’exposition en rapport avec l’exercice régulier d’une profession en plein air ne sont pas cohérents. Ces résultats contradictoires peuvent s’expliquer par des observations épidémiologiques donnant à penser que le risque accru de mélanome n’est pas associé à une exposition régulière au rayonnement solaire, mais bien à une exposition intermittente à des doses élevées (CIRC, 1992b).

Les traitements immunosuppresseurs peuvent entraîner un risque accru de mélanome malin de la peau. On a fait également état d’une augmentation du risque liée à l’emploi des contraceptifs oraux, mais celle-ci semble peu probable (Hannaford et coll., 1991). Les œstrogènes peuvent induire des mélanomes chez le hamster, mais la preuve d’un tel effet chez l’humain n’a pas pu être apportée.

Chez les adultes de race blanche, la majeure partie des tumeurs malignes intraoculaires primitives sont des mélanomes, qui se développent généralement à partir des mélanocytes du tractus uvéal. La fréquence estimée de ces cancers ne présente pas les variations géographiques et la tendance à augmenter dans le temps observées dans le cas des mélanomes cutanés. L’incidence et la mortalité des mélanomes oculaires sont très faibles chez les sujets de race noire et asiatique (CIRC, 1990; Sahel et coll., 1993). Les causes du mélanome oculaire sont inconnues (Higginson et coll., 1992).

Les études épidémiologiques ont montré un excès de risque de mélanome malin chez les administrateurs et le personnel d’encadrement, les pilotes de ligne, les travailleurs de l’industrie chimique, les employés de bureau, les employés des centrales électriques, les mineurs, les physiciens, les policiers et les gardiens, les vendeurs, les travailleurs des raffineries et des entrepôts qui sont exposés à l’essence. On a signalé un excès de risque dans des branches comme la production de fibres cellulosiques, les produits chimiques, la confection, les produits électriques et électroniques, la métallurgie, les produits minéraux non métalliques, la pétrochimie, l’imprimerie et les télécommunications. Un grand nombre de ces observations sont cependant isolées et n’ont pas été retrouvées dans d’autres études. Une série de méta-analyses des risques de cancer chez les agriculteurs (Blair et coll., 1992; Nelemans et coll., 1993) a montré un excès peu important, mais significatif (ratio du risque cumulé de 1,15), des mélanomes malins de la peau dans 11 études épidémiologiques.

Une étude multicentrique cas-témoins des cancers professionnels, menée à Montréal (Canada) (Siemiatycki et coll., 1991), a permis d’associer certaines expositions professionnelles à un risque significativement accru de mélanome malin de la peau: chlore, émissions de moteurs au propane, produits de la pyrolyse des plastiques, poussières de tissu, fibres de laine, fibres acryliques, colles synthétiques, autres peintures, vernis, alkènes chlorés, trichloroéthylène et agents de blanchiment. Compte tenu des associations significatives mises en évidence dans cette étude, on a estimé à 11,1% le risque attribuable aux expositions professionnelles au sein de cette population.

LA DERMATITE DE CONTACT PROFESSIONNELLE

Denis Sasseville

Les termes dermatite et eczéma sont interchangeables et désignent un type particulier de réaction inflammatoire de la peau qui peut être déclenchée par des facteurs internes ou externes. La dermatite de contact professionnelle est un eczéma exogène dû à l’interaction de la peau avec des agents chimiques, biologiques ou physiques présents sur le lieu de travail.

La dermatite de contact représente 90% de l’ensemble des dermatoses professionnelles et, dans 80% des cas, elle affecte le principal outil des travailleurs, leurs mains (Adams, 1988). Ce type de dermatite est habituellement provoqué par le contact direct avec l’agent causal, mais d’autres mécanismes sont possibles. Ainsi, des substances particulaires comme la poussière ou la fumée et les vapeurs de substances volatiles peuvent entraîner une dermatite de contact aéroportée. Certaines substances peuvent passer des doigts à d’autres endroits du corps et provoquer une dermatite de contact ectopique. Enfin, l’activation de l’agent réactogène par son exposition à la lumière ultraviolette pourra causer une dermatite de photocontact.

On a coutume de classer la dermatite de contact en deux grandes catégories en fonction de son mécanisme de survenue: dermatite de contact par irritation et dermatite de contact allergique. Le tableau 12.2 recense les principales caractéristiques de l’une et de l’autre.

Tableau 12.2 Les différents types de dermatite de contact

Caractéristique

Dermatite de contact par irritation

Dermatite de contact allergique

Mécanisme de production

Effet cytotoxique direct

Immunité cellulaire de type retardé (type IV de Gell et Coombs)

Victimes potentielles

Tout le monde

Un petit nombre de sujets

Survenue

Progressive, après exposition répétée ou prolongée

Rapide, en 12-48 heures, chez les sujets sensibilisés

Signes

Eczéma subaigu à chronique, avec érythème, desquamation et fissures

Eczéma aigu à subaigu avec érythème, œdème, bulles et vésicules

Symptômes

Douleur et sensation de brûlure

Prurit

Concentration de l’agent de contact

Elevée

Faible

Consultation

Antécédents et examen clinique

Antécédents et examen clinique

 

 

Tests épicutanés

La dermatite de contact par irritation

La dermatite de contact par irritation résulte d’une action cytotoxique directe de l’agent responsable. Le système immunitaire participe indirectement aux lésions cutanées en provoquant une inflammation visible de la peau. Avec 80% de l’ensemble des cas, ce type de dermatite de contact est le plus fréquent de tous.

Les agents irritants sont pour la plupart des substances chimiques que l’on classe en fonction de leur effet: immédiat ou cumulatif. Les substances corrosives telles que les bases ou les acides forts font partie des substances irritantes à effet immédiat, car elles provoquent des lésions cutanées en quelques minutes ou quelques heures d’exposition. Ces substances sont généralement bien connues et portent une marque distinctive, de sorte que le contact avec elles, lorsqu’il survient, est le plus souvent accidentel. En revanche, les substances irritantes à effet cumulatif agissent de façon plus insidieuse et sont souvent jugées inoffensives par le travailleur, les lésions pouvant mettre plusieurs jours, voire plusieurs semaines ou mois d’exposition répétée avant d’apparaître. Comme le montre le tableau 12.3, ces agents irritants regroupent les solvants, les distillats de pétrole, les acides et bases dilués, les savons et détergents, les résines et plastiques, les désinfectants et même l’eau (Gellin, 1972).

Tableau 12.3 Agents irritants courants

Acides et bases 

Savons et détergents 

Solvants
  Aliphatiques:
  Aromatiques:
  Halogénés:
  Divers:


Distillats de pétrole (kérosène, essence, naphta)
Benzène, toluène, xylène
Trichloroéthylène, chloroforme, chlorure de méthylène
Térébenthine, cétones, esters, alcools, glycols, eau

Plastiques
  Monomères époxy, phénoliques, acryliques
  Catalyseurs aminés
  Styrène, peroxyde de benzoyle

Métaux
  Arsenic
  Chrome 

La dermatite de contact par irritation, qui apparaît après plusieurs années de manipulation sans problème d’une substance, peut être due à une perte de tolérance consécutive à une défaillance de la barrière épidermique après des agressions infracliniques répétées. Plus rarement, on assiste à un épaississement de l’épiderme et à d’autres mécanismes d’adaptation qui ont pour résultat d’accroître la tolérance à certains agents irritants: ce phénomène s’appelle l’endurcissement.

On peut dire, pour résumer, que la dermatite de contact par irritation survient chez un grand nombre de sujets s’ils sont exposés à des concentrations suffisantes de l’agent causal pendant une période suffisamment longue elle aussi.

La dermatite de contact allergique

La dermatite de caractère allergique représente 20% de l’ensemble des dermatites de contact. Elle est provoquée par une réaction allergique retardée, à médiation cellulaire, semblable à celle observée dans le rejet de greffe. Ce type de réaction, qui se produit chez un petit nombre de sujets, résulte d’une participation active du système immunitaire en présence de très faibles concentrations de l’agent réactogène. De nombreux allergènes sont également irritants, mais la quantité de produit nécessaire au déclenchement d’une irritation est généralement beaucoup plus élevée que celle nécessaire au déclenchement d’une sensibilisation. La séquence des événements qui culmine avec l’apparition de lésions visibles se divise en deux phases.

La phase de sensibilisation (phase d’induction ou afférente)

Les allergènes sont des substances chimiques hétérogènes, organiques ou inorganiques, capables de traverser la barrière épidermique en raison de leur lipophilie (attirance pour les lipides de la peau) et de leur faible poids moléculaire, généralement inférieur à 500 daltons (voir tableau 12.4). Les allergènes sont des antigènes incomplets ou haptènes, ce qui signifie qu’ils doivent se lier aux protéines épidermiques pour devenir des antigènes complets.

Tableau 12.4 Allergènes cutanés courants

Métaux

Végétaux

 Nickel

 Urushiol (Toxicodendron)

 Chrome

 Lactones sesquiterpéniques (Compositae)

 Cobalt

 Primine (Primula obconica)

 Mercure

 Tulipaline A (Tulipa, Alstrœmeria)

Additifs du caoutchouc

Plastiques

 Mercaptobenzothiazole

 Monomère époxy

 Thiurames

 Monomère acrylique

 Carbamates

 Résines phénoliques

 Thiourées

 Catalyseurs aminés

Colorants

Biocides

 Paraphénylènediamine

 Formaldéhyde

 Révélateurs de photographies en couleur

 Kathon CG

 Colorants textiles de type «disperse»

 Thimérosal

Les cellules de Langerhans sont des cellules dendritiques porteuses d’antigènes qui représentent moins de 5% de l’ensemble des cellules épidermiques. Elles capturent les antigènes cutanés, les absorbent et les traitent avant de les réexprimer sur leur face externe, liés à des protéines du complexe majeur d’histocompatibilité. Après quelques heures de contact, les cellules de Langerhans quittent l’épiderme et migrent par les vaisseaux lymphatiques vers les ganglions lymphatiques de drainage. Les lymphokines telles que l’interleukine-1 (IL-1) et le facteur nécrosant des tumeurs de type alpha (TNF-alpha) sécrétés par les kératinocytes jouent un rôle capital dans la maturation et la migration des cellules de Langerhans.

Dans la zone paracorticale des ganglions lymphatiques proximaux, les cellules de Langerhans entrent en contact avec des lymphocytes T naïfs accessoires CD4+ et leur présentent leur charge antigénique. Pour que les cellules de Langerhans puissent interagir avec les cellules T accessoires, il faut que les récepteurs des lymphocytes T reconnaissent l’antigène et qu’il se produise un engrènement de nombreuses molécules d’adhérence et d’autres glycoprotéines de surface. Si les récepteurs reconnaissent effectivement l’antigène, on assiste à une expansion clonale de lymphocytes T à mémoire qui passent dans le sang et diffusent à la totalité de la peau. Au cours de cette phase qui dure de 5 à 21 jours, aucune lésion n’apparaît.

La phase de manifestation (phase efférente)

Lors de la réexposition à l’allergène, les lymphocytes T sensibilisés sont activés et sécrètent de puissantes lymphokines telles que l’IL-1, l’IL-2 et l’interféron gamma (IFN-gamma). A leur tour, celles-ci induisent la transformation blastique des lymphocytes T, la production de lymphocytes T cytotoxiques et suppresseurs, le recrutement et l’activation de macrophages et d’autres cellules effectrices et la production d’autres médiateurs de l’inflammation, comme le TNF-alpha et les molécules adhérentes. En l’espace de 8 à 48 heures, cette cascade de phénomènes provoque une vasodilatation et un érythème, une tuméfaction dermo-épidermique (œdème), la formation de vésicules (vésiculation) et un suintement. En l’absence de traitement, cette réaction peut durer de deux à six semaines.

On constate alors une baisse de la réponse immunitaire avec dégradation de l’antigène, destruction des cellules de Langerhans, augmentation de la production de lymphocytes suppresseurs CD8+ et production par les kératinocytes d’IL-10 qui inhibe la prolifération des lymphocytes T auxiliaires/cytotoxiques.

Le tableau clinique

Morphologie. La dermatite de contact peut être aiguë, subaiguë ou chronique. En phase aiguë, les lésions apparaissent rapidement et ont l’aspect au début de plaques urticariennes érythémateuses, œdématiées et prurigineuses. L’œdème peut être très étendu, surtout aux endroits où la peau est lâche, comme au niveau des paupières ou dans la région génitale. En quelques heures, ces plaques se rejoignent et se couvrent de petites vésicules qui peuvent grandir ou s’unir pour former des bulles. La rupture de celles-ci laisse sourdre un liquide poisseux de couleur ambrée.

L’œdème et la vésiculation sont moins importants dans la dermatite subaiguë qui se caractérise par un érythème, une vésiculation, une desquamation cutanée, un suintement modéré et la formation de croûtes jaunâtres.

Au stade chronique, la vésiculation et le suintement cèdent la place à une desquamation accrue, un épaississement de l’épiderme qui prend une teinte grisâtre et l’apparition de sillons (lichénification) profonds et douloureux dans les régions articulaires et au niveau des parties lésées. Un lymphœdème persistant peut apparaître après plusieurs années d’évolution de la dermatite.

Distribution. L’aspect particulier et la localisation de la dermatite permettent souvent au médecin de suspecter son origine exogène et parfois d’identifier l’agent étiologique. Ainsi, des stries érythémateuses linéaires ou serpigineuses et la présence de vésicules sur des zones de peau découverte lui permettront de conclure de façon quasi certaine à une dermatite de contact due aux végétaux, tandis qu’une réaction plus prononcée sur le dos des mains et autour des poignets indiquera indubitablement ou presque une allergie au port de gants.

Le contact répété avec l’eau et les produits de nettoyage est responsable de la traditionnelle «dermatite des ménagères», caractérisée par un érythème, une desquamation et des fissures de l’extrémité et de la face dorsale des doigts, avec atteinte de la peau interdigitale. Par contre, la dermatite due au frottement des outils ou au contact avec des objets solides a tendance à se localiser sur la paume et sur la face antérieure des doigts.

La dermatite de contact par irritation due aux particules de fibres de verre affecte le visage, les mains et les avant-bras et est plus marquée aux plis de flexion, autour du cou et de la taille, là où les mouvements et le frottement des vêtements forcent la pénétration des petites épines dans la peau. Une atteinte de la face, des paupières supérieures, des oreilles et de la région sous-mentonnière est évocatrice d’une dermatite aéroportée. Une dermatite de photocontact épargnera les zones protégées du soleil comme les paupières supérieures, la région sous-mentonnière et les zones rétroauriculaires.

Extension à distance. La dermatite par irritation reste localisée à la zone de contact. La dermatite de contact allergique, surtout quand elle est aiguë et sévère, se caractérise par sa tendance à diffuser à distance du site d’exposition initial. Deux mécanismes peuvent expliquer ce phénomène. Le premier, l’auto-eczématisation, également appelée eczématide ou «syndrome d’excitation de la peau», correspond à un état d’hypersensibilité du tissu cutané dans son ensemble, en réponse à une dermatite persistante ou grave et localisée. Le second, celui de la dermatite de contact généralisée, survient lorsqu’un patient sensibilisé localement à un allergène est réexposé au même agent par voie orale ou parentérale. Dans les deux cas, il se produit une dermatite généralisée, facile à confondre avec un eczéma d’origine endogène.

Les facteurs prédisposants

L’apparition d’une dermatite professionnelle est déterminée par la nature et la concentration de l’agent auquel le travailleur est exposé et par la durée de l’exposition. Le fait que, dans les mêmes conditions d’exposition, seul un petit nombre de travailleurs développent une dermatite est la preuve de l’importance d’autres facteurs prédisposants, personnels et environnementaux (voir tableau 12.5).

Tableau 12.5 Les facteurs prédisposants aux dermatites professionnelles

Age

Les travailleurs jeunes sont souvent inexpérimentés ou imprudents et risquent davantage de développer une dermatite professionnelle que les travailleurs plus âgés

Type de peau

Les Orientaux et les Noirs sont généralement plus résistants à l’irritation que les Blancs

Maladie préexistante

L’atopie prédispose à la dermatite de contact par irritation
Le psoriasis et le lichen plan peuvent être aggravés en raison du phénomène de Kœbner

Température et humidité

L’hygrométrie élevée diminue l’efficacité de la barrière épidermique
L’hygrométrie basse et le froid provoquent des gerçures et le dessèchement de l’épiderme

Conditions de travail

Un lieu de travail malpropre est plus souvent contaminé par des substances chimiques toxiques ou allergisantes
Le matériel vétuste et l’absence de mesures de protection augmentent le risque de dermatite professionnelle
Les mouvements répétés et les frottements peuvent entraîner une irritation et la formation de callosités

Age. Les travailleurs jeunes sont davantage sujets aux dermatites professionnelles soit parce qu’ils sont moins expérimentés que leurs aînés, soit parce qu’ils sont moins attentifs aux consignes de sécurité. On peut aussi penser que les travailleurs âgés se sont endurcis aux agents irritants doux ou ont appris à éviter les contacts avec les substances dangereuses, ou bien encore qu’ils forment un groupe autosélectionné de sujets n’ayant jamais eu de problèmes, les autres ayant spontanément quitté la profession.

Le type de peau. Dans l’ensemble, la peau des Noirs ou des Orientaux semble être plus résistante aux effets des substances irritantes de contact que celle des Blancs.

Maladie préexistante. Les travailleurs sujets aux allergies (qui ont un terrain atopique se traduisant par de l’eczéma, de l’asthme ou une rhinite allergique) ont plus de chances de développer une dermatite de contact par irritation. Le psoriasis et le lichen plan peuvent être aggravés par le frottement ou les agressions répétés, par un phénomène dit de Kœbner. Quand ces lésions sont circonscrites aux paumes, il peut s’avérer difficile de les distinguer d’une dermatite de contact par irritation chronique.

Température et humidité. En cas de très forte chaleur, les travailleurs négligent souvent de porter leur équipement de protection, gants ou autre. Un degré d’hygrométrie important réduit l’efficacité de la barrière épidermique, alors que la sécheresse et le froid favorisent les crevasses et les fissures.

Conditions de travail. La fréquence de la dermatite de contact est plus élevée dans les lieux de travail malpropres, contaminés par des substances chimiques, équipés d’un matériel obsolète, ou dépourvus de moyens de protection et d’installations sanitaires. Du fait des activités manuelles qu’ils sont appelés à accomplir en étant exposés à des substances irritantes ou à des allergènes puissants, certains travailleurs comme les coiffeurs, les imprimeurs ou encore les prothésistes dentaires encourent plus de risques.

Le diagnostic

Le diagnostic de dermatite de contact professionnelle peut généralement être porté après un interrogatoire détaillé et un examen clinique soigneux.

Antécédents. Il conviendrait de demander au travailleur de remplir un questionnaire précisant le nom et l’adresse de son employeur, le titre de son poste et ses fonctions. Le travailleur devrait fournir une liste de toutes les substances chimiques qu’il utilise accompagnée, si possible, des informations figurant, par exemple, sur les fiches de données de sécurité. La date de survenue et la localisation de la dermatite devraient être notées, de même que les changements éventuels constatés pendant les vacances ou les absences pour maladie, en cas d’exposition au soleil, ou de traitement. Le médecin examinateur devrait également demander des précisions sur les loisirs du travailleur, son mode de vie, ses antécédents dermatologiques, son état de santé général et les traitements qu’il suit.

Examen clinique. Le médecin examinera soigneusement les zones atteintes et notera la gravité et le stade de la dermatite, sa distribution précise et son retentissement sur le travail. Un examen complet de la peau doit être pratiqué en recherchant les stigmates révélateurs d’un psoriasis, d’une dermatite atopique, d’un lichen plan, d’une dermatomycose, etc., donnant à penser que la dermatite n’est pas d’origine professionnelle.

Les examens complémentaires

Les informations tirées de l’interrogatoire et de l’examen clinique suffisent généralement à suspecter la nature professionnelle de la dermatite. Cependant, d’autres tests sont nécessaires dans la plupart des cas pour confirmer le diagnostic et trouver l’agent responsable.

Les tests épicutanés ou patch tests. Les tests épicutanés sont la méthode de choix pour identifier les allergènes cutanés et il convient de les pratiquer systématiquement dans tous les cas de dermatite professionnelle (Rietschel et coll., 1995). On trouve actuellement dans le commerce plus de 300 de ces allergènes. Les batteries de tests standards, qui regroupent les plus courants, peuvent être complétées par d’autres séries réservées à des catégories particulières de travailleurs: coiffeurs, prothésistes dentaires, jardiniers, imprimeurs, etc. Le tableau 12.6 dresse la liste des substances irritantes et sensibilisantes utilisées dans certaines de ces professions.

Tableau 12.6 Exemples de substances irritantes ou sensibilisantes cutanées et professions
dans lesquelles un contact est possible

Profession

Substances irritantes

Substances sensibilisantes

Travailleurs du bâtiment

Térébenthine, diluants, fibre de verre, colles

Chromates, résines époxy et phénoliques, colophane, térébenthine, bois

Prothésistes dentaires

Détergents, désinfectants

Caoutchouc, monomères époxy et acryliques, catalyseurs aminés, anesthésiques locaux, mercure, or, nickel, eugénol, formaldéhyde, glutaraldéhyde

Agriculteurs, fleuristes, jardiniers

Engrais, désinfectants, savons et détergents

Végétaux, bois, fongicides, insecticides

Employés de la transformation alimentaire, cuisiniers, boulangers

Savons et détergents, vinaigre, fruits, légumes

Légumes, épices, ail, caoutchouc, peroxyde de benzoyle

Coiffeurs, esthéticiennes

Shampooings, décolorants, eau oxygénée, produits pour permanentes, acétone

Paraphénylènediamine des teintures capillaires, glycérylmonothioglycolate des permanentes, persulfate d’ammonium des décolorants, surfactants des shampooings, nickel, parfums, huiles essentielles, conservateurs de produits cosmétiques

Personnel médical

Désinfectants, alcool, savons et détergents

Caoutchouc, colophane, formaldéhyde, glutaraldéhyde, désinfectants, antibiotiques, anesthésiques locaux, phénothiazines, benzodiazépines

Métallurgistes, machinistes et mécaniciens

Savons et détergents, huiles de coupe, distillats de pétrole, abrasifs

Nickel, cobalt, chrome, biocides des huiles de coupe, hydrazine et colophane des flux de soudage, résines époxy et catalyseurs aminés, caoutchouc

Imprimeurs et photographes

Solvants, acide acétique, encre, monomères acryliques

Nickel, cobalt, chrome, caoutchouc, colophane, formaldéhyde, paraphénylènediamine et colorants azoïques, hydroquinone, monomères époxy et acryliques, catalyseurs aminés, révélateurs pour photographies couleur et noir et blanc

Travailleurs du textile

Solvants, décolorants, fibres naturelles et synthétiques

Résines de formaldéhyde, colorants azoïques et anthraquinoniques, caoutchouc, biocides

Les allergènes sont mélangés à un excipient approprié, généralement de la vaseline, à une concentration connue après plusieurs années d’expérience pour être non irritante, mais suffisamment forte pour révéler une sensibilisation allergique. On vend maintenant des séries d’allergènes préconditionnés, prêts à l’emploi, montés sur bande adhésive, mais à l’heure actuelle seuls les 24 allergènes de la série standard sont disponibles sous cette forme. Les tests pour les autres substances, conditionnés en seringues, sont vendus individuellement.

Le test doit être effectué à un moment où la dermatite est en phase quiescente et où le patient ne prend pas de corticoïdes par voie générale. Une petite quantité de chaque allergène est appliquée dans des chambres en plastique ou en aluminium montées sur des bandes adhésives hypoallergéniques poreuses. Ces rangées de chambres sont fixées sur une zone du dos du patient dépourvue de lésions dermatitiques, puis elles sont laissées en place pendant 24 heures, ou plus souvent 48 heures. Une première lecture est faite au moment où l’on retire les bandes, suivie d’une seconde et parfois d’une troisième, respectivement après quatre et sept jours. Les réactions sont évaluées comme suit:

nul       absence de réaction

?          réaction douteuse, léger érythème maculaire

+          réaction faible, léger érythème papuleux

++        réaction forte, érythème, œdème, vésicules

+++      réaction majeure, bulleuse ou érosive

RI         réaction d’irritation, érythème vernissé ou érosion s’apparentant à une brûlure

En cas de suspicion d’une dermatite de photocontact (nécessitant une exposition à la lumière ultraviolette, UV-A), on effectue une variante des tests épicutanés appelée «photopatch testing». Pour cela, on applique en double des allergènes sur le dos. Vingt-quatre ou 48 heures plus tard, on expose une des deux séries d’allergènes à une dose de 5 joules d’UV-A puis on met de nouveau les timbres en place pour ne les retirer qu’au bout de 24 ou 48 heures. Si les réactions sont identiques des deux côtés, on peut conclure à une dermatite de contact allergique; une réaction positive uniquement du côté exposé aux UV est indicatrice d’une allergie de photocontact, tandis que des réactions des deux côtés, mais plus intenses du côté exposé aux UV, sont le signe d’une dermatite combinée de contact et de photocontact.

Faciles à réaliser, mais difficiles à interpréter, les tests épicutanés doivent être faits par des dermatologues chevronnés. En règle générale, les réactions d’irritation sont plutôt légères et brûlent plus qu’elles ne démangent; on les observe en principe lorsqu’on enlève les timbres et elles disparaissent rapidement. En revanche, les réactions allergiques sont prurigineuses, maximales en quatre à sept jours et peuvent persister plusieurs semaines. En présence d’une réaction positive, il faut se demander si elle est en rapport avec la dermatite actuelle ou si elle traduit une sensibilisation antérieure, si le patient est exposé à cette substance particulière ou s’il est allergique à un autre produit, structurellement apparenté, avec lequel il fait une réaction croisée.

Le nombre des allergènes potentiels dépasse largement les 300 disponibles dans le commerce pour réaliser des tests épicutanés. Il est donc souvent nécessaire de faire passer au patient des tests aux substances qu’il utilise réellement. Pour la plupart des végétaux, il est possible de pratiquer des tests avec les allergènes tels quels; dans le cas des substances chimiques, il convient de les identifier avec précision et de les tamponner si elles n’ont pas un pH compris entre 4 et 8. Il faut les diluer jusqu’à obtention de la concentration voulue et les mélanger à un excipient approprié, conformément à la pratique scientifique actuelle (de Groot, 1994). L’évaluation d’un groupe de 10 à 20 sujets témoins permettra de déceler et d’éliminer les concentrations irritantes.

Les tests épicutanés sont généralement une technique sûre. Des réactions fortement positives peuvent parfois entraîner une exacerbation de la dermatite étudiée. En de rares cas, une sensibilisation active peut se produire, surtout quand les patients sont testés avec leurs propres produits. Des réactions sévères peuvent laisser des marques hypo- ou hyperpigmentées, des cicatrices ou des chéloïdes.

Biopsie cutanée. La principale caractéristique histologique de tous les types d’eczéma est l’œdème intercellulaire épidermique (spongiose) qui étire les ponts entre les kératinocytes jusqu’au point de rupture, causant ainsi une vésiculation intraépidermique. Une spongiose est présente même dans les dermatites chroniques de longue date, alors que l’on n’observe macroscopiquement aucune vésicule. Un infiltrat inflammatoire de cellules lympho-histiocytaires, localisé dans la partie supérieure du derme, migre dans l’épiderme (exocytose). La biopsie de peau ne permettant pas de distinguer les différents types de dermatite, on a peu recours à cet examen, sauf dans les rares cas où le diagnostic clinique est douteux et pour éliminer d’autres maladies comme le psoriasis ou le lichen plan.

Autres examens. Il est parfois nécessaire d’effectuer des cultures bactériennes, virales ou fongiques, ainsi que des préparations microscopiques à l’hydroxyde de potassium afin de rechercher des champignons ou des ectoparasites. Et si on dispose du matériel nécessaire, on peut évaluer une dermatite de contact par irritation et la quantifier par différentes méthodes physiques telles que la colorimétrie, l’évaporimétrie, la vélocimétrie par laser Doppler, l’échographie et la mesure de la conductance, de la capacitance et de l’impédance électrique (Adams, 1990).

Lieu de travail. Il arrive que l’on ne parvienne à mettre en évidence la cause d’une dermatite professionnelle qu’après une inspection soigneuse du lieu de travail. En se rendant dans l’entreprise, le médecin peut bien observer comment s’effectue le travail et comment il peut être modifié pour éliminer le risque de troubles cutanés. Cette visite doit toujours être organisée de concert avec la personne responsable des questions sanitaires et l’administrateur de l’établissement. Les informations recueillies seront utiles au travailleur comme à l’employeur. Dans bien des pays, les travailleurs ont le droit d’exiger que de telles visites aient lieu et de nombreuses entreprises disposent de comités de sécurité et d’hygiène fort actifs qui fournissent des informations précieuses.

Le traitement

Pour traiter localement une dermatite vésiculeuse aiguë, on applique de fins pansements humides, imprégnés de sérum physiologique tiède, de solution de Burow ou d’eau courante, qu’on laisse en place pendant 15 à 30 minutes, trois à quatre fois par jour. On applique ensuite un corticoïde topique puissant. Au fur et à mesure que la dermatite s’améliore et sèche, on espace les applications de pansements humides, puis on les arrête et on diminue la dose de corticoïdes en fonction de la partie du corps traitée.

Si la dermatite est sévère ou étendue, on prescrira une cure de prednisone orale, à raison de 0,5 à 1,0 mg/kg/jour pendant deux à trois semaines. S’il est nécessaire d’apporter une sédation et d’atténuer un prurit, on complètera par des antihistaminiques par voie générale de première génération.

La dermatite subaiguë répond généralement aux crèmes corticoïdes de puissance moyenne appliquées deux à trois fois par jour, souvent associées à des mesures de protection telles que le port de gants de coton sous des gants de vinyle ou de caoutchouc quand il n’est pas possible d’éviter le contact avec les agents irritants ou les allergènes.

La dermatite chronique nécessitera l’emploi de corticoïdes sous forme de pommade, combinés avec l’application fréquente d’émollients les plus gras possible. Il peut être nécessaire de traiter une dermatite persistante avec un psoralène et une photothérapie par les ultraviolets-A (PUVA) ou avec des immunosuppresseurs par voie générale comme l’azathioprine (Guin, 1995).

Dans tous les cas, il est indispensable d’éviter strictement tout contact avec la substance responsable. Il est plus facile pour le travailleur de rester à l’écart des agents mis en cause s’il dispose d’informations écrites précisant leurs noms, leurs synonymes, les sources d’exposition et les possibilités de réaction croisée. Cette liste doit être claire, concise et rédigée dans des termes faciles à comprendre pour le patient.

La réparation des maladies professionnelles

Il est souvent nécessaire de prescrire un arrêt de travail. Le médecin doit indiquer le plus précisément possible la durée estimée de la période d’incapacité, en se souvenant que la restauration complète de la barrière épidermique peut prendre de quatre à cinq semaines après la guérison clinique de la dermatite. Il devra remplir sans tarder les formulaires officiels qui permettront au travailleur en incapacité de travail d’être convenablement indemnisé. Enfin, il lui appartiendra de déterminer le degré d’invalidité définitive ou l’existence de limitations fonctionnelles, susceptibles d’empêcher le patient de reprendre son ancien travail ou qui nécessiteront une réadaptation.

LA PRÉVENTION DES DERMATOSES PROFESSIONNELLES

Louis-Philippe Durocher

Dans le contexte de la prévention des maladies professionnelles, l’objectif de tout programme de santé d’une entreprise est de permettre au travailleur d’occuper son emploi durant de nombreuses années tout en restant en bonne santé. Pour bien cibler les éléments d’un tel programme, il importe de connaître les secteurs d’activité et les populations à risque, ainsi que les facteurs de risque de chaque milieu de travail. Ces connaissances permettront ensuite d’adopter une politique de prévention tant au niveau collectif qu’individuel.

Au Québec (Canada), la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) a répertorié en trente secteurs d’activité économique les diverses facettes de l’activité, qu’elle soit industrielle, commerciale ou de services (CSST, 1993). Les compilations qu’elle a réalisées permettent de constater que les travailleurs atteints de dermatoses professionnelles se retrouvent prioritairement dans cinq branches d’activité: alimentation et boissons; commerce; services médicaux et sociaux; autres services commerciaux et personnels; construction (travaux publics y compris). Dans la grande majorité des cas, les sujets atteints sont des travailleurs manuels exerçant les métiers suivants: employés des services, préposés à la fabrication, au montage ou à la réparation, manutentionnaires, employés du secteur de la transformation, personnel de santé.

Par ailleurs, deux groupes d’âge sont plus sujets aux dermatoses professionnelles. Tout d’abord, les jeunes travailleurs moins expérimentés qui ne sont pas toujours conscients des risques, parfois insidieux, que comporte leur travail. Ensuite, les travailleurs en âge de préretraite qui ne se sont pas aperçus qu’avec l’âge leur peau était plus sèche et qu’elle se réhydratait moins bien après plusieurs jours de travail. De ce fait, un facteur irritant ou astringent auparavant bien toléré provoque maintenant chez eux une dermite par irritation, lorsqu’il agit de façon répétée.

En termes de coût, même si dans la majorité des cas l’incapacité ne dure pas plus de deux semaines, dans un nombre non négligeable d’entre eux, elle peut se prolonger pendant plus de deux mois (voir tableau 12.7) (Durocher et Paquette, 1985). Cette distribution illustre bien l’importance que revêt la prévention si l’on veut éviter le développement de dermatoses chroniques nécessitant un arrêt de travail prolongé.

Tableau 12.7 Dermatoses professionnelles au Québec en 1989: répartition du
nombre de jours d'indemnisation

Jours d’indemnisation

 0

1-14

15-56

57-182

>183

Nombre de cas
(total: 735)

10

370

195

80

  80

Source: Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST), 1993.

Les facteurs de risque

Plusieurs substances utilisées en milieu de travail comportent un potentiel de risque qui peut se matérialiser ou non. Le niveau de risque varie selon la nature et la concentration de la substance, ainsi que selon la fréquence et la durée du contact avec la peau. Pour bien identifier les facteurs de risque, on peut se reporter, lors de la visite des lieux, à une classification générale (voir tableau 12.8) qui regroupe ces facteurs en quatre catégories: mécanique, physique, chimique et biologique. Lors de l’évaluation du milieu, la présence d’un facteur de risque peut être observée directement ou suspectée par l’effet constaté sur la peau des travailleurs. Le tableau 12.8 illustre le propos; dans certains cas, l’effet mis en évidence est spécifique au risque alors que, dans d’autres, on observe plutôt une altération cutanée se rattachant à l’un ou l’autre des facteurs impliqués dans cette catégorie; on parle alors d’un effet de groupe. Les facteurs physiques ont des effets spécifiques sur la peau qui sont recensés au tableau 12.8 et développés notamment à la présent chapitre.

Tableau 12.8 Facteurs de risque et leurs effets sur la peau

Facteurs mécaniques

Effets de groupe

 Trauma
 Friction
 Pression
 Poussières

 Coupures, piqûres, bulles
 Abrasions, isomorphisme
 Lichénification
 Callosités

Facteurs physiques

Effets spécifiques

 Rayonnements
 Humidité
 Chaleur
 Froid

 Photoréaction, radiodermite, cancer
 Macération, irritation
 Miliaire, brûlure, érythème
 Engelure, xérodermie, urticaire, panniculite, syndrome de Raynaud

Facteurs chimiques

Effets de groupe

 Acides, bases
 Détergents, solvants
 Métaux, résines
 Huile de coupe
 Colorants, goudron
 Caoutchouc, etc.

 Déshydratation
 Inflammation
 Nécrose
 Allergie
 Photoréaction
 Dyschromie

Facteurs biologiques

Effets spécifiques

 Bactéries
 Virus
 Dermatophytes
 Parasites
 Plantes
 Insectes

 Pyodermite
 Verrues multiples
 Dermatomycose
 Parasitoses
 Phytodermatite
 Urticaire

Cofacteurs de risque

 Eczéma (atopique, dyshidrosique, séborrhéique, nummulaire)
 Psoriasis
 Xérodermie
 Acné

Parmi les facteurs mécaniques, on retrouve les frictions répétées sur la peau, les pressions excessives prolongées, l’action physique irritante de certaines poussières industrielles en fonction de leur configuration, de leur dimension et de l’effet de leur frottement. Les traumatismes peuvent être d’origine mécanique (notamment en cas d’exposition à des vibrations répétées), chimique ou thermique; ils peuvent infliger des lésions importantes (ulcérations, bulles), favoriser l’infection secondaire ou permettre l’apparition d’isomorphisme (phénomène de Kœbner). Les sites de traumatisme peuvent aussi conserver des altérations chroniques persistantes sous forme de cicatrices (parfois chéloïdiennes), de dyschromie, de syndrome de Raynaud. Ce dernier est la manifestation d’une altération neuro-vasculaire périphérique qui peut apparaître à la suite de l’utilisation prolongée de machines vibrantes.

Les facteurs chimiques sont incontestablement ceux qui sont le plus souvent à l’origine de dermatoses professionnelles. Ils sont si nombreux qu’il serait impossible d’en dresser une liste exhaustive. Ils peuvent agir par mode allergique, irritatif ou par photoréaction. Ils peuvent laisser comme séquelle un aspect dyschromique. Le pouvoir irritant d’un produit chimique peut aller d’un simple assèchement de la peau jusqu’à la nécrose cellulaire complète, en passant par des degrés intermédiaires d’inflammation. Pour approfondir ce sujet, on peut se reporter à l’article du présent chapitre qui traite des dermatites de contact. Pour identifier les facteurs de risque chimique, on peut consulter les fiches de données de sécurité des produits utilisés dans tel ou tel milieu; en effet, de nombreux pays ont adopté une loi obligeant les fabricants à fournir, dans chaque lieu de travail où leurs produits sont utilisés, des informations sur les dangers qu’ils présentent pour la santé des travailleurs. Ces fiches sont des outils indispensables à une intervention efficace.

Les infections bactériennes, virales ou fongiques contractées au travail sont causées soit par la manipulation de matériel contaminé, soit par des contacts avec des personnes ou des animaux contaminés. L’infection peut se manifester sous forme de pyodermite, de folliculite, de panaris, de dermatomycose, d’anthrax ou de brucellose. Le développement de verrues multiples aux mains chez les travailleurs de l’alimentation nécessite l’action concomitante de microtraumatismes et d’humidité excessive prolongée (Durocher et Paquette, 1985). Les contaminations parasitaires peuvent provenir des animaux ou des humains (mites, acariens et poux) et provoquer gale ou pédiculose chez le personnel de garderies ou de soins de santé. Les phytodermatites sont causées par des plantes indigènes (de l’espèce Rhus) ou ornementales (Alstrœmeria, chrysanthèmes, tulipes, etc.). De plus, certaines essences de bois peuvent provoquer une dermatite de contact.

Les cofacteurs de risque

Certaines pathologies cutanées d’origine personnelle peuvent favoriser l’action de facteurs environnementaux sur la peau du travailleur. Ainsi, il est bien connu que, même en l’absence de lésion de dermite atopique, des antécédents d’atopie peuvent sensiblement accroître le risque de dermatite de contact par irritation. Une étude de 47 cas de dermatite de contact par irritation aux mains chez des travailleurs de l’alimentation a révélé des antécédents d’atopie dans 64% des cas (Cronin, 1987). Agner (1991) a montré une réaction plus intense à l’irritation par le laurylsulfate de sodium chez les porteurs de dermite atopique. La diathèse atopique (prédisposition aux allergies de type I) n’accroît toutefois pas le risque de dermatite de contact allergique de type retardée (IV), notamment au nickel (Schubert et coll., 1987) qui est l’allergène le plus souvent dépisté. Par contre, il est démontré depuis quelques années que l’atopie favorise l’apparition de l’urticaire de contact (allergie de type I), que ce soit au latex chez les personnels de santé (Turjanmaa, 1987; Durocher, 1995), ou au poisson chez les traiteurs (Cronin, 1987).

Dans le psoriasis, la couche cornée de surface est épaissie, mais elle est parakératosique, de sorte qu’elle offre une moins grande résistance aux irritants cutanés et aux tractions mécaniques. De plus, un travailleur atteint de psoriasis peut voir la condition de sa peau se détériorer si elle est fréquemment blessée, car de nouvelles lésions de psoriasis peuvent se développer sur les sites de cicatrisation par isomorphisme.

Chez les sujets souffrant de xérose cutanée, le contact répété avec des détergents, des solvants ou des poussières astringentes peut entraîner le développement secondaire d’une dermatite de contact par irritation. De même, le porteur d’acné pourra voir sa condition se détériorer en cas d’exposition aux huiles de friture.

La prévention

Dans les entreprises, l’établissement d’un programme de prévention passe par une connaissance approfondie des facteurs de risque. On distingue généralement les moyens de prévention collective des moyens de prévention individuelle. Pour être efficace, le programme de prévention nécessite une étroite collaboration entre employeurs et travailleurs. Le tableau 12.9 illustre le propos.

Tableau 12.9 Mesures collectives de prévention (approche globale)

Prévention collective

  • Substitution
  • Moyens de prévention technique:
    Manipulation des matériaux à l’aide d’outils
    Ventilation
    Circuit fermé
    Automatisation
  • Information et formation
  • Acquisition d’automatismes de vigilance au travail
  • Suivi

Protection individuelle

  • Hygiène cutanée
  • Protecteurs cutanés
  • Gants

L’approche collective

La démarche collective cherche avant tout à éliminer le risque à la source. Lorsque c’est possible, on doit s’efforcer de remplacer les produits toxiques par des produits équivalents non toxiques. Ainsi, on pourra prévenir l’effet toxique d’un solvant utilisé pour nettoyer la peau en lui préférant un détergent synthétique sans risque systémique et moins irritant. Pour éviter les allergies au chrome hexavalent, plusieurs fabricants proposent maintenant du ciment au sulfate de fer. Dans les systèmes de refroidissement à l’eau, on a remplacé les chromates qui servent d’anticorrosifs par du borate de zinc beaucoup moins allergisant (Mathias, 1990). Dans le cas d’une allergie à un biocide dans une huile de coupe, on choisira un autre agent de conservation. Au personnel de la santé allergique au latex, on proposera des gants en caoutchouc synthétique ou en poly(chlorure de vinyle). Enfin, on réduira aussi les allergies en remplaçant l’aminoéthanolamine par la triéthanolamine dans le flux de soudure des câbles d’aluminium (Lachapelle et coll., 1992).

Lorsqu’il est impossible de remplacer un produit toxique par un autre qui l’est moins ou que le risque est limité et ne constitue pas un danger, il suffit parfois de modifier le procédé utilisé pour éviter le contact cutané. L’installation d’écrans ou de tubulures flexibles pour transférer des liquides en évitant les éclaboussures, les filtres de rétention des résidus pour éviter le nettoyage manuel, les points de préhension mieux adaptés à la main pour limiter les pressions et frictions excessives, la création d’intermédiaires de manipulation pour éviter le contact de la peau avec les irritants, la ventilation à la source avec capteurs adéquats pour limiter la formation de nébulisat dans l’air ou diminuer la concentration de poussières aéroportées sont autant de mesures de prévention faciles à mettre en œuvre dans l’entreprise. Dans les cas où un procédé a été complètement automatisé pour prévenir les risques environnementaux, on doit attacher une importance particulière à la formation des équipes appelées à réparer ou à rénover de tels systèmes; l’exposition de ces travailleurs à des substances à risque nécessite un renforcement des mesures préventives (Lachapelle et coll., 1992).

Nul ne devrait ignorer les risques inhérents à son travail, mais l’approche préventive collective ne saurait être efficace sans l’instauration d’un programme complet d’information. A partir des fiches de données de sécurité des produits utilisés au travail, on peut établir quelles sont les substances présentant un risque réel ou potentiel. L’usage d’un pictogramme autocollant permet l’identification rapide de ces agents et l’ajout d’un code de couleur simple aide à préciser la gravité du risque par simple contact visuel. Par exemple, la couleur rouge souligne qu’il y a danger et qu’il faut éviter le contact direct avec la peau: c’est le cas pour un agent corrosif qui peut attaquer rapidement la peau. En corollaire, la couleur jaune incite à la prudence, car elle indique que cette substance est susceptible de détériorer graduellement la peau en cas de contacts répétés ou prolongés (Durocher, 1984). On peut aussi renforcer l’information sur la prévention des dermatoses professionnelles et maintenir l’intérêt pour un tel programme grâce à des campagnes périodiques d’affichage ou encore grâce à la projection d’audiovisuels.

Avant leur entrée en fonctions, les travailleurs devraient recevoir une information complète sur les risques du travail qu’ils vont effectuer. Dans certains pays, une telle formation est spécialement assurée par des professeurs. Dans l’entreprise, tout changement, qu’il concerne les procédés ou les tâches, doit être bien expliqué aux travailleurs dans le cadre d’une formation complémentaire en cours d’emploi, surtout s’il est susceptible de modifier les facteurs de risque. Une attitude alarmiste ou paternaliste ne favorise pas un bon climat de travail. Employeurs et travailleurs sont des partenaires qui désirent que le travail soit exécuté dans de bonnes conditions de sécurité et l’information fournie doit être réaliste pour demeurer crédible.

Comme il n’existe pas actuellement de normes en cas d’exposition cutanée à des substances toxiques (Mathias, 1990), on renforce les mesures préventives par une observation vigilante de la peau des travailleurs. Cette vigilance est d’autant plus facile à exercer que la peau, en particulier au niveau des mains et du visage, est directement accessible à l’observation de tous. La vigilance en milieu de travail implique de déceler les signes précoces d’altération cutanée qui dénotent que les mécanismes naturels d’équilibre de la peau sont dépassés. Ainsi, le travailleur, comme l’intervenant en santé au travail doivent être attentifs à l’apparition d’un des signes cutanés avant-coureurs suivants:

Dans ce même esprit de vigilance, lorsqu’une maladie de la peau apparaît, il importe de l’identifier rapidement, de la traiter et d’en rechercher la cause pour prévenir la chronicité.

Lorsque l’approche collective de prévention s’avère insuffisante pour éviter le contact de la peau avec un agresseur cutané, il faut réduire au minimum la durée du contact. Pour cela, le travailleur doit pouvoir accéder facilement à de bonnes installations d’hygiène et à un agent nettoyant adapté à ses besoins. Pour éviter la contamination de ce dernier, il est recommandé de le conserver dans un contenant fermé équipé d’une pompe qui libère en une seule pression une quantité suffisante de produit. Lors du choix de cet agent, on recherchera un juste équilibre entre son pouvoir nettoyant et son action irritante. Les agents à haute performance contiennent souvent des solvants ou des abrasifs qui sont très irritants. Le choix doit être adapté à chaque milieu: si l’agent nettoyant disponible est inefficace, les travailleurs auront souvent directement recours à un solvant. Parmi les agents nettoyants, il faut citer les savons, détergents synthétiques, pâtes ou crèmes dites savons sans eau, les particules abrasives, ainsi que les agents antimicrobiens (Durocher, 1984).

Dans plusieurs métiers, les travailleurs parviennent d’autant mieux à garder leur peau propre qu’ils auront pris soin d’appliquer une crème protectrice avant de se mettre à l’œuvre et ce, quel que soit le type de produit nettoyant utilisé. Dans tous les cas, il importe de bien rincer et de bien assécher la peau lors de chaque lavage. Les résidus de savon incomplètement rincés seront à nouveau émulsifiés par l’humidité à l’intérieur de gants imperméables, par exemple, et leur action irritante s’en trouvera prolongée.

Les savons dont on se sert en milieu de travail se présentent généralement sous forme liquide et sont distribués par pression de la main. Ils sont formés d’acides gras d’origine animale (suif) ou végétale (huile), tamponnés avec une base (NaOH, par exemple). L’équilibre obtenu peut être imparfait et laisser persister des radicaux libres qui peuvent irriter la peau; un pH voisin de la neutralité est donc souhaitable (minimum 4 et maximum 10). L’efficacité de ces savons liquides est suffisante pour de nombreuses tâches.

Les détergents synthétiques, liquides ou en poudre, émulsifient les graisses et dispersent donc le sébum dont le rôle est de protéger la peau contre l’assèchement. Cet effet, en général moins marqué avec un savon qu’avec un détergent synthétique, s’accroît avec la concentration du détergent et, pour le limiter, on y ajoute souvent un émollient (glycérine, lanoline, lécithine).

Les pâtes ou crèmes aussi appelées savons sans eau sont des émulsions d’huiles dans de l’eau renfermant comme agent nettoyant un solvant, généralement dérivé du pétrole. On les dit «sans eau» parce qu’elles permettent de nettoyer la peau sans avoir recours à l’eau courante. On les utilise surtout pour enlever les souillures tenaces ou pour se laver les mains lorsqu’on ne dispose pas d’eau. Parce qu’ils sont plus agressifs pour la peau, ces produits ne sont pas considérés comme des agents nettoyants de premier choix. On a vu plus récemment apparaître sur le marché de tels «savons sans eau», mais exempts de solvant, ce dernier ayant été remplacé par un ou des détergents synthétiques qui seraient moins irritants pour la peau. L’Association américaine des fabricants de savon et de détergents (American Association of Soap and Detergent Manufacturers) recommande de se laver de nouveau les mains avec un savon doux après l’emploi d’un «savon sans eau» renfermant un solvant. De plus, le travailleur qui utilise ces «savons sans eau» trois ou quatre fois par jour devrait appliquer une lotion ou une crème hydratante à la fin de la journée de travail pour combattre l’effet d’assèchement.

Les particules abrasives, généralement ajoutées à l’un des produits susmentionnés pour en accroître le pouvoir nettoyant, sont irritantes. Elles se présentent soit sous forme soluble (borax, par exemple), soit sous forme insoluble. Les abrasifs insolubles peuvent être d’origine minérale (pierre ponce), végétale (écales de noix) ou synthétique (polystyrène).

L’ajout d’un antimicrobien à un agent nettoyant devrait être limité aux milieux de travail comportant un réel risque d’infection. Plusieurs d’entre eux ayant un potentiel allergisant, un tel ajout risquerait d’exposer inutilement à l’infection des populations non à risque.

Les mains ont souvent tendance à s’assécher, que ce soit à cause des substances manipulées ou à cause de leur lavage répété. Pour empêcher qu’elles ne se dégradent, il importe de prendre l’habitude de les hydrater quotidiennement à une fréquence qui varie selon l’individu et le type d’emploi exercé. L’emploi d’une lotion ou d’une crème hydratante, aussi appelée crème pour les mains ou crème de soins réparatrice, suffit dans de nombreux cas. Si le travailleur a vraiment la peau très sèche ou s’il passe beaucoup de temps les mains immergées, il sera plus judicieux d’employer une vaseline hydrophilique. Les crèmes dites protectrices ou barrières sont généralement des crèmes hydratantes. Certains protecteurs topiques renferment du silicone ou de l’oxyde de zinc ou de titane. Les protecteurs topiques spécifiques sont rares, à l’exception de ceux qui protègent contre les rayons ultraviolets. Depuis quelques années, ceux-ci se sont bien améliorés; ils protègent maintenant efficacement contre les UV-A et les UV-B. Pour ces derniers, on recommande un facteur de protection solaire minimum de 15 (échelle nord-américaine). Une crème appelée Stokogard (marque de commerce) semble efficace contre la dermatite de contact à l’herbe à puce. En aucun cas, on ne devrait comparer l’efficacité d’une crème-barrière ou protectrice à celle d’un gant invisible imperméable (Sasseville, 1995). De plus, il faut se rappeler que les crèmes protectrices ne sont vraiment efficaces que sur une peau saine.

Personne ne consent de bon gré à porter un dispositif de protection; on ne peut pourtant les éviter lorsque les solutions précitées s’avèrent insuffisantes. Ces dispositifs, bottes, tabliers, visières, manchettes, combinaisons, chaussures, gants, sont traités dans le chapitre «La protection individuelle» de la présente Encyclopédie.

Bien des travailleurs se plaignent que les gants, lorsqu’ils sont obligés d’en porter, réduisent leur dextérité; il faut néanmoins parfois s’y résoudre tout en cherchant à en limiter au maximum les inconvénients. Il en existe de nombreux types et leur choix doit être adapté à chaque situation. Leur composition est variable: ils peuvent être perméables (coton, cuir, mailles de métal, kevlar (marque de commerce), amiante) ou imperméables à l’eau (latex, néoprène, nitrile, poly(chlorure de vinyle), viton, poly(alcool vinylique), polyéthylène). Le coton offre une protection légère tout en permettant une bonne ventilation de la main. Le cuir offre une bonne protection contre les frottements, pressions, tractions et certaines lésions. Les mailles de métal évitent les coupures. Le kevlar résiste au feu. L’amiante protège contre le feu et la chaleur excessive. Les gants imperméables à l’eau offrent, en fonction de leur composition et de leur épaisseur, une résistance très variable aux solvants. Pour accroître cette résistance, des chercheurs ont conçu un gant multicouche formé de polymères.

Pour choisir judicieusement ses gants, il faut tenir compte de nombreuses caractéristiques: épaisseur, souplesse, longueur, rugosité, ajustement au niveau des doigts et des poignets, résistance spécifique du point de vue chimique, mécanique et thermique. Plusieurs laboratoires ont mis au point des techniques d’évaluation de la perméabilité chimique des gants permettant de mesurer le temps de claquage et la constante de perméabilité. Il existe aussi des listes destinées à guider les acquéreurs lors de leur choix (Lachapelle et coll., 1992; Berardinelli, 1988).

Le port prolongé de gants peut provoquer, dans certains cas, une dermatite de contact allergique à l’une des composantes du gant ou à un matériel allergénique manipulé qui le traverse. Il peut aussi accroître le risque d’irritation cutanée: d’une part, à cause de l’humidité excessive à laquelle la main est exposée de façon prolongée à l’intérieur du gant, d’autre part, parce qu’un agent irritant peut fort bien traverser le gant ou s’y engouffrer lorsque le gant se perfore. Tout travailleur atteint d’une dermatite des mains, quelle qu’en soit l’origine, devrait éviter de porter des gants qui augmentent la chaleur et l’humidité au niveau des lésions sous peine de voir sa maladie empirer.

L’établissement d’un programme complet de prévention des dermatoses professionnelles doit se faire en adaptant les normes et principes aux paramètres propres à chaque milieu de travail. Pour demeurer efficace, ce programme de prévention devrait être révisé périodiquement à la lumière des expériences locales et de l’évolution des techniques.

LA DYSTROPHIE UNGUÉALE PROFESSIONNELLE*

* Cet article a été publié à l'origine dans la 2e édition de l'Encyclopédie de médecine, d'hygiène et de securité du travail et a été adapté, pour la présente édition, par le rédacteur du chapitre

C.D. Calnan

L’épithélium de l’épiderme forme la surface, ou couche cornée, de la peau, dont la principale composante est la kératine, une protéine fibreuse. Dans certaines zones, l’épithélium — spécialement développé — produit une structure kératinisée d’un type particulier: les cheveux, les poils et les ongles. La lame de l’ongle est formée en partie par l’épithélium de la matrice et en partie par celui du lit unguéal. L’ongle pousse de la même façon que les cheveux et la couche cornée, et il est soumis à des mécanismes pathogènes analogues à ceux qui provoquent les maladies des cheveux et de la peau. Certaines substances telles que l’arsenic et le mercure s’accumulent dans les ongles et les cheveux.

La figure 12.2 montre que la matrice de l’ongle correspond à une invagination de l’épithélium et qu’elle est recouverte à sa base par le repli unguéal. Une fine couche de cellules cornées, appelée cuticule, ferme l’espace périunguéal situé entre le repli unguéal et la lame de l’ongle.

Figure 12.2 Structure de l'ongle

Figure 12.2

Les parties les plus fragiles de l’ongle sont le repli unguéal et la zone située sous l’extrémité de la lame, mais cette dernière est exposée elle-même à des agressions physiques ou chimiques directes. Des substances chimiques ou des agents infectieux peuvent pénétrer sous la lame à son extrémité libre. L’humidité et les bases peuvent détruire la cuticule et favoriser la pénétration de bactéries et de champignons qui provoquent une inflammation du tissu périunguéal et une croissance secondaire anormale de la lame de l’ongle.

Les causes les plus fréquentes de troubles unguéaux sont la périonyxis chronique, les onycomycoses, les traumas, le psoriasis, la mauvaise circulation, l’eczéma et autres dermatites. La périonyxis est une inflammation du repli de l’ongle. Dans sa forme aiguë, on observe une plaie suppurative et douloureuse qui nécessite une antibiothérapie et parfois un traitement chirurgical. La périonyxis chronique résulte de la disparition de la cuticule qui rend possible la pénétration de l’eau, des bactéries et de Candida albicans dans l’espace périunguéal. Cette maladie est courante chez les sujets dont les mains sont constamment soumises à l’action de l’eau, des substances alcalines et des détergents: personnel de cuisine et préposés au nettoyage, préparateurs de fruits et légumes, employés des conserveries et ménagères. La guérison n’est complète que lorsque la cuticule et l’éponychium fermant le limbe unguéal ont retrouvé leur état normal.

Les personnes exposées au ciment, à la chaux et aux solvants organiques, ainsi que les bouchers et les volaillers peuvent également être sujets à des lésions de la cuticule et des replis de l’ongle.

Toute inflammation ou maladie de la matrice de l’ongle peut provoquer, sous sa forme symptomatique motivant le plus grand nombre de consultations médicales, une dystrophie de la lame unguéale. L’exposition au froid intense ou le spasme artériel du syndrome de Raynaud peuvent également léser la matrice et entraîner une dystrophie de l’ongle. Parfois, la lésion est transitoire et, dès la cause éliminée et l’inflammation traitée, la dystrophie unguéale disparaît (voir figure 12.3).

Figure 12.3 Onychodystrophie secondaire à une dermatite de contact par irritation chronique

Figure 12.3

Une des causes de lésion des ongles est l’application directe de certaines préparations cosmétiques telles que les bases, les durcisseurs, les vernis synthétiques ou les faux ongles.

Certains métiers présentent des risques particuliers. On a signalé des cas de dystrophie due à la manipulation de pesticides à base de dipyridylium concentré (paraquat et diquat). Pendant la fabrication du dioxyde de sélénium, une fine poudre de cette substance peut pénétrer sous l’ongle et provoquer une irritation intense, ainsi qu’une nécrose de l’extrémité du doigt et de la lame unguéale. Il importe de mettre les travailleurs en garde contre ce risque et de les inciter à bien se brosser chaque jour les zones sous-unguéales des doigts.

Certains types de dermatite de contact allergique affectant le bout des doigts entraînent fréquemment une dystrophie secondaire de l’ongle. Les six agents sensibilisants les plus courants à l’origine de ces troubles sont:

  1. l’améthocaïne et les anesthésiques locaux chimiquement apparentés utilisés en chirurgie dentaire;
  2. le formol utilisé par les employés des pompes funèbres, les anatomo-pathologistes, les techniciens de musée et de laboratoire;
  3. l’ail et l’oignon employés par les cuisiniers;
  4. les bulbes de tulipe et les fleurs manipulés par les horticulteurs et les fleuristes;
  5. la résine à base de p-tert-butylphénol et de formaldéhyde dont se servent les fabricants de chaussures et les cordonniers;
  6. l’aminoéthyléthanolamine contenu dans certains fondants aluminiques.

Le diagnostic peut être confirmé par un test épicutané positif. L’affection de la peau et des ongles disparaît avec la cessation de l’exposition.

Les mesures de protection

Dans de nombreux cas, l’utilisation d’une protection des mains adaptée au type de risque permet de préserver les ongles. Cependant, lorsque la main est effectivement exposée, les ongles doivent recevoir des soins appropriés, qui consistent pour l’essentiel à préserver la cuticule et à protéger la région sous-unguéale. La peau située sous l’extrémité libre de l’ongle doit être nettoyée chaque jour pour éliminer les corps étrangers ou les agents chimiques irritants. En cas d’utilisation de crèmes-barrières ou de lotions, on veillera à bien les appliquer, et sur la cuticule et sous l’extrémité libre de l’ongle.

Pour maintenir l’intégrité de la cuticule, il est nécessaire d’éviter les soins excessifs des mains et les traumatismes, la macération par exposition prolongée à l’eau et la dissolution par exposition répétée aux bases, solvants et détergents.

LES STIGMATES PROFESSIONNELS*

* Cet article a été publié à l'origine dans la 2e édition de l'Encyclopédie de médecine, d'hygiène et de securité du travail et a été adapté, pour la présente édition, par le rédacteur du chapitre

H. Mierzecki

Les stigmates professionnels ou taches professionnelles sont des lésions anatomiques induites par le travail qui n’entraînent pas d’incapacité de travail. Les stigmates, généralement produits par une irritation mécanique, chimique ou thermique de la peau exercée pendant une longue période, sont souvent caractéristiques d’une certaine profession. Toutes les formes de pression ou de frottement sur la peau peuvent avoir un effet irritant et une pression intense unique peut rompre l’épiderme et entraîner la formation d’excoriations, d’ampoules séro-purulentes et une infection de la peau et des tissus sous-jacents. En revanche, la répétition fréquente d’une action irritante modérée n’entraîne pas de rupture de la peau, mais stimule au contraire les réactions de défense (épaississement et kératinisation de l’épiderme). Ce processus peut prendre trois formes:

  1. un épaississement diffus de l’épiderme qui apparaît dans la peau saine, avec conservation et, parfois, accentuation des plis cutanés et absence d’atteinte de la sensibilité;
  2. une callosité circonscrite, faite de lamelles cornées jaunâtres, lisses, surélevées, avec perte complète ou partielle des plis cutanés et troubles de la sensibilité. Les lamelles ne sont pas circonscrites; elles sont plus épaisses au centre et plus fines en périphérie et elles se mêlent à la peau saine;
  3. une callosité circonscrite, généralement surélevée par rapport à la peau saine, de 15 mm de diamètre, allant du brun jaunâtre au noir, indolore et parfois associée à une hypersécrétion des glandes sudoripares.

Ces callosités sont généralement produites par des agents mécaniques, parfois associés à un agent irritant thermique (comme c’est le cas chez les souffleurs de verre, les boulangers, les pompiers, les travailleurs des usines de salaisons, etc.), quand elles sont de couleur brun sombre à noir, avec des fissures ou crevasses douloureuses. Cependant, si l’agent mécanique ou thermique est associé à une substance chimique irritante, les callosités présentent des anomalies de couleur, un ramollissement et une ulcération.

Les callosités qui correspondent à une réaction professionnelle caractéristique (particulièrement au niveau de la peau des mains, comme le montrent les figures 12.4 et 12.5), sont observées dans de nombreuses professions. Leur forme et leur localisation dépendent de l’endroit où s’exerce la pression, de son intensité, de sa fréquence, de la manière dont elle est appliquée, ainsi que des outils ou des matériaux utilisés. La taille des callosités peut également révéler une tendance congénitale à la kératinisation de la peau (ichtyose, kératose palmaire héréditaire). Ces facteurs peuvent aussi souvent être responsables d’anomalies quant à la localisation et à la taille des callosités chez les travailleurs manuels.

Figure 12.4 Stigmates professionnel des mains

Figure 12.4

Figure 12.5 Callosités au niveau des points de pressions de la paume

Figure 12.5

Les callosités correspondent normalement à des mécanismes protecteurs, mais elles peuvent, dans certaines conditions, prendre des aspects pathologiques; c’est pourquoi il ne faut pas les négliger quand on cherche à établir la pathogenèse et surtout la prophylaxie des dermatoses professionnelles.

Lorsqu’un travailleur cesse d’exercer le métier qui lui donne des callosités, les couches cornées superflues se desquament, la peau devient fine et lisse, la dyschromie disparaît et l’épiderme reprend un aspect normal. Le temps nécessaire à la régénérescence de la peau est variable: les callosités professionnelles des mains peuvent parfois être observées plusieurs mois, voire plusieurs années après cessation de l’activité (en particulier chez les forgerons, les souffleurs de verre et les ouvriers des scieries). Elles persistent plus longtemps sur la peau sénile et lorsqu’elles sont associées à une dégénérescence des tissus conjonctifs et à une bursite.

Les fissures et érosions de la peau sont caractéristiques de certaines professions (cheminots, armuriers, maçons, orfèvres, vanniers, etc.). Le douloureux ulcère des tanneurs, lié à l’exposition aux composés du chrome (voir figure 12.4) est de forme ronde ou ovale et a un diamètre de 2 à 10 mm. La localisation des lésions professionnelles (par exemple, sur les doigts des confiseurs, sur les doigts et les paumes des tailleurs, etc.) est, elle aussi, caractéristique.

Les taches pigmentées sont dues à l’absorption de colorants par la peau, à la pénétration de particules de substances chimiques solides ou de métaux industriels ou à l’accumulation excessive, après trois à cinq années de travail, de mélanine, qui est le pigment de la peau, chez les travailleurs des cokeries et des centrales électriques. Dans certaines entreprises, 32% environ des travailleurs présentent des taches mélaniques. Les taches pigmentées s’observent principalement chez les travailleurs de l’industrie chimique.

En règle générale, un lavage ordinaire ne permet pas d’éliminer les colorants absorbés par la peau, d’où leur persistance et leur caractère de stigmates professionnels. Les taches pigmentées résultent parfois d’une imprégnation par des substances chimiques, des végétaux, de la terre ou d’autres substances auxquelles la peau est exposée au cours du travail.

On peut voir un certain nombre de stigmates professionnels dans la région buccale (par exemple, le liseré gingival de Burton chez les travailleurs qui sont en contact avec du plomb, l’érosion des dents chez les travailleurs exposés à des fumées acides, etc., la coloration bleue des lèvres chez les travailleurs employés à la fabrication de l’aniline, et certaines formes d’acné). Les odeurs caractéristiques liées à certaines professions peuvent également être assimilées à des stigmates professionnels.

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